Le bourreau de mes thunes (2)

Le 6 septembre 2010

Suite de notre politique friction, où l'on apprend que Jean-Edouard du Bouffin, contre son petit coup de zob mensuel, reçut (grosses) récompenses sonnantes et trébuchantes de Viviane de Châlong. Mais son ambition n'allait pas s'arrêter là.

Image tOad pour OWNI /-)

Petite nouvelle de politique friction où toute ressemblance avec des personnes ou des faits existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

Jean-Édouard du Bouffin était un pragmatique.

En trente années d’une carrière artistique si conventionnelle qu’elle en était devenue, par la grâce de Dieu et d’innombrables glissements sémantiques, aux yeux du vulgum pecus, une vie hors du commun, Jean-Édouard du Bouffin avait su s’attirer les largesses d’un milieu où l’on ne compte pas car chez ces gens-là, effectivement, on compte pas, Monsieur, on compte pas. On flambe.

Écrivain mondain et poète maudit, peintre des belles formes et sculpteur de muses, comédien au théâtre des clichés, il s’était introduit dans l’existence de Viviane de Châlong, avait pénétré sa vie, son âme, et le reste.

Jeune et fringant éphèbe des années soixante-dix (un mètre soixante neuf les bras levés), fils de haute famille, il s’était rapidement fait un nom en publiant ses mémoires à trente et un ans, ouvrage qui fustigeait sans sommation la révolution de mai, les indépendantistes algériens, le cinéma de Godard, l’expressionnisme abstrait, le retour de Miles Davis et l’avènement du mitterrandisme, ce qui lui valut d’être traité d’anarchiste de droite sans que personne ne sache vraiment ce qu’on voulait signifier par cette antinomie. Puis il avait peint les stars du septième art avec les pieds, avait sculpté les bustes des présidents dans des blocs de saindoux, avait éructé ses poèmes dans les cocktails chébrans de la capitale, avait écrit des romans dont il justifiait la platitude syntaxique par cet original objectif littéraire qui consistait à fuir le style (plus c’est gros, mieux ça passe) et, surtout, surtout, secrètement, s’était fait l’amant de Madame Viviane de Châlong.

Déjà plein aux as au sortir d’une adolescence à la petite vérole, armé de canines à rayer les parquets, légèrement complexé par un zézaiement prononcé auquel s’ajoutait une calvitie précoce ainsi qu’une collection de furoncles sur le derrière qui l’empêchait d’exprimer librement ses penchants homosexuels, Jean-Édouard du Bouffin, fort de cette liaison plus financière que sexuelle étant donnée la taille du porte-monnaie de la victime, devint, grâce à sa pugnacité, à son sourire de requin-marteau et à sa gentillesse de poulpe, l’écrivain milliardaire que les éditeurs du monde entier cherchaient à toucher à n’importe quel prix. Il se faisait prendre (juste en photo) aux côtés des nouveaux philosophes de Saint-Germain des Prés (ceux qui confondent la pub et les idées), était invité sur les yachts des marchands de pétrole et, avec des membres éminents du gouvernement, il jouait au golf (un jeu qui consiste à pousser une baballe dans un troutrou avec une cacanne, et y en a qui trouvent ça intelligent).

En échange de son attention ostensiblement désintéressée, de sa courtoisie de gigolo insouciant, de son petit grain de folie qui générait les gloussements des bourgeoises à double menton dans les coulisses des opéras, contre sa présence inestimable à la table des de Châlong, et contre son petit coup de zob mensuel, Viviane de Châlong offrit sa richesse à son amant.

Résidences secondaires, tertiaires, quaternaires, châteaux en Espagne et villas luxembourgeoises, émeraudes, rubis, diamants, spacieux appartements dans des paradis fiscaux, comptes en banque incommensurables, chèques faramineux et valises blindées de biffetons, toiles de maîtres, actions par milliers chez Pharmarros, contrats juteux, emplois fictifs… le peintre Jean-Édouard du Bouffin, surnommé par ses détracteurs « le Titien à sa mémère », fasciné par l’argent facile, la rutilance et les honneurs, la célébrité et les regards avides des envieux, en était devenu complètement taré. Il mâchait de la gloire et des bijoux au quotidien.

Aujourd’hui, la soixantaine carrément dégarnie, le zézaiement plus prononcé encore à cause des fausses ratiches, il ne savait plus où donner du larfeuille. Il continuait à ponctionner la femme la plus riche d’Europe, la menaçait de la quitter si elle rechignait, enchaînait les insultes à la mémoire de feu-Antoine de Châlong, se révélait ignoble, gluant et fourbe.

Après avoir obtenu d’elle l’or et les bijoux (ça lui avait coûté trois petits orgasmes comparables à des pets de nonnes), il obtiendrait, grâce à elle et à sa considérable fortune, la soumission des grands chefs, entrepreneurs et dirigeants du pays (quand t’as l’un, t’as l’autre vu qu’ça bosse main dans la main). Il ajouterait du pouvoir au pouvoir, il les aurait à ses pieds, les ministres intègres et conseillers vertueux. Il serait leur maître à tous ! Taïaut !

À suivre…

Épisode 1 et épisode 3
Olivier Bordaçarre est publié aux éditions Fayard

Le blog de tOad

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