OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’éducation, clef de la désintox aux nouvelles technos? http://owni.fr/2011/06/14/leducation-clef-de-la-desintox-aux-nouvelles-technos/ http://owni.fr/2011/06/14/leducation-clef-de-la-desintox-aux-nouvelles-technos/#comments Tue, 14 Jun 2011 12:26:20 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=67384 Depuis quelques années, on voit apparaître des expériences de “sevrage numérique temporaire“. Très récemment, plusieurs initiatives sont allées dans ce sens dans le monde scolaire et ont fait débat. En parallèle et au même moment sont publiés des avis qui invitent le monde scolaire à faire encore plus pour les technologies. Ainsi l’initiative de l’association Pasc@line ou encore celle de l’UNESCO s’inscrivent-elles dans ce projet, comme bien d’autres précédentes.

L’impression première qui se dégage de la simultanéité de ces actions est qu’un front semble se créer entre deux conceptions, l’une allant vers la rupture avec les technologies, l’autre allant dans le sens inverse. Mais si l’on regarde sur le fond, les deux initiatives vont bien dans le même sens : d’une part elles promeuvent les technologies numériques, d’autre part elles insistent sur l’éducation des jeunes et la formation des adultes.

Sur un plan philosophique on observe cependant l’émergence d’un paradoxe nouveau, bien que pas aussi récent qu’il n’y paraît : les inventions humaines sont devenues tellement complexes qu’elles génèrent des effets multiples sur la société et que seule une organisation sociale de l’éducation et de la formation peut permettre à l’humain ordinaire de s’en saisir. Autrement dit l’acte d’éduquer n’est plus maîtrisé par l’humain, il ne peut plus se faire que par un complément externe, apporté par la société.

Se déconnecter des écrans ?

L’exemple des expériences de “sevrage numérique temporaire” illustre bien cela. Dans une société qui promeut les écrans dans toutes les composantes de l’activité humaine, on observe l’émergence d’individus de plus en plus nombreux qui voient leur vie “transformée”, réorganisée par les écrans de toutes tailles. L’observation des comportements d’usage des téléphones portables, smartphones et autres écrans personnels met bien en évidence ces comportements.

La promotion récente d’actions d’une semaine ou plus de “vie sans ces machines” jusque dans les écoles confirme bien la prise de conscience d’une certaine incapacité humaine à tenir à distance des pratiques et leurs outils connexes. Comme si l’organisation sociale actuelle tentait d’imposer à chacun l’omniprésence des écrans, aussi bien par la publicité et la mode que, plus subtilement, par l’organisation du travail et de la vie sociale. En d’autres termes, au delà de la séduction, c’est l’organisation de la vie quotidienne qui se transforme par l’intégration de ces outils dans les activités.

Les expériences de sevrage numérique sont d’abord des opérations de communication et séduction. Utilisant les mêmes procédés médiatiques elles agitent volontairement l’idée de mise à distance pour faire prendre conscience de la présence. En soi cela peut sembler une bonne chose. Mais la difficulté est de passer de la séduction de l’idée à l’appropriation de l’idée. Les expériences de ce type s’emparent surtout des réactions à chaud des participants mais ne proposent que rarement voire jamais une analyse en profondeur.

Les initiatives de formation des adultes et des jeunes tentent d’aller dans un autre sens et d’intégrer cette mise à distance au sein même des pratiques de ces outils. Le B2i en a été, dès 2000 la meilleure illustration. D’une part la volonté affirmée d’enseigner et d’éduquer venue des autorités. Mais d’autre part la résistance à cette approche par des adultes en charge d’enseigner.

C’est de ce type d’échec que naissent les initiatives de “sevrage numérique”. Aucune des deux solutions proposées ne parvient à ses fins. Certes la deuxième solution bénéficie, pour l’instant, de la force des pouvoirs publics, mais la lenteur de sa mise en oeuvre laisse sceptique et range certaines de ces initiatives dans la même catégorie que les autres : opération de communication et de séduction comme on le voit avec les conférences scolaires sur les dangers d’Internet qui ravissent les adultes, mais n’apportent que peu d’évolution dans les comportements, et surtout pas ceux des adultes eux-mêmes.

Un monde adulte perturbé face aux technologies

Beaucoup diront, ce n’est pas moi, c’est l’autre. Réaction habituelle dans ce cas, chacun se voulant reconnu comme résistant à la séduction des technologies. C’est un peu comme ces pratiques personnelles cachées de la télévision ou d’Internet dont on ne parle jamais et qui permettent d’avoir une apparence distancée quand on en parle en public. On rencontre ces attitudes aussi dans le monde enseignant.

Ce sont pourtant les jeunes adolescents qui nous rappellent souvent à l’ordre. La régulation de consommation d’écran qui apparaît entre 13 et 20 ans montre qu’ils savent eux-mêmes réguler les choses, si tant est que le contexte le leur autorise. Ce sont d’abord eux qui nous ont appris que l’on pouvait choisir ses activités et ne pas subir les effets de l’environnement. Pourquoi ? Parce que la force de l’adolescence est de chercher à donner sens au monde indépendamment de celui prescrit par les adultes. Du coup les comportements extrêmes et les comportements moyens doivent être entendus comme autant de signes de ce sens en train de se construire. Michel Serres a bien saisi cela dans son récent discours à l’Institut. Car les adultes passent souvent à coté…

Les opérations de “sevrage numérique” sont le signe de la désorientation du monde adulte. Elles ne sont pas inutiles, mais elles sont limitées. Les opérations de formation et d’éducation sont les inscriptions instituées de cette désorientation en essayant de mettre du cadre. Mais ce dont on manque de manière fondamentale, c’est ce que les jeunes nous enseignent : la nécessité constante, permanente, tout au long de la vie de construire le sens du monde qui nous entoure.

C’est trop souvent parce que nous faisons l’économie de ce “travail sur soi” que nous ne parvenons pas, autrement que par des dispositifs externes, à situer les objets à leur juste place dans notre organisation sociale. Au nom de logiques de techniques et de progrès jamais interrogées sur le sens, nous nous retrouvons presque dans l’obligation de mettre en place des dispositifs de remédiation. Le risque que ces béquilles ne deviennent des prothèses est réel. Plutôt que de réfléchir au sens, on préfère renvoyer à des dispositifs externes, formation, séance de sevrage, conférences etc…

L’urgence éducative, dans notre monde actuel, est de travailler non pas à la seule recherche du sens, mais surtout à sa permanente construction par les sujets. Autrement dit, éduquer dans notre société ne peut se suffire d’institutions (remplaçantes modernes de la morale religieuse ou laïque d’antan) qui disent le sens. Si cette modalité de vie en société a pu être portée dans les siècles antérieurs, guidés que nous étions par des croyances de toutes sortes, l’exigence de notre société contemporaine est de développer les compétences personnelles à construire du sens.

Quand on dit dans certains textes, donner sens aux apprentissages, on parle souvent de chercher le sens de ce que l’on fait, mais ce que l’on fait est déjà là. Dans cette nouvelle perspective qui émerge, il me semble qu’il faut permettre à chacun de construire le sens, pas seulement à l’adolescence, mais tout au long la vie. Ne jamais oublier qu’on a un jour fait partie des jeunes qui construisent le monde de demain, et que chacun, quelque soit son âge continue à construire. Certains adultes ont renoncé pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs enfants. C’est un signe d’affaiblissement personnel. Les TIC sont une formidable occasion d’interroger à nouveau tous ceux qui ont l’ambition d’éduquer et éventuellement d’enseigner…


Article initialement publié sur “Veille analyse TICE” sous le titre “« Sevrage numérique » et/ou éducation ?

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Le numérique favorise-t-il l’indiscipline ? http://owni.fr/2011/05/06/discipline-interieur-exigence-numerique/ http://owni.fr/2011/05/06/discipline-interieur-exigence-numerique/#comments Fri, 06 May 2011 10:39:31 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=61235 Autorité et discipline (au sens réglementaire du terme) sont souvent associées à numérique dès lors qu’il s’agit de déplorer leur disparition. Les tenants du retour aux anciennes formes scolaires développent souvent ces discours et n’ont d’autres propositions à faire que le retour à un modèle ancien religieusement idéalisé, inspirées par l’image de la pénitence et de la confession qui ont tant marqué l’enfance des jeunes catholiques. Face au numérique et en particulier depuis l’interconnexion des machines, chacun a pu explorer cet « espace de soi » ainsi ouvert par la confrontation personnelle et solitaire à l’écran.

« Chaque être humain dispose d’un réservoir de faiblesses »

À observer chaque jour les petites incivilités ordinaires des adultes, dans de nombreux espaces publics, il n’est pas possible d’ignorer que ces comportements existent aussi dans ces « espaces de soi », dans cette intimité numérique. Car à l’extimité numérique qui étonne les adultes, il faut renvoyer son correspondant pour se rendre compte que la dénonciation si forte de la perte d’autorité et la disparition de la discipline est un problème d’adultes d’abord, et en particulier dans l’espace intime.

L’écart souvent constaté entre les discours sur et le faire réel en matière d’usage des médias et d’Internet confirme cela (on peut aussi le constater sur les routes chaque jour). Chaque être humain dispose d’un réservoir de faiblesses qui peut se vider à tout instant. La principale différence entre l’adulte et le jeune est que le premier a appris à les cantonner le plus souvent à l’intérieur, alors que les jeunes n’ont pas encore appris à les cacher. Rappelons-nous notre jeunesse et nos critiques au monde adulte. Écoutons aujourd’hui les critiques que nous adressent les jeunes.

Pas de discipline extérieure sans discipline intérieure

Cet apprentissage de l’intériorisation des règles (cf. la construction du « sur-moi » de la psychanalyse) lors de l’enfance ne signifie pas pour autant qu’il n’y aura pas de transgression, et le monde adulte en témoigne quotidiennement. Quand nous écoutons les discours du retour à la discipline et à l’autorité, de l’enseignant en particulier,  on ne peut s’empêcher de se demander si cette autorité extérieure ne doit pas être précédée d’une autre construction, celle de la discipline intérieure.

Par exemple, l’idée selon laquelle Internet est source de copiage, de plagiat oublie l’histoire du plagiat. C’est surtout parce qu’il existe des outils formidablement puissants de comparaison de texte que le plagiat, la copie sont plus facile à identifier (et à réaliser). Prenez le cas des copies de mélodies musicales, il est désormais de plus en plus facile de les déceler à l’aide des outils numériques. Ces faits ne changent rien au problème, mais les restituent dans un contexte éducatif nouveau. Or ce contexte éducatif nouveau c’est l’éducation indispensable à la « discipline intérieure » comme complément permanent à la discipline de l’extérieur. L’élève qui copie son devoir sur Internet s’astreint à une activité qui révèle la nature de sa discipline intérieure mais à mettre en relation avec celle de l’extérieur. Autrement dit s’il choisit cette modalité, c’est que les codes externes l’invitent à le faire et qu’il n’éprouve aucune culpabilité parce qu’il pense (sait?) que cette discipline de l’extérieur n’est qu’une apparence.

La notion d’exemplarité suppose que la discipline intérieure s’exprime à l’extérieur. Il est d’ailleurs assez intéressant de noter que cet intérieur a un effet quasi naturel sur l’extérieur, alors que l’inverse est loin d’être vrai (cf. plus haut). L’autorité dite naturelle s’appuierait donc sur la discipline intérieure. Pourtant c’est souvent l’inverse qui est évoqué : une discipline extérieure génèrerait a priori une discipline intérieure (ce que pensent a priori nombre de personnes de tous niveaux qui veulent qu’on édicte des lois dès qu’un problème se pose). L’expérience montre qu’il n’en est rien et qu’au contraire cela provoque à long terme des révoltes, des rejets…

Internet et la confrontation à soi-même

Le numérique, pour ce qu’il renvoie à l’intimité, à la relation individuelle de soi à l’écran et ce qui y transparait, est une opportunité pour s’intéresser à cette discipline. L’ascèse monacale fait parfois sourire ceux qui en ignorent le sens profond, parce qu’elle met un écart très important avec le quotidien de la vie en société. Or l’exigence du numérique c’est le plus souvent en premier une confrontation à soi davantage qu’une confrontation à l’autre, malgré le web 2.0.

Quand, pour la première fois un adulte se confronte à ces machines, c’est d’abord à lui même qu’il est renvoyé (une ancienne émission de la série Strip Tease en témoigne). Il est d’ailleurs assez étonnant de voir la difficulté qu’ont certains adultes (et les enseignants ne sont pas épargnés) à s’astreindre à l’ascèse de la répétition pour accéder à un niveau d’habileté et d’aisance nécessaire à un usage courant. Parce que pour dépasser les premières manipulations simples, il faut « travailler, faire des efforts »… On peut illustrer cette difficulté à propos de la recherche d’information sur Internet et des pratiques adultes (autant voire moins que celles des jeunes) qui sont souvent en difficulté dans ce domaine, rares sont ceux qui ont construit de véritables dispositifs numériques informationnels personnels. Du coup face à ces difficultés, le terme superficialité vient servir de mise à l’écart et donc de disqualification.

Internet, superficiel ?

Le sentiment de superficialité qui serait celle de l’Internet a de tout temps été évoqué à propos de la jeunesse d’une part, à propos de toutes les technologies de l’information (depuis la création des premiers écrits papiers). Ce sentiment de superficialité traduit aussi une perception de la jeunesse par le monde adulte qui peut s’expliquer par l’ignorance de l’expérience personnelle, de l’histoire personnelle. L’accumulation de l’expérience de vie donne le sentiment de prise de distance de plus en plus grand et donc l’impression de maîtriser son environnement, mais fait aussi oublier les étapes qui y mènent. Le jeune qui découvre le monde commence par essayer de le dévorer : sa soif de vie se traduit souvent par une sorte de papillonnage que l’adulte nomme superficialité. Mais c’est de cette superficialité qui va partiellement s’estomper avec l’entrée dans l’âge adulte, ou plutôt dans les âges de l’expérience, que va se développer ce travail vers l’intimation progressive.

Quand on analyse les résultats des enquêtes sur les jeunes face au risque numérique, on s’aperçoit que pour la très grande majorité d’entre eux ils ont acquis une discipline intérieure qui s’est construite de manière dialectique en particulier avec les pairs. On est étonné de constater que les dérapages de certains sont le fait de jeunes à profil non repérés antérieurement (exemples des diffamations sur blog d’élèves par exemple). En fait dans le cadre scolaire la contrainte de la forme scolaire tient le comportement des élèves (hormis dans certains cas comme en témoignent les graffitis sur les tables ou dans les recoins de l’établissement), la discipline extérieure tient lieu de discipline intérieure. À la maison il en est tout autrement si le cadre éducatif ne permet pas ces repérages (cf. quelques affaires récentes concernant la diffamation d’enseignants sur Facebook et leurs suites dans la presse quotidienne régionale).

Un conflit générationnel

Nous sommes donc confrontés actuellement à un conflit générationnel qui, s’il n’est pas nouveau, prend une forme nouvelle. Les TIC apportent un potentiel nouveau de ferment de conflit. Les adultes sont bien plus prompts que les jeunes à aller dans ces conflits, les précédents même alors que les pratiques ne sont pas stabilisées. C’est ce que l’on a observé avec les quinze premières années d’Internet. Or nous sommes en train de passer à une phase de stabilisation, qui est issue de ce que l’on appelle l’intelligence collective. L’appropriation des environnements numériques ont permis l’apparition d’usages attendus et inattendus, mais il a aussi permis la construction de nouvelles sociabilités, la progressive élaboration de nouvelles disciplines intérieures qui s’affrontent encore en ce moment aux disciplines extérieures indiquent que nous allons vers un rapprochement, mais il faut du temps, et pas seulement des lois hadopi, loppsi ou autres… souvent simples témoins de cette croyance que la discipline extérieure est la seule à pouvoir générer la discipline intérieur; c’est oublier la force constructrice des usages et de l’expérience.

A débattre


Article initialement publié sur le blog de Bruno Devauchelle Veille et Analyse TICE

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Les professeurs font l’école buissonnière numérique http://owni.fr/2011/04/08/les-professeurs-font-lecole-buissonniere-numerique/ http://owni.fr/2011/04/08/les-professeurs-font-lecole-buissonniere-numerique/#comments Fri, 08 Apr 2011 08:30:21 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=55564 En travaillant à plusieurs reprises avec des enseignants qui développent des usages « ordinaires » des TIC dans leur pratique professionnelle, on peut faire quelques observations intéressantes sur le devenir des TICE. On peut observer trois grandes catégories : le travail personnel, le travail en classe, le travail de suivi.

Chacun de ces aspects se développe en lien avec les deux autres, amenant l’enseignant à organiser son environnement personnel professionnel de travail. Cette analyse peut d’ailleurs se faire dans de nombreuses professions, mais la spécificité des métiers d’enseignement (les élèves…, les adultes…, l’institution…) le rend particulièrement intéressant d’autant plus que les contraintes professionnelles sont aussi fortement liées à des choix personnels que fait l’enseignant.

Développement de pratiques en autonomie

En d’autres termes enfermés dans un cadre qui peut paraître très enfermant, les enseignants ont depuis très longtemps développé une autonomie puis une liberté (reconnues dans la loi) qui, dans le domaine des TICE, est particulièrement lisible. Les textes réglementaires dans le domaine restent souvent, dans leur mise en œuvre réelle, liés à des éléments de contexte qui font que seule la volonté des acteurs permet de les mettre en oeuvre (cf le B2i).

Le développement d’un environnement personnel professionnel est une réponse normale de toute personne qui tente de s’adapter à son milieu. Les TIC, parce qu’elles touchent l’ensemble des aspects de la vie des personnes supposent donc des évolutions individuelles signifiantes et qui renvoient à ce milieu, à ces objets des informations qu’il faut prendre en compte. Le métier d’enseignant, parce qu’il est un métier de « tous les instants » (on y pense et on y travaille même quand on est loin de l’établissement d’enseignement) mais qu’il n’a comme surface de visibilité sociale que le lieu d’exercice met toute une partie de l’activité dans l’ombre, voire dans la non reconnaissance. Le développement des usages des TIC pourrait bien remettre en lumière et renouveler, voir développer des aspects du métier peu connus : préparation, suivi, accompagnement,…

S’il est acquis que la quasi totalité des enseignants utilise le numérique pour son travail personnel, encore faut-il aller voir de quelle manière ? En l’absence d’un véritable soutien autre que des injonctions (B2i, programmes…), des promesses (ordinateurs portables, formation, moyens etc.), les enseignants ont d’abord misé sur leur bonne volonté et leur compréhension personnelle des outils pour les intégrer dans leur ordinaire professionnel. Et la première chose qu’ils font est de s’appuyer sur leurs découvertes en ligne pour enrichir leurs pratiques.

Bien qu’observant leur manque de curiosité publique surtout lorsqu’ils sont entre pairs, il faut reconnaître qu’en privé ils font preuve d’une volonté de découverte importante. Observant récemment des enseignants de primaire, je me suis étonné, alors que de nombreuses ressources leur étaient proposées à la découverte, qu’ils ne se donnent pas un temps pour explorer les ressources proposées. Comme si devant leurs pairs ils attendaient d’abord qu’on leur montre plutôt que d’aller eux même à la recherche.

Barrières techniques, pédagogiques et organisationnelles

En fait je me suis aperçu qu’ils préfèrent aller voir de leur coté dans le secret de leur pratique personnelle. Cela confirme une impression déjà observée dans les premiers temps de l’informatisation des bulletins de notes. Au début, les enseignants redoutaient d’être en difficulté devant leurs collègues en salle des profs. Après une période d’habituation, ils osent désormais avancer à découvert, même si des réticences restent observables. C’est d’ailleurs cette évolution qui est la plus significative : certains enseignants peu à l’aise osent désormais aller au-delà de leurs premières craintes, même avec leurs collègues, voire en s’appuyant sur les interactions avec leurs collègues. Du coté des pratiques personnelles on aborde une période de maturité. Malheureusement le transfert vers les pratiques en établissement souffre souvent de barrières le plus souvent techniques et aussi pédagogiques et organisationnelles qui freinent les enthousiasmes.
De fait on observe des pratiques semi clandestines du type blog ou Facebook ou autres pratiques personnelles déplacées dans la gestion du pédagogique individuel. Il n’est plus rare d’entendre des enseignants témoigner de leur usage du mail avec leurs élèves ou leurs collègues et les blogs de classe ou de projets disciplinaires se développent sans souci autre que celui d’une volonté personnelle de ne pas s’embarrasser de moyens « officiels ».

Car c’est là un des questionnements les plus importants : est-ce que les injonctions du type ENT vont avoir un effet sur ce genre de pratiques ? Autrement dit est-ce que les enseignants rentreront dans le cadre (et leurs élèves aussi) ? Cela n’est pas sûr. Le cadre posé par les ENT est souvent artificiel en regard des pratiques personnelles. L’articulation entre ces outils institutionnels et ces pratiques personnelles devra rapidement être réfléchi par les concepteurs des produits. Surtout que des approches critiques des ENT en viennent à considérer que certaines « usines à gaz » sont très enfermantes et ne donnent pas envie aux enseignants de s’y plier.

Un moment de bascule

Nous sommes à un moment de basculement. ENT, cahier de textes en lignes etc. sont des cadres que les enseignants sont invités à s’approprier. L’exemple du cahier de texte est intéressant car il est justement à l’articulation de la pratique personnelle et de la pratique professionnelle. Les potentialités des applications proposées sont importantes. Ainsi un chef d’établissement observait que l’usage de la pièce jointe dans le cahier de texte était quasi inexistante de la part des enseignants. Peut-être est-ce la confusion possible qu’il y a entre le cahier de texte, version « administrative » et le cahier de texte version pédagogique. En effet, le versant administratif est celui de rendre compte à l’état, celui du pédagogique est celui de l’accompagnement de l’élève. Est-il possible de combiner les deux dans le même outil au risque de confusion entre les deux finalités ? Suivant la manière dont les enseignants interpréteront la nouvelle circulaire on peut penser qu’ils vont y regarder à deux fois avant de trop en mettre en ligne.

Même si pour l’instant, les retours des établissements utilisateurs sont plutôt tranquilles et montrent un usage raisonnable, on peut s’attendre à des questionnements plus forts dans les prochains mois prochaines années si une extension large s’effectue et si les enseignants y voient un contrôle administratif (hiérarchie ou famille) plus grand.
Il semble que ce soit à la frontière de l’informel et du formel que se développent actuellement les initiatives les plus prometteuses. Sans être exceptionnelles sur un plan médiatique, elles ont pourtant du mal à rentrer dans les cadres proposés. L’arrivée des ENT se fait peut-être trop contre le développement des EPPE (environnement personnel professionnel de l’enseignant), au risque de se voir désertés.

La force des sites mutualistes face à des démarches institutionnelles

Lors de la création des sites mutualistes aujourd’hui bien connus (Café pédagogique, WebLettres, Sésamath, Clionautes etc.) on était loin de penser à leur durée. Aujourd’hui ils ont déjà plus de dix ans (le Café Pédagogique fête ces jours ci les dix années de sa création) et ils démontrent, outre leur ancrage dans le paysage enseignant, leur force face à des démarches institutionnelles. Sans forcément bousculer les organisations existantes, ces initiatives démontrent la double démarche du monde enseignant qui a un pied dans sa culture privée et un pied dans la culture professionnelle officielle.

On aurait pu penser à une normalisation lente, il n’en a rien été. Dans les pratiques personnelles, et cela risque d’en être d’autant plus répandu que l’institution a de plus en plus de mal à accompagner réellement le système éducatif dans son ensemble, les enseignants construisent une identité propre autour de l’usage des TIC. Ils grappillent ici ou là les occasions offertes mais n’entrent pas automatiquement dans des stratégies descendantes dont ils perçoivent très vite qu’elles ne sont pas vraiment adaptées à leurs réalités. Artisans plus que profession libérale, l’enseignant, comme dans l’établi de Robert Linhardt, est en train de se forger des instruments, seuls ou en groupe, dont il y a fort à parier qu’ils sauront mieux répondre à leurs besoins que toutes les initiatives institutionnelles… En tout cas les trois prochaines années nous permettront de mieux voir comment va se construire un équilibre entre ces deux univers…

Billet initialement publié sur Veille et analyse TICE sous le titre “Environnement personnel professionnel de l’enseignant”

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Apprendre à questionner? Quand Socrate peut encore être utile! http://owni.fr/2011/01/28/apprendre-a-questionner-quand-socrate-peut-encore-etre-utile/ http://owni.fr/2011/01/28/apprendre-a-questionner-quand-socrate-peut-encore-etre-utile/#comments Fri, 28 Jan 2011 14:05:38 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=44081

Les débats autour des compétences informationnelles des jeunes, leurs habiletés, leur naïveté, leur absence de sens critique sont entrés désormais dans le champ de la banalité. Ils acquièrent des connaissances « futiles » et pas des connaissances « utiles », déclarait un orateur lors de la conclusion du séminaire sur le manuel numérique organisé par le ministère de l’Éducation les 20 et 21 janvier à l’ENS de Lyon. Ils ne maîtrisent pas réellement l’ordinateur disent les autres enseignants, il leur faut des cours d’informatique disent encore d’autres, fiers d’annoncer qu’ils ont obtenu une option informatique en terminale et que l’informatique entre à nouveau dans l’enseignement.
Mais ce qui est le plus étonnant dans ces débats c’est que, dans la plupart des propos, deux dimensions sont ignorées ou modestement avancées, mais jamais intégrées dans les raisonnements : la première dimension est la question de la maîtrise des adultes, l’autre est la définition de la culture informationnelle. Enfin une proposition récurrente traverse toutes ces prises de parole, que le monde académique saurait définir ce qu’il faut maîtriser et que ce qui n’en fait pas partie est donc une « futilité », une « illusion ».

L’histoire est têtue, à moins qu’à nouveau l’amnésie ne continue de faire des ravages : « Dans une classe de lycée, remplacer Racine par Brecht, c’est modifier le rapport de l’enseignement avec une tradition autorisée, reçue de chez nous, liée aux pères et à des valeurs  « nobles » ; c’est aussi introduire une problématique politique contraire au modèle culturel qui établissait le maître (d’école) en manuducteur de l’expression populaire. » (manuducteur : “se disait autrefois d’un officier qui, placé au milieu du chœur, donnait le signal aux choristes pour entonner, marquait le temps et battait la mesure.” Littré en ligne). L’auteur de ce propos poursuit un peu plus loin de la manière suivante : « Chez les enseignants est apparu un sentiment d’insécurité. Il coexiste avec la conscience de leur extériorité par rapport aux lieux où la culture se développe, l’usine, les mass media, les techniques, les grandes entreprises… L’enseignant flotte à la surface de la culture : il se défend d’autant plus qu’il se sait fragile. Il se raidit. Il est porté à renforcer la loi sur les frontières d’un empire dont il n’est plus sûr. » À ce texte publié en 1974, il est intéressant d’associer un texte publié en 1983 : « Faut il encore une école ? Oui et plus que jamais, pour trois raisons : la communication, la distance, la mémoire [...] l’école pourrait d’abord être le lieu de la « table du savoir », table au sens traditionnel. Non pas tant le lieu de la communication du savoir, mais le lieu de la communication entre des hommes qui ont emmagasiné des connaissances à partir de la multiplicité de leurs récepteurs individuels. »

Repli du monde académique face à l’émergence d’une culture autre que celle qu’il promeut

Renvoyons donc à la lecture du livre La culture au pluriel de Michel de Certeau (Points 1973 – 1987) ainsi qu’à celle du livre Les nouveaux modes de comprendre de Pierre Babin et Marie France Kouloumdjian (Le Centurion 1983). Bien d’autres auteurs nous ont avertis depuis longtemps, le signe de la peur du monde académique c’est son déni ou sa tentative de normalisation lorsqu’une culture autre que celle qu’elle promeut émerge. Avec les TIC il y a malheureusement plus de trente années que l’on observe cela. La lecture de cet article de François Cardinal devrait pourtant nous faire réfléchir. Intitulé  » Nos élèves, ces illettrés numériques… » l’auteur met en évidence la carence du monde scolaire. Sans entrer dans le détail de l’argumentaire (un peu léger cependant), on peut déceler derrière ces propos les trois dimensions qui sont proposées à notre réflexion ici.

En filigrane de ce propos et en faisant du lien avec de nombreuses observations, les enseignants, comme de nombreux adultes, sont très loin de maîtriser l’usage de ces technologies mais ce sont parfois (mais pas toujours) les mêmes qui voudraient imposer aux jeunes cette maîtrise dont ils ignorent même le sens réel. Car c’est le contour de cette maîtrise qui a bien du mal à émerger des propos des uns et des autres. Les critiques nombreuses du B2i ou du C2I n’ont que rarement amené à un réel travail de recomposition (comme celui, par exemple, qui avait été fait entre 2006 et 2008 à propos de la « numériculture ». Or le mérite de ces certifications était bien de s’attaquer aux deux supposés problèmes posés par les TIC à l’école : un travail technique et un travail culturel. Certes il y avait à redire et nous n’avons pas manqué de le signaler, mais force est d’observer que les résistances, mais surtout les oppositions (au-delà des rituels “temps-moyens-formation”) ont été nombreuses. Quant à la distance critique, l’ignorance n’a jamais permis de la créer. C’est au contraire de la connaissance que nait la distance critique ; relisons Condorcet pour s’en convaincre, mais observons qu’autant il cherchait à ouvrir vers la connaissance, autant il cherchait à imposer un contrôle fort sur cette connaissance, ce contrôle repris ensuite par Jules Ferry et continué encore de nos jours par de nombreux acteurs politiques de l’éducation.

Un enseignant se questionnait l’autre jour à propos des opinions personnelles : comment en tant qu’enseignant amener les élèves à dépasser les « premières impressions »  pour aller vers la distance critique sans entrer dans le même cercle infernal qui consiste à opposer l’opinion de l’enseignant à celle de l’élève ? La meilleure réponse trouvée est tirée de deux approches : le questionnement socratique (la maïeutique), le scepticisme argumenté (et non de principe). Malheureusement l’enseignant nous disait qu’avec l’environnement médiatique, il se sentait lui même en grande difficulté pour y parvenir. Manque d’outils d’analyse, manque de connaissance sur les dispositifs et les techniques, manque de connaissance de l’histoire des évolutions scientifiques et techniques, etc.
Interrogeons les enseignants du secondaire et du supérieur sur leur sentiment de maîtrise des TIC, mais aussi de l’environnement informationnelle et de la culture associée (information literacy…) et l’on se rendra rapidement compte qu’ils rivalisent souvent avec leurs élèves mais dans un autre sens : si souvent ils se sentent apte à maîtriser cet environnement, quelques mises en situation nous révèlent rapidement qu’une grande majorité reste très démunie et n’a, comme les élèves que des compétences de surface. Car les contextes sont nouveaux : non seulement il y a la maîtrise technique, mais aussi il y a la gestion dynamique de l’information et de la communication. Or ces deux champs de compétences ne sont pas aussi développés qu’on le pense : il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de noter l’importance de la demande de formation dans ces domaines chaque fois qu’on évoque le développement des TIC dans l’enseignement. Or la particularité de ces évolutions est de ne pas se satisfaire d’une connaissance théorisée et de nécessiter une pratique avancée régulière et surtout une forte capacité à « apprendre de l’expérience ». Et cette dernière compétence est particulièrement développée, dans le domaine des TIC par les jeunes (mais pas théorisée…).

Les cours d’informatique, d’information, de communication : de bien belles intentions…

Faire des cours d’informatique, faire des cours d’information, faire des cours de communication…. Belles intentions et nécessités probables, mais largement insuffisantes si elles ne sont pas précédées d’une longue analyse des pratiques spontanées (futiles) mais surtout très avancées, mais pas dans le sens scolaire… Or l’une des constantes des discours sur le domaine va à l’envers : commencer par faire cours et ensuite appliquer ! Mais d’abord cela n’est pas le modèle d’apprentissage développé par nos élèves, et ensuite c’est de « processus de structuration » dont ont réellement besoin les jeunes comme les adultes. Le sens des cours d’informatique ou de communication etc. n’apparait pour les jeunes que s’il permet de comprendre des pratiques réelles non scolaires d’abord et s’il leur permet d’aller plus loin en les amenant à des pratiques « structurantes » et « analysées »; mais pas seulement dans ces cours mais surtout dans toutes les occasions d’usage. Et c’est bien là que très souvent le frein est mis. Mais comme pour la méthodologie, impossible de développer des compétences sans contexte ; comme pour l’apprentissage, un savoir ne se transforme en connaissance que s’il est utilisé, et pas dans des exercices systématiques, mais dans des situations complexes. C’est pourquoi ces savoirs, informatiques, informationnels et communicationnels ne peuvent être d’abord étudiés pour eux-mêmes.

Quand à l’esprit critique, il ne peut se développer que dans cette dialectique qui permet de comprendre que les outils ne sont jamais neutres, et qu’ils prennent sens dans des contextes dans lesquels les acteurs les manipulent, les utilisent, les « instrumentalisent ». Les enseignants sont en réalité très démunis pour mettre en œuvre cet esprit critique pour eux-mêmes et aussi pour le faire développer par leurs élèves. Il y a plusieurs explications à cela dont la principale est que cela demande du temps et de l’activité, ce qui va à l’opposé d’un système scolaire qui « accumule » toujours plus de savoirs sans toujours se poser la question de leur maîtrise, et de la durée nécessaire à leur maîtrise. Les TIC ont cette particularité d’être disponibles aussi bien dans le système d’enseignement qu’en dehors, il est très regrettable que l’on ne profite pas de cela pour faire du lien, et préférer trop souvent une opposition, voire dans certains cas un mépris…. Or les jeunes sont en train de rendre au système scolaire un retour assez juste de cette opposition : ils l’ignorent…

À suivre et à débattre…

Billet initialement publié sur le blog de Bruno Devauchelle

Image CC Flickr World Bank Photo Collection et Debby A remixé par OWNI

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http://owni.fr/2011/01/28/apprendre-a-questionner-quand-socrate-peut-encore-etre-utile/feed/ 7
Avez-vous essayé? Où et comment parler des jeunes et des TIC? http://owni.fr/2011/01/19/avez-vous-essaye-ou-et-comment-parler-des-jeunes-et-des-tic/ http://owni.fr/2011/01/19/avez-vous-essaye-ou-et-comment-parler-des-jeunes-et-des-tic/#comments Wed, 19 Jan 2011 07:31:17 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=42875 Interroger 35000 jeunes en 39 jours (samedi et dimanches compris) c’est en rencontrer environ 900 par jour. Mener cette enquête en « face à face » suppose du temps. Une enquête en face à face, cela peut prendre des formes diverses : d’une personne face à 1000 qui répondent à un questionnaire écrit à l’entretien individuel, toutes les formes de face à face peuvent exister. Or c’est sur cette base que Calysto présente le déroulement de l’enquête publiée en 17 décembre 2010 et relayée largement par les médias. Alors que dans le même temps le ministère de la culture, par l’intermédiaire de Sylvie Octobre et d’autres organisations, comme Fréquence école à Lyon, publient leurs enquêtes en détaillant la méthode utilisée et en expliquant clairement comment cela a été fait (accès aux questionnaires utilisés etc…), Calysto et la Voix de l’enfance ne transmettent qu’une présentation reprenant, de manière assez surprenante parfois les résultats de cette fameuse enquête. Surprenante car la notion de proportion n’est pas respectée et que des choix de présentation mettent en avant dans des graphiques de manière identique des résultats différents (exemple de la page 5 du document).

Des sondages, pour quel résultat ?

Sans entrer dans plus de détail et sans remettre a priori en cause la qualité du travail mené, la question est ici de savoir ce que signifient toutes ces enquêtes qui parlent des jeunes et des TIC (ou de la culture). Ainsi, dans le travail publié par la documentation française, Sylvie Octobre parle de la culture des jeunes, mais au volet internet et ordinateur, les questionnaires sont extrêmement pauvres et ne donnent aucune visibilité à diverses pratiques et le même questionnaire ignore quasi totalement les usages du téléphone portable. On peut comprendre le parti pris d’une définition de la pratique culturelle qui mettrait de coté le téléphone portable (encore que), mais on ne peut comprendre qu’aujourd’hui on ne prenne pas en compte la pratique du web comme pratique culturelle (celle-ci se réduit à l’utilisation de l’ordinateur dans les questionnaires utilisés). Mais au moins, si l’on n’est pas satisfait peut-on accepter le document tel qu’il est et n’en utiliser que ce pour quoi il est fait.

Malheureusement un certain nombre d’organisations ont tendance à publier des chiffres sans donner accès aux méthodes (à défaut des sources elles-mêmes) qui auraient permis de mesurer la fiabilité des résultats. Ce n’est pas la première fois que cela se produit (cette année sur le même sujet cela s’est déjà produit au printemps (cf. le café pédagogique). Si l’on veut faire une éducation à l’information, il faut aussi se pencher sur ces cas et les analyser. L’idée ici n’est pas de remettre en cause les résultats a priori, mais de signaler que dans le domaine des TIC les débats sont si vifs et si importants que l’on ne peut plus admettre que soient mis en pâture au débat des résultats d’enquête sans que l’on puisse accéder aux sources. Profitons ici de l’occasion pour lancer un appel à tous ceux qui publient des enquêtes pour permettre aux personnes intéressées d’accéder effectivement aux sources, au moins aux protocoles d’enquête. L’absence de ces documents, bien qu’arides, met à mal la crédibilité de toutes les enquêtes même les plus explicites.

Le travail sur les sources, une étape obligatoire.

L’impression que donnent ces chiffres est d’abord celle d’une tentative de manipulation. Si je veux faire passer une idée, alors il suffit que je fasse une communication sans expliciter les sources. Comment imaginer que l’on puisse interroger 35000 personnes en un mois alors que la plupart des enquêtes bien financées ont bien du mal à dépasser les 5000 et sur plusieurs mois. ? Loin de moi l’idée d’accuser qui que ce soit a priori, mais en l’absence de preuves je ne peux que m’inquiéter de la popularité donnée à de tels chiffres. D’ailleurs cela interroge aussi la professionnalité des médias qui se sont empressés de relayer ces chiffres sans faire le travail sur les sources.

Nous vivons une époque dans laquelle il convient d’être très prudent sur les chiffres que l’on diffuse. La première précaution est toujours que l’enquêteur critique sa propre méthode de travail et en montre les limites. La seconde est que l’enquêteur accepte de soumettre ses sources à d’autres personnes qui souhaiteraient les exploiter à leur tour ou tout au moins les vérifier. La troisième est que l’enquêteur ait toujours le soin de mettre son travail en perspective avec d’autres travaux identiques ou proches afin de permettre au lecteur de se faire une idée lui-même. En fait le risque de manipulation a été très bien expliqué dans l’ouvrage de Normand Baillargeon « PETIT COURS D’AUTO-DÉFENSE INTELLECTUELLE  » (Lux 2006) mais aussi dans de nombreux cours de doctorat… Malheureusement, même dans le monde scientifique, il semble que ces précautions soient souvent battues en brèche et que les résultats obtenus méritent de sérieuses critiques.

Ce qui est assez inquiétant c’est que les « médiateurs » de l’information sont aussi peu regardant que cela. Qu’en est-il du monde enseignant ? Est-il aussi au fait de ces questions, Malheureusement très peu, trop peu. J’entends souvent des adultes déplorer les attitudes des jeunes par rapport aux technologies en s’appuyant sur des enquêtes de ce type. D’autres, même des chercheurs patentés, s’appuient sur une trentaine d’entretiens approfondis pour tenir des discours globalisant sur tel ou tel aspect des pratiques TIC des jeunes. Nous percevons de plus en plus souvent que dès lors que des intérêts sont en jeu (ce n’est pas nouveau, je sais !) les manipulations peuvent rapidement intervenir. Notre devoir d’éducateur est justement de se doter des outils nécessaires pour questionner ces documents. Il semble qu’en l’occurrence il est nécessaire, dans le domaine des jeunes, de la culture et des TIC, de rappeler qu’il est essentiel que les documents proposés soient appuyés sur des éléments qui permettent réellement d’en mesurer la fiabilité…. Il est nécessaire que le monde enseignant souvent désarçonné face à Internet pratiqué par les jeunes ne cède pas aux sirènes de l’imprécision afin de construire des réponses mieux adaptées aux réalités du monde qui les entoure.

Juste avant de mettre la dernière main à ce billet (ce 13 janvier 2011), je me trouve conforté par la publication d’une nouvelle étude sur les jeunes et les TIC (la cinquième ou la sixième publiée cette année. Publiée en anglais, on peut trouver une synthèse en français). Cette enquête sur 25 pays et qui concerne 2510 internautes illustre bien les questions méthodologiques posées ci-dessus et renforce la mise en question de certaines enquêtes. On peut lire les éléments concrets de la méthode d’enquête employée et comprendre la faisabilité. On trouve aussi quelques précisions sur la notion d’enquête face à face. Dans cette enquête le point qui retient notre attention concerne ce chiffre étonnamment intéressant concernant les nuisances subies sur Internet. On y découvre qu’ils sont beaucoup moins nombreux que dans d’autres enquêtes. On peut rapidement constater que le biais de la question et de l’interprétation des réponses mérite que l’on soit très vigilant sur les chiffres restitués.

Renforçons notre vigilance !

On critique parfois la recherche scientifique pour sa « rugosité intellectuelle ». Mais à lire des enquêtes menées par des sociétés commerciales, on s’étonne grandement du différentiel méthodologique et donc des résultats de ces enquêtes. En suivant depuis 1997 tous ces travaux on se rend compte qu’il est nécessaire de renforcer notre vigilance. Les revues de littératures, les mises en cause de travaux publiés antérieurement sont des classiques de la recherche, reste maintenant à interroger le prisme idéologique

A suivre de près et à débattre.

Credit FlickR : JFGornet / The Bees

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Le B2i a eu 10 ans ce 23 novembre, qu’est-il devenu? http://owni.fr/2010/11/29/le-b2i-a-eu-10-ans-ce-23-novembre-qu%e2%80%99est-il-devenu/ http://owni.fr/2010/11/29/le-b2i-a-eu-10-ans-ce-23-novembre-qu%e2%80%99est-il-devenu/#comments Mon, 29 Nov 2010 09:26:18 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=37280

Le socle commun a-t-il dévoré le B2i ? À écouter les équipes qui tentent de mettre en place ce dernier, le B2i est soit un vieux souvenir à oublier, soit une logique acquise qui facilite le déploiement du socle. En tout cas, en fêtant les 10 ans du B2i ce 23 novembre, on peut signifier le début d’une nouvelle façon d’aborder la place des TIC dans le monde scolaire. Pas si nouvelle pourtant, mais pour la première fois, c’est un cadre qui a été fixé pour la scolarité obligatoire : l’usage des TIC est non seulement recommandé (le B2i n’était qu’une note de service à l’époque), mais aussi il s’appuie non pas seulement sur des connaissances informatiques, mais sur des pratiques qui seront plus tard appelées usuelles des technologies de l’information et de la communication.

Geste politique, le B2i initié par Jack Lang a été progressivement renforcé dans le paysage réglementaire de l’école jusqu’à son intégration dans le socle commun et dans la certification de fin de collège (le B2i était exigé au moment du passage du DNB). Autrement dit d’un simple geste, le B2i est devenu la loi. Certes remanié à plusieurs reprise dans sa forme ou dans son fond, a assez peu changé au cours de ces dix années.

La contestation de ce B2i, observable au travers de sa mise en œuvre dans les classes, est intéressante à observer car elle révèle de nombreux travers de notre système éducatif :

- Le premier de ces travers est le refus par les enseignants d’appliquer la loi telle qu’elle est écrite. Comment en effet comprendre la légèreté des propos tenus par nombres d’enseignants par rapport à cette obligation légale, et ce encore plus avec l’arrivée du socle commun.

- Le deuxième est celui d’une lutte pour la scolarisation de l’informatique qui s’est opposé au B2i pour insuffisance de connaissances fondamentales. Les principaux zélateurs de l’informatique comme discipline n’ont eu de cesse de lutter contre le B2i au nom d’une conception des savoirs académiques bien particulière, mais aussi d’une conception de la place de l’informatique dans les sciences qui a mis à mal dans de nombreux établissements ce qui devait être une première étape.

- Le troisième est celui de la méfiance du monde enseignant pour les technologies et en particulier celles de l’information et de la communication. En retardant au maximum la mise en place du B2i sous de nombreux prétexte, les enseignants ont renforcé cette image de méfiance technologique qu’ils avaient déjà donnée à voir avec la télévision.

- Le quatrième est celui des errances de la hiérarchie intermédiaire, et en particulier des corps d’inspection qui ont souvent eu du mal à accompagner le B2i. Il suffit de lire les rapports de l’inspection générale sur le sujet pour s’en rendre compte, mais aussi d’entendre certains de ces inspecteurs dénigrer le B2i devant les enseignants (surtout dans certaines disciplines).

- Le cinquième est celui de la difficulté de l’école à mettre en œuvre des textes qui ne donnent pas lieu à des moyens spécifiques. Parce que transversal à tous les enseignements, le B2i a mis en difficulté une conception traditionnelle de l’enseignement. L’habitude est soit de déléguer à une personne, soit de ne rien faire : on a pu observer dans de nombreux établissements les deux cas de figures, même si cela s’estompe progressivement.

- La sixième est la prise de position étonnante des chefs d’établissement par rapport à leur obligation de mise en œuvre du B2i. Combien sont-ils, ceux qui ont signé des B2i alors que les élèves n’avaient que peu ou pas touché un clavier et vu un écran au cours de leur scolarité… En tout cas nombre d’élèves ont été validés pour ne pas nuire à leur scolarité, plus que pour attester de leurs compétences si souvent contestées par les enseignants eux-mêmes…

Équipement : les politiques ont été « légers »

- La septième est l’inadéquation d’un dispositif comme le B2i avec les équipements des établissements. Alors qu’en 1999 le précédent ministre avait envisagé qu’un ordinateur portable soit donné à chaque enseignant sortant de la formation initiale, on s’est rapidement aperçu que tout allait de travers en matière d’équipements. Le récent plan ENR et le prochain plan numérique nous montrent combien les politiques ont été « légers » dans ce domaine.

- Le huitième est l’absence d’accompagnement constructif et prescriptif des enseignants dans une évolution pourtant constamment réaffirmée. Parce que le ministère a utilisé le plus souvent le numérique comme effet d’annonce en ne le prolongeant que rarement par les réalités promises, il a amené nombre d’enseignants à railler le B2i. Hors dans le même temps les enseignants s’y sont mis à titre personnel. Autrement dit, le contexte a dix ans de retard sur les intentions du B2i.

- le neuvième est la volonté de scolariser toute pratique sociale et ainsi de la déconnecter de la réalité des usages comme le montre la réécriture du B2i en 2006. En précisant les connaissances, les capacités, les attitudes de chaque domaine, le ministère a fini de rendre difficile à mettre en œuvre le B2i. De plus il en a fait un exercice qui serait condamné à devenir scolaire alors que le souhait initial était d’accompagner une pratique sociale en lui donnant un cadre structurant.

- le dixième est la propension du système à persévérer dans une bonne idée initiale sans jamais adapter sa politique aux réalités de la mise en œuvre comme on peut le voir avec le B2i lycée. Il suffit de lire les textes de la réforme du lycée pour s’apercevoir que seules deux ou trois disciplines ont pris soin de noter le B2i dans les nouveaux programmes. À tel point qu’en dehors de ces programmes disciplinaires, il n’est fait aucune allusion au B2i lycée. Il faut dire à la décharge du lycée, que l’université à réussi à imposer le C2i niveau 1 (licence) sans se préoccuper de ce qui se passait avant, déresponsabilisant le lycée sur ce domaine.

- le onzième est celui de la hiérarchie qui s’est rapidement emparée des logiciels de suivi du B2i (GiBii en particulier) pour développer un modèle de contrôle du monde scolaire qui tend aujourd’hui à se développer avec l’application de gestion du socle commun. La centralisation des acquisitions du B2i par un logiciel régional ou national a permis à des responsables de réaliser un vieux rêve : observer de loin les élèves en trains d’acquérir des compétences. Mais ils en ont rapidement réalisé un autre : contrôler la qualité du travail des enseignants et des équipes en observant la manière dont ils mettaient en place les évaluations du B2i. Avec l’arrivée de l’application centralisée de gestion du socle, on assiste à la généralisation de cette approche.

L’objectif d’acculturation du monde enseignant aux TIC n’est pas atteint

En fait le B2i n’a pas atteint son objectif d’acculturation du monde enseignant aux TIC et c’est regrettable. Du coup c’est par l’extérieur qu’est en train d’arriver cette acculturation : livret de suivi, de compétences, d’orientation, cahier de texte numérique, ENT etc. enserrent progressivement l’enseignement scolaire. Ce qui n’a pas marché par l’intérieur est en train de poser son emprise de l’extérieur. Restent les nombreuses difficultés.
Le B2i parce qu’il tentait de prendre en compte une réalité des pratiques sociales des jeunes était un signe positif de l’ouverture de l’école sur son environnement. Le socle enterre malheureusement cette approche en scolarisant davantage qu’initialement cette orientation. Même si le contenu de la compétence 4 du socle laisse penser le contraire, les échanges que l’on peut avoir dans les collèges, davantage que dans le primaire, montrent que l’on est loin de cette orientation. Le monde scolaire reste donc largement plus rétif aux TIC qu’on ne le pensait et l’enquête récente publiée par le ministère, même si elle est rassurante sur les pratiques personnelles est inquiétante sur les pratiques en classe. Mais surtout cette enquête oubliait un phénomène essentiel : l’effet établissement. Comment comprendre qu’une enquête sur les pratiques des TIC dans le monde scolaire ignore à ce point le « cadre d’action » ? On trouve là une explication du relatif échec du B2i : on résonne au niveau des enseignants sans se soucier réellement du cadre d’action concret… non pas considéré (comme l’enquête en ligne faite par le ministère le laisse penser) dans sa dimension quantitative sur ratio ordinateurs/élèves, mais dans sa dimension qualitative du fonctionnement réel et de l’organisation des TIC dans les structures établissements. Force est de constater que le bricolage remarquable de nombre d’enseignants à compensé l’absence de vision d’ensemble. À moins qu’un prochain plan numérique ne prenne à revers ce problème….

À suivre et à débattre

Billet initialement publié sur le blog de Bruno Devauchelle

Image CC Flickr Jonathan Pobre et Marcin Wichary

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Entre réel et virtuel, les limites de la vie… à l’école http://owni.fr/2010/08/18/entre-reel-et-virtuel-les-limites-de-la-vie%e2%80%a6-a-l%e2%80%99ecole/ http://owni.fr/2010/08/18/entre-reel-et-virtuel-les-limites-de-la-vie%e2%80%a6-a-l%e2%80%99ecole/#comments Wed, 18 Aug 2010 13:25:46 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=25009

Le développement actuel des univers virtuels interactifs est le prolongement de travaux de recherche menés dès l’apparition de l’ordinateur autour d’un mythe célèbre : « l’ordinateur c’est l’homme ». Ce mythe apparu aussi bien avec Türing qu’avec la cybernétique ou encore les théories de l’apprentissage de Skinner (enseignement programmé). C’est donc dire qu’il est ancré dans l’esprit humain à l’égal des grands mythes qui traversent l’humanité et déclinés de manière proche au travers des cultures. Si l’ordinateur c’est l’homme, alors l’homme est-il une machine ? Cette question en forme de syllogisme potentiel mérite pourtant d’être regardée de plus près.

Quand on dit que l’ordinateur c’est l’homme, on peut considérer, comme Michel Serres, qu’il s’agit d’une externalisation prolongeante des fonctions humaines. Ainsi par sa capacité à suppléer à des fonctions humaines faibles (la mémoire précise par exemple) il permet, il oblige presque l’homme à développer ses capacités « fortes ». En d’autres termes, en libérant le cerveau des tâches répétitives ou consommatrices d’énergie mentale, il suppose qu’il est alors possible de développer les capacités du cerveau qui vont vers le « plus de complexité ». L’histoire des techniques pourrait d’ailleurs nous en donner un bon exemple, comme le propose Jacques Ellul. Passant de compliquer à complexes les progrès techniques ont intégré cette évolution à un point tel qu’aujourd’hui il est quasiment impossible d’accéder aux éléments simples de la technique.

Développement de l’usage des smartphones

Le cerveau humain, complexe en lui même aurait commencé à projeter cette complexité dans les techniques (et pas seulement les machines) qu’il développe. Avec l’ordinateur et les travaux sur la réalité virtuelle, sous toutes ses formes, il semble bien que nous voyons apparaître ces liens de continuité.
Illustrons ce propos à l’aide d’un exemple visible : le développement des usages des smartphones permet d’observer comment la complexité du fonctionnement mental se trouve mis en scène dans les multiples formes de la vie quotidienne, personnelle et collective. Regardons des usagers en activité au long d’une journée, d’une semaine voire davantage et nous pouvons nous apercevoir que l’objet lui même s’est installé dans le prolongement direct de l’activité mentale, qu’elle soit sociale, professionnelle ou affective…

Cette évolution qui a débuté il y a une dizaine d’année devient de plus en plus signifiante car elle se généralise et s’intègre comme un « étant là » dans l’ensemble de la population. En devenant inconscient, c’est-à-dire plus mis à distance intellectuellement, cette évolution illustre bien le lien entre réel et virtuel. L’homme en externalisant certaines de ses fonctions humaines serait obligé de se « machiniser », en d’autres termes d’utiliser de plus en plus de prothèses pour faire face à la complexité.

L’élève, ou un exemple de la complexité humaine

L’émergence des mondes virtuels, et Second life l’a montré, a fait rêver beaucoup de monde. Le développement d’autres espaces proches, réseaux sociaux, jeux en réseaux etc… continue de faire rêver (imaginaire) dans le même sens : passage de  l’ordinateur prolongeant l’homme à l’homme machine. Les zélateurs de ces espaces n’en sont pas toujours conscients mais ils portent tous ce vieux rêve rationaliste. Car c’est de cet ordre des choses qu’il s’agit. La complexité humaine, présente chaque jour devant l’enseignant, autrement dit par ses irréductibles élèves », présente chaque jour devant le dirigeant politique ou d’entreprise par ses irréductibles employés, est insupportable dans un monde rationnel. Il n’est pas possible, acceptable de dire : je ne comprends pas et je l’accepte.

En développant les univers virtuels et en les fusionnant de plus en plus avec le réel (de la simulation à la réalité augmentée), nous allons nous retrouver avec un problème éducatif nouveau : situer la part de l’humain dans notre environnement ! Le risque de la continuité humain-machine c’est la fusion (illusoire certes sur un plan technique, mais bien réelle sur un plan cognitif et imaginaire). Le monde scolaire a longtemps résisté à la technique dès lors que celle-ci effaçait l’humain dans l’acte d’enseignement. La richesse et la variété des fonctionnalités des nouvelles techniques qui sont mises à disposition sont en train de modifier complètement la donne. L’espace classe est en train lentement d’éclater comme espace-temps d’apprentissage.

Certes le TBI (tableau blanc interactif, ndlr) donne encore du fil à retordre car il est bien centralisateur (de par sa forme même : un écran pour plusieurs). Mais le portable (ordinateur ou smartphone) dans la classe relié au reste du monde va inévitablement questionner la forme scolaire. Cela prend du temps, les résistances sont fortes, mais la multiplication actuel des initiatives (ajoutons-y l’ENT -espace numérique de travail, ndlr) vont inévitablement, du moins dans la lecture que l’on peut faire des forces en présence, nous amener à nous poser la question. Comme de plus ces techniques permettent de plus en plus le lien individuel « homme machine » elles posent aussi au système scolaire la question de sa forme collective.

Technicisation de l’enseignement

L’élève est-il une machine ? Va-t-il le devenir dans nos classes ? L’expérience des Landes (rappelons nous l’enquête de l’an passé après huit années de pratique) nous montre que les choses vont lentement, que la technicisation de l’enseignement est un phénomène lent. Mais là deux questions se posent : inexorabilité de l’évolution ? Sens de cette évolution ?
L’inexorabilité de l’introduction du progrès technique dans l’école dépend surtout de ce qu’il en est fait dans l’ensemble de la société. Le système scolaire est fortement confronté à la demande de la société au service de laquelle il a été créé. Cependant sa « résistance » à cette perméabilité à la technique est un renversement assez récent dans notre société (début des années 60). En passant des dictats de Jules Ferry à l’esprit de Condorcet, le monde enseignant se sentant menacé au sein d’une société qui met son autorité en cause (fin des années 60), a engagé des actions qui l’ont progressivement mis en marge de la « vraie vie » comme le disent souvent certains jeunes. Si la légitimité du monde scolaire a fait l’unanimité jusqu’au milieu des années 1980 – 2000, elle est mise à mal par un phénomène complexe qui associe les difficultés sociales, les évolutions techniques et la globalisation. Les tensions internes au système scolaire en sont un bon témoignage mais n’apportent pas de vision d’avenir et révèlent plutôt une déstabilisation : l’école ne serait plus maître de son destin (si tant est qu’elle l’ait jamais été !)

L’école, le lieu central du débat

Le sens de ces évolutions est dont lié aussi à l’évolution des choix faits dans la société. Autrement dit l’École est le lieu central du débat qu’il faut engager d’urgence. Au moment ou le virtuel et le réel sont proches dans les discours (cf. les nouveaux programmes des sections technologiques du lycées qui invitent de plus en plus à utiliser la simulation comme base de l’enseignement) sur l’école, au moment où les finances de l’État font hésiter sur le chemin à prendre (cf. la suite du rapport Fourgous….), il va être nécessaire d’engager un débat de fond sur l’idée même d’éducation dans un monde dans lequel réel et virtuel sont dans une continuité de plus en plus forte. Plutôt que de « regarder » le spectacle de l’insertion de la technique (TIC dans notre cas) dans le quotidien, il est (peut-être) encore temps de penser leur place non pas dans l’école, mais dans l’ensemble de nos sociétés. L’évidence à laquelle nous sommes confrontés dans les faits que nous observons peut faire croire à l’inexorabilité, mais la réalité est qu’il faut redonner au sens de ces évolutions leur poids dans les choix à venir.

Le pessimiste pourra opter pour la première hypothèse et tenter de freiner, l’optimiste pourra opter pour la deuxième en pensant qu’il peut créer du sens. Dans tous les cas, si le monde scolaire ne joue pas son rôle de questionneur, il risque de se retrouver marginaliser. Or mettre en route ce rôle de questionneur c’est inviter chacun à se mettre en réflexion sur ces évolutions, à accepter la confrontation, la discussion, la co-construction. Il est à craindre que le dépérissement récent de l’esprit démocratique dans nos sociétés occidentales ne soit le signe que ce débat est mort né… pris dans le flot tumultueux des mots vides de sens qui circulent si souvent dans notre monde d’information et de communication

À débattre.

Billet initialement publié sur le blog de Bruno Devauchelle

Image CC Flickr kairin

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http://owni.fr/2010/08/18/entre-reel-et-virtuel-les-limites-de-la-vie%e2%80%a6-a-l%e2%80%99ecole/feed/ 2
J’ai rêvé le cartable numérique http://owni.fr/2010/07/15/jai-reve-le-cartable-numerique/ http://owni.fr/2010/07/15/jai-reve-le-cartable-numerique/#comments Thu, 15 Jul 2010 09:39:09 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=22042 Et je m’en suis vite remis… Entre un espace numérique et un ordinateur portable, la notion de cartable numérique n’en finit pas depuis plus de 10 ans de servir de bannière à l’innovation en matière de TIC à l’école, dans le système scolaire. Nous avons déjà eu l’occasion de batailler sur l’utilisation abusive du terme « cartable » en tant qu’analogie porteuse de sens alors qu’en réalité elle est porteuse d’illusions.

Le cartable numérique, notion contradictoire et vide de sens

En effet le mot cartable emporte avec lui le mythe de l’école d’antan, alors que de plus en plus souvent les sacs à dos, besaces et autres sacs de transports ont rangé le terme cartable au rang des objets qui sentent bon l’ancien. Le paradoxe du cartable numérique est donc porteur et rencontre un écho auprès de tous les responsables éducatifs en mal de modernité (qu’ils appellent souvent innovation).

Le fait que de nombreux projets de « cartables numériques » (ou appelés ainsi) se développent en ce moment doit nous interroger, au delà de l’effet de mythe et de mode. Militant depuis longtemps pour un usage pertinent des TIC en éducation, mais d’un usage pensé au sens large du terme, je m’aperçois que cette expression comme d’autres anglicismes récents, e-learning, rapid-learning etc…, sert surtout à l’image de marque de ceux qui le promeuvent.

Autrement dit il s’agit d’abord d’opérations publicitaires. Quand un chef d’établissement déclare qu’avec telle ou telle technologie il a réussi à maintenir son effectif (TIC, visualiseur, TBI, cartables numériques etc…) on se pose la question du mode d’instrumentalisation de la machine.

En effet s’agit-il réellement d’un questionnement sur la place à donner aux TIC dans l’enseignement ou plutôt d’une intuition aux contours parfois mal définis ? L’observation de plusieurs projets d’introduction soit d’ordinateurs portables soit de portails numériques n’ayant pas eu de suite amène à réfléchir. D’autant plus que dans le même temps des initiatives qui ont duré ont pu permettre de comprendre ce qui se passe. Ce sont ces connaissances qu’il faut tenter de mettre à jour et de partager et de mettre en débat.

Les TIC dans l’éducation

La pertinence des TIC en éducation peut s’analyser sous plusieurs angles : amélioration de l’efficacité de l’enseignement ou de l’apprentissage, adaptation du système scolaire au monde environnant, finalité d’insertion professionnelle et sociale, développement d’un esprit critique dans une culture élargie. Chacun de ces quatre axes d’analyse peut servir d’entrée privilégiée. Mais il me semble qu’il faut plutôt après avoir analysé chaque axe les mettre en lien, en système, pour envisager tout projet d’usage des TIC en éducation.

Amélioration de l’apprentissage

Le discours d’évidence sur l’amélioration de l’apprentissage et/ou de l’enseignement doit toujours être interrogé. Entre la perception subjective de celui qui met en oeuvre, l’étude comparative des résultats avec et sans les TIC, l’observation de la motivation des élèves, ou encore l’effet de nouveauté qui attire, on s’aperçoit que de nombreux argumentaires oublient de préciser les repères réels de l’évaluation de cette amélioration. Quant aux recherches (dites) scientifiques sur l’efficacité de l’introduction des TIC en éducation il faut à chaque fois les resituer afin d’éviter le passage fatal de l’expérimentation contextualisée à la généralisation décontextualisée. On s’aperçoit que le passage d’une analyse micro à une synthèse macro reste très délicat.

La généralisation de l’innovation, ou encore des bonnes pratiques, reste un leurre que l’on n’a pas fini d’épuiser, tant l’amnésie est grande (et si l’on en croit Jacques Ellul, il s’agit de l’environnement « normal » du développement des technologies toujours considérées comme un « progrès » et donc « sans histoire »). La recherche de l’amélioration de l’efficacité de l’enseignement demande une très grande honnêteté en amont du projet lui-même.

Les ethnométhodologues nous rappelleraient que l’implication des acteurs et des chercheurs dans ce genre de dispositif est un des facteurs de trouble du résultat parmi les plus importants si elle n’est pas explicitée, et c’est souvent le cas…. quand il ne s’agit pas purement et simplement de trouble lié à une posture idéologique (cf. Bruno Latour) identifiable dans certains travaux scientifiques comme orientant les résultats. Quel chercheur parviendrait à se distancer clairement du commanditaire de la recherche, s’il ne commence pas par expliquer son lien avec ce commanditaire ? Et même dans ce cas, toute croyance de pureté doit être questionnée…. Analyser cette possible efficacité suppose donc de poser un cadre précis et d’être en particulier en mesurer d’articuler ce qui relève du pédagogique, du didactique, du psychosociologique et de l’économique.


Adapter le système scolaire

Le discours d’adaptation du système scolaire au monde environnant est tantôt celui de la modernité, tantôt celui du décalage. L’évidence de la modernité fait écho à l’évidence du progrès technique. Ce discours d’évidence s’appuie sur une croyance au progrès comme inéluctable et en évitant de se poser la question de l’apport réel de ces technologies.

Le discours du décalage est celui d’un questionnement fondamental de l’école que l’on peut aborder en se référent aux fondateurs du système scolaire actuel pour lesquels l’école avait pour mission d’éloigner l’enfant des risques de l’environnement familial pour le soumettre à un milieu encadré par la nation (ou par la religion) qui a charge de lui donner les moyens d’”être dans la société”. Mais cet être est vu de plusieurs façons : soit c’est un être docile, applicateur, soit c’est un être critique et distant, soit c’est un être constructeur ou dominateur de cette société…

Avec les TIC ces deux types de discours s’appliquent et peuvent même être des analyseurs. D’une part il y a la centration sur l’objet TIC (et sa modernité), d’autre par il y a la centration sur le Politique et la place de l’école dans la construction de la société, les TIC étant alors un des outils au service de ce projet. L’analyse des articles sur les TIC en éducation peut souvent s’appuyer sur cette classification. C’est ainsi que pour le cartable numérique on observe ces discours : ils sont tantôt inconscients, tantôt manipulateurs. S’ils sont inconscients ils mettent en évidence la force des représentations sociales et de leur construit sur les individus. S’ils sont manipulateurs alors ils révèlent l’instrumentalisation de l’outil.

Ainsi derrière des idéaux politiquement corrects se cachent parfois des ambitions plus pragmatiques : séduire les élèves, s’assurer une image de marque etc… Le cartable numérique se trouve donc pris lui aussi dans ces discours et demande donc une vigilance importante quand on veut mettre en place ce type de projet.

Insertion professionnelle

La finalité d’insertion professionnelle de l’école rejoint partiellement le discours du décalage. La puissance de ce discours augmente d’autant plus que la finalité de l’école renvoie celle-ci à son adéquation aux besoins de la société. Comme pour le décalage, elle peut se vêtir de plusieurs formes de discours plus ou moins explicités. Mais au delà, l’appel à la finalité professionnelle que l’on trouve fortement dans le discours sur l’orientation scolaire actuel invite celui qui veut faire un projet TIC à projeter la situation actuelle sur un avenir hypothétique.

Rappelons ici l’histoire de l’enseignement du langage Basic pour les élèves des classes de BEP tertiaire au début des années 80. On a pu observer à la même époque des mouvements variés : d’une part des contenus scolaires (même dans l’enseignement professionnel) qui n’avaient aucun rapport avec les véritables usages professionnels mais plutôt avec une représentation technicienne de ces usages (basée sur la pensée non pas de l’ensemble des professionnels mais de celle des seuls informaticiens); d’autre part des pratiques d’enseignement qui lorsque les élèves allaient en stage en milieu professionnel étaient largement en avance sur les pratiques professionnelles en vigueur (la projection ainsi faite s’appuyait alors sur la dynamique des milieux scolaires peu en phase avec le monde extérieur).

L’adéquation contenu de formation/besoins professionnels concordant est un mythe. Cela n’autorise pourtant pas n’importe quel discours, mais au contraire impose une vigilance très grande. Ainsi développer des cartables numériques (sous les deux définitions d’environnement et d’ordinateur portable) ne peut se targuer de cet argument. Tout au plus peut-elle envisager de mettre les élèves dans des situations d’adaptation et non pas de conformation ; mais encore faut-il que l’on ait réellement ce projet de développer la capacité d’adaptation à un environnement inconnu. Or le monde scolaire est particulièrement en difficulté face à cette compétence (du fait même de l’idée de programme et de programmation). Il est même davantage centré sur l’adéquation au modèle si l’on s’en tient à observer outre les programmes les modalités des dispositifs d’évaluation et de certification.

Éducation à l’esprit critique

La finalité d’éducation à l’esprit critique est ancienne dans le monde de l’éducation. Il faut revenir à Condorcet entre autres pour envisager le sens de cette approche en posant que l’éducation est à la base de l’égalité entre les hommes en permettant aux plus démunis d’accéder au savoir des plus riches et de ne plus rester enfermés dans l’ignorance. Autrement dit à la base de l’esprit critique il y a la connaissance. Mais dans le même temps Condorcet hésitait sur la question de la forme plus ou moins ouverte de cette instruction. Cette ambivalence est en réalité au fondement de toute éducation. La volonté de libérer et la volonté d’asservir peuvent être proches, et l’éducation à l’esprit critique être menacé par ceux-là même qui la revendique un plus tôt.

Développer un usage des TIC et des cartables numériques dans les écoles rentre donc bien dans le premier temps cher à Condorcet. On ne peut laisser dans l’ignorance au risque de l’inégalité. Mais dans quelle direction aller une fois le premier temps passé : certain veulent aller dans la maîtrise technique, arguant à l’instar de certains de la nécessité de connaître pour agir avec ces moyens. Ils trouvent parfois des alliés dans le développement de machines qui sont d’autant plus faciles pour l’usager qu’elles sont opaques et enfermantes. C’est le reproche fait à certaines approches actuelles qui consistent à proposer des outils qui sont directement utilisables.

Mais c’est oublier une autre donnée au moins aussi importante, mais dans un registre différent. La maîtrise technique ne peut faire oublier l’information et la communication qui sont véhiculés par ces techniques. Ainsi lorsque l’on met des ordinateurs portables dans la classe, reliés à Internet, on se trouve directement confrontés à cette question d’une autre nature : comment développer la connaissance et la maîtrise de l’information et de la communication ? Tout comme avec l’informatique se pose la question du niveau de connaissance « suffisant » pour accéder à une maîtrise mais qui ne mène pas à un sens critique qui irait jusqu’à la mise à mal de l’outil lui même et de ses potentialités.

Comme l’indique Jacques Ellul dans « le bluff technologique », les promoteurs des techniques n’ont pas intérêt à ce que la maîtrise en soit trop grande par les usagers, car ils risqueraient soit de détourner (s’ils le peuvent) les techniques qu’on leur propose, soit même les détruire (on se rappellera dans un autre genre la révolte des canuts contre les métiers mécaniques »…) Le monde de l’éducation parle souvent de l’esprit critique comme un fondement de son action, mais une observation fine des modes actuels de scolarisation montre qu’au sein de la relation maître-élève le vécu de cet esprit critique est beaucoup plus délicat.

Voici donc quatre éléments de réflexion pour fonder une réflexion sur le développement de projets de cartables numériques et plus largement des TIC dans un établissement scolaire. Sortir des évidences de toutes sortes est un préalable indispensable. Se situer personnellement face à de tels projets est un travail préalable que tout membre de l’éducation devrait faire avec le plus de courage et d’honnêteté possible…

Malheureusement on assiste à nouveau comme il y a vingt cinq ans avec le plan IPT à des discours d’évidence de même nature. Ils sont pareillement voués à ne pas avoir de suite pertinente au sein du système éducatif parce qu’ils ne sont pas réfléchis en tant que tels (mais les dénis sont nombreux dans ce domaine), mais aussi parce que la question des TIC ne se pose le plus souvent qu’isolément de la problématique globale de la scolarisation. Il semblerait pertinent, lorsque l’on engage de tels projets que l’on interroge outre les finalités (voir plus haut), la pédagogie, la didactique, la relation éducative, le projet éducatif, la vision de l’être humain, l’organisation scolaire et humaine, le sujet et son identité. C’est seulement à cette condition qu’un projet de cartable numérique peut prendre forme et alors répondre aux questions des finalités.

« À portée de la main  » est un élément essentiel de ces projets. Cela signifie, et on en revient à la relation fondamentale entre l’homme et les objets techniques qui l’entourent, que l’outil sera le réel prolongement de l’être humain. « Nous sommes condamnés à être inventifs » disait Michel Serres à propos de l’ordinateur portable métaphorisé comme un morceau de cerveau externalisé. On s’étonne alors de voir encore nombre de projets de déploiement des TIC se limiter à des opinions de surface. Il y a pourtant matière à réfléchir. À moins que, comme nous l’avions écrit il y a plusieurs années que les TIC aient décidé de se passer du système scolaire pour permettre de répondre à l’angoisse de Condorcet permette l’égalité par l’accès de  tous aux savoirs. Mais cette fois ce serait sans l’école ?

À débattre…

Billet initialement publié sur le blog de Bruno Devauchelle ; images CC Flickr intheozone, popofatticus et splorp

À lire : sur le site de l’Éducation nationale, la page de présentation du cartable numérique

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Permettre à tous les jeunes de s’insérer dans la société telle qu’elle devient http://owni.fr/2010/04/17/permettre-a-tous-les-jeunes-de-sinserer-dans-la-societe-telle-quelle-devient/ http://owni.fr/2010/04/17/permettre-a-tous-les-jeunes-de-sinserer-dans-la-societe-telle-quelle-devient/#comments Sat, 17 Apr 2010 09:50:22 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=12436

Photo CC Flickr Skokie Public Library

Nous avons demandé à deux spécialistes de la formation aux médias de réagir au billet d’Andreas Kluth sur la non-crise des médias. Voici la contribution de Bruno Devauchelle, formateur chercheur au CEPEC de Lyon, qui étudie l’intégration des TIC dans l’enseignement, la formation et l’éducation. Il aborde la question du point de vue des jeunes.

Ce n’est pas parce que l’information est accessible facilement que l’on est informé. Ce constat qui peut sembler une évidence prend une autre couleur si l’on y introduit la dimension des vecteurs de l’information que sont les médias. L’information ne se réduit pas aux médias et cela depuis toujours (les médias sont une invention assez récente). Depuis que les médias (et ici on désignera média tous les vecteurs de l’information qui fonctionnent en flux et qui diffusent à une large population, médias de masse, à partir d’un support ou d’un dispositif technique) se sont développés, une organisation s’est mise en place de manière à les inscrire durablement dans le paysage.

La crise, une question de sur-information dans un cadre de sur-accessibilité

Or une technique nouvelle vient à remettre en cause cette organisation et donc potentiellement les médias. Il y a bien crise des médias, mais pas pour ce qui est de l’information, la crise prend surtout la couleur de la sur-information dans un cadre de sur accessibilité. Autrement dit chacun de nous n’a jamais été aussi près de l’information depuis qu’Internet met en difficulté tous les intermédiaires en se substituant progressivement à la plupart d’entre eux en tant que vecteur de distribution d’une part et en tant que support d’élaboration d’autre part. Autrement dit on peut désormais se passer de la plupart des intermédiaires humains pour fabriquer l’information ou pour y accéder…

Cet état de fait pose la question des compétences nécessaires pour “bien vivre” dans un tel contexte. Des blogueurs journalistes, comme Andreas Kluth, sont les premiers à se sentir bien dans cet univers car ils ne se rendent pas compte qu’ils maîtrisent la plupart de ces compétences. Mais qu’en est-il du reste de la population et en particulier des jeunes ? Cette question est celle qui s’impose aujourd’hui au système scolaires, aux parents, bref à tous les éducateurs.

Le système scolaire français a une histoire déjà ancienne par rapport aux médias. Rappelons le travail fait au CES de Marly le Roi à partir de 1965 a propos de la télévision et les nombreuses expérimentations qui ont suivi ensuite dans ce domaine. Aujourd’hui le CLEMI est la structure nationale de référence dans le domaine avec la célèbre “semaine de la presse” qui chaque année rappelle aux établissements l’importance de cette éducation. Et pourtant rapport officiel, après rapport officiel, on ne peut que constater que l’éducation au média reste quelque chose de difficile à cerner dans les pratiques scolaires réelles. Ce n’est pas la volonté qui manque, il y a bien longtemps que les CDI, les programmes de français, d’histoire etc… ont évoqué la place à donner aux médias. Depuis l’avènement d’Internet, il en est de même, tout comme avant avec le développement de l’informatique à partir de 1985.

Infléchir la forme de l’enseignement

Le problème principal que l’on peut aisément observer c’est que les médias de masse traditionnels n’ont pas réellement pris place dans les pratiques quotidiennes des enseignants. La prééminence de l’écrit et du livre ont longtemps rejeté ces médias à la marge de l’école. Avec l’informatique et Internet les choses sont un peu différentes et encore en pleine évolution. Les derniers rapports publiés dans ce domaine (MM. Fourgous, Apparu etc…) sont tous hésitants sur les axes à prendre : informatique, médias, internet…

Ce sur quoi ils sont d’accord, c’est la place que l’école doit tenir dans cette éducation, mais jamais il ne vont au delà des propositions, sans jamais tenter d’infléchir officiellement ce qui est fondamental dans le système scolaire : la forme de l’enseignement. On observe depuis de nombreuses années des équipes innovantes, des pistes d’activités intéressantes, mais delà à ce que cela soit transféré au cœur de l’organisation scolaire, il y a un écart jamais franchi au cours de l’histoire.

L’histoire récente et pourtant déjà ancienne du B2i (brevet informatique et Internet, NDLR) n’a pas permis de mettre en évidence une évolution quotidienne des pratiques, suffisamment partagée au sein des établissements pour apercevoir une évolution réelle. Or le B2i, parce qu’il n’impose rien (sauf depuis son inclusion dans le socle commun), laisse les équipes libres de ne pas s’en emparer… La récente réforme du lycée qui entrera en vigueur à la rentrée prochaine n’apporte pas beaucoup plus d’éléments, oubliant même la place du B2i lycée, pourtant considéré comme obligatoire depuis près de trois années…

Déficit des enseignants en information-communication

Au final, la responsabilité de l’éducation aux médias et à Internet est renvoyé à la culture des enseignants eux-mêmes. Dans ce domaine, les plus actifs sont souvent les enseignants documentalistes. Relayés par d’autres disciplines qui s’associent souvent à la marge à cette éducation (même le français… dans les programmes duquel cette éducation à l’image est pourtant inscrite), ces enseignants animent souvent au sein de l’établissement une dynamique autour de ces objets qui reposent la question plus large de la formation à l’information-communication. Car le vrai déficit dans le système éducatif français est celui qui concerne une véritable culture des enseignants dans ce domaine pourtant aussi ancien à l’université que les sciences de l’éducation.

Si l’idée de former les enseignants au technologies de l’information et de la communication dès l’entrée dans le métier, on s’aperçoit que cette formation est très inégale et surtout qu’elle est souvent attirée du coté technique et très peu du coté culturel. Or la dimension culturelle reste quelque chose qui n’est pas clairement affirmé, et surtout pas clairement proposée dans les établissements scolaires, parce que difficile à cerner et qui impose des approches nouvelles. C’est ce qui fait que l’on privilégie souvent en milieu scolaire l’approche technique avant l’approche par les usages et les cultures d’usage. L’exemple de la mise à l’écart de la télévision du monde scolaire alors qu’elle prenait place dans le quotidien de chacun est encore fortement présent dans les réflexes vis à vis des TIC, d’Internet.

Ne pas diaboliser les pratiques des jeunes. Photo CC Flickr Oversocialized

Des pistes de travail déjà visibles dans les pratiques pionnières

Quelques pistes de travail peuvent être envisagées et sont déjà visibles dans les pratiques pionnières :
-  L’éducation aux médias et à Internet doit d’abord s’appuyer sur le projet de produire et d’utiliser et pas seulement sur le projet de la seule éducation critique. D’ailleurs comment faire une éducation critique sans aborder le travail de conception ?
- De plus cette éducation doit s’appuyer d’abord sur les pratiques sociales des élèves avec comme mission d’aider les jeunes à construire des repères à partir de ces pratiques et ensuite d’inciter les jeunes à explorer de nouvelles directions et ne pas seulement se contenter de proposer des objets de travail scolarisés (autrement dit des activités rentables scolairement)
- Puis cette éducation doit d’abord interroger les adultes (enseignants, parents, éducateurs,…) sur leurs propres pratiques et leurs propres responsabilités dans le déploiement de ces outils et de l’éducation qui va avec. Cette interrogation doit d’abord éviter le discours qui diabolise les pratiques des jeunes, mais plutôt s’attacher à comprendre l’articulation entre organisation sociétale proposée par les adultes et pratiques médiatiques des jeunes
- Enfin cette éducation doit aussi s’appuyer sur des modèles pédagogiques qui se modifient du fait de ces outils au lieu de tenter de les intégrer (c’est à dire de les formater) comme des objets étrangers, sans changer les modèles pédagogiques. Pour ce faire on pourra aussi s’appuyer sur des travaux de sciences de l’information et de la communication et aussi des sciences cognitives, qui apportent de nouvelles connaissances permettant d’envisager des évolutions pédagogiques pertinentes.

D’autres pistes pourraient être explorées, mais pour l’instant cette éducation reste de la seule responsabilité individuelle de l’enseignant et tant qu’elle ne sera pas réellement soutenue par une vision claire et un projet fort, elle se cantonnera à des séries d’actions ponctuelles et pionnières, oubliant la mission première de l’école : permettre à tous les jeunes de s’insérer dans la société telle qu’elle est et telle qu’elle devient et non pas dans une société abstraite, idéalisée, telle qu’elle aurait pu être…

La traduction du billet d’Andreas Kluth

L’interview de Divina Frau-Meigs, un autre point de vue sur le billet d’Andreas Kluth

Le blog de Bruno Devauchelle

Sur le rapport Fourgous, l’analyse de Skhole.fr : De la prise de conscience salutaire à l’idolâtrie imprudente

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Empêcher les jeunes de maîtriser le numérique ? http://owni.fr/2010/03/15/empecher-les-jeunes-de-maitriser-le-numerique/ http://owni.fr/2010/03/15/empecher-les-jeunes-de-maitriser-le-numerique/#comments Mon, 15 Mar 2010 17:13:03 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=10069 ordi

Ce n’est pas tant la technique informatique qu’il faut que les jeunes apprennent que la maîtrise des usages et la culture qui y est liée, explique Bruno Devauchelle, formateur chercheur au CEPEC de Lyon, et nouveau venu sur la soucoupe.

Débat récurrent et stérile : les jeunes maîtrisent-ils ou pas le numérique ? Tant qu’on n’a pas défini ce que l’on met derrière ce questionnement, le débat est éternel et stérile. Et c’est ce qui se passe avec ce travail de septembre 2009 publié à Namur ou encore l’enquête CEFRIO… C’est cet article qui me fait réagir aujourd’hui : « Les jeunes ne sont plus intéressés par l’outil-ordi ».

Encore une fois, on tente de démontrer que les jeunes ne maîtrisent pas la technique informatique et qu’ils ne se consacrent qu’au jeu et à la communication. Mais on peut envisager une analyse de cette approche un peu différente. Pour amorcer cette réflexion, on peut reprendre cette interview de Jean-Noël Lafargue et en particulier ce passage en réponse à la question : «Qu’est-ce qui est caractéristique de leur approche et leur usage du numérique ? » :
« La facilité. Aux débuts de l’informatique, il y a trente ans, l’ordinateur servait presque uniquement à programmer, à fabriquer des choses. On inventait, découvrait, défrichait. Pour ma génération, l’ordinateur a été une conquête. On l’a vu arriver chez nous. Pour les étudiants d’aujourd’hui, ça existe depuis toujours. Ils baignent dedans,
c’est leur univers et ils ne le remettent pas en question. La plupart ne sont pas intéressés par le fait d’utiliser l’ordinateur comme outil. Plus ça va, plus il devient un média. Moins on fabrique et plus on consomme. Et les jeunes sont essentiellement bons pour consommer et communiquer. »

Un discours de nostalgiques

Il est toujours amusant de faire un parallèle avec d’autres technologies développées antérieurement et de constater que ce même discours pourrait s’y appliquer. En fait on a un peu l’impression d’un discours de nostalgiques…, peut-être même un discours de vieillissement, regrettant le bon vieux temps. Mais l’analyse semble juste, si tant est qu’on ne regrette pas cette époque du bidouillage et que l’on observe les choses sous un autre angle, celui de la banalisation, de la stabilisation sociale d’un objet technique. Car il semble bien que ce soit ce qui est en train de se produire. Les regrets d’une situation antérieure pendant laquelle on allait voir dans le ventre de la machine ne peuvent avoir d’intérêt que si c’est pour mieux mesurer les écarts et les changements, mais pas pour préconiser un changement par retour aux habitudes antérieures, car là, rien n’est plus possible.

Que s’est-il donc passé ? A force de crier qu’il fallait apprendre l’informatique à des générations de jeunes, les industriels et les commerçants, maîtres en développement des marchés ont vite compris que les passionnés et les bidouilleurs ne seraient pas une clientèle porteuse si elle n’est pas accompagnée par un ensemble de « suiveurs ». Mais ces suiveurs, parce qu’ils ne sont pas aussi passionnés, professionnels parfois et qu’ils ont aussi d’autres préoccupations ont vite repoussé cette culture du passionné au profit de la culture de l’outil au service de, voir au profit du détournement instrumental de l’outil au service de leurs besoins. Les promoteurs du marché ont vite compris qu’il valait mieux cacher le vilain moteur informatique au profit de magnifiques interfaces intuitives et Apple leur a fourni un espace d’expérimentation essentiel. L’accessibilité s’est parée des vertus issues de l’ergonomie. Du coup les anciens, les spécialistes, les bidouilleurs et autres spécialistes de l’informatique se sont retrouvés renvoyés dans les bureaux dont ils avaient réussi à sortir avec la démocratisation de l’informatique. Pensant peut-être être devenus les maîtres de ce monde là, ils ont déchanté et toutes ces critiques envers les jeunes sont surtout des messages vers les autres adultes en les invitant à les suivre et à marginaliser les jeunes et la culture naissante basée sur les usages de proximité et non pas les pratiques d’excellence. Ainsi on peut penser que la défiance vis-à-vis des pratiques jeunes, en particulier celles issues du monde scolaire et universitaire sont de ce registre, celui d’une perte de maîtrise d’un objet qu’ils avaient pourtant réussi à dominer (rappelons les anciennes séries informatiques H au lycée dans les années 80) et regardons l’arrivée des nouvelles séries STI en particulier en ce moment au lycée).

En fait on est passé d’un numérique factuel à un numérique conceptuel et surtout culturel. Et comme le numérique est désormais aussi facile à utiliser qu’un livre, on retrouve la même problématique. Ce n’est pas parce qu’on enseigne la lecture et l’écriture que les élèves deviennent des grammairiens, des romanciers, etc… Certaines mauvaises langues disent même que certains enseignements ont un effet repoussoir sur les jeunes (cf. les filières scientifiques du lycée qui n’alimentent pas celles du supérieur…). La question qui se pose actuellement au monde scolaire et universitaire est que le numérique a pris une place telle dans la culture et les usages qu’il devient plus urgent de travailler cette culture que la technique qui l’a rendue possible. En d’autres termes, l’enseignement de la machine (pour faire court) est secondaire
par rapport à la maîtrise des usages et la culture qui y est liée. Or comme les usages se sont de plus en plus déconnectés de la machine elle-même au profit d’abstractions (le stockage des données est en train de basculer avec le développement du nuage -le Cloud-), on voit apparaître un débat de fond sur ce qu’il convient de faire dans le monde de l’enseignement.

De plus les adultes que nous sommes ont laissé à nos enfants un terrain de jeu formidable et nous leur reprocherions de s’en emparer. Que n’étions-nous pas content de ces interfaces souris graphique au début des années 80 avec les premiers Macintosh ! Que n’étions-nous pas heureux d’en finir avec les lignes de commande de MS-DOS ! Que ne
sommes-nous pas béats de voir nos tous petits accéder à ce monde numérique avant même que de savoir lire et y posons même l’hypothèse d’une nouvelle attention et motivation pour l’apprentissage.

Que les jeunes maîtrisent ou pas les arcanes des machines qu’ils utilisent est désormais une question dépassée. Cette question ne concerne plus que ceux qui veulent faire profession (ainsi en est-il aussi du garagiste et de l’automobile) et c’est normal qu’eux la travaillent. Ce qui est essentiel de maîtriser désormais ce n’est plus la machine, mais la part d’humain qui est contenu dans les dispositifs numériques qui nous entourent. En effet cette part d’humain à souvent les couleurs d’une humanité douteuse (la surveillance systématique par exemple, la perte de l’intime, l’absence de possibilité d’effacer ses données etc…).
Or cette part d’humain qui au départ était relativement facile à percevoir dans la machine devient de plus en plus difficile à repérer. Et pourtant chaque machine n’est pas qu’un outil qu’on peut adapter à soi, c’est aussi une intention contenue dans la façon même dont elle se laisse utiliser. Or ce qui est le plus grave ce n’est pas que l’on ne connaisse pas la technique sous-jacente, mais que des concepteurs ont mis leur intention dans la technique dispositive elle-même de manière à rendre l’usager dépendant. En éducation comme ailleurs ces intentions pensent être lues à livre ouvert alors que le quotidien des usages et des propos sur les usages par les adultes qui travaillent dans l’enseignement nous montrent qu’on est très loin de cette conscience. La naïveté des propos de certains responsables (M. Fourgous y compris) laisse rêveur sur l’ampleur de la bataille de la conscience à gagner.

Le plan numérique pour l’éducation promis saura-t-il faire une part à cette question ? On ne peut qu’en douter tant que l’on n’aura pas défini précisément les finalités des formations et des modes d’usages et d’appropriation qui seront proposés aux enseignants…
À suivre et à débattre.

Billet initialement publié sur le blog de Bruno Devauchelle

Image newrambler sur Flickr

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