OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’opacité Total http://owni.fr/2011/06/01/opacite-total-petrole-evasion-fiscale/ http://owni.fr/2011/06/01/opacite-total-petrole-evasion-fiscale/#comments Wed, 01 Jun 2011 16:08:14 +0000 Renaud Coureau http://owni.fr/?p=65547 Quand il s’agit d’impôts, le groupe Total est plein de bonnes intentions. Quand les militants des droits de l’Homme ont demandé des comptes à la première société française pour éclaircir ses liens avec la junte birmane, bénéficiaire de l’exploitation des pétrolières, le PDG Christophe de Margerie leur a répondu ceci :

Quand on est dans un pays, on paie des impôts, qui sont censés bénéficier à l’ensemble de la population. Je ne suis pas là pour juger ce que le pays fait de ces impôts

L’argument est discutable. Même si Total ne met pas directement de l’argent liquide dans les poches des dictateurs birmans, le secret de ces versements rend toutes les dérives possibles. Une opacité fiscale qui facilite la corruption, en Birmanie comme ailleurs.

Selon le rapport annuel du groupe, la charge d’impôts de Total en 2009 représente 7,751 milliards d’euros. Mais le document oublie de préciser à combien, à quel pays et à qui sont versés ces contributions fiscales.

Depuis la création de l’organisation internationale ITIE (Initiative sur la transparence des industries extractives), la question de l’accès aux données financières des industries extractives (mines, gaz et pétrole) est considérée comme un enjeu de démocratie. Son argument : plus de transparence permettrait de limiter l’évasion fiscale, de lutter plus efficacement contre la corruption, de faciliter la bonne gestion des ressources. Dans les régions très pauvres où elles travaillent, les majors des hydrocarbures ou des minerais ont un impact important sur l’économie de pays entiers.

Poussé par des ONG, Total a fini par s’engager dans ce sens et affirme soutenir l’ITIE depuis sa création, en 2002. Sur le site web du groupe, on peut lire la déclaration suivante:

Total s’engage en faveur d’une transparence rigoureuse et participe activement aux initiatives et dialogues intergouvernementaux sur le sujet.

Passés ces beaux engagements, le groupe pétrolier a concrètement diffusé huit documents, précisant son activité et les taxes payées dans huit pays. De plus, les dirigeants de Total ont tenu à faire savoir qu’ils payaient 300 millions d’euros par an à la France, principalement au titre de la contribution économique territoriale (anciennement taxe professionnelle).

Pour faire acte de transparence, Total a publié les impôts versés à 10 pays représentant 69,6% de sa production. Design : Marion Boucharlat / Source : Total.

Or, les données se révèlent contradictoires : pour l’année 2009, Total déclare dans ce document avoir payé 8,849 milliards d’euros d’impôts aux dix pays représentant 69,6% de sa production… alors que son rapport annuel annonce que le groupe a versé 7,751 milliards en contributions fiscales pour l’intégralité de ses activités. Derrière cette incohérence, le problème des chiffres fournis apparaît : plutôt que de donner le détail, Total ne livre que des données agrégées qui ne rendent aucun compte de la complexité des taxes et contributions payées dans chaque pays, dont on peut avoir une idée en regardant un tableau plus complet fourni pour le Nigeria.

Selon les pays, Total ne verse pas un mais deux principaux types d’impôts : les royalties, en fonction des quantités extraites, et les impôts sur les bénéfices des résultats de la filiale locale. La charge d’impôt annoncée dans le rapport annuel ne représente que les sommes payées sur les bénéfices. Les royalties, elles, sont intégrées dans les charges d’exploitation, un ensemble indéfini de 18,591 milliards d’euros. Impossible de croiser les données nationales avec celles, globales, du rapport annuel. Et donc impossible d’obtenir des informations indirectes sur les sommes versées en dehors de ces dix pays.

Les pays sur lesquels Total ne communique pas n’ont pas été laissés dans l’ombre par hasard. Birmanie, Azebaïdjan, Libye, Iran, Syrie et Yémen sont précisément les pays visés par les ONG de lutte anti-corruption (voir l’étude de Transparency international sur le sujet). Celles-là même qui militent pour la transparence des données financières. Or, sans les données précises, filiale par filiale, impossible d’établir un état des lieux des impôts payés et de respecter le niveau de « transparence » dont se réclame le géant pétrolier.

Le pétrolier français opaque… à 90,5%

Parmi les études sur la transparence des compagnies pétrolières, le rapport Beyond the rethoric, réalisé par l’ONG Save the children en 2005, visant précisément à mesurer l’adéquation entre les discours tenus et les actes. Les résultats de Total y sont catastrophiques : noté sur 100, comme les autres compagnies, le pétrolier français obtient un score de 9,5, ce qui en fait la cinquième compagnie la moins bien notée. Les quatre dernières étant des compagnies nationales chinoises, russe et malaisienne. Lesquelles n’ont jamais pris le moindre engagement en matière de transparence.

Le résultat de cette étude est clair : en 2005, la participation de Total à l’EITI n’est qu’une démarche de communication. Piqués au vif, les dirigeants de Total ont décidé en réaction de diffuser certaines données. Celles-là même dont nous avons prouvé la pertinence plus haut…

En 2011, un rapport de Transparency International sur le même thème

Pour justifier ce manque d’informations, un argument revient régulièrement : « ce sont les dirigeants des pays en questions qui refusent de diffuser les chiffres, se défendent les majors. Qui sommes-nous pour diffuser ce qu’ils souhaitent garder confidentiel ? » Pour étudier la validité de cet argument, Transparency a comparé les informations publiées par différentes compagnies pour un même pays.

Pour un même état, les quantités de données fournies sont très différentes selon les compagnies. Et Total est toujours derrière ses concurrents. Les annexes du rapport de Transparency recèlent même une surprise de taille : c’est en France que Total obtient le plus mauvais score sur la diffusion des données, 8% pour une moyenne mondiale de 53%. C’est donc dans son pays d’origine que le pétrolier est le plus opaque.

Les pays pauvres ont intérêt à la transparence de Total

Total s’engage en faveur d’une transparence rigoureuse.

Après un examen attentif des démarches de Total en matière de transparence, la « transparence rigoureuse » se révèle n’être qu’un bel engagement. Un constat d’autant plus décevant que toutes les compagnies pétrolières ne pratiquent pas l’opacité. Il suffit de consulterle rapport ITIE de la Norvège pour réaliser que certains états ont réussi à forcer la main des industriels. Contrôlées par un cabinet d’audit, les quelques pages consacrées à ce pays détaillent les quantités de pétrole extraites et les impôts payés, taxe par taxe, compagnie par compagnie.

Ce type de publications de données complètes, détaillées et auditées sont en substance la demande des ONG actives sur le sujet pour une réelle transparence fiscale. Certaines exigent ainsi un état des lieux public et obligatoire des bénéfices et impôts, pays par pays, pour toutes les multinationales. Des données dont dispose n’importe quelle société.

Envisagé dans un cadre global, ce débat diplomatique donne lieu à un intense combat de lobbying : les multinationales ont des moyens gigantesques, les militants ont l’opinion publique avec eux. Au Royaume-Uni, des activistes ont commencé à monter des actions contre les multinationales sur ce thème. Des organisations ont été spécialement créées, comme Publish what you pay.

Total a intérêt à la transparence.

Une fois décryptée la communication de Total, cette phrase de Thierry Desmarest, président du conseil d’administration de Total, mériterait une correction : ce sont les pays les plus pauvres qui ont le plus d’intérêt à la transparence de Total. L’évolution de la situation internationale semble montrer la voie d’une plus grande exigence. Si le pétrolier souhaite traduire son engagement pour une transparence financière réelle, c’est le moment d’agir.


Illustration CC FlickR: Hugo90

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Quand Barclays essayait de censurer le Guardian http://owni.fr/2011/06/01/quand-barclays-essayait-de-censurer-le-guardian/ http://owni.fr/2011/06/01/quand-barclays-essayait-de-censurer-le-guardian/#comments Wed, 01 Jun 2011 13:30:15 +0000 Renaud Coureau http://owni.fr/?p=65566 Le 16 mars 2009, un scandale éclate dans les pages économiques du Guardian. Les journalistes du quotidien révèlent les détails des mécanismes d’évasion fiscale utilisés par Barclays, 3e banque mondiale. En lien avec cet article, sept mémos confidentiels de Barclays sont diffusés sur le site du Guardian. Leur contenu est accablant. Grâce à plusieurs schémas complexes passant par les îles Caïman et le Luxembourg, la banque a dissimulé plus de 16 milliards de dollars au fisc anglais. L’agence Bloomberg évalue le montant d’impôts évités à 1,5 milliards d’euros par an.

Quand sortent ces documents, l’opinion publique anglaise est déjà très hostile à ses banques. Un autre scandale a éclaté quelques jours plus tôt : la Royal Bank of Scotland a avoué avoir évité de payer 500 millions de livres d’impôts grâce à des techniques d’évasion fiscale. Malaise : RBS venait alors d’être sauvée par les contribuables anglais, et quasi-nationalisée. Les documents de Barclays évoquent des montants bien plus importants. Le fisc anglais (Her Majesty’s Revenue and Customs, HMRC) lance immédiatement une enquête.

Barclays réagit rapidement, et utilise une procédure juridique d’urgence. Dans la nuit du lundi 16 au mardi 17 mars, un juge appelle la rédaction du Guardian et ordonne le retrait des documents. Le média anglais a l’interdiction de diffuser les mémos, mais également d’inciter ou d’encourager ses lecteurs à les lire. Le quotidien fait appel, mais le 19 mars sa demande est rejetée : les documents doivent rester “confidentiels”.

Dommage pour la crédibilité du juge, il est déjà trop tard. Les mémos ont été reproduits et circulent rapidement. L’effet Streisand fonctionne à plein régime: sur de multiples forums on trouve des liens menant vers “ces documents que Barclays ne veut pas que vous lisiez”.

Les community managers du site du Guardian se voient confier une nouvelle mission : censurer tous les commentaires qui pourraient donner des indications sur les mémos. Certain lecteurs tentent alors d’utiliser des codes, comme dans ce commentaire relevé par le site Liberal Conspiracy.

While institutions keep important legal evidence all kin suffer. “

Dès le 17 mars, les mémos sont disponibles sur le site de Wikileaks. Trois jours après l’appel du juge, tous ceux qui s’intéressent au sujet ont lu ces documents. Mais le Guardian ne peut toujours pas traiter correctement cette affaire, qu’il a pourtant lancé.

Le 26 mai, Matthew Oakeshott, un député libéral démocrate, libère la parole des journalistes. Il utilise un droit constitutionnel des parlementaires anglais, celui de parler en totale liberté devant leurs pairs. Matthew Oakeshott évoque donc les mémos en séance publique, avec les termes suivants :

“Le Sunday Times et le Guardian les ont déjà évoqués en Une, et ces documents sont largement disponibles sur Internet, sur des sites comme Twitter, Wikileaks.org, Docstoc.com and Gabbr.com.”

Si les parlementaires bénéficient du droit inaliénable de s’exprimer, les journalistes ont le droit de reproduire les discours des députés. Cette intervention de Matthew Oakeshott achève donc d’invalider la décision de justice touchant le Guardian.

Face au scandale, les dirigeants de Barclays ont cherché à banaliser ces révélations. Convoqué devant une commission de la chambre des Lords, le PDG John Varley a totalement assumé le contenu des mémos.

“Nous avons des activités financières, et l’impôt est un élément comme un autre de ces activités. Nous avons l’obligation devant nos actionnaires [...] de gérer les taxes de manière efficace.”

Il lance ensuite aux officiels anglais “jugez nous sur les taxes que nous payons”. La banque aurait payé 10 milliards de livres d’impôts en Angleterre entre 2003 et 2008. Barclays ne risque rien de plus qu’une dégradation de son image. L’évasion fiscale, si elle est choquante, n’est pas illégale. De plus, les banquiers sont dans une position de supériorité face à l’administration. Dans une lettre accompagnant les documents, la source anonyme des mémos explique cet état de fait.

“Il est communément accepté qu’aucune agence, anglaise ou américaine, n’a les ressources ou l’implication suffisante pour inquiéter SCM (Ndlr: la section financière de Barclays). SCM dispose d’énormes moyens, des meilleurs cerveaux récompensés par des millions de livres. A titre de comparaison, une récente offre d’emploi du HRMC proposait un poste d’expert fiscal rémunéré 45000 livres.”

“HMRC ne pourra jamais, dans son état actuel, combattre efficacement ce business.”

Si les dirigeants de Barclays n’ont pas eut à craindre de poursuites judiciaires, ce scandale a déclenché une réelle prise de conscience en Angleterre. Qui devrait à terme modifier les pratiques du secteur bancaire. Même si la première réaction des politiques anglais s’est limité à une déclaration de bonnes intentions. Quelques mois après la publication des mémos le ministre des finances Alistair Darling a fait signer aux banques anglaises un code de bonne conduite. Elles se sont engagées à respecter l’esprit de la loi, et donc à cesser d’utiliser ce type d’évasion fiscale.

Un premier pas, pour calmer l’opinion avant une réforme globale de la législation  bancaire. L’objectif : éviter que les contribuables anglais aient de nouveau à renflouer leurs banques. Une commission indépendante a remis un rapport préliminaire le 11 avril 2011, une série de propositions en vue de la future loi. Le débat continue.

Matthew Oakeshott, toujours engagé sur le sujet, a proposé d’obliger les banques à déclarer publiquement les impôts qu’elles payent. Une idée certainement inspirée par Barclays: Début 2011, la banque a dû avouer n’avoir payé que 113 millions de livres d’impôts en 2009. L’équivalent d’1% de ses bénéfices. L’opinion publique a été choquée une fois de plus.

Dans leur lobbying contre cette future loi, les banques anglaises ont utilisé une menace classique: quitter le pays. Barclays pourrait déménager à New York, le maire de la ville a déjà annoncé que les banquiers seraient bien reçus. La menace n’a pas été prise au sérieux : le président de la commission a déclaré qu’il ne croyait pas dans un mouvement de masse. Le plan d’austérité record du gouvernement anglais, jamais vraiment accepté par la population, oblige les officiels à afficher une certaine fermeté face aux banques. Dans quelques mois, la nouvelle législation sera mise en place. Et les Anglais pourront juger de la liberté de leurs gouvernants face au secteur bancaire.


Photo FlickR CC : Paternité par Dominic’s pics ; PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Ian Gallagher.

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La transparence, une ressource inexploitée… http://owni.fr/2011/06/01/industries-extractives-transparence-regulation-financiere-petrole-mines/ http://owni.fr/2011/06/01/industries-extractives-transparence-regulation-financiere-petrole-mines/#comments Wed, 01 Jun 2011 12:26:53 +0000 Renaud Coureau http://owni.fr/?p=65562 Michel Roy, économiste et linguiste, est directeur de la section internationale du secours catholique. Il a été membre du bureau de l’ITIE (Initiative pour la transparence dans l’industrie extractive) durant quatre ans, et coordinateur de la plate-forme internationale Publish what you pay. Il fait le point sur les différentes initiatives en faveur de la transparence financière.

Qu’est-ce que l’ITIE aujourd’hui et quels en sont les résultats?

En 2003, Tony Blair cherchait une réponse aux interpellations des ONG anglaises sur la transparence des grandes entreprises. Il a donc lancé l’ITIE (initiative pour la transparence dans l’industrie extractive, NdR), qui avait pour mission originelle d’établir une norme internationale de transparence pour les activités extractives : pétrole, diamants, minerais. Mais il s’agit d’une norme sur le mode anglo-saxon. Pas vraiment de contraintes ou de règles fermes, mais plutôt une recherche de consensus, de solutions acceptables par tous.

En 2007 a été lancé le processus de validation des pays producteurs selon les critères de l’ITIE. Les pays concernés sont ceux qui tirent plus de 25% de leurs revenus des industries extractives.

Pour être certifiés conformes à l’ITIE, les pays candidats doivent produire un rapport donnant des informations chiffrées sur ce que versent les compagnies à l’État, et sur ce que l’État reçoit. Un expert indépendant doit valider ce rapport, qui a vocation a être actualisé tous les ans. Aujourd’hui, sur 60 pays potentiellement concernés, 35 sont engagés dans le processus, dont 11 sont déjà certifiés.

Huit ans après son lancement, cette initiative n’est pas encore arrivée à maturité. Les critères restent trop souvent subjectifs. Nous souhaiterions plus d’objectivité, plus de solidité. Il faudrait également faire entrer les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine, NdR) dans le processus, ainsi que les plus gros producteurs. Le G20 incite tous ses membres à participer à l’ITIE.

Quel intérêt ont les pays producteurs à une meilleure transparence dans leurs affaires?

Beaucoup de ces pays ont de sévères problèmes de gestion des ressources. Des années de conflits, des gouvernements autocratiques… le contexte politique de certains pays a abouti à une opacité totale. Plusieurs raisons peuvent les pousser à participer au processus ITIE.

D’abord pour des questions d’image vis-à-vis de l’extérieur. Beaucoup veulent prouver au monde qu’ils sont bons gestionnaires. Ensuite, ces pays sont souvent très endettés, or le FMI met l’adhésion à l’ITIE comme condition pour annuler la dette d’un État. La banque mondiale fait également pression, cette fois pour lutter contre la corruption.

L’ITIE peut également aider les dirigeants de ces pays à y voir plus clair. J’ai entendu le ministre des Finances du Mali dire qu’il ne savait pas ce que l’or rapportait à son budget…

Tous les pays ne s’engagent pas avec la même force. J’ai pu l’observer au Congo Brazzaville. Le président Denis Sassou-Nguesso a envoyé une lettre à la banque mondiale en 2004, pour annoncer que son pays souhaitait entrer dans l’ITIE. Mais les premières démarches concrètes ont été effectuées en 2006… et des membres de l’organisation Publish What You Pay (PWYP) ont été incarcérés entre temps. Dans ce cas, la démarche ITIE s’est limitée à une déclaration d’intention. C’est le cas de beaucoup de pays, qui s’engagent, mais mollement.

A l’inverse, la présidente du Liberia, Ellen Johnson-Sirleaf, a utilisé l’ITIE pour réformer son administration, et mettre en place un cadre contraignant. On se libère difficilement de décennies de mauvaise gestion. Au final, elle a dépassé le cadre de l’EITI, en imposant également la transparence dans les industries forestière et agroalimentaires.

Les compagnies pétrolières sont-elles également coopératives?

En 2003, elles sentaient déjà la pression de la société civile dans certains pays, comme le Nigeria. Quand un pays entre dans le processus, cela devient contraignant pour toute les compagnies qui y travaillent.

Les majors, qui ont une image à défendre, jouent le jeu en général. Elles ont un intérêt à avancer vers plus de transparence, cela rassure les investisseurs. Mais entre ce que décide le siège et la manière dont c’est mis en œuvre par les filiales sur place, il peut y avoir un décalage. A un tel point que Total a dû consacrer du personnel dédié à la transparence dans ses filiales.

Une compagnie cherche à produire du pétrole, à créer de la richesse. Le reste, ce n’est pas prioritaire. Néanmoins, les majors pétrolières soutiennent presque toutes l’ITIE. Total et Areva ont signé en 2003, GDF Suez un peu plus tard. C’est parfois indispensable pour entretenir de bonnes relations avec les États.

Dans les pays les plus riches, sentez-vous une volonté politique d’imposer plus de transparence aux multinationales?

Les pays du Nord sont plus moteurs que ceux du Sud. La crise les a encouragé à aller vers plus de transparence. Les États sont marginalisés sur la scène internationale. L’économie financière dirige le monde à leur place. La transparence peut aider les États à récupérer des fonds. Dans tous les pays, le fisc pousse fort dans ce sens.

Par exemple, la loi Dodd-Franck, adoptée aux États-Unis, oblige les compagnies cotées à publier des informations pays par pays et projet par projet. Votée en juillet 2010, elle n’est toujours pas effective : les décrets d’application ont été reportés à décembre 2011, suite à un lobbying très fort des multinationales. Elles demandent des exemptions quasiment sur tout…

Notre objectif, c’est que cette norme devienne planétaire. On pousse l’Union Européenne à adopter les mêmes règles. Notre opportunité : la révision de la directive sur l’obligation de transparence. Dans l’idéal, la nouvelle version de cette directive se baserait sur la loi Dodd-Franck.

Mais les discours publics restent flous… Les compagnies sentent qu’elle ne pourront pas éviter de donner des informations pays par pays. Ce qui les amènera à corriger d’elles-même leurs pratiques d’évasion fiscale. Mais les données projet par projet, c’est une autre affaire. Les compagnies pétrolières sont vent debout contre ce projet. Bercy est également contre. L’argument utilisé, c’est toujours celui de la concurrence. Publier des données projet par projet, cela donnerait un avantage aux concurrents. Ce ne sont pas les Américains qui sont visés, mais les Chinois, qui ne seront pas soumis aux mêmes contraintes. C’est un argument qu’on peut comprendre, et c’est pourquoi il faut établir une norme globale.

L’un des freins les plus importants à cette logique planétaire, c’est la position des pays émergents. Aucun d’entre eux ne soutient l’ITIE. Même si leurs compagnies nationales s’engagent, comme Petrobras au Brésil ou Pemex au Mexique.

Quelle institution pourrait valider une telle norme? Le G20?

Il n’y a pas d’autorité boursière mondiale… La norme s’établira d’elle même, si les États-Unis lancent la dynamique et que l’Europe suit. Singapour a également lancé une initiative moins ambitieuse.

C’est le sens du message que nous répétons à Total depuis des années : « Anticipez, les choses vont bouger, n’attendez pas d’être contraints ».

Vous êtes donc optimiste?

Oui, je pense que la crise oblige à développer des logiques de transparence. Si les politiques espèrent reprendre la main sur le cours des choses, ils n’ont pas le choix. Les grandes décisions sont globalisées, et le resteront. Nous vivons dans un monde beaucoup plus inter-dépendant que par le passé, donc pour s’y adapter les politiques vont devoir contraindre la sphère financière.

Il faut avancer vers une régulation financière réelle, avec la fin des paradis fiscaux et des mécanismes d’opacité. Tant que tout cela ne sera pas régulé, les chefs d’état n’auront pas de réel pouvoir sur la situation économique. Ils l’ont bien compris.

Toutes les normes de transparence avancent aujourd’hui. On sent la résistance des compagnies, on sent l’impact de leur lobbying quand on parle aux politiques. Mais j’ai le sentiment que la réalité va amener les responsables publics à faire avancer les choses. Signe positif : le G20 a repris des propositions formulées au forum social de Belem, qui vont dans ce sens.


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Jeux vidéo thérapeutiques: “pour l’instant, il faut y croire” http://owni.fr/2010/12/09/jeux-video-therapeutiques-pour-linstant-il-faut-y-croire/ http://owni.fr/2010/12/09/jeux-video-therapeutiques-pour-linstant-il-faut-y-croire/#comments Thu, 09 Dec 2010 18:00:21 +0000 Renaud Coureau http://owni.fr/?p=38749 En 2009, l’appel à projets de Nathalie Kosciusko-Morizet a attiré l’attention sur les serious games. Depuis, l’enthousiasme est retombé. Des produits pas toujours convaincants, rarement innovants, peu de vraies réussites. Beaucoup de bruit pour rien ?

Certains des projets retenus en 2009 sont encore loin d’être achevés, particulièrement dans le domaine de la santé. Plusieurs équipes travaillent aujourd’hui à la conception de “therapeutics games”, des jeux qui permettront de soigner certaines pathologies ou du moins d’accompagner les soins. Ces projets s’étalent sur plusieurs années et ne donneront pas de résultats concrets avant fin 2011. Ils ont des objectifs ambitieux, devront prouver leur efficacité pour espérer s’intégrer dans le système de santé. En attendant, ceux qui les portent ont vu l’attention médiatique se réduire.

« Le marché du serious game a été pris d’assaut par les boîtes de com et le e-learning. C’est ce qui est visible aujourd’hui. »

Catherine Rolland place son travail sur un autre niveau. Chef de projet pour Tekneo, elle participe au programme collaboratif SG COGR. Le jeu qu’elle développe a pour objectif d’entraîner le cerveau des malades d’Alzheimer, à exercer l’attention pour ralentir la progression de la maladie. La solution retenue : faire jouer les personnes âgées à un FPS . Il a été prouvé que ces jeux de tirs améliorent certaines capacités du cerveau comme l’attention et la rapidité de réaction.

Cadre médical, public âgé, il était nécessaire de sortir du cadre violent des FPS . Le jeu sera donc un safari photo dans un village de Provence. Le gameplay sera simplifié, les joueurs ne gèreront pas les déplacements du personnage. Ce jeu a déjà un nom : « Le village aux oiseaux ».

D’autres projets de therapeutic games sont en cours. Laurent Michaud, de l’Idate , fait lui partie de l’équipe . du projet Mojos. Autre ambition : développer un moteur de jeu, open source et spécialement conçu pour les applications thérapeutiques. « Un maillon de la chaîne de valeur qui n’existe pas aujourd’hui ». Pour prouver l’efficacité de ce moteur, une application est en cours de finalisation. Ce jeu aura pour but d’accompagner la rééducation de patients ayant subi un AVC. L’hémiplégie pourrait également profiter des effets bénéfiques des jeux vidéo sur la plasticité cérébrale.

De longues phases de test en perspective

Ces deux projets comptent faire reconnaître le jeu vidéo comme élément d’un processus de soin. Ils vont donc devoir prouver leur pertinence médicale. Mojos a obtenu le financement d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), qui sera organisé dans les CHU de Montpellier et Nîmes. La procédure sera double : en parallèles des essais cliniques classiques (deux groupes en rééducation, l’un d’entre eux utilisant un serious game), l’imagerie cérébrale sera utilisée pour mesurer l’évolution cognitive des patients. Les tests débuteront en avril 2011, les premiers résultats arriveront en fin d’année.

L’équipe de SG COGR définit actuellement sa procédure de validation avec l’Afssaps. Le lancement des tests est également prévu pour mi-2011. Ces essais cliniques sont longs, incertains, et nécessitent des financements importants. Pour ces deux projets, l’aide de l’Etat a été décisive. Selon Catherine Laffont, « l’appel à projets de NKM a apporté un souffle, et a permis de payer ces tests ».  Un protocole de validation adapté au jeux vidéo reste à définir : il semble impossible (et inutile) que les concepteurs de jeu se lancent dans des essais cliniques semblables à ceux utilisés pour les médicaments. Ces phases de tests peuvent durer jusqu’à dix ans, plus que la durée de vie d’un jeu vidéo.

« Les serious games ont intérêt à disposer d’une législation propre, adaptée aux contraintes des nouvelles technologies. »

Laurent Michaud espère voir naître des règles de validation spécifiques. Cela permettrait  d’avancer vers l’étape suivante : la reconnaissance des bénéfices thérapeutiques et le remboursement de certains jeux par la sécurité sociale.

Des jeux vidéo encore “loin” d’être remboursés par la sécu

Pour les therapeutic games, deux modèles économiques principaux sont envisagés :

  • La vente de licences. Avec des jeux destinés aux institutions médicales. Analogie avec le marché du logiciel.
  • Le remboursement par la sécurité sociale. Le jeu se trouverait alors chez le patient. Analogie avec le marché du médicament.

La deuxième option, Laurent Michaud l’annonce clairement : « on en est loin ». Après la validation médicale, il faudra démontrer l’intérêt économique des therapeutic games.

« Si on arrive à prouver qu’on peut générer des économies pour le système de santé, on aura fait l’essentiel. »

Le contexte de réduction des dépenses de santé semble favorable à ce genre d’initiatives. Les deux pathologies abordées par ces projets sont fréquentes, et représentent des coûts importants pour la sécurité sociale. SG-COGR a pour finalité de permettre aux malades d’ Alzheimer de rester plus longtemps à leur domicile. Moins cher et plus confortable qu’une hospitalisation de longue durée. Après un AVC, la rééducation des hémiplégiques se pratique avec du matériel coûteux, des robots par exemple. En comparaison, un système de jeu est un investissement dérisoire.

Cette réflexion sur le modèle économique conditionne les fonctionnalités des futurs jeux. L’installation de ces systèmes au domicile du patient permettrait des applications inspirées de la télé-médecine.

« Le profil du patient pourra être suivi, il y aura un système d’alerte, qui recommandera de consulter en cas de baisse des performances. Et le patient pourra venir chez son médecin avec sa clé USB pour analyser ses résultats. »

Catherine Rolland espère que « le village aux oiseaux » sera accessible via une télévision connectée. Cela permettrait de l’insérer naturellement dans le quotidien des patients. Pour mettre à profit un des points forts des jeux vidéo: l’engagement dans la pratique. 80% des personnes qui suivent une rééducation ne font pas les exercices qu’ils sont censés pratiquer chez eux. C’est un des espoirs permis par les serious games: que l’aspect ludique entraîne une pratique plus régulière. En termes techniques, une garantie d’observance.

Pour Julian Alvarez, chercheur en InfoCom spécialisé sur les serious games, « nous sommes encore dans une phase d’évangélisation ». Les preuves n’existent pas encore, les concepts sont séduisants mais leur avenir dépend des essais cliniques qui auront lieu en 2011. Catherine Rolland l’avoue également: « pour l’instant, il faut y croire ». Des problèmes restent à résoudre: un patient qui fait sa rééducation tout seul chez lui risque-t-il de se blesser ?  Une addiction au jeu vidéo peut-elle se développer chez certains malades? Et toujours la question principale: l’effet sur la santé est-il réel ? Malgré les préjugés toujours présents (un jeu vidéo sérieux ? vraiment ?),  tous ces porteurs de projets restent persuadés de participer à une évolution majeure. Pour Laurent Michaud, « les preuves n’attendent que les bons jeux, ce n’est qu’une question de temps ». Un enthousiasme de pionnier.

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Retrouvez tous nos articles traitant des rapports entre médecine et Internet.

Crédits Photo CC Flickr : Miss Pupik, Patrick Q & X-Ray Delta One .

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