OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [Vizu] Sécurité olympique http://owni.fr/2012/07/27/securite-jeux-olympiques-londres-g4s/ http://owni.fr/2012/07/27/securite-jeux-olympiques-londres-g4s/#comments Fri, 27 Jul 2012 17:53:23 +0000 Pierre Alonso, Sabine Blanc http://owni.fr/?p=117234 Owni plonge dans un Londres sous haute surveillance. Avec une infographie et un chiffre clé : 1 athlète pour 4 agents de sécurité (toutes catégories confondues).]]>

Pour ces XXXe olympiades qui s’ouvrent vendredi à Londres, les organisateurs ont vu sécurisé, très sécurisé. Un chiffre pour illustrer cette démesure : quatre agents de sécurité, toutes catégories confondues, pour un athlète (voir notre visualisation).

L’armée britannique met à disposition 17 000 hommes, soit 70% de plus que les troupes présentes en Afghanistan. Initialement, les effectifs ne devaient pas être aussi étoffés : au dernier moment, 3 500 hommes ont été appelés, pour pallier l’échec de la société de sécurité privée G4S, médaille d’or incontestée des ratés.

Médaille d’or du fiasco

“Fiasco”, “désastre”, “inexcusable”, “inacceptable”. “Amateur”. Les députés britanniques n’avaient de mots assez forts pour qualifier “l’humiliant” échec de G4S, rapporte le Guardian dans un article acerbe. Nicola Blackwood, députée conservatrice d’Oxford Ouest et Abingdon, confiait alors avoir eu peu confiance en G4S auparavant, “et plus du tout à présent”.

Le géant de la sécurité privée avait remporté l’appel d’offre et devait, dans un premier temps, fournir 2 000 gardes, pour un contrat de 86 millions de livres (environ 108 millions euros). Un deal revu à la hausse en décembre : c’est finalement plus du quintuple des effectifs que l’entreprise s’engage à apporter, 10 400 hommes et une addition qui s’élève à 284 millions de livres (362 millions d’euros).

Mais patatra ! Alors que la date fatidique se rapproche, G4S annonce qu’il ne pourra honorer ses engagements. Le 12 juillet, deux semaines avant le début de la grand’messe sportive, l’entreprise déclare que les objectifs de recrutement et de formation n’ont pu être remplis. Coup dur pour l’organisation des JO, qui a placé la sécurité de l’événement au premier rang de ses priorités. Le souvenir des attentats de 2005 est encore vif. La veille de l’explosion dans les métros et le bus, le CIO avait annoncé que la candidature de Londres était retenue.

Opération déminage

Face au fiasco G4S, les autorités ont lancé une opération déminage, à grand renfort de méthode Coué. Le président de Londres 2012, Lord Sebastian Coe se montre confiant :

Nous allons travailler dur, nous allons remédier à cela. La sécurité ne sera pas compromise. Ce n’est pas une question de chiffre, c’est une question de mélange [des personnels, NDLR].

Même écho au ministère de la culture. “Il est complètement normal” pour un contractuel de ne pas réussir à tenir ses engagements sur un projet de cette envergure selon Jeremy Hunt, qualifiant au passage d’”honorable” le comportement de G4S. Les députés, qui ont convoqué le directeur, Nick Buckles, n’ont pas partagé ce point de vue… Nick Buckles lui-même a dit regretter d’avoir accepté son contrat.

La suite a donné raison aux sceptiques. Le Guardian a raconté que les examens pouvaient être repassés plusieurs fois par ceux qui échouaient à la première tentative. Les apprentis vigiles pouvaient discuter entre eux des réponses au vu et au su des surveillants. Quant à l’utilisation des scanners, les futurs agents ont reçu des formations, minimes, de 20 minutes pour apprendre à détecter les armes.

Militarisation du pays

Le fiasco de G4S aura eu deux conséquences sérieuses. Ruiner les chances de G4S pour l’appel d’offre concernant la gestion de neuf prisons et la privatisation la police dans les régions des Midlands de l’Ouest et du Surrey, un contrat record de 1,5 milliards d’euros. Et militariser le pays pendant toute la période des Jeux Olympiques.

Face aux lacunes de G4S, les autorités ont décidé de faire appel à l’armée. 17 000 militaires seront déployés, une situation inédite depuis… la Second guerre mondiale. Clou – acéré – du dispositif : des missiles sol-air ont été installés sur plusieurs sites à l’intérieur de la capitale, y compris sur les toits d’immeubles d’habitations.

Les habitants de la Fregg Wing Tower, dans l’Est de Londres, ont tenté de s’y opposer. En vain. La justice a donné raison à la sécurité. L’un des avocats des habitants, Martin Howe, l’a expliqué à Rue89 :

C’est la première fois, dans l’histoire de la Grande Bretagne, que pendant une période de paix des troupes, des armes sont postées dans une aire résidentielle, avec des citoyens lambda. La dernière fois, c’était pendant le Blitz, en 1941, quand la Luftwaffe est venue. C’était quand même très différent comme situation.

A Lexington, au nord du centre de Londres, un château d’eau accueille une batterie de missiles sol-air à grande vitesse d’une portée de 5 km. Un navire de guerre, le HMS Ocean, mouille dans les eaux de la Tamise et transporte des hélicoptères de combats. Le secrétaire d’État à la Défense, Philip Hammond a précisé que “[des] hommes déployés au sol seront épaulés par des jets rapides et des hélicoptères qui protégeront le ciel de Londres pendant les Jeux”.

Arrestations en série

Les services antiterroristes n’ont pas été en reste durant toute la préparation. Dans une rare déclaration publique, le chef du MI5 – le FBI de sa Majesté – avait averti que les Jeux Olympiques constituaient “une cible privilégiée” par certains groupes terroristes, ajoutant après les précautions oratoires de mise (“Parler du futur revient toujours à parler de l’incertitude”) :

Les jeux ne seront pas une cible facile. Nous avons démantelé de multiples projets terroristes ici et à l’étranger ces dernières années ce qui prouve bien que le Royaume-Un n’est pas une cible si facile pour le terrorisme.

Scotland Yard a allié le geste à la parole. Fin juin, deux suspects ont été interpelés par la section antiterroriste de la Metropolitan Police. Ils avaient été aperçus pagayant sur un canoë à proximité du village olympique et tirant avec des armes à feu dans l’Essex, à l’Est de Londres.

Quelques jours plus tard, sept autres suspects étaient arrêtés dans le nord du pays, officiellement sans lien avec les Jeux Olympiques, qui commencent vendredi soir. “Plus vite, plus haut, plus fort”, sous le plus mauvais temps que Londres ait connu depuis que les statistiques existent.

CLiquez sur l'infographie pour l'afficher en haute définition.


Infographie réalisée par Loguy, avec l’aide d’Aidan MacGuill, éditeur d’Owni.eu.
Les données et les sources utilisées pour l’infographie sont disponibles en suivant ce lien.

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En Syrie, Freedom 4566 ne répond plus http://owni.fr/2012/03/08/syrie-liberation-freedom-4566-turquie/ http://owni.fr/2012/03/08/syrie-liberation-freedom-4566-turquie/#comments Thu, 08 Mar 2012 14:59:02 +0000 Hédi Aouidj http://owni.fr/?p=101216 OWNI a rencontré le survivant de l'une des premières cellules médias de la révolution syrienne. Ses camarades ont été abattus ou sont en prison. Ils animaient Freedom 4566. Une chaîne sur YouTube à l'origine de plusieurs centaines de vidéos montrant la réalité de la répression, dans toute son horreur.]]>

Les morts syriens, par Ssoosay (CC)

Nous l’appellerons Abu Jaffar, pour des raisons de sécurité, il ne souhaite pas être identifié ni pris en photo. Nous l’avons rencontré de l’autre côté de la frontière, en Turquie. Abu Jaffar, entre deux bouffées de narguilé à la pomme, nous détaille comment ses amis et lui ont monté un centre de média pour couvrir la révolution syrienne. Surtout dans les régions de Lattaquié et de Jisr Al Chourour dans le Djebel Zaouia.

Dans quelles circonstances avez-vous passé la frontière turque ?

J’avais un ami, il s’appelait Mohamed Sabaq. Je parle au passé, parce que mon ami est mort d’une balle dans la tête qui lui a arraché tout l’arrière du crâne, le 27 décembre 2011, il venait de passer la frontière turque, en fait il était 100 mètres dans le territoire turc. Il avait 29 ans. Je le connaissais depuis l’école, nous étions voisins. Ensemble nous adorions regarder des films d’actions, mais en silence, pas comme les autres syriens qui ne font que jacasser pendant un film. Mohamed était toujours calme, réservé, jamais un mot au-dessus de l’autre. Je pense à lui tous les jours.

Comment s’organisait votre travail ?

Moi, j’étais chargé de la logistique, mon ami, Mohamed qui était ingénieur à la télévision syrienne à Lattaquié était le maître d’œuvre technique. C’est lui qui postait les vidéos sur YouTube, toutes les vidéos postées sur le compte Freedom 4566 [NDLR: on y trouve plus de 400 vidéos, en arabe, décrivant la répression au quotidien. Déconseillé aux âmes sensibles] sont de lui. Au début il faisait ça de chez lui et puis nous avons décidé de bouger vers Erber Jaway pour pouvoir attraper le réseau turc. Nous avions des PC portables, des clefs 3G et chacun un iPhone. Cet équipement est vite devenu notre matériel standard pour envoyer des images et communiquer. Mohamed postait des images mais il assurait aussi la formation de certains membres de l’Armée syrienne libre ou de toute autre personne qui le voulait. Quand nous avions besoin de nous réapprovisionner, nous allions en Turquie. Tout le matériel a été financé par des Syriens vivant à l’étranger, dont deux médecins aux Etats-Unis que je ne souhaite pas nommer. L’argent nous était envoyé via Western Union. Nous sommes retournés en Syrie et cette fois nous avons commencé à couvrir un peu mieux Lattaquié, Al Kusair et Al Khoule.

Avez-vous eu conscience que vos communications étaient surveillés par les services syriens ?

Je ne peux pas vous parler trop de notre sécurité informatique, c’est surtout Mohamed qui s’en occupait. Ce qui est sûr, c’est que nous changions de mots de passe très souvent. Notre petit groupe a commencé à s’étendre. Nous avions besoin de gens actifs et qui comprennent vite. Nous avons donc été rejoints par d’autres amis à nous. Il y avait Anas, Bashir et Tarek. Moi je continuais mon rôle logistique, je faisais des allers-retours avec la Turquie pour acheter des appareils photos et les ordinateurs et récupérer les fonds que l’on nous envoyait. Nous avons pu étendre nos opérations et les faire parvenir à Homs, à Jisr Al Chourour et dans d’autres villes.

Une force syrienne libérée

Une force syrienne libérée

Entretien cartes sur table avec l’un des responsables de l’Armée syrienne libre, Amar Ouawi. Il détaille les ...


Anas et Bashir étaient plus particulièrement responsables de la zone de Jisr Al Chourour. La dernière fois que nous avons eu des nouvelles, c’est juste avant que l’armée ne mène un assaut sur la ville. Nous étions très inquiets, nous qui nous voyions tout le temps, il ne pouvait que s’être passé quelque chose de terrible. Dix jours plus tard, nous les avons vus à la télévision officielle syrienne, ils étaient en train de confesser qu’ils étaient des terroristes. Ils montraient les endroits d’où ils opéraient. Ils n’avaient pas de traces de coups sur le visage mais quelque chose de changé dans leur expression, je les connais bien, je savais bien qu’ils n’étaient pas dans leur état normal. Avec Mohamed, nous avons tout de suite envoyé leurs photos aux chaines de télévision arabes, Al Jazeera, Al Arabia. Pour qu’ils ne soient pas exécutés, il faut faire un maximum de publicité. Le régime fait toujours plus attention quand il s’agit de gens connus.

D’autres militants ont-ils remplacé vos compagnons emprisonnés ?

Il a fallu reconstituer une cellule. Nous avons recruté de nouvelles personnes et recommencé. Cette fois-ci elles opéraient à partir de Ramel, le camp de réfugié palestinien de Lattaquié. Il y avait Abu, un Palestinien, Abdel, et Ibrahim. Ils ont organisé les finances, reçu des aides de l’étranger, de France, des États-Unis et d’Arabie Saoudite. Lorsque l’armée a attaqué le camp, elle a mis trois jours à prendre le contrôle. Pendant ces trois jours, ils ont envoyé des images en direct des combats. Ils ont tous été arrêtés à la fin. Nous avons fait la même chose que pour mes amis, nous avons envoyé des photos aux grandes chaines de télévision pour les protéger. Nous étions en train de monter un réseau pour couvrir la campagne et les villes dans notre région quand les forces spéciales ont traqué mon ami Mohamed et l’ont poursuivi, vous connaissez la fin.

Au début, Abu Jaffar était déprimé et en colère d’avoir perdu ses amis. Il a depuis repris ses activités depuis la Turquie, en attendant de recommencer une fois de plus en Syrie.


Illustration par Ssosay (CC-BY)

Carte de la Syrie via CIA World Factbooks

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Les zolis dessins de Kim Jong-Il http://owni.fr/2011/08/27/dessins-animes-coree-nord-propagande/ http://owni.fr/2011/08/27/dessins-animes-coree-nord-propagande/#comments Sat, 27 Aug 2011 13:30:34 +0000 Alexandre Marchand http://owni.fr/?p=77140 Traîtres à la tête enflée”, “chiens enragés”, “vile lie humaine”… Dans un récent article, le New York Times se penchait sur le langage peu châtié de KCNA, l’agence officielle de la Corée du Nord, dans ses communiqués au reste du monde.

En réalité, le régime de Pyongyang veille à imposer un lexique belliqueux à l’ensemble de la population. En témoignent les dessins animés officiels à destination des enfants. Petits bijoux de propagande brut de décoffrage, ces films d’animation justifient cinquante ans d’une autarcie organisée entre paranoïa et agressivité, abnégation guerrière et militarisme. Ou, pour reprendre KCNA:

[Les dessins animés] sont faits pour implanter dans l’esprit des enfants un patriotisme brûlant et canaliser la haine envers l’ennemi

L’ennemi tu combattras

Exemple: dans la clairière d’un bois, un ours brun esquisse quelques pas de danse classique coréenne. Au gré d’innocents chœurs enfantins, il pousse la chansonnette devant une bande d’écureuils admiratifs :

Quelle que soit la manière, j’utiliserai ma force

Jusqu’à ce que l’ennemi ne soit plus que poussière dans le vent

Faites-les sauter, faites-les sauter

Bienvenue dans la série “L’écureuil et le hérisson”. Le village des écureuils est sous la menace d’une armée de belettes féroces. Heureusement, le grand ours de la colline veille au grain pour protéger les vulnérables créatures. Mais, usant de la ruse, les ennemis parviennent à soûler l’ursidé et mettent les cabanes à feu et à sang. Seul un écureuil parvient à échapper à la rafle et court rejoindre ses amis hérissons à l’organisation martiale, rompus au combat. La grande guerre de reconquête peut alors commencer…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

En Corée du Nord, les films d’animation servent un même objectif. Comme l’explique à OWNI la chercheuse Dafna Zur, spécialiste des éditions nord-coréennes pour les enfants, la représentation du combat contre un agresseur est essentielle:

La Corée du Nord a toujours fait face à de vrais défis économiques. Le rôle de la propagande est, notamment, de parvenir à mobiliser les Nord-Coréens en attisant une grande aversion de l’ennemi, quel qu’il soit.

Portraiturer l’ennemi sous des traits animaliers est une vieille tradition en Corée du Nord, remarque la chercheuse à l’université Keimyung (Corée du Sud). Dans les années 1950 déjà, Adong Munhak, le grand magazine pour enfants de l’époque, contenait inévitablement une parabole animalière sous forme de bande dessinée. Et les canons du genre n’ont guère évolué en l’espace de quelques décennies. En guise d’innocents Nord-Coréens, les animaux purs et intelligents de la forêt: le lion, l’ours, l’écureuil, le hérisson (véritable mascotte nationale)… À l’ennemi, la figure d’un animal sournois et détesté: la belette, le chacal… (faisant également référence aux surnoms donnés aux Américains).

La violence tu aduleras

Le “canon-crayon” est un grand classique qui tourne sur Internet depuis quelques années. Un garçon nord-coréen est assis à sa table de travail, à plancher sur son devoir de géométrie. Tombant de sommeil, il se laisse emporter dans un rêve.

Catastrophe, les tanks américains arrivent par la mer. Heureusement le héros et ses petits amis ont revêtu l’uniforme militaire et courent défendre les rivages du valeureux pays. Les engins américains (nez crochu, yeux vicieux) avancent, avancent. Le petit écolier et ses crayons-missiles sont le dernier espoir de la nation… “Tire, tire !” lui hurle un espèce de petit tyran. De guerre lasse: les projectiles ratent leur cible. Et l’ennemi qui approche…il sera bientôt là…il arrive…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Depuis la guerre de Corée (1950-1953), note Dafna Zur, l’une des principales caractéristiques des images à destination des enfants (affiches, bande dessinées ou films d’animation) est de jouer sur la synergie de la candeur et de la violence. L’enfant est représenté comme une figure éternellement innocente. Dans le “canon-crayon”, le héros est ainsi représenté sous les traits d’un petit garçon au teint diaphane, les traits purs et doux, sans la moindre ombre sur le visage, les cils recourbés…. Dénué d’humanité, l’enfant atteint le statut de symbole.

Et pourtant cette figure canonique se lance sans hésitation aucune dans la guerre (en l’occurrence bombarder les Américains de crayons-missiles). La violence ainsi esthétisée est présentée comme le simple jeu d’un enfant, un jeu naturel et désirable. Mais les dessins animés ne possèdent toutefois pas la crudité des bandes dessinées, où l’on voit les peaux déchirées, les corps déchiquetés, les armes ensanglantés. Si la violence est moins présente à l’écran, elle n’en est pas moins suggérée à tout bout de champ: uniformes, injonctions martiales, musique militaire récurrente… L’expérience semble même carthartique: en s’affrontant à un ennemi déshumanisé (belette, tank…), l’individu s’accomplit lui-même, il semble passer une étape salvatrice. Influencée par l’esthétique du Japon militarisé des années 1930, alors puissance colonisatrice de la Corée, cette apologie de la mort et de la violence joue sur son pouvoir mobilisateur, comme le remarque Dafna Zur:

La glorification de la violence est partie intégrante de l’identité nord-coréenne. Il y a quelque chose d’excitant dans la violence, dans le défi de l’ennemi. La brutalité est une émotion viscérale, une émotion forte qui unit le peuple

Pour la nation tu te sacrifieras

Pourquoi les écureuils ont-ils été défaits par les belettes ? Car ils n’étaient pas organisés militairement, trop confiants dans la protection du seul ours.

Pourquoi l’écolier n’arrive-t-il pas à repousser l’invasion des tanks américains? Car, n’ayant pas fait son devoir de géométrie, il se trompe dans l’angle du lancement de ses missiles

Dans chaque cas, la nation (ou sa représentation narrative) est mise en danger en raison d’une erreur. Le moindre faux pas d’un individu risque de compromettre la communauté toute entière. La morale est intangible : “sois irréprochable pour pouvoir défendre ton peuple”. Dans “L’écureuil et le hérisson”, tous les animaux s’allient ainsi ensemble pour créer une armée organisée et aller battre les belettes. Dans le “canon-crayon”, l’écolier se réveille en sursaut et retourne à son devoir de géométrie avant d’aller professer de lénifiantes leçons à ses camarades sur l’importance de l’apprentissage.

Parfois, la nation requiert même un véritable sacrifice. Un autre dessin animé, datant de 1993, met ainsi en scène un couple de jeunes épis de maïs assistant, héberlué, au combat héroïque d’un régiment de patates. À peine les nouvelles cultures mises en terre, voilà que des bactéries s’apprêtent à venir les dévorer. Heureusement, l’armée (de pommes de terre) est là pour défendre les futures récoltes. S’engage alors une lutte drolatique entre bactéries et patates, le tout sous le regard effrayé des deux épis de maïs. L’issue est favorable: les pommes de terre sortent victorieuses. À peine couronné de son succès, le régiment se jette dans une machine agricole pour en ressortir sous forme de paquets de chips ou de purée. Pour nourrir la nation, comprenez. Une nouvelle génération de pommes de terre, encore plus nombreuse, voit alors le jour grâce à l’abnégation de ses aînés.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Contrairement aux autres dessins animés, celui-ci ne donne pas (trop) dans la métaphore guerrière. L’accent est plutôt mis sur les sacrifices auxquels chaque individu doit consentir pour que la nation puisse connaître des lendemains ensoleillés où la nourriture foisonnera. Un message bien senti pour un film d’animation sorti au beau milieu des grandes famines des années 1990…

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L’armée pakistanaise se paye sa série télé http://owni.fr/2011/07/22/larmee-pakistanaise-se-paye-sa-serie-tele/ http://owni.fr/2011/07/22/larmee-pakistanaise-se-paye-sa-serie-tele/#comments Fri, 22 Jul 2011 09:59:39 +0000 Alexandre Marchand http://owni.fr/?p=74463 Ralenti. Trois hommes en tenue d’aviateurs. Ils avancent sur le tarmac. Démarche grave. Mine sérieuse. Ray-Bans noires. Gants blancs. Armes apprêtées. Riffs acérés. Batterie énervée.

Non, vous ne regardez pas une rediffusion de Top Gun : vous êtes devant “Faseel-e-Jaan Se Aagay” (“Au-delà de l’appel du devoir”), la nouvelle série de l’armée pakistanaise ! Estampillé “histoire vraie”, le show décrit le combat (héroïque, bien sûr) des soldats contre les Talibans dans la vallée de Swat en 2009. Une saga qui fleure bon le nationalisme et le mélo. ““Esprits invincibles, âmes immortelles” proclame le sous-titre en toute humilité. Lancé en janvier, le feuilleton compte onze épisodes, divisés en deux “saisons”. PTV, la télévision d’État, en diffuse le deuxième volet depuis la mi-juin.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

De l’héroïsme bon marché

L’armée définit la trame de la série : le combat des soldats pakistanais, bravoure et idéaux en bandoulière, face aux Talibans autour de la ville de Mingora. Les militaires ont engagé une boîte de production pour réaliser les différents épisodes, tout en contrôlant strictement les scénarios et en se réservant le final cut.

Pas d’histoire linéaire au fil de la série, pas d’éternel héros invincible aux dents blanches, chaque épisode se concentre sur un nouveau fait d’armes glorieux. Que des évènements réels, paraît-il. Le premier épisode de la saison 2  met ainsi en scène deux soldats pakistanais s’emparant, en dépit des ordres, d’un canon anti-aérien détenu par les Talibans pour venger un de leurs camarades tombé au combat. “Une opération inouïe” s’enflamme le résumé rédigé par l’armée pakistanaise sur son compte Youtube. Tout d’abord réprimandés, les deux hommes se voient au final récompensés par un dîner en compagnie de leur commandant.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Propagande certes mais propagande à peu de frais. Chaque plan respire le manque de moyens. À peine 12.000$ de budget par épisode. Du coup on rogne où l’on peut : le casting par exemple. Plutôt que d’embaucher des comédiens, l’armée mobilise ses propres soldats. Nos deux héros précédemment cités sont par exemple joués… ô surprise… par eux-mêmes!

Je suis un soldat de cœur et d’esprit. J’ai seulement accepté de jouer ce rôle pour rendre hommage à mes confrères aviateurs et soldats

explique le major Zahid Bari, un de ces deux pilotes, interrogé par le Wall Street Journal.

Réhabiliter l’image de l’armée

C’est dans une grande opération de relations publiques que l’armée pakistanaise, véritable État dans l’État, a investi avec cette série. En diffusant son programme sur PTV, elle vise explicitement la masse de la population rurale, à peu près certaine d’obtenir ainsi des jolis chiffres d’audience. Malgré tout, l’enthousiasme est à pondérer.

Personne dans les grandes villes ne regarde PTV, ils ont beaucoup mieux avec les chaînes satellitaires. Il faut bien le dire : la télévision publique, c’est vraiment ennuyeux. Il n’y a que dans les campagnes que les gens regardent ça, ils n’ont juste rien d’autre.

confie Mariam Abou Zahab, spécialiste du Pakistan et de l’Afghanistan.

En regardant “Faseel-e-Jaan Se Aagay” et ses héros débordant de bons sentiments, de courage, d’intégrité, de patriotisme, de dévouement, de droiture, le spectateur crédule en oublierait presque à qui il a à faire. Et s’il conserve encore des doutes, la page Facebook du show intitulée “PakArmyZindabad” (“Vive l’armée pakistanaise”) devrait achever le bourrage de crâne…

La gentille armée contre les méchants Talibans

Dans le merveilleux monde manichéen de “Faseel-e-Jaan Se Aagay”, les “gentils soldats” sont opposés aux (très) “méchants islamistes”. Car le soap se veut bien une justification en prime time du retournement stratégique opéré par l’État pakistanais en l’espace de quelques années.

L’attitude du Pakistan envers les islamistes a toujours été teintée d’ambigüité. Malgré les troubles apportés par ces mouvements, certains s’avèrent bien utiles pour nuire à l’Inde, éternel ennemi,  très supérieur en termes démographiques et militaires. Les spectaculaires attentats de Bombay de 2009 avaient, par exemple, été perpétrés par un réseau basé sur le sol pakistanais, Lashkar-e-Taiba.

Mais la stratégie trouve ses limites lorsque ces militants se retournent contre l’État pakistanais et commettent des attentats sur le territoire national. Pressé par les États-Unis engagés dans leur “guerre contre la terreur”, le Pakistan s’est donc retourné contre certains mouvements en provenance de l’Afghanistan en lançant des opérations militaires au sein de la zone frontalière à partir de 2004.

Restait à justifier auprès de la population cette guerre souvent ressentie comme un conflit mené pour les bonnes faveurs des États-Unis. En transposant la victoire de Swat (considérée comme un tournant de la guerre) sur le petit écran, les militaires apportent leur part à cette campagne de communication. Profitant donc de l’occasion pour se payer une belle publicité cathodique.

À sa décharge, le Pakistan n’a pas la primeur des séries télés chantant les louanges de l’armée. Il y va juste avec la finesse d’un char d’assaut.

Illustrations: Affiches promotionnelles de la série

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Soldats privés mais pas désarmés http://owni.fr/2011/06/27/soldats-prives-mais-pas-desarmes-geos-alstom-loreal/ http://owni.fr/2011/06/27/soldats-prives-mais-pas-desarmes-geos-alstom-loreal/#comments Mon, 27 Jun 2011 16:04:30 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=71962 Quand on les interroge, les responsables des sociétés militaires privées françaises aiment à affirmer que leurs employés ne portent jamais les armes. Loin des discours officiels, la réalité offre un spectacle plus nuancé. En témoignent des courriers que nous avons obtenus et qui ont été échangés entre différents représentants de Géos, la plus importante entreprise française du secteur. Ils retracent les discussions entre la filiale brésilienne de Géos et le siège parisien au sujet des escortes armées pour accompagner des responsables d’Alstom et le président de L’Oréal, Jean-Paul Agon (ici orthographié Hagon).

Dans la troisième page de ce document, l’un des directeurs des opérations, Thierry Clair, avertit Michel Campioni, alors secrétaire général de Géos, et le général Jean Heinrich, président du directoire du groupe Géos, des risques encourus pour la filiale si elle accepte ces deux contrats. Il pointe aussi l’absence d’assurance des salariés, confirmant ce que nous avions déjà rapporté quant aux conditions de travail et d’embauche.

Selon plusieurs témoignages, la filiale brésilienne s’est placée à différentes reprises dans une situation délicate au regard de la législation sur le port d’arme et sur l’encadrement de personnels armés. Dans un courrier adressé au Consul Général de France à Sao Paulo, un ancien salarié du bureau brésilien évoque lui aussi “les activités illégales de cette entreprise” citant la “supervision accompagnement armé” sans donner plus de détails.

Des familiers de la filiale ont expliqué à OWNI que les entreprises de sécurité étrangères pouvaient obtenir l’autorisation du port d’arme auprès de la police fédérale à deux conditions. La filiale doit être créée avec des fonds brésiliens, et le directeur doit être lui-même de nationalité brésilienne. Jean-Pierre Ferro, chargé de développement du groupe Géos en Amérique latine et fondateur du bureau brésilien, nous a expliqué que ces conditions étaient respectées, le directeur étant Fausto Camilo. Celui-ci affirme quant à lui avoir occupé la position de responsable juridique et se refuse à faire tout commentaire sur les activités de Géos au Brésil, qu’il a quitté à l’automne 2010. D’autres sources nous ont affirmé que la plupart des sociétés présentes sur place n’avaient pas les habilitations nécessaires.

Sous-traitance

Pour assurer la sûreté des personnes ou des installations dans les pays à risque, les sociétés de protection ont deux options. Elles peuvent faire appel à des prestataires locaux armés en accord avec la législation en vigueur. En Irak, où de nombreuses sociétés militaires privées, y compris françaises, sont implantées, le ministère de l’intérieur est chargé de délivrer les autorisations de port d’armes. Elles peuvent aussi faire appel aux autorités du pays, aux forces de police ou militaires, pour assurer l’encadrement armé. “Les managers employés par les sociétés françaises ou leurs filiales locales sont chargés de l’organisation, de la coordination entre les différents acteurs” nous explique un ancien security manager, fin connaisseur des schémas d’encadrement.

La question de l’utilisation de moyens armés est centrale pour qualifier l’activité de ces sociétés. “Les sociétés militaires privées, sur le modèle anglosaxon, possèdent des chars et des avions de combats” assure le général Jean Heinrich (ancien chef du Service action de la DGSE) invoquant son expérience en Bosnie lors d’un entretien qu’il nous a accordé. Les sociétés françaises revendiquent quant à elles la qualité de “sociétés de sûreté”. Pas d’armée privée donc, ni d’armes pour les employés. Centrale, la question de l’armement n’en demeure pas moins une question épineuse. Surtout quand les demandes viennent des clients comme dans cette affaire entre L’Oréal, Alstom et Géos Brésil. Mercredi, le général Heinrich nous avait expliqué, formel :

Géos n’est pas une société militaire privée. Nos personnels de sûreté ne sont jamais armés.


Photo Flickr CC BY-NC-SA 2.0 par Dunechaser

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Le code fait la guerre http://owni.fr/2011/06/03/le-code-fait-la-guerre/ http://owni.fr/2011/06/03/le-code-fait-la-guerre/#comments Fri, 03 Jun 2011 16:42:32 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=65966 Le Pentagone s’apprête à publier un document à l’en-tête duquel devrait figurer cette recommandation: désormais, les attaques informatiques pourront être considérées comme “des actes de guerre”. Quinze jours après avoir annoncé leur nouvelle stratégie en matière de cybersécurité par le biais d’Howard Schmidt, le “cyber tsar” de la Maison-Blanche, les Etats-Unis s’apprêtent ainsi à briser un tabou ultime. Le Wall Street Journal, qui a révélé l’information, cite d’ailleurs les propos d’un officiel, dénués d’ambiguïté:

Si vous éteignez notre réseau électrique, nous nous réservons le droit d’envoyer un missile sur l’une de vos cheminées.

Dix ans après Code is Law (“le code fait loi”, traduit ici par Framasoft) de Lawrence Lessig, formulons une nouvelle hypothèse: et si le code faisait la guerre? En 2000, sur le campus d’Harvard, l’éminent professeur de droit planche sur un article universitaire qui fera date chez les penseurs d’Internet. En définissant le code informatique comme nouvelle architecture de nos sociétés démocratiques, il interpelle tout un chacun sur la nature éminemment modifiable de cette norme.

Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace. Il détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée, ou de censurer la parole. Il détermine si l’accès à l’information est global ou sectorisé. Il a un impact sur qui peut voir quoi, ou sur ce qui est surveillé. Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule.

Pris au dépourvu par les attaques DDoS des Anonymous, traumatisés par le mystérieux virus Stuxnet, exposés à un risque toujours plus important d’espionnage industriel, les pays du G8 – les premiers concernés – sont à la recherche d’un cadre légal (un code) aujourd’hui inexistant. A tel point que Lord Jopling, le rapporteur général de l’OTAN, a commencé à rédiger un rapport sur cette nouvelle guerre de l’information, qui brasse WikiLeaks, hacktivisme et coopération internationale. Soumis à la lecture, ce document pourrait être approuvé avant la fin de l’année.

"La plupart des lois ont été conçues dans et pour un monde d'atomes, pas de bits". N. Negroponte, informaticien au MIT

Nouvelle doctrine

Ce coup de grisou en accompagne bien d’autres. En moins d’un mois, plusieurs puissances mondiales sont sorties du bois. La Chine a reconnu l’existence d’une cellule de guerre électronique, tandis que le Royaume-Uni a annoncé son intention de se doter d’un arsenal offensif pour défendre ses infrastructures critiques. C’est un secret de Polichinelle, certains gouvernements se sont déjà livrés à des attaques qui n’étaient pas des ripostes pour sauvegarder leurs intérêts. En septembre 2007, lors de l’opération Orchard, Israël n’a pas hésité à court-circuiter les défenses aériennes syriennes pour mener un raid contre la centrale nucléaire d’Al-Kibar.

Dans le monde militaire “ouvert”, la cyberguerre n’était jusqu’à présent qu’un levier à crédits actionné par les acteurs du complexe militaro-industriel américain. Des poids lourds comme Raytheon, Northtrop Grumman ou Lockheed Martin, directement affectés par l’arrêt programmé de la production de certains appareils comme le chasseur F-22, ont tous développé une gamme de conseil technologique, jusqu’à en tapisser les couloirs du métro de Washington D.C.

Désormais, non seulement d’autres pays placent leurs pions sur l’échiquier, mais c’est un véritable changement de doctrine qui se dessine à l’horizon. Dans une tribune pour le Guardian, Lord John Reid, ancien secrétaire à la Défense de Tony Blair, appelle de ses voeux une véritable révolution, en insistant sur le fait que les structures d’aujourd’hui ne sont pas suffisamment résilientes pour absorber les chocs du réseau:

Il y a toujours un certain degré de continuité dans le changement, même radical. Mais la nature du cyberespace signifie que nos vieilles doctrines de défense ne marcheront pas. Tant que nous n’aurons pas reconnu ça, nous risquons de succomber à une dangereuse cyber-complaisance.

Sur qui tire-t-on?

De la bulle économique, la “cyberguerre” est en train de glisser vers la gouvernance, un ajustement politique qui n’est pas sans risque. Derek E. Bambauer, de la Brooklyn Law School, s’est récemment penché sur les défis posés aux Etats par la cybersécurité, qu’il considère comme une “énigme” (conundrum en anglais). A ses yeux, les recommandations de l’administration Obama – fondées sur l’identification de l’agresseur pourraient “mettre en péril l’architecture générative d’Internet mais aussi des engagements clés par rapport à la liberté d’expression”.

Bambauer touche ici un point critique: les attaques informatiques ne disent presque jamais leur nom. Leurs commanditaires choisissent cette méthode précisément parce qu’elle offre le triple confort de la rapidité, de la volatilité et de l’anonymat. Dès lors, selon la rhétorique américaine, à qui déclarer la guerre? Au botnet russe par lequel a transité le virus? Au serveur chinois identifié par le Cyber Command?

Le G8 s’intéresse depuis de nombreuses années à ces questions. Elles ont longtemps été traitées – de façon très confidentielle – au sein du Groupe de Lyon (après le G8 de Lyon de 1996) consacré aux échanges informels sur la grande criminalité organisée. À l’intérieur du Groupe de Lyon, un Sous-groupe lié aux risques technologiques s’était créé en réunissant notamment le SGDSN (France), le GCHQ (UK) la NSA (US) où en réalité les uns et les autres discutaient beaucoup de façon informelle des armes de la cyberguerre et de leurs “partenariats” avec les industriels et les réseaux de logiciels libres afin d’harmoniser ces moyens, pour qu’un jour ils répondent aux impératifs normatifs de l’OTAN.

Le Pentagone prépare depuis près de 8 ans ces évolutions. En 2002, le US Space Command a été intégré au US Strategic Command car, précisément, le Space Command, en raison de son importance sur la gestion de la guerre de l’information avait vocation à devenir un centre de décision stratégique.

En France, lors du piratage de Bercy – qui constitue difficilement un casus belli - le patron de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI), Patrick Pailloux a lourdement insisté sur la difficulté de l’attribution des attaques. Dès lors, on imagine mal un Etat s’affranchir des conventions de Genève pour riposter de manière conventionnelle et aveugle à un hacker dont il ignore tout. Dans la dialectique de Lessig, le code est une loi, il ne s’en affranchit pas.


Crédits photo: Flickr CC zanaca, :ray, Will Lion

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Les mystères de Tunis http://owni.fr/2011/05/19/les-mysteres-de-tunis/ http://owni.fr/2011/05/19/les-mysteres-de-tunis/#comments Thu, 19 May 2011 08:07:55 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=63424 Les trois semaines écoulées auraient pu décourager les partisans de la révolution initialement les plus enthousiastes. Le 5 mai, Farhat Rajhi, l’ancien ministre de l’Intérieur de l’après révolution (en poste du 14 janvier au 30 mars) provoquait un large scandale en expliquant – non sans argument – que le pays était encore sous le contrôle d’un réseau d’influence pro-Ben Ali. Pour lui, les militaires et une partie de l’administration prépareraient un coup d’état en cas de succès des islamistes aux prochaines élections. Et évoque:

l’existence d’une sphère d’influence dirigée par des Sahéliens qui œuvrent pour garder le pouvoir

À en croire les proches de ce magistrat de carrière, les services de la police politique (où jadis a été formé Ben Ali, dans sa première vie de policier) fonctionneraient encore et poursuivraient dans ce contexte des objectifs mal définis. Peut-être à la faveur des réseaux d’influences que conserveraient ex-alliés et ex-banquiers de la dictature.

Des professionnels du droit prennent cette hypothèse au sérieux. Tel Bessen Ben Salem, avocat près de la Cour de cassation, à Tunis, qui dans un billet publié sur le site Naawat observe:

Un examen des textes publiés au JORT depuis le 7 mars 2011, conduit à conclure qu’aucun texte législatif ou même règlementaire n’est intervenu pour modifier l’organisation du ministère de l’intérieur.

Après les manifestations, parfois violentes, provoquées par les déclarations de l’ex ministre, l’armée instaurait un couvre-feu à 21h dans tout le centre de Tunis. Et l’état-major militaire exigeait quelques jours plus tard que l’on engage des poursuites contre Farhat Rajhi. La grève des éboueurs, laissant grimper des monticules d’ordures dans les principales artères de la capitale, achevait de composer la scène des lendemains qui déchantent. Mais pas partout. Pas pour tous.

Même au fil de ces journées, Tunis demeurait un laboratoire d’une démocratie au carré. Démocratie augmentée selon le lexique d’OWNI. Lundi dernier, 16 mai, dans les salons de l’hôtel Golden Tulip plusieurs organisations politiques et professionnelles se retrouvaient ainsi à l’initiative du Comité national de lutte contre l’injustice et la corruption. Pour en finir avec les non-dits de l’après-dictature, pour déterminer la part de vérité non négociable, celle à conquérir coûte que coûte. Voir le communiqué diffusé avant leurs discussions.

Créé par 25 avocats au lendemain de la révolution, le comité coordonne l’essentiel des plaintes en cours d’enregistrement contre des dirigeants ou des hommes d’affaires proches de Ben Ali. Lors de cette réunion, ses responsables ont annoncé leur partenariat avec, notamment, deux mouvements impliqués dans la révolution de janvier; l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET) et l’Association nationale des jeunes journalistes tunisiens.  Cette dernière, en coopération avec OWNI, développera le magazine en line Ownimaghreb.com, dédié au suivi des acquis de la révolution dans la région.

Photos FlickR CC Wassim Ben Rhouma ; Gwenael Piaser.

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Paris, l’arme secrète de Kadhafi http://owni.fr/2011/03/04/paris-arme-secrete-de-kadhafi/ http://owni.fr/2011/03/04/paris-arme-secrete-de-kadhafi/#comments Fri, 04 Mar 2011 19:04:03 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=49872 Officiellement, aucun pays d’Europe n’a cherché à vendre des armes à la Libye avant la levée de l’embargo par l’Union Européenne, le 14 octobre 2004. Mais des documents obtenus par OWNI.fr révèlent que la France, de son côté, a cherché à fournir des matériels de guerre à Tripoli longtemps avant cette décision, en 1999. En toute discrétion. Et donc en contradiction avec les résolutions internationales de l’époque.

Cette découverte tranche avec les récents propos du porte-parole du ministère de la Défense, Laurent Teisseire. Qualifiant d’ « extrêmement mineure », la coopération entre les deux pays dans le domaine de l’armement, lors d’un point presse du 24 février dernier. À en croire ses déclarations, cette relation industrielle remonterait à 2007.

Les procès-verbaux de réunions que nous avons obtenus décrivent pourtant des discussions secrètes tenues les 13 et 14 février 1999, à Tripoli, entre les représentants du groupe d’armement français Thales (dénommée Thomson-CSF à cette époque) et l’état-major militaire du Colonel Kadhafi.

Le gouvernement Jospin

Comme le précise le document ci-dessus, les réunions ont été organisées « avec l’autorisation du gouvernement français », à l’époque dirigé par le socialiste Lionel Jospin, Premier ministre, avec Alain Richard au ministère de la Défense. Et elles se sont déroulées en présence de Jean-Paul Perrier, président de Thales International, la filiale chargée des exportations. Ainsi que du général Abdel Rahman Esseed. Cet officier supérieur de l’armée libyenne dirigeait alors le département chargé des acquisitions ; avec pour principale préoccupation d’obtenir des pièces détachées de nature à maintenir à niveau les différents régiments, malgré l’embargo qui frappait la Libye.

À cette période, les militaires du régime libyen exprimaient surtout le désir de mettre leur équipement aérien à niveau. À ce titre, ils demandaient à Thales de moderniser les systèmes électroniques des Mirages F1 (du groupe Dassault) acquis jadis à la France.

Ventes d’armes

Une requête qui sera effectivement satisfaite. Les appareils de ce type en service dans l’armée de l’air libyenne ont été rénovés par Thales. En 1999, le calendrier de ces tractations secrètes suivait de près l’évolution des procédures judiciaires menées à Paris dans le cadre de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, perpétré dix ans plus tôt. Elles intervenaient en effet à la veille de la condamnation de la Libye pour cet acte terroriste. Le 10 mars 1999, la Cour d’Assises de Paris reconnaissait la responsabilité de l’État libyen et de plusieurs agents de renseignement libyen dans l’organisation de cet attentat. Les familles des victimes savaient ainsi à quoi s’en tenir.

L’une d’elles en tirait les conséquences juridiques qui s’imposaient et le 15 juin 1999 déposait une plainte visant directement le Colonel Kadhafi. Comme commanditaire de l’attentat. Le parquet de Paris s’opposera avec constance à ce nouveau développement, et après plusieurs années de querelles de procédure, la plainte sera écartée par la Cour de cassation, en mars 2001. Dès janvier 2004, quelques mois avant la fin de l’embargo, Thales et la Libye donneront un contour un peu plus officiel à leurs relations, comme le montre le procès-verbal de cet autre entretien.

Cette antériorité dans les négociations explique peut-être l’accueil chaleureux que réservera un an plus tard le colonel Kadhafi à la ministre française de la Défense Michèle Alliot-Marie. Lors d’un déplacement effectué à Tripoli en février 2005. Dans son très bon « Armes de corruption massive », sorti ces jours-ci aux éditions La Découverte, le journaliste Jean Guisnel décrit la scène, à laquelle il a assisté. Le colonel Kadhafi salue la ministre et s’enquiert illico de la forme de son mari, Patrick Ollier. Lobbyiste des intérêts libyens à Paris et actuel ministre chargé des relations avec le Parlement.

Contactés dans le cadre de cet article, ni le groupe Thales ni le ministère des Affaires Étrangères n’ont répondu à nos questions.

Crédits photos CC FlickR jmiguel.rodriguez

Retrouvez notre dossier ainsi que l’ensemble de nos articles sur la Libye.

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La chute d’Hosni Moubarak http://owni.fr/2011/02/13/la-chute-hosni-moubarak-egypte-revolution/ http://owni.fr/2011/02/13/la-chute-hosni-moubarak-egypte-revolution/#comments Sun, 13 Feb 2011 09:00:09 +0000 Paul Amar http://owni.fr/?p=46284 Traduction et adaptation d’un article de Paul Amar paru le 1er février sur Jadaliyya.com
Paul Amar
est professeur en relations internationales à l’Université de Californie, Santa-Barbara.

Le Président Hosni Moubarak a perdu son pouvoir politique le vendredi 28 janvier.
Cette nuit-là les soldats égyptiens ont laissé brûler le quartier général de son Parti National Démocratique et ont commandé aux brigades de police qui attaquaient les manifestants de réintégrer leurs casernes. Quand les appels à la prière du soir furent lancés et que personne ne comptait respecter le couvre-feu, il était clair que le vieux président était réduit à une autorité fantôme.
La « Million Man March » du 1er février marque l’émergence spectaculaire d’une société politique d’un genre nouveau en Egypte : unissant des éléments reconfigurés de la sûreté de l’Etat avec des hommes d’affaires, des leaders internationaux, des mouvements populaires relativement nouveaux de jeunes, de travailleurs, de femmes et des groupes religieux.

Pour savoir où va l’Egypte, et la forme que pourrait y prendre la démocratie, nous avons besoin de remettre les mobilisations populaires dans leurs contextes militaires, économiques et sociaux. Quelles sont les autres forces derrière ce revirement? Et comment le gouvernement militaire de transition va-t-il coexister avec le mouvement de protestation fort de plusieurs millions de personnes ?

Le siège du NDP au 29 janvier

De nombreux commentateurs internationaux et quelques analystes politiques arrivent difficilement à comprendre la complexité des forces qui conduisent et répondent aux événements de la plus haute importance auxquels nous assistons. La confusion provient du fait qu’ils observent ceux-ci avec d’un point de vue manichéen. Ce genre de perspective obscurcit plus qu’elle n’éclaire.
Il y a trois modèles binaires proéminents ici, et chacun est porteur de sa propre valeur :

1. Le Peuple contre la Dictature : cette vision conduit à la naïveté libérale et à la confusion sur le rôle joué par les militaires et l’élite dans le soulèvement.

2. Les Séculaires contre les Islamistes : ce modèle mène à la stabilité appelée depuis les années 80 et à l’islamophobie.

3. La Vieille Garde contre la Jeunesse Frustrée : cette perspective est teintée d’une romance soixante-huitarde qui ne peut pas expliquer les dynamiques structurelles et institutionnelles conduisant au soulèvement, ni prendre en compte les rôles clés joués par beaucoup de septuagénaires de l’époque Nasser.

Pour commencer à cartographier une vision plus globale, il serait utile d’identifier les pièces en mouvement sur l’échiquier militaire et policier de la sûreté de l’Etat et de voir comment les affrontements au sein de et entre ces institutions coercitives sont liés à l’évolution des hiérarchies et aux formations de capitaux. Je vais aussi observer ces facteurs à la lumière de l’importance de nouveaux mouvements sociaux non-religieux et de l’identité internationale ou humanitaire de certaines figures qui émergent au centre de la nouvelle coalition d’opposition.

Les commentateurs occidentaux, qu’ils soient de droite ou de gauche, tendent à considérer toutes les forces de coercition des Etats non-démocratiques comme les marteaux de la dictature ou comme les expressions de la volonté d’un chef autoritaire. Mais chaque police, armée et appareil sécuritaire a sa propre histoire, sa culture, son appartenance de classe et, souvent, sa propre source de revenus et de soutiens.

Décrire tout cela en détail prendrait plusieurs ouvrages, mais tentons brièvement d’en faire le tour ici.

Les forces de police al-shurta

En Egypte, elles sont dirigées par le Ministre de l’Intérieur qui était très proche de Moubarak et qui en est devenu politiquement dépendant. Mais les postes de police ont gagné en autonomie au cours des dernières décennies. Parfois, cette autonomie s’exprime dans l’adoption d’une idéologie militante ou d’une mission morale ; certaines brigades des moeurs ont pris le trafic de drogue à leur compte, d’autres rackettent les petits commerces en échange de leur protection mafieuse.

Dans une perspective bottom-up, la dépendance politique de la police n’est pas grande. La police s’est développée pour devenir une espèce d’entreprise cherchant son propre intérêt. Dans les années 80, elle a du faire face à la croissance de gangs, appelés baltagiya en arabe égyptien. Ces organisations affirmaient leur pouvoir sur de nombreuses extensions et bidonvilles du Caire. Les étrangers et la bourgeoisie égyptienne les considèrent comme des islamistes mais ils sont pour la plupart tout à fait dénués d’appartenance idéologique.

Lazoughli Square : les manifestants en route pour le Ministère de l'Intérieur

Au début des années 90, le Ministère de l’Intérieur, voyant qu’il ne pouvait pas les combattre, a décidé de les acheter. Ainsi, le Ministère de l’Intérieur et les Services Centraux de Sécurité ont commencé à sous-traiter la coercition aux baltagiya, les payant bien et les entraînant à utiliser une brutalité sexualisée (des attouchements au viol) pour punir ou décourager les manifestantes ou les détenus masculins. C’est aussi à ce moment que le Ministère de l’Intérieur a transformé le Bureau d’Enquêtes de la Sécurité d’Etat (State Security Investigations, mabahith amn al-dawla) en une menace monstrueuse, arrêtant et torturant de nombreux dissidents politiques.

Les Services Centraux de Sécurité Amn al-Markazi

Ils ne dépendent pas du Ministère de l’Intérieur. Ce sont les hommes casqués à l’uniforme noir que les médias appellent « la police ». Les Services Centraux de Sécurité étaient censés agir comme l’armée privée de Moubarak. Ils n’ont rien à voir avec les gardes révolutionnaires ou les brigades morales comme les basiji qui ont joué un rôle dans la répression du Mouvement Vert en Iran. Les Amn al-Markazi sont sous-payés et n’ont pas d’appartenance idéologique.
En outre, à plusieurs reprises, ces brigades de la Sécurité Centrale se sont soulevés en masse contre Moubarak lui-même, pour demander une hausse des salaires et de meilleures conditions de travail. La vue de ces Amn al-Markazi désarmés et embrassés par les manifestants est devenue l’une des icônes de la révolution égyptienne. La disparition de l’autorité de Moubarak pourrait remonter au moment exact où les manifestants déposèrent des baisers sur les joues des officiers Markazi avant que ceux-ci n’entrent dans les nuages de gaz lacrymogène pour ne plus revenir.

Membre des Service centraux de sécurité

Des Forces Armées divisées

Les Forces Armées de la République Arabe d’Egypte n’ont pas grand chose à voir avec les Markazi ou la police. On pourrait dire que l’Egypte est toujours une « dictature militaire » (si l’on veut utiliser le terme) puisque le régime est toujours celui qui fut installé par la Révolution des Officiers Libres dans les années 50. Mais l’armée a été marginalisée depuis la signature, par le président égyptien Anouar Sadate, des accords de Camp David avec Israël et les Etats-Unis.
Depuis 1977, l’armée n’est pas autorisée à combattre. Au lieu de ça, les généraux ont reçu énormément d’argent de la part des Etats-Unis. On leur a accordé des concessions sur des centres commerciaux égyptiens, on leur a permis de développer des gated communities dans le désert et des stations balnéaires à la côte. Et on les a encouragé à se réunir dans des clubs sociaux bon marché.

Tout cela a fait d’eux les hommes d’affaires d’un groupe d’intérêt incroyablement organisé. Ils sont attirés par l’investissement étranger mais leur loyauté est économiquement et symboliquement liée au territoire national. Comme nous pouvons le constater en examinant d’autres cas de la région (Pakistan, Irak, le Golfe), l’argent américain n’achète pas la loyauté envers l’Amérique, il n’achète que le ressentiment.

Ces dernières années, l’armée égyptienne est parcourue par un sentiment croissant de devoir national et a développé une honte amère par rapport à ce qu’elle considère comme sa « castration » : le sentiment qu’elle n’était pas là pour le peuple. Les Forces Armées veulent restaurer leur honneur et sont dégoutées par la corruption de la police et la brutalité des baltagiya.

Et il semblerait que les forces armées, en tant que « capitalistes nationalistes », se considèrent comme les ennemis jurés des « capitalistes complices » associés au fils d’Hosni Moubarak, Gamal, qui ont privatisé tout ce qu’ils ont pu et ont vendu le pays à la Chine, aux Etats-Unis et au Golfe Persique.

C’est donc pour cela qu’on a pu assister, dans les premiers jours de cette révolution, le vendredi 28 janvier, à un « coup » de l’armée contre la police et la Sécurité Centrale, et à la disparition de Gamal Mubarak et de Habib el-Adly, le Ministre de l’Intérieur honni. Pourtant, l’armée est aussi divisée par des contradictions internes. Au sein des Forces Armées, il y a deux branches d’élite : la Garde Présidentielle et l’Armée de l’Air. Ces deux branches sont restées proches de Moubarak alors que le gros de l’armée s’est tourné contre lui.

Ceci explique pourquoi vous pouviez voir le Général en Chef des Forces Armées, Muhammad Tantawi, se rendre sur Tahrir pour montrer son soutien aux manifestants alors que simultanément le chef des Forces Armées était nommé Premier Ministre et envoyait des avions de chasse aux mêmes manifestants. Ceci explique aussi pourquoi la Garde Présidentielle a protégé l’immeuble de la Radio/Télévision et a combattu les manifestants le 28 janvier au lieu de prendre leur défense.

Les Services de Renseignement

Le Vice Président, Omar Suleiman, nommé le 29 janvier, était auparavant le chef des Services de Renseignement (al-mukhabarat), qui font aussi partie de l’armée (et pas de la police).
Le renseignement est chargé des opérations secrètes dirigées vers l’extérieur, des détentions et des interrogatoires (et donc aussi de la torture et des « transferts » de non-Egyptiens). Les Services de Renseignement sont en mesure de faire pencher la balance de manière décisive lors des élections.
Comme je le comprends, les Services du Renseignement détestent Gamal Moubarak et la faction des « capitalistes complices », mais ils sont obsédés par la stabilité et entretiennent une longue relation intime avec la CIA et l’armée américaine. La montée de l’armée, et, en son sein, des Services de Renseignement, explique pourquoi tous ceux qui trempaient dans les affaires de Gamal Moubarak ont été purgé du cabinet le vendredi 28 janvier et pourquoi Suleiman a été fait Vice-Président par intérim (et agit en fait comme Président en fonction).

Cette révolution ou ce changement de régime pourrait être complet quand les tendances anti-Moubarak au sein de l’armée auront consolidé leur position et rassurer les Services de Renseignement et l’Armée de l’Air qu’ils peuvent s’ouvrir en toute confiance aux nouveaux mouvements populaires et à ceux coalisés autour du leader d’opposition El Baradei.

Ceci constitue la version optimiste de ce qu’on peut entendre lorsque Obama et Clinton parlent d’une « transition ordonnée ».

Le peuple veut ta chute

Business, nationalisme et naissance de la contestation

Le lundi 31 janvier, nous avons vu Naguib Sawiris, peut-être l’homme d’affaires égyptien le plus riche et le leader symbolique de la faction des « capitalistes nationalistes », se joindre aux manifestants et demander le départ de Moubarak. Au cours de la dernière décennie, Sawiris et ses alliés étaient menacés par le néolibéralisme extrême de Moubarak-et-fils et par leur préférence pour les investisseurs étrangers.

Parce que leurs investissements sont mêlés à ceux de l’armée, les intérêts de ces hommes d’affaires égyptiens sont liés au pays, à ses ressources, et à ses projets de développement. Ils sont exaspérés par la corruption du cercle intime de Moubarak.

En parallèle avec le retour d’un nationalisme organisé associé à l’armée et dirigé contre la police (un processus qui avait cours également durant la bataille contre le colonialisme anglais dans les années 30-50), il y a le retour de mouvements de travailleurs très organisés et puissants, principalement parmi les jeunes.
2009 et 2010 ont été marqués par de grandes grèves nationales, des sit-ins gigantesques et des manifestations de travailleurs sur les lieux-mêmes qui ont donné naissance au soulèvement de 2011. Et les zones rurales se sont soulevées contre les efforts gouvernementaux pour exproprier les petits fermiers de leur terre, s’opposant aux tentatives gouvernementales de re-créer les vastes fiefs qui définissaient la campagne pendant les périodes coloniales ottomane et britannique.

En 2008, nous avons vu émerger le Mouvement du 6 Avril, fort d’une centaine de milliers de personnes et conduisant à une grève générale nationale. Et en 2008 et décembre 2010 nous avons vu la création du premier syndicat indépendant du secteur public. Puis le 30 janvier 2011 des groupes de syndicats issus de la plupart des villes industrielles se sont regroupés pour former une Fédération Indépendante des Syndicats.

Travailleurs sur Tahrir Square

Ces mouvements sont organisés par de nouveaux partis politiques de gauche qui n’ont aucune relation avec les Frères Musulmans, et qui n’ont aucune connexion avec les générations passées du Nasserisme. Ils ne se positionnement pas contre l’Islam, évidemment, et ne se prononcent pas sur la division entre le séculaire et le religieux.

Leur intérêt est de protéger les fabriques nationales et les petits propriétaires terriens, ils demandent l’investissement des deniers publics dans des projets de développement économique nationaux, et cela concorde avec les intérêts de la nouvelle alliance capitaliste nationaliste.

Des mouvements sociaux coordonnés avec le Net

Nous voyons donc que derrière les ONG et les vagues de protestations conduites à partir de Facebook, il y a d’importantes forces structurelles et économiques et un réalignement institutionnel en cours. La population égyptienne se chiffre officiellement à 81 millions de personnes, mais en réalité elle va bien au-delà des 100 millions parce que certaines familles n’enregistrent pas tous leurs enfants pour leur épargner le service dans l’Amn Al-Markazi ou l’armée. À mesure que la jeune population s’organise, ces mouvements sociaux et coordonnés depuis l’Internet deviennent très importants.

On peut les regrouper en trois tendances :

1.Un groupe de nouveaux mouvements s’organise avec et autour des normes internationales, et pourrait donc tendre vers des perspectives et des discours séculaires et de mondialisation.

2.Un deuxième groupe s’organise à travers la culture légale très active et indépendante des institutions judiciaires égyptiennes. Cette culture légale forte n’est certainement pas une importation des « Droits de l’Homme occidentaux ». Des avocats, des juges et des millions de plaideurs – hommes et femmes, travailleurs, fermiers et élites – ont gardé le système judiciaire en vie et ont sans cesse résisté à l’autoritarisme et à la perte de leurs droits.

3.Un troisième groupe se trouve à l’intersection entre des ONG internationales, des groupes de défense des droits et de nouveaux mouvements de féministes, de ruraux, de travailleurs et de gauche. Ce dernier groupe critique l’universalisme des discours séculaires des Nations Unies et des ONG et s’appuie sur la force de l’activisme légal et travailleur égyptien. Mais il développe aussi ses propres solutions et innovations – bon nombre d’entre elles ont été montrées dans les rues ces derniers jours.

Nuit de camping à Tahrir Square

L’Egypte sur la scène internationale

Un dernier élément qu’il reste à examiner est le rôle critique et souvent négligé joué par l’Egypte au sein des Nations Unies et d’organisations humanitaires, et comment cette histoire revient pour animer la politique domestique et offrir une certaine légitimité et un certain leadership à Muhammad ElBaradei. L’ancien directeur de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique semble avoir été choisi par le Front Démocratique Uni pour servir de président par intérim et pour diriger le pays pendant la période de transition et la rédaction d’une nouvelle constitution.

Au début des années 2000, ElBaradei a courageusement dirigé l’AIEA en affirmant qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive en Irak et que l’Iran ne développait pas l’arme nucléaire. Il a reçu le Prix Nobel pour avoir fait prévaloir la loi internationale sur l’agression et la guerre et pour avoir endigué la préparation d’une guerre contre l’Iran.
Ce n’est ni un radical ni un Gandhi égyptien, mais il n’est pas non plus une marionnette ou un fantoche américain. A ses côtés se tenait aussi l’acteur égyptien Khaled Abou Naga, ambassadeur auprès de l’UNICEF. Cela semble être davantage une révolution humanitaire qu’un soulèvement mené par les Frères Musulmans. C’est un changement de régime digne du 21e siècle – profondément local et simultanément international.

Mohmmed ElBaradei, 2009, Nations Unies

Il est important de se rappeler que la toute première force d’intervention humanitaire et armée des Nations Unies a été créée par les efforts conjoints de Gamal Abdel Nasser et du Président américain Eisenhower (deux soldats, bien sûr) en 1960 pour maintenir la paix à Gaza et pour empêcher les anciens pouvoirs colonialistes et Israël d’envahir l’Egypte pour reprendre le Canal de Suez.

Puis, dans les années 90, Boutros Boutros-Ghali fut le Secrétaire Général des Nations Unis. Aida Seif Ad-Dawla, quant à elle, est candidate au poste de Rapporteur des Nations Unis sur la torture. Les Egyptiens soutiennent depuis longtemps les lois internationales, les normes humanitaires et les droits humains. L’internationalisme égyptien insiste sur l’application des principes des Droits de l’Homme et des lois humanitaires en temps de guerre même contre les pressions des super-puissances.

Dans ce contexte, l’émergence d’ElBaradei comme leader est tout à fait compréhensible. Pourtant, la dimension internationaliste du soulèvement « local » égyptien est profondément ignorée par la plupart des commentateurs bien-pensants pour qui « international » signifie « l’Occident » et pour qui les manifestants égyptiens sont dirigés par une politique des tripes plutôt que par des principes.

Moubarak a perdu le pouvoir bien avant le 11 février.

Le nouveau cabinet est composé de chefs du Renseignement, de l’Armée de l’Air et de l’autorité pénitentiaire, ainsi que d’un dirigeant de l’Organisation Internationale du Travail. Ce groupe représente le coeur d’une « coalition pour la stabilité » qui va travailler pour réunir les intérêts d’une nouvelle armée et de la main d’oeuvre et du capital national tout en rassurant les Etats-Unis.
Oui, c’est un remaniement de cabinet, mais un remaniement qui reflète un important changement de direction politique. Mais rien de tout cela ne comptera comme transition démocratique tant qu’une vaste coalition de mouvements sociaux locaux et internationalistes égyptiens ne brisera pas ce cercle et n’imposera pas les termes et le programme d’une transition.

Je serais prêt à parier que les chefs du nouveau cabinet ne résisteront pas à la volonté des soulèvements populaires forts de cent millions d’Egyptiens.

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Traduction : Damien Spleeters
Titre original : Why Moubarak is out
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Crédits photo, via Flickr : Par Guebara Graphics, [cc-by-nc-sa] : Affiche de Mubarak ; Par Hossam El-Hamalawy, [cc-by-nc-sa] : Camping place Tahrir, Siège du NDP, Tank sur Tahrir Sq. , Pancarte, Service Centraux de Sécurité , les travailleurs, Lazoughli Sq., ; Par United Nations Photo, [cc-by-nc-sa]Mohammed ElBaradei ,

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Moubarak est parti. Et après ? http://owni.fr/2011/02/12/moubarak-est-parti-et-apres/ http://owni.fr/2011/02/12/moubarak-est-parti-et-apres/#comments Sat, 12 Feb 2011 18:14:12 +0000 Damien Spleeters http://owni.fr/?p=46265

Mubarak has left the building

C’est ce que twittait le journaliste et bloggeur égyptien Wael Abbas, avant de se demander où le président déchu pouvait bien être à présent. Trente-deux ans jour pour jour après la Révolution iranienne, il semblerait que la Révolution égyptienne soit en marche. Mubarak has left the building, c’est en substance le message annoncé hier soir à la télévision égyptienne par le Vice Président Omar Souleiman, l’homme proche d’Israël et des USA qui était, comme le rappelle Paul Amar, le chef des mukhabarat, les Services de Renseignements, chargé de superviser les détentions, les interrogatoires, la torture et les transferts illégaux de prisonniers étrangers.

Le président déchu délègue ses pouvoirs au Conseil Suprême des Forces Armées. Les tentatives de polarisation de l’opinion publique domestique et étrangère, l’intimidation, les campagnes de peur et la propagande n’y auront finalement rien fait : la détermination du peuple égyptien, portée par une dynamique complexe de repositionnement politique, l’a emporté.

Tantawi, un autre Moubarak ?

Muhammad Tantawi, 75 ans, qui dirige officiellement l’Egypte. Malgré les soutiens américains – le Secrétaire à la Défense Gates ayant affirmé que l’armée égyptienne avait « contribué à l’évolution de la démocratie » – et les 1,3 milliards de dollars en aide militaire chaque année, les officiels américains ne semblent pas voir en Tantawi l’homme du changement.

Dans les câbles publiés par WikiLeaks, l’administration américaine le dit résistant au changement et inconfortable avec la guerre contre la terreur menée par les Etats-Unis.

Très impliqué dans la préservation de l’unité nationale, note l’un des télégrammes, il est opposé aux réformes économiques et politiques qui pourraient éroder le pouvoir du gouvernement central.

Selon la Qatar News Agency, le Conseil Suprême des Forces Armées formulera sa décision de former un nouveau gouvernement aujourd’hui. Ce gouvernement comptera des personnalités issues de l’armée et n’inclura aucun membre de partis politiques « afin de préparer le pays pour des élections parlementaire et présidentielle et pour la rédaction d’une nouvelle constitution ».

Quel positionnement pour l’armée ?

Il semblerait que l’Egypte fasse largement confiance à son armée pour tracer la voie vers la démocratie tant voulue. Pourtant, si l’armée a beaucoup de choses à gagner dans ce changement de régime, elle a certainement aussi beaucoup à perdre. Qu’elle serve uniquement de protectrice de liberté et de catalyseur de changement sans consolider ses propres intérêts au passage : rien n’est moins sûr. Dès lors, que les intérêts des chefs des forces armées et du peuple égyptien coïncident et l’on assistera à l’achèvement du soulèvement populaire.

Des sept revendications identifiées dans les voix des manifestants, seules deux semblent avoir été concédées (démission du président, dissolution du parlement). Moubarak, qui n’était plus qu’un président fantôme depuis quelques jours, restait l’icône d’un régime honni : la rue, avec le concours de l’armée, a obtenu son départ. Nombreux sont ceux qui refusaient de voir leur révolution compromise et récupérée par l’une ou l’autre faction, la vigilance est donc toujours de mise.

Si Tahrir se vide dans les prochains jours, quelles garanties aura le peuple égyptien d’obtenir sa véritable révolution ? Mais si la Place de la Libération est tenue, une polarisation bien plus forte encore entre ceux qui sont satisfaits et ceux qui veulent continuer la lutte ne risque-t-elle pas de fracturer l’opinion publique égyptienne et de faire vaciller son soutien au soulèvement ?

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Crédits photo, via Flickr, Nebedaay cc-by-nc-sa ; via Wikimedia Commons [Domaine Public], commandant Tantawi

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