Un soldat privé de Libye

À Benghazi en Libye, au mois de mai dernier, cinq hommes travaillant pour une société militaire privée française étaient arrêtés et l'un d'eux abattu. Pierre Martinet, ex DGSE, faisait partie du groupe. Il livre son témoignage.

Pierre Martinet, le 18 octobre à Paris.

Pierre Martinet était à Benghazi pour la Secopex, la société militaire privée française dont le directeur Pierre Marziali, a été tué le 11 mai au soir, dans ce bastion de la rébellion libyenne. Ancien de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), il travaille depuis plusieurs années dans le secteur privé. Pour OWNI, il revient sur les conditions de la mort de Pierre Marziali et sur ses dix jours de détention à Benghazi.

Pourquoi étiez-vous en Libye ?

Nous étions là-bas parce que dès le début de la rébellion, plutôt vers le 14 février que le 17, Pierre Marziali (le directeur de la société militaire privée Secopex, NDLR) m’a contacté. Il voulait créer un bureau sur place et proposer les services de sa société aux rebelles. Fin mars, Marizali a pris la décision d’y aller en réunissant des fonds pour y rester deux mois. Il m’a proposé de diriger cette mission et d’ouvrir le futur bureau sur place. Nous proposions plusieurs services : du conseil militaire et stratégique, de la formation, des escortes et la sécurisation du pipe-line entre Koufra (dans le Sud) et Benghazi.

Comment vous êtes-vous rendus sur place ?

Nous étions une équipe de trois personnes, arrivées le 17 avril au Caire et le 18 à Benghazi. Nous n’avions aucun contact sur place. Marziali ne faisait pas partie de cette première équipe. Dès le lendemain de notre arrivée, nous nous sommes présentés au CNT (le Conseil national de transition, NDLR). Progressivement on a rencontré Abdel Hafiz Ghoga, le numéro 2 du CNT, puis un général proche du général Fatah Younes. Nous avons eu un sauf-conduit1 du CNT et une personne nous a ouvert des portes. C’était de la prospection. Un rendez-vous était prévu avec Ghoga le 12 mai pour convenir d’un contrat.

Marziali est arrivé en Libye avec un adjoint pour ce rendez-vous. Nous nous sommes retrouvés le 11 vers 13 heures à la frontière libyenne. Vers 20h30, nous sommes arrivés à la villa dans laquelle on habitait à Benghazi. Nous sommes ensuite allés dans un restaurant où on avait l’habitude de dîner et sommes sortis vers 23h. Alors qu’on rentrait à pied, un 4×4 pick-up avec un bitube de 14.5 sur le toit nous a mis en joue. Un convoi de plusieurs voitures l’accompagnait. 20 à 25 personnes cagoulées en sont sorties et nous ont obligés à nous allonger à plat ventre, les mains attachées dans le dos. Un coup de feu a retenti. J’ai entendu Marziali dire « Je suis touché ». Ses yeux se sont fermés. Ils nous ont ensuite bandés les yeux et emmenés.
Le convoi faisait partie de la Katiba (la brigade) du 17 février qui est suspecté d’être impliquée dans l’assassinat de Fatah Younes.

Où vous ont-ils emmenés ?

Dans une caserne. Ils nous ont déshabillés et emprisonnés chacun dans une cellule. J’entendais gueuler, ça tirait de partout. Puis je me suis retrouvé face à deux mecs dans un interrogatoire. L’un d’eux était cagoulé et parlait français. Ils me posaient deux questions : pourquoi vous travaillez pour Kadhafi ? quel est le nom et le numéro de votre contact à Tripoli ? Le type non cagoulé me tabassait. Les autres membres de mon équipe ont aussi été tabassés. Sur l’un d’eux, ils ont posé des électrodes pour simuler une séance de torture.

Deux jours après, le vendredi 13, j’ai de nouveau été interrogé. Le lendemain soir, on nous annonce que nous allons rencontrer Antoine Sivan (le représentant spécial de l’État français auprès du CNT, NDLR). Sivan nous a dit qu’un juge avait été nommé à Benghazi et qu’il voulait enquêter. Entre-temps, nous avions vu une représentante de la Croix-Rouge internationale. Après, les interrogatoires ont continué. Le jeudi suivant, le 19 mai, lors d’un énième interrogatoire, un type nous annonce que nous allions être libérés. La veille de notre libération, vendredi 20, toutes les questions étaient axées sur Ghoga avec qui nous avions rendez-vous le lendemain de notre arrestation.

En fin d’après-midi vendredi, Antoine Sivan est revenu nous voir. Ils nous expulsent. Mais dans la nuit de vendredi à samedi ils nous ont réunis et rassemblés dans une pièce avec chaises et caméras vidéo. Ils nous ont demandé de reconnaître qu’on travaillait pour Kadhafi. Ça a duré quelques heures. Puis au petit matin ils nous ont pris en voiture, nous ont ramenés jusqu’à la frontière égyptienne où ils nous ont remis au vice-consul de l’État français. L’État français nous a offert la chambre pour la nuit.

Pour quelles raisons pensez-vous avoir été arrêtés ?

De précédents voyages de Marziali en Libye en 2006 ont posé problème. Des rivalités existent aussi entre le CNT politique et la Katiba du 17 février. Ils ont réellement douté que nous étions à la solde de Kadhafi.

Etiez-vous en concurrence avec d’autres sociétés militaires privées sur ces contrats en Libye ?

J’ai appris qu’une société française était également sur place, Risk and Co, mais je n’en sais pas plus.


Photo OWNI Ophelia Noor [by-nc-sa]

  1. Document accordé par l’autorité d’un gouvernement à une personne de nationalité étrangère et qui garantit à ce dernier la sécurité et la liberté de mouvement à l’intérieur et à travers les frontières de la juridiction de ce gouvernement. []

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés