OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La victoire des nerds http://owni.fr/2012/11/19/la-victoire-des-nerds/ http://owni.fr/2012/11/19/la-victoire-des-nerds/#comments Mon, 19 Nov 2012 16:24:45 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=126181 The Atlantic raconte comment, en 2012, la campagne d'Obama s'est (enfin !) jouée sur Internet. Aux côtés de codeurs barbus et binoclards, elle a intégré l'infrastructure et l'esprit du réseau. ]]>

“Cette année, la campagne s’est jouée sur Internet”. Effet de bord des “buzz” et autres “clashs” politiques 2.0, la formule est désormais une tarte à la crème des élections. De la présidentielle à la nomination d’un chef de clan, chaque rendez-vous du genre est censé marquer l’avènement d’une nouvelle approche politicienne du Net, forcément plus fine et plus adéquate – sans que les faits suivent vraiment le discours.

Le marronnier a explosé après 2008, et la campagne très web-friendly de Barack Obama, dont commentateurs et politiques de tout pays — la France en tête — se seraient inspirés avec plus ou moins de succès. Quatre ans plus tard, le bruit se fait moins entendre. Pourtant, la campagne américaine s’est jouée plus que jamais sur Internet. Ou plus exactement en son cœur. C’est moins visible mais autrement plus impressionnant. Et efficace.

Narval contre Orque

The Atlantic explique ainsi dans une longue enquête comment l’infrastructure du Net a été mieux considérée et exploitée par l’équipe de campagne d’Obama en 2012.

Contrairement à l’épisode précédent, celle-ci est allée chercher des techniciens de réseau. Une quarantaine d’ingénieurs, de “nerds”, comme ironise le magazine américain, qui ont “bâti la technologie dont ils avaient besoin pour faire réélire le Président”. Des mecs “de Twitter, Google, Facebook, Craigslist, Quora” détaille entre autres The Atlantic, dont les portraits viennent renforcer l’imaginaire geek : grosses lunettes, barbe fournie et belle bedaine.

Autoportrait d'Harper Reed, style Obama par Obey (CC by nc nd)

Il suffit de jeter un œil au chef de cette e-brochette pour comprendre : Harper Reed, codeur binoclard à moustache rousse et ancien directeur technique de Threadless, un site de vente de tee-shirts et goodies geeks – les amateurs reconnaîtront.

“Il soutient l’open source. Aime le Japon. Dit ‘fuck’ sans arrêt. Va dans des bars de hipsters qui servent de la nourriture végétarienne mexicaine, où le quart des employés et des clients ont des moustaches. [...] Il est ce à quoi un roi des nerds pourrait ressembler”, décrit The Atlantic. Et Reed de conclure sur son site personnel qu’il est :

Probablement l’un des mecs les plus cools de la Terre

Bref, drôle d’attelage au sein du bestiaire politique. Pour un résultat pourtant édifiant : la mise en place d’un panel d’outils informatiques dont le clou du spectacle, “Narwhal” (“Narval” en français), permettait de brasser en temps réel toutes les informations disponibles sur la campagne, les votants et les bénévoles. Une plate-forme d’organisation et de communication gigantesque, mise à disposition de l’équipe d’Obama. Face à cette baleine unicorne, le camp républicain avait choisi de déployer “Orca” (“Orque” en français), car, explique The Atlantic qui cite les soutiens de Mitt Romney :

L’orque est le seul prédateur connu du narval.

Sauf que cette fois-ci, Willy n’a pas pu être sauvé : l’outil de Mitt Romney a crashé aux premières heures du jour J. Et ne faisait de toute façon pas le poids face à l’envergure de celui d’Obama.

Les mystérieuses bases de données de Mitt Romney

Les mystérieuses bases de données de Mitt Romney

Aux États-Unis, le candidat républicain joue avec des bases de données (et avec la vie privée) de millions de potentiels ...

L’équipe du Président américain a appris de ses erreurs, poursuit le magazine américain. Quatre ans auparavant, sa plate-forme s’effondrait à la manière de celle de Romney en 2012. “L’échec de 2008, entre autres besoins, a poussé la version 2012 de l’équipe d’Obama à internaliser des techniciens”, poursuit The Atlantic.

Rien n’a été laissé au hasard. Des simulations ont même été lancées pour parer au pire des scénarios susceptibles de se produire le D-Day. Plusieurs sessions intensives pendant lesquelles les nerds d’Obama tentaient d’éviter la paralysie de leurs outils de campagne en ligne, en trouvant des remèdes à une succession de pannes sortie de nulle part ailleurs que leur esprit génial.

Ils “détruisaient tout ce qu’ils avaient construit”, comme le raconte Harper Reed au magazine américain. A l’instar d’astronautes surentraînés, ils avaient une checklist pour chaque incident, le tout compilé dans un “runbook”. Ce petit jeu leur a par exemple permis de ne connaître aucun temps mort au passage de l’ouragan Sandy, fin octobre, qui a noyé bon nombre de serveurs situés sur la côte Est des États-Unis.

Les nerds d'Obama avec le boss de Google, Eric Schmidt, le jour de l'élection. YOLO ! (CC by nc nd)

YOLO

Au final, aucun cyclone ou aucune attaque extra-terrestre n’est venu perturber le cours de l’élection. Les mecs ont même eu le temps de “concocter un petit badge pour fêter ça” raconte The Atlantic. Badge reprenant la dernière expression branchée “YOLO”, “You Only Live Once” (“On n’a qu’une vie” en français) en version Obama. De quoi renforcer l’image déjà so cool du Président américain sur Internet.

Mais la plupart du temps, les techos d’Obama n’ont fait que peu d’incursions sur le terrain. IRL ou sur Internet. D’autres équipes s’occupaient à plein temps de ces champs. Il a fallu travailler avec chacune et ça n’a pas toujours été simple. Loin de là.

Les nerds ont même été à deux doigts de se prendre la porte. Équipes de terrain, politiciens et techniciens ne parvenaient pas à s’entendre, en particulier dans l’étape de réalisation des outils de campagne. Une étape pourtant cruciale. “Alors que l’équipe technique luttait pour traduire en un logiciel utilisable ce que voulaient les gens, la confiance dans l’équipe technique – déjà chancelante – continuait de s’éroder”. Et pourtant, “la campagne a produit exactement ce qu’on attendait d’elle”, conclut le journaliste de The Atlantic :

Une hybridation des désirs de chacun dans l’équipe d’Obama. Ils ont levé des centaines de millions de dollars en ligne, réalisé des progrès sans précédent dans le ciblage des électeurs, et ont tout construit jusqu’à l’infrastructure technique la plus stable de l’histoire des campagnes présidentielles.

Un ingénieur informaticien dans les bras du Président des États-Unis (cc by nc nd)

Low tech

Pour The Atlantic, le cru 2012 de la présidentielle américaine s’est donc bel et bien joué sur Internet. En 2008, commente le magazine, on pataugeait encore dans le “low tech”. “La technique d’une campagne était dominée par des gens qui se souciaient de l’aspect politique de la chose, et non de la technologie de la chose”.

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

Visualiser en un coup d’œil les propositions des candidats sur le numérique. C'est ce que OWNI vous propose en ...

Bien sûr il y avait Facebook, ou Twitter. Mais ils ne représentaient pas grand chose à l’époque. “Ce n’était pas le cœur ou même une annexe de notre stratégie”, confie Teddy Goff, “digital director” des campagnes d’Obama, à The Atlantic.

C’est une nouvelle étape dans l’intégration du Net dans la politique. Qui permet aussi de comprendre, au moins en partie, l’habile appropriation des codes du web par le Président réélu. D’une réinterprétation de mèmes aux sorties sur Twitter ou Instagram, l’équipe de Barack Obama compose avec Internet. L’intègre avec souplesse à sa communication bien huilée, au lieu de le plier aux codes traditionnels du discours politique.

À cent mille lieues de l’expérience made in France. Malgré les sempiternelles promesses d’e-révolution, les campagnes des candidats à la présidentielle n’ont pas brillé par leur fulgurance sur Internet. De l’aveu même de certains, Internet n’était alors qu’un canal de com’ supplémentaire, aux côtés de la télévision, de la presse écrite ou radio.

Il y a bien eu quelques trouvailles, mais elles restent bien maigres face au tableau général : une équipe web recrutée à 100 jours de l’échéance côté Hollande, un panzer en partie externalisé pour Sarkozy. Quelques polémiques aussi, sans oublier l’abandon, sur le fond, des thématiques numériques par les candidats. En France, l’avènement des ingénieurs informaticiens en politique n’est pas pour demain.


Illustration d’Obama par Tsevis [CC-nyncnd] et autoportrait deHarper Reed [CC-nyncnd]

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Regarde les US voter http://owni.fr/2012/11/07/regarde-les-us-voter/ http://owni.fr/2012/11/07/regarde-les-us-voter/#comments Wed, 07 Nov 2012 17:46:04 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=125485

Du lendemain de la défaite républicaine en 2008 à la veille du scrutin, The Guardian vous entraîne dans une graphic novel de quatre ans de vie politique américaine.

De tous les coins de France, nous avons suivi la campagne américaine comme une série télévisée. Depuis l’élection de Barack Obama jusqu’à sa confirmation pour un second mandat, cette histoire a connu des rebondissements dignes d’une fiction, étalés sur les quatre ans d’un feuilleton que The Guardian a retracé à l’encre. En scrollant sur la page, les contours des Tea Party se forment, précédent la meurtrière primaire républicaine et les derniers mois des quatre premières années de présidence Obama. Une graphic novel qui ne souffre que d’un suspense depuis éventé.

Budget

Derrière les groupes de soutien aux candidats, des hommes d'affaires dans l'attente de renvoies d'ascenseur... Les Super Pacs, étrangeté du financement des campagnes américaines décryptée par ProPublica.


Consécutive à la crise, cette campagne aura été marquée par la démesure de ses moyens, des milliards de dollars injectés en billets d’avion, convention et spot télés. Méconnud en France, les Super Pacs ont fait scandale aux États-Unis, ces structures de soutien aux candidats abondées à coup de millions par des cadres haut placés de sociétés américaines soulignant des liens préoccupants entre milieux d’affaire et pouvoir en place.

Fidèle à sa mission d’empêcheur de magouiller en rond, ProPublica a inspecté en long en large et en travers les données de la Commission fédérale aux élections publiées par The New York Times pour visualiser et analyser les donateurs et bénéficiaires de ces sommes folles. Dans le graphique ci-dessus, les dons sont représentés par des carrés dont la taille est proportionnelle au montant. Survolez l’un d’eux et vous retrouverez le donateur dans les autres Super Pacs, comme ici Bobby Jack Perry, déjà généreux donateur de Georges W. Bush.

La liste des donateurs détaillées avec leurs contributions peut également être consultée dans le dossier PacTrack sous une forme plus sommaire. Quant aux bénéficiaires, ProPublica les a également triés par montant et par payeur. Où l’on découvre que le principal sous traitants des Républicains fut la société de conseil en communication American Ramble Productions (18 millions de dollars jusqu’en mars 2012) et que le premier fournisseur des Démocrates fut AB Data (16 millions), spécialiste… en collecte de fonds !

Follow the money

Avec une navigation simple et riche et des données mêlées à des interviews vidéos en plan serré, le webdocu Moneyocracy donne un regard en profondeur et critique sur le système des Super Pacs.


Superbe hybride, fruit du travail au long court de deux journalistes français, Moneyocracy propose une approche plus vivante mais pas moins informée sur les Super Pacs. Avec une dose de serious game et de vrais extraits des pubs les plus improbables diffusées à travers les États-Unis, Gérald Hubolowicz et Jean-Nicholas Guillot (fondateurs de l’agence Chewbahat) embarquent les lecteurs dans un voyage au pays où la télévision fait et défait les votes à coup de millions de dollars.

Sur le front

Tous les médias ont parlé des “swing states” États bascules pouvant faire pencher d’un côté ou de l’autre le scrutin, sur lesquels les deux principaux candidats ont concentré leurs efforts. D’une carte en à-plat de couleurs, le site Matière Primaire fait surgir d’un survol de la souris sur la tête des candidats leurs principaux points de focales, cumulant les meetings du nominé et de son vice-président, en une véritable carte d’Etat major. S’y dessinent l’obsession de Romney pour la Floride (55 réunions publiques), la dispersion d’Obama et la compétition féroce pour le petit mais crucial État de l’Iowa.

En temps réel

Toute la journée durant, les votes des usagers de Facebook ayant décidé de partager leur choix avec leurs amis apparaissaient sur cette carte. Depuis sur une boucle des derniers bulletins adressés, l'application propose quelques statistiques sur les participants.


Durant la journée du 6 novembre, plus de neuf millions et demi d’Américains ont partagé sur Facebook leur choix via l’application Election Day Prompt, permettant à Facebook Stories de placer sur une carte chacun des bulletins glissés dans l’urne. En temps réel, n’importe qui pouvait voir exploser, ici et là, les bulles de la couleur du réseau social, depuis animées suivant le mouvement des derniers votants. Au pied de cette carte, des statistiques retracent le profil des participants : par sexe, par âge et par région. Une archive non exhaustive mais utile pour connaître cet échantillon du corps électoral qui partage numériquement sa vie citoyenne.

Vents contraires

Revirement démocrate dans le Sud-Est, poussée massive pro-Romney dans le centre... d'une cartographie dynamique, le New York Times brosse le mouvement dessiné par un vote plus serré qu'en 2008.


Pas vraiment serrée sur le plan des grands électeurs, la victoire de Barack Obama n’a pas été si large sur le plan des électeurs. Pour voir quels courants ont maintenu le candidat démocrate à la Maison blanche, The New York Times a dressé une carte de l’évolution des votes. A chaque point, un vecteur représentant l’évolution du vote, vers la gauche en bleu pour les démocrates et vers la droite en rouge pour les ralliés à Romney.

Un maëlstrom de vents contraires, qui trouve son noyau anti-Obama dans les grandes plaines, compensé par le revirement de la Floride et le soutien dans grands centres urbains de Californie et du Nord-Est. En accompagnement, quelques graphiques décryptent les soutiens clefs au président sortant : les femmes, les hispaniques (plus encore qu’en 2008) et les jeunes, qui ont fait basculer la Floride.

Bonus : nostalgie

L’équipe de Paule D’Atha vous le rappelle régulièrement : le datajournalisme ne date pas d’hier ! Entre les datavisualisation des bureaux de statistiques du XIXe siècle et les représentations naturelles de fractales, les exemples sont nombreux de la continuité d’un désir de représenter chiffres et notions abstraites de manières plus douces à l’œil que les ingrats tableaux Excel.

Dans la continuité de son traitement esthète des questions d’actualité, le magazine The Atlantic a plongé dans les archives de The New York Times pour livrer quelques cartographies anciennes des précédents scrutins présidentiels. Des blocs monochromes de 1896 aux cartes semées de chiffres des années 1970, qui précèdent de peu les analyses avec camembert du scrutin Clinton/Dole de 1996, la petite balade a le charme du papiers vieillis et un petit goût d’artisanat qui plaira aux éternels étudiants de cette nouvelle discipline journalistique que nous sommes.

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La cyberpropagande d’Obama et Romney http://owni.fr/2012/11/02/la-cyberpropagande-dobama-et-romney/ http://owni.fr/2012/11/02/la-cyberpropagande-dobama-et-romney/#comments Fri, 02 Nov 2012 13:32:59 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=124904

Mr et Mrs Sinker, mari et femme, assis sur un même canapé à Chicago, ont reçu en mars dernier le même mail de l’équipe de campagne de Barack Obama. Le même, à un détail près : M. Sinker se voyait proposer un don de 20$ et madame, de 25$. Une simple ligne corrigée automatiquement par une machine ayant eu accès à une information cruciale : Mme Sinker, 61 ans, avait auparavant été identifiée comme une grosse donatrice dans les fichiers du parti démocrate.

Analysés par ProPublica, les mails d'appel aux dons envoyés par l'équipe d'Obama en mars 2012 montraient des différences notables dans la formulation et les sommes demandés, selon que les sympathisants étaient enregistrés comme déjà donateurs ou non.


Les mystérieuses bases de données de Mitt Romney

Les mystérieuses bases de données de Mitt Romney

Aux États-Unis, le candidat républicain joue avec des bases de données (et avec la vie privée) de millions de potentiels ...

Décortiqué dans un graphique (voir l’illustration ci-dessus), ce cas d’école a été le départ d’une opération de reverse engineering (déconstruction d’un processus technologique) des “mail machines” des principales équipes de campagne. Si la première version du mail s’adressait en part égale à des hommes et à des femmes, donateurs réguliers ou non, pour une somme faible, la version 4 n’a été reçue que par des militants ayant déjà versé de l’argent, majoritairement des femmes, et proposait des montants allant de 0 à 300 dollars. La 5emouture, elle, s’adresse principalement à des hommes, seulement au-dessus de la trentaine et pour des petites sommes.

En faisant appel à ses lecteurs pour qu’ils partagent tous les mails reçus de la part des deux équipes de campagne, les journalistes du site ProPublica ont mis en place un système d’analyse comparative des différents mails envoyés avec pour objectif de prouver que ces équipes avaient recours à des systèmes automatisés de microciblage des militants.

Le 7 juillet, le site a ainsi analysé trois envois de l’équipe d’Obama. Grâce aux données récoltées par ProPublica, les journalistes ont pu classer les mails par “donation signal”, c’est-à-dire selon les montants des dons proposés lors des précédents mails. Aux profils gros donateurs, habitués aux mails demandant 220 à 280 dollars est envoyée une version remplie de liens de dons en un clic, prélevant automatiquement la somme proposée sur le numéro de compte enregistré. Pour les petits donateurs, bombardés de demandes de dons à moins de $40, il faut passer par une URL. Une preuve de la génération de mail “sur mesure” selon un critère renseigné dans les bases de données des partis.

Dans cette frise réunissant tous les mails transmis à ProPublica, chaque barre correspond au volume de mail envoyé par chaque équipe un jour donné, sa couleur correspondant à le nombre de variation par mail (tirant vers le rouge pour les plus optimisés).

Si l’analyse est encore en cours et les outils s’affinent au fil des jours, un résumé général donne à voir le bilan des mails déjà scannés. De mars à aujourd’hui, la quantité de mails est représentée pour chaque jour par une barre colorée, sur la ligne de l’expéditeur, dont la couleur change en fonction du nombre de variations, tirant vers le rouge pour les mails proposant le plus de versions différentes. Et dans les sondages comme dans l’utilisation des bases de données, Barack Obama semble conserver une avance certaine.


Illustration via la galerie Flickr de Nick Jugular [CC-byncsa]

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Obama : “J’ai réfléchi, on y va” http://owni.fr/2012/09/05/obama-ben-laden-peter-bergen/ http://owni.fr/2012/09/05/obama-ben-laden-peter-bergen/#comments Wed, 05 Sep 2012 07:55:21 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=119447 Le Monde publie des extraits ce mercredi. Owni a plongé dans la fameuse Situation Room, illustrée des pensées des protagonistes.]]> Les visages fermés et les yeux rivés sur un écran hors champ, la Situation Room attend. L’équipe très restreinte réunie autour du président Barack Obama suit en direct le raid fatal à Oussama Ben Laden, mené par les Navy SEALs (commandos marines) de la Team 6.

A quoi pensent les protagonistes de la célèbre photo diffusée par la Maison Blanche ? Comment Barack Obama a-t-il pris sa décision ? Peter Bergen, journaliste spécialiste de la sécurité nationale pour CNN, le raconte dans “Chasse à l’homme. Du 11 septembre à Abbottabad, l’incroyable traque de Ben Laden” (Robert Laffont) dont Le Monde daté du 5 septembre publie des extraits.

[Survolez la photographie ci-dessus pour faire apparaître les pictos rouges pour les opposants au raid, verts pour ceux qui soutenaient l'idée. Cliquez dessus pour en savoir plus]

“N’y allez pas”

Aucun consensus ne se dégage dans l’entourage du président démocrate jusqu’aux derniers jours. Peter Bergen raconte en détails une réunion, le 28 avril, alors que de nouvelles informations renforcent le doute quant à la présence de Ben Laden dans le complexe d’Abbottabad. Trois positions se dégagent alors : ceux qui sont pour, ceux qui sont contre et ceux qui privilégient une frappe de drone.

Parmi les opposants au raid figure Joe Biden, le vice-président, pour qui l’incertitude est trop grande pour prendre le risque de perdre l’allié pakistanais. Il tranche, rapporte le journaliste :

Mon conseil, le voici : n’y allez pas.

Un autre personnage central s’oppose au raid : Robert Gates, le secrétaire à la Défense. Lui plaide pour “une option de type frappe chirurgicale” menée par un drone. Il est rejoint par le général Cartwright, le chef d’Etat-major adjoint des armées, et par le directeur national du contre-terrorisme, Mike Leiter.

“Ce raid, lancez-le”

Une écrasante majorité des conseillers soutiennent un raid des Navy SEALs. Notamment Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat, qui à l’issue d’un exposé technique et dépassionné lance :

Le résultat est très imprévisible, mais je dirais : Allez-y. Ce raid, lancez-le.

Ou encore un autre poids lourd de la lutte contre le terrorisme, le directeur de la CIA, Leon Panetta, qui estime que le fait de détenir “le meilleur faisceau de preuves depuis Tora Bora [les] met dans l’obligation d’agir”. Il est, entre autres, rejoint par John Brennan, assistant du président pour la sécurité intérieure et le contre-terrorisme, et le directeur du Renseignement national, Jim Clapper. Lucide, mais déterminé :

C’est le choix qui présente le plus de risques, mais à mon avis, le plus important, c’est que nous disposons d’yeux, d’oreilles et de cerveaux sur le terrain.

Le jour même, Barack Obama refuse de trancher. Il convoque à nouveau ses conseillers le lendemain, le 29 avril à 8h20, pour annoncer sa décision :

J’ai réfléchi : on y va. Et la seule chose qui nous en empêcherait, ce serait que Bill McRaven [le général à la tête du Joint Special Operation Command, NDLR] et ses gars considèrent que la météo ou les conditions au sol accroissent les risques pour nos forces.


Photographie Flickr White House / Pete Souza

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La campagne des commandos américains http://owni.fr/2012/08/28/secret-commandos-americains-campagne-obama-navy-seal/ http://owni.fr/2012/08/28/secret-commandos-americains-campagne-obama-navy-seal/#comments Tue, 28 Aug 2012 12:03:52 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=118834 "devrait fermer sa gueule" assènent-ils. Un autre commando publiera prochainement son récit du raid contre Ben Laden. Ces troupes habituées à la discrétion entrent en campagne, placée sous le signe des vraies et des fausses fuites. ]]>

Entrainement des Navy Seals (2010) (cc)

D’ordinaire, ils sont connus pour leur discrétion. Les commandos marine américains des Navy SEALs sont aujourd’hui sous le feu des projecteurs. Obama en a fait le pivot de sa guerre contre le terrorisme. Contrairement à son prédécesseur, le président démocrate a tout fait pour accélérer le retrait des troupes engagées dans de vastes opérations extérieures. Il a préféré les frappes de drones menées clandestinement par la CIA et les actions ciblées de ses troupes d’élite. Ainsi fut exécuté par les Navy SEALs le raid victorieux contre Oussama Ben Laden, le 2 mai 2011.

À trois mois de l’élection présidentielle, voilà que la clé de voûte de la lutte contre le terrorisme est ébranlée. Tous les ingrédients sont réunis. Prises de parole incontrôlées des commandos, répliques du commandement, provocation d’Al-Qaïda. Le tout créant un étonnant brouhaha de campagne, ouvertement alimenté par les Républicains et discrètement nourri par les adeptes des Tea Party.

“Indignes révélations”

L’élection présidentielle du 6 novembre approchant, les épisodes se multiplient. Le mois d’août en a connu deux, et non des moindres. Une vidéo de 20 minutes est mise en ligne le 13 août, Dishonorable disclosures (“Indignes révélations”), par l’association de vétérans OpSec, pour Operational Security. Présenté comme non-partisan, le vrai-faux documentaire met gravement Obama en accusation : par ses révélations directes (annonce du raid contre Ben Laden) et indirectes supposées sur Stuxnet et le programme clandestin de frappes de drones (Kill List), il aurait mis en danger la vie de forces spéciales, et la sécurité nationale américaine.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les révélations sur le programme Olympic Games, qui a donné naissance aux logiciels malveillants Stuxnet et Flame, et sur la Kill List sont parues début juin dans le New York Times. Pour les auteurs, Obama a organisé les fuites, sans aucun doute : “L’administation a fait volontairement fuiter l’existence de Stuxnet, permettant ainsi à l’ennemi d’en savoir plus sur nos opérations et nos secrets.” Aucune des personnes interrogées – agents de la CIA en retraite, anciens des forces spéciales et même un général – ne pardonne à Obama d’avoir ainsi sacrifié ces victoires militaires sur l’autel de sa réussite politique. De concert, ils assènent, à l’instar du Général Paul Vellely :

Avec tout le respect qui vous est dû, Monsieur le Président, nous avons besoin que vous gardiez vos lèvres closes et que vous la fermiez quand il s’agit “d’operational security”. Comme disent les SEALs, nous agissons, nous ne parlons pas.

La vidéo, léchée sur la forme, rappelle de plus anciens griefs. La réalisatrice Kathryn Bigelow a eu accès à des documents classifiés pour sa fiction retraçant la traque de Ben Laden. Un film annoncé en salles après l’élection du 6 novembre.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

OpSec ne survole pas autant les clivages politiques qu’il le prétend. Selon le New York Times, le groupe partage les mêmes locaux qu’une entreprise de consulting républicaine, le Trailblazer Group à Alexandria, en Virginie. Le porte-parole des SEALs effarouchés d’OpSec n’est autre que Chad Kolton, ancien de l’équipe contre-terrorisme de Bush, qui a invoqué des dispositions légales pour ne pas révéler les sources de financement du groupe. Quant aux participants, certains sont très marqués politiquement. Ainsi de Benjamin “Ben” Smith, figure connue du mouvement des Tea Party, qui n’a pas de mot assez dur – ni d’expression assez théâtrale – contre Obama : “Monsieur le Président, vous n’avez pas tué Oussama Ben Laden, l’Amérique l’a fait.”

Servir le Président

La prise de parole impromptue d’officiers n’a pas été du goût du commandement. Dans un courrier adressé à ses troupes que s’est procuré Foreign Policy, l’amiral à la tête du Special Operation Command (Socom), William McRaven bat le rappel.

Je suis inquiet par cette tendance grandissante à utiliser la marque des opérations spéciales, les SEALs, symboles et noms, dans des campagnes politiques ou visant des intérêts spécifiques. [Le Special Operation Command] ne soutient aucun point de vue politique, aucune opinion ou intérêt spécifique. Notre promesse au peuple américain en tant que militaire est d’être non-partisan, apolitique et de servir le Président des États-Unis sans égard pour son parti politique.

L’amiral a lui-même été l’objet de critiques après avoir accordé fin juillet une interview à CNN dans laquelle il évoquait l’opération contre Ben Laden. Il avait rendu un hommage appuyé à Obama et à son équipe, “qui avaient agi de façon formidable du début à la fin”.

Un Navy SEAL a cru bon de raconter lui aussi le raid contre Ben Laden. En détails. Sur CNN, l’amiral McRaven s’autocensurait autant que faire ce pouvait, déclenchant les rires du public. Le membre de la Team 6 qui a participé au raid contre Ben Laden va lui publier son témoignage in extenso, le 11 septembre. “No Easy Day: The Firsthand Account of the Mission That Killed Osama bin Laden” (“Rien n’est facile : le compte-rendu de première main de la mission qui a tué Oussama Ben Laden”) est écrit sous pseudo, Mark Owen, et les noms des protagonistes ont été modifiés. Sans grand succès. Quelques jours après l’annonce de sa sortie, Fox News publie le véritable nom de l’auteur, Matt Bissonnette selon “plusieurs sources” de la chaine d’information proche des conservateurs.

Les réactions de Navy SEALs, anonymes, ne sont pas tendres à l’égard de celui que certains appellent “un traitre”. Le porte-parole du Socom, le colonel Tim Nye, a dit ses inquiétudes à Fox News : “[il] s’est mis en danger tout seul”. Il a fallu deux jours. Un site officiel d’Al Qaida a publié vendredi une photographie de Matt Bissonnette avec son nom et cette légende :

Le chien qui a tué le cheikh martyr Oussama Ben Laden.

L’auteur du livre pourrait aussi être poursuivi, comme l’a indiqué le porte-parole de la Navy : “Tout membre du service qui révèle des informations classifiées ou sensibles peut être poursuivi. Cette disposition ne prend pas fin après le départ du service.” D’autant que l’administration Obama est plus que familière des poursuites contre les bavards, lanceurs d’alerte ou whistleblower en langue originale. Six fonctionnaires ont été poursuivis pendant son mandat placé du début à la fin sous le signe des fuites (“leaks”) subies, orchestrées ou combattues. Dès juin, le procureur général avait demandé qu’une enquête soit ouverte contre OpSec.


Photo via la galerie de HonorableGerman [CC-by]

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L’avortement aux Etats-Unis: un débat graphique http://owni.fr/2011/07/25/lavortement-aux-etats-unis-un-debat-graphique/ http://owni.fr/2011/07/25/lavortement-aux-etats-unis-un-debat-graphique/#comments Mon, 25 Jul 2011 16:12:06 +0000 Marie Telling http://owni.fr/?p=74557 Cliquez sur les ronds dans chaque image pour obtenir la traduction des slogans et sur les images pour obtenir la source.

Le Guttmacher Institute, institut de recherche spécialisé dans la santé reproductive, vient de lancer une vidéo d’information sur l’avortement au graphisme soigné. Le but : lutter contre les idées reçues.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Si la vidéo de l’institut a une valeur avant tout informative, le débat sur l’avortement donne souvent lieu à des campagnes moralisatrices, revendicatrices ou légèrement humoristiques qui jouent sur les ressorts habituels des débats sur l’avortement comme la religion ou la condition féminine.

Les campagnes “pro-life”

La plupart des campagnes “pro-life” sanctifient la figure du fœtus pour condamner ce qu’ils considèrent comme un meurtre.

Les campagnes “pro-choice”

Souvent centrées sur la condition féminine, les campagnes qui défendent l’avortement n’hésitent parfois pas à utiliser l’humour pour faire passer leur message.

La communauté afro-américaine, cible favorite des campagnes

Statistiquement, ce sont les femmes de la communauté afro-américaine qui ont le plus recours à l’IVG. Un phénomène facilement explicable en raison du difficile accès à un système de soin de qualité et aux moyens de contraceptions dans certains quartiers défavorisés. De nombreuses campagnes “pro-life” s’emparent pourtant de la question raciale, n’hésitant pas à établir des rapprochements douteux avec l’esclavage.

Le site TooManyAborted.com s’est donné pour mission de dénoncer l’avortement dans la communauté afro-américaine. D’abord à coups de vidéos au graphisme étudié :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et dans des campagnes d’affichages à grand bruit :

Face à ces campagnes, les mouvements “pro-choice” tentent eux aussi de cibler la communauté afro-américaine dans leurs campagnes.

Autre cible des campagnes anti-avortement : Barack Obama. Rick Santorum, candidat aux primaires républicaines de 2012, a déjà commenté les positions “pro-choice” du président américain :

Je trouve ça presque incroyable pour un homme noir de dire “nous allons décider qui sont des humains et qui n’en sont pas.”

Les groupes “pro-life” jouent aussi sur les origines du président et sur son enfance pour défendre leurs positions, sous-entendant que sa mère célibataire aurait pu choisir d’avorter. CNN et NBC avait refusé de diffuser ce spot d’un mouvement catholique anti-avortement :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Une campagne d’affichage de ThatsAbortion.com utilise de la même manière la figure de Barack Obama.

Campagnes “choc”

Mais pour les “pro-life” comme pour les “pro-choice”, rien ne vaut l’efficacité des campagnes frappantes.

Du côté “pro-life”, l’image se suffit à elle-même :

Chez les “pro-choice” on insiste surtout sur les conditions d’avortement lorsque l’accès à l’IVG est compromis.

Et la plus percutante pour finir :

Retrouvez notre dossier sur l’avortement :

Poussée républicaine contre l’avortement
L’avortement et son dégradé de lois dans l’Europe chrétienne

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http://owni.fr/2011/07/25/lavortement-aux-etats-unis-un-debat-graphique/feed/ 7
Parlons boulot, pas politique! http://owni.fr/2011/07/16/parlons-boulot-pas-politique/ http://owni.fr/2011/07/16/parlons-boulot-pas-politique/#comments Sat, 16 Jul 2011 13:00:09 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=73876 Déjà en campagne pour sa réélection en novembre 2012, et à l’occasion du lancement à la Maison-Blanche, par Twitter, de la plate-forme Town Hall, Barack Obama s’est prêté à une interview en moins de 140 caractères. Grâce au hashtag #AskObama, près de 65 000 questions, selon Twitsprout, ont pu lui être posées avant le 6 juillet.

Avant de commencer l’analyse de ces 65 000 tweets, on peut noter tout d’abord qu’encore une fois, Barack Obama s’est inspiré de Ségolène Royal, puisque la veille, elle répondait aux tweets utilisant le hashtag #QASR. Sans d’ailleurs se départir de son flegme face à des questions lui demandant si elle avait “le seum contre Martineen disant :

C’est contre le chômage, les injustices, les précarités, les discriminations, etc, que “j’ai le seum”.

Retournons à la Maison-Blanche. Parmi ses 65 000 questions, un utilisateur de Buzz Feed a repéré les questions les plus “stupides”, souvent posées à Barack Obama par des membres des Tea Parties, lui demandant de produire à nouveau son acte de naissance.

"Où est le vrai certificat de naissance ?"

En temps réel, l’équipe de Twitter à la Maison-Blanche ne posait que les questions les plus partagées, celles ayant été le plus retweetées. Et pour les départager, Mass Relevance fournissait des outils de visualisations et de curation pour éviter les tweets déplacés, notamment.

La questions la plus retweetée concernait la marijuana (4911 retweets) rappelant l’activisme dont avait fait preuve ses soutiens lors de la création du Citizen Briefing’s Book pendant la période de transition du Président-élu. Activisme inutile, puisque le Président n’a pas répondu à cette question. En 2008, il avait signalé qu’il n’était pas en faveur d’une légalisation.

Ce que n’ont pas manqué de remarquer les analystes, c’est la teneur des tweets. Parlant principalement d’économie et de travail, les tweets ne jouent pas du tout dans la même cour que les questions habituelles des journalistes.

Les journalistes parlent-ils trop de politique alors que les citoyens s’intéressent eux des questions plus pragmatiques ?


Article initialement publié sur la datablog d’OWNI

Crédits Photo FlickR CC by-sa Geoff Livingston

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Les élections de 2012 se gagneront sur les réseaux sociaux (ou presque ?) http://owni.fr/2010/12/26/les-elections-de-2012-se-gagneront-sur-les-reseaux-sociaux-ou-presque/ http://owni.fr/2010/12/26/les-elections-de-2012-se-gagneront-sur-les-reseaux-sociaux-ou-presque/#comments Sun, 26 Dec 2010 14:33:30 +0000 Christophe Ramel http://owni.fr/?p=39939 En parler n’avait pas suffi en mai 2007. La faible notoriété des réseaux sociaux à l’époque (moins de 700.000 Français inscrits sur Facebook, à peine quelques milliers sur Twitter) n’avait pas été perçue comme une menace (ou dans le meilleur des cas, comme une opportunité) par les différents partis politiques, et très clairement, la bataille des urnes se gagnait plutôt à coup de débats télévisés, de meetings et d’opérations de street marketing (via des tracts, notamment). Les élections sénatoriales du 2 novembre 2010 aux États-Unis ont cependant donné un avant-goût de ce que l’on pourrait connaître courant 2012, lors des prochaines élections présidentielles en France. Les réseaux sociaux ont en effet joué un rôle relativement important dans un pays où l’on estime que 42% des 18-24 ans sont influencés par les réseaux sociaux (selon Echo Research).

Il fut un temps ou les électeurs ne se nourrissaient que des dires des médias traditionnels, en particulier la télévision, et donc à travers un seul écran. Aujourd’hui, les citoyens se focalisent de plus en plus sur les données accessibles via plusieurs écrans, à savoir la télévision, mais également leur ordinateur ou leur téléphone portable. Ces nouveaux médias offrent de nouvelles opportunités, et une récente étude confirme son poids : selon Echo Research toujours, près de la moitié des Américains sont allés se renseigner sur les différents politiciens sur les réseaux sociaux, faisant ainsi de cette source celle qui enregistre la plus forte croissance en terme d’influence par rapport aux dernières élections présidentielles de 2008. Facebook et Twitter ne jouissent désormais plus seulement des répercussions d’un effet de mode : ils doivent faire partie intégrante d’une campagne électorale.

Si ces réseaux sont aussi attractifs à première vue, c’est surtout parce qu’ils permettent de mêler nouvelles méthodes de communication et propagation auprès de différentes sphères sociales. Facebook permet par exemple non seulement de présenter un argumentaire ou une prise de position à son entourage, mais également de dialoguer, de partager, d’échanger des points de vue avec des amis ou les amis de ses amis. Autrefois particulièrement attentistes et spectateurs, les citoyens deviennent peu à peu des acteurs d’une campagne, capables de véhiculer un message et de l’argumenter auprès de centaines d’autres individus. Ne dit-on pas que Twitter est le pouls de la nation ? Les principaux acteurs des différents médias traditionnels l’ont d’ailleurs bien compris, et ont pour la plupart élaboré des présences sur les réseaux sociaux.

Outre cette approche plutôt théorique, les chiffres et les différentes actions parlent d’eux-mêmes. Aux États-Unis toujours, le 3ème débat télévisé en 2010 a généré 154.342 tweets relatifs à différents termes proches du débat sur Twitter, soit près de 27 tweets par seconde, par 33.095 individus, selon le compte Twitter officiel @Tweetminster. Sur Facebook, des groupes pro-Républicains ont rassemblé jusqu’à 136.000 personnes, jusqu’à 126.000 pour les pro-Démocrates. The Washington Post a acheté la tendance de recherche promotionnelle « #Elections », le New York Times a créé une cartographie [en] affichant le tracking des discussions au sujet des différents prétendants, Twitter a appelé à l’utilisation des hashtags #Votereport et #NYCvotes, Foursquare a créé le badge « I voted », une application Facebook a été spécialement conçue afin d’appeler les plus réticents à voter et Facebook a appelé au vote et proposé un outil de localisation du bureau de vote le plus proche de chez soi.

Cependant, bien que cela puisse paraître alléchant à première vue pour les différents partis politiques, les chances pour que les réseaux sociaux jouent un rôle aussi important en France sont toutefois à relativiser. Tout d’abord, le taux de pénétration de ces réseaux dans les ménages de l’Hexagone est à relativiser. Selon une récente étude de Karalys, seuls 225.000 des 150 millions d’inscrits à Twitter sont français, pire, seuls 18 à 35.000 d’entre eux seraient actifs. Or, très clairement, une élection présidentielle se joue très rarement sur quelques dizaines de milliers de votes. Facebook, de son côté, reste très utilisé mais peine encore à séduire les différents acteurs francophones : l’UMP rassemble aujourd’hui moins de 6.500 fans, le Parti socialiste 12.600, et rien ne garantit que des efforts seront apportés d’ici à 2012.

Un indicateur pas très fiable

Parallèlement, l’histoire nous montre que les réseaux sociaux ne sont pas toujours très représentatifs et que des prévisions issues des différentes discussions ou de la taille des communautés s’avèrent périlleuses. Par exemple, en 2008, Obama avait plus de 2 millions de fans sur Facebook contre 600.000 pour son adversaire McCain, 112.000 followers contre 4.600 pour McCain sur Twitter (selon les auteurs de Throwing sheep in the boardroom: how online social networking will change your life). Pouvait-on alors supposer que bien plus supporté, il jouirait probablement d’une victoire relativement facile ? Il ne gagnera finalement qu’avec 52,9% des voix, ce qui mène à penser que même en politique, « la taille ne compte pas » sur les réseaux sociaux. Les principaux partis politiques français sauront-ils alors prendre soin de se tourner vers des indicateurs (et donc des méthodes) plus pertinents ?

La victoire d’Obama a clairement été boostée par ses nombreuses campagnes d’emailing qui ont généré un nombre très important de petites dotations indispensables pour payer les publicités à la télévision. La logique voudrait donc que d’ici au premier trimestre 2012, différents prétendants élaborent des présences sur Facebook et sur Twitter, mais sans forcément faire reposer leur stratégie globale sur celles-ci. Bien que plus utilisés qu’en 2007, ces réseaux devraient donc jouer un rôle moins important que l’on ne pourrait le souhaiter, à moins que l’art de la persuasion via les plateformes sociales soit profondément accentué ces prochains semestres. Quel est votre avis sur le sujet ? Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry pourraient-ils par exemple créer la surprise et redorer le blason de la gauche dans le cœur des français via Facebook et Twitter ?

Billet initialement publié sur My community manager ; Christophe Ramel tient le blog kriisiis.fr

Image CC Flickr clementine gallot et Zooomabooma

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http://owni.fr/2010/12/26/les-elections-de-2012-se-gagneront-sur-les-reseaux-sociaux-ou-presque/feed/ 36
Tea Party & Sarah Palin: une infusion de com’ saveur réac http://owni.fr/2010/11/17/tea-party-sarah-palin-infusion-de-communication-saveur-reac/ http://owni.fr/2010/11/17/tea-party-sarah-palin-infusion-de-communication-saveur-reac/#comments Wed, 17 Nov 2010 14:53:27 +0000 Olivier Cimelière http://owni.fr/?p=35948 Cette percée fulgurante du Tea Party qui bouscule les lignes politiques conventionnelles, repose sur une communication binaire surfant volontiers sur un détonnant cocktail où les peurs sociétales de l’Amérique profonde s’entremêlent aux valeurs ancestrales des Pères Pèlerins, fondateurs de la Nation américaine.

Difficile aujourd’hui de prédire si le Tea Party relève de la bouilloire contestataire sans véritable lendemain ou si au contraire, cette décoction populiste va continuer à infuser dans une opinion publique américaine chauffée à blanc par la récusation des élites et la crise financière. Décryptage d’un phénomène politico-médiatique aux idées courtes mais aux longs effets de traîne que réseaux sociaux et postures communicantes chocs sèment à tout vent. Avec en embuscade depuis son Grand Nord sauvage, une Sarah Palin revigorée et sans complexes pour lancer une OPA sur le Tea Party et se positionner pour 2012.

Les pionniers du Tea Party débarquent

Si le site officiel du Tea Party attribue la paternité du mouvement à un ancien Marines de carrière dénommé Dale Robertson, force est de constater que cette figure tutélaire affichée s’est pourtant diluée au profit de personnages nettement plus marquants. Lors de la campagne électorale de mi-mandat qui vient de s’achever début novembre, Dale Robertson a été largement éclipsé par une flopée de candidats « grassroots » qui ont fait le miel des médias en mal de portraits croustillants.

Signe des temps numériques ou pas, les militants du Tea Party décernent plutôt l’acte fondateur du Tea Party à une blogueuse implantée à Seattle, ville berceau d’entreprises américaines aussi mythiques que Boeing, Microsoft, Starbucks et Amazon et surtout qualifiée de « Mecque des libéraux radicaux » dans la bouche dédaigneuse des conservateurs les plus durs. Bien que la « marque » Tea Party soit en réalité apparue dans la foulée de la crise financière de 2008, la légende retient prioritairement le nom de Keli Carender comme étant l’instigatrice qui a provoqué la véritable étincelle de l’écho médiatique dont jouit aujourd’hui le mouvement.

Énervée par le « stimulus package » de Barack Obama, un plan visant à injecter 787 milliards de dollars pour redynamiser l’économie américaine en berne, elle ouvre un blog en janvier 2009 pour faire entendre son opposition virulente. Sur ce blog, elle se présente sous les traits masquées d’une super-héroïne prénommée Liberty Belle qui « ne veut pas s’asseoir oisivement à regarder les sociaux-démocrates, les socialistes ou les communistes essayer de dominer ce pays ».

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le ton est donné. Le mois suivant, elle s’empare de l’emblème Tea Party, lance un appel à la mobilisation et réussit à faire descendre dans la rue 120 personnes. Fière de son coup d’essai, elle enfonce le clou à plusieurs reprises à travers son blog. Six semaines plus tard, 1200 personnes se rassemblent pour sa Tax Day Tea Party à Seattle.

Son initiative rencontre d’autant plus d’écho qu’en février 2009, l’ascension médiatico-politique du Tea Party bénéficie d’un effet d’aubaine amplificateur non négligeable. Peu de temps après la première manifestation de Seattle, un journaliste TV, Rick Santelli, s’égosille en direct sur CNBC le 19 février 2009 contre la décision du Président des États-Unis de consacrer 75 milliards de dollars pour venir en aide aux propriétaires croulant sous les dettes et les saisies d’huissiers. Pour contester ce qu’il estime être une dilapidation de l’argent du contribuable, il suggère l’idée d’organiser une « Tea Party » à Chicago. La vidéo publiée dans la foulée sur YouTube, rencontre aussitôt un succès phénoménal. La légende du Tea Party est en marche !

« Tea Party » ou le code génétique de l’Amérique

Dans la conscience collective nationale, l’épisode haut en couleurs du Tea Party de Boston constitue un puissant et magnétique référent culturel et patriotique au même titre que l’exécution de Louis XVI en France qui précipita la chute de la royauté française en 1789. En d’autres termes, la « Boston Tea Party » est indéfectiblement enchâssée dans l’ADN de l’Amérique des Pères Fondateurs. Cette page glorieuse est en effet le premier acte de désobéissance civile de l’embryonnaire nation américaine à l’égard de la tutelle royale anglaise.

En 1773, une soixantaine de Bostoniens grimés en Indiens grimpèrent à bord de trois bateaux de la Couronne britannique mouillant dans le port de la ville et jetèrent par-dessus bord les cargaisons de thé. Objectif : protester contre les taxes imposées par la monarchie anglaise aux 13 colonies d’Amérique du Nord. Cette contestation marquera le coup d’envoi de la Révolution américaine, un conflit armé au cours duquel l’Amérique de George Washington déclarera son indépendance en 1776 avant de parvenir à se la voir définitivement accordée par Londres en 1783.

De ce fait saillant de l’Histoire de la bannière étoilée, les supporters du Tea Party en tirent aujourd’hui un argument instaurateur pour revenir aux fondamentaux de l’identité unitaire américaine dont à leurs yeux, la nation contemporaine (surtout celle de Barack Obama !) s’est bien trop éloignée. Les mêmes oublient un peu vite au passage que cette même nation américaine a pourtant accouché dans la douleur et dans le sang.

Les divergences philosophiques profondes et des conflits meurtriers ont été légion comme la célèbre Guerre de Sécession où s’affrontèrent les Nordistes, tenants d’une nation fédéraliste avec un État fort et les Sudistes, partisans d’une nation confédérale avec un État réduit à son strict minimum. Aujourd’hui encore, ces lignes de fracture perdurent dans les mentalités et se retrouvent d’ailleurs dans la hargne du Tea Party envers le pouvoir central de Washington et l’administration Obama.

En dépit de ces contradictions sous-jacentes mais opportunément mises sous le boisseau, le Tea Party déroule une symbolique magnifiée qui emprunte très abondamment à l’époque des insurgés américains. À chaque manifestation d’envergure, les supporters du Tea Party n’hésitent pas à ressortir des placards de l’Histoire, les tricornes, les perruques et les redingotes des insurgés des 13 colonies de la Nouvelle-Angleterre. Sans complexes, ils rejouent la scène version 2010 sous l’œil gourmand des médias trop ravis de saisir des images clinquantes à mi-chemin entre la fresque historique farfelue et le bal masqué de mauvais goût.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

« Tea Party » ou la marque de la vraie Amérique

Décorum plouc ou pas, les sympathisants n’ont qu’une obsession en tête lors de leurs rassemblements : établir le nom de Tea Party comme le label exclusif de l’Amérique authentique. À cet égard, la dénomination « Tea Party » fonctionne aujourd’hui véritablement comme le principe marketing de la marque ombrelle bien connu dans l’univers des biens de grande consommation. Ce principe permet de cautionner des déclinaisons de produits en les adossant à une marque puissante et notoire et ainsi de leur faire bénéficier de l’estampille rassurante de la marque mère.

Depuis 2009, le mouvement du Tea Party a ainsi essaimé sur tout le territoire américain. Si les dénominations varient selon les villes et les États, toutes revendiquent et accolent en revanche la mention « Tea Party » comme un sceau validant leur combat. Une marque qui dispose même de sa boutique de merchandising en ligne dans laquelle tout militant peut afficher ses sympathies envers le Tea Party.

Un roadshow contestataire né en Californie pour s’achever sur la côte Est dans le New Hampshire se baptise par exemple « Tea Party Express ». À Nashville dans le Tennessee, un groupe se désigne sous le nom de « Tea Party Nation » pour faire entendre son attachement au 2ème amendement de la Constitution (à savoir le droit de chaque citoyen de porter des armes). À Chicago, un « Tea Party Patriots » se forme pour pousser plus haut et plus fort le cri de colère du journaliste de CNBC, Rick Santelli.

Un autre groupe, émanation de l’ex-milice anti-immigration du Minutemen Project, se qualifie de « 1776 Tea Party » pour défendre Dieu et la Nation. L’association ResistNet reprend à son compte le sigle Tea Party pour appeler à la résistance contre la propagation du socialisme à travers les réseaux numériques. Une autre intitulée « White Plains Tea Party » entend faire tomber les élus d’un comté de l’État de New York au motif qu’ils ont oublié les fondamentaux constitutionnels. Et ainsi de suite à travers les USA.

Au total, près de 750 groupes agrègent et catalysent les mouvements d’humeur du Tea Party jusqu’au 15 avril 2009, date butoir qui marque le paiement des impôts pour les contribuables américains et par la même, une échéance métaphorique pour le mouvement de grogne. Avec un point d’orgue qui intervient le 12 septembre 2009 à Washington où une immense manifestation baptisée « Taxpayer March » fait converger des milliers de « tea partiers » en provenance de tous les États-Unis.

Tryptique basique pour citoyens excédés : Drapeau, Dollar et Dieu

Si le Tea Party a rallié autant de supporters sur le territoire américain, c’est parce que le mouvement ne s’embarrasse guère de circonvolutions oratoires pour frapper au cœur et convaincre son auditoire. Les arguments sont en règle générale basiques. Ils parlent de manière simpliste mais terriblement efficace des maux complexes de la nation à des Américains majoritairement blancs, souvent chrétiens convaincus, défenseurs en diable des valeurs familiales et patriotiques les plus strictes et plus étonnant, plutôt éduqués et aisés financièrement comme l’a révélé une enquête démographique du New York Times en avril 2010. Au final, leur poids est estimé à 18% de l’électorat américain.

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Le fonds de commerce argumentaire du Tea Party repose sur trois piliers indissociables qu’on pourrait résumer en trois mots-clés :

  • Drapeau ou haro sur le pouvoir central ! Les discours s’inspirent largement de la veine antifédéraliste qui avait combattu (en vain) la rédaction de la Constitution de Philadelphie en 1787 au motif qu’un pareil texte serait attentatoire à la liberté individuelle de chaque citoyen américain. Lois fédérales et élites politiciennes de Washington sont conspuées à longueur de temps pour avoir souillé les valeurs fondatrices du pays. Si les Républicains en prennent au passage pour leur grade, accusés d’avoir bradé leurs principes, c’est surtout Barack Obama qui cristallise les haines au point d’être dépeint régulièrement en dictateur sous les traits de Staline ou d’Hitler.
  • Dollar ou stop aux impôts ! C’est sans nul doute l’épine dorsale du Tea Party même si tous les militants ne l’admettent pas aussi ouvertement. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont l’impression d’être toujours les cochons de payants pour le sauvetage des banques frappées par la crise financière, l’aide aux chômeurs jugés fainéants et au final, l’impossible renflouement de l’abyssale dette publique. Pas étonnant qu’ils soient aussitôt montés en première ligne pour combattre le projet de réforme du système de santé américain entrepris par l’administration Obama début 2010. Un projet qu’ils qualifient de socialiste, voire de soviétisation de la société américaine.
  • Dieu ou retour aux principes chrétiens des Pères fondateurs. La référence à la chrétienté est récurrente dans les discours du Tea Party. Mais au-delà des convictions religieuses, elle sert aussi à plus ou moins « habiller » d’autres combats troubles contre l’immigration noire, asiatique et latino, contre les médias jugés trop gauchisants pour la plupart et contre l’islam qui attaque et envahit subrepticement l’Amérique. Là encore, c’est le président Obama qui sert de cible défouloir où il est qualifié de « Mau-Mau kenyan crypto-musulman ».

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Avec le Tea Party, les contre-vérités et les inventions à grosses mailles se ramassent à la pelle. Mais qu’importe, les militants trouvent là un exutoire réconfortant à leur colère et leur angoisse. Exemple pioché parmi les nombreuses affirmations du Tea Party : la loi sur la réforme du système de santé. Pour mobiliser, le Tea Party a alors prétexté que des « death panels » dirigés par des médecins bureaucrates allaient être mis en place pour euthanasier les personnes âgées si les ressources budgétaires pour les soins médicaux le requièrent !

Cet été toutefois, le Tea Party s’est efforcé de gagner un peu en consistance et d’étoffer sa rhétorique militante. Il s’est notamment doté d’un programme intitulé « Contract From America » qui repose sur 10 points clés devant impérativement structurer l’action publique de tout élu. À ce jour, le site Web spécialement dédié claironne avoir obtenu plus de 300 signatures de candidats et d’élus.

Poujadisme concentrique à la sauce américaine

À la différence des mastodontes antédiluviens de la vie politique américaine que sont l’éléphant républicain et l’âne démocrate, le Tea Party n’est pas à proprement parler un parti structuré comme tel mais plutôt un amalgame de contestataires en butte à l’oligarchie traditionnelle constituée par les Démocrates et les Républicains. Pour autant et fort de ses arguments massue, il opère çà et là des brèches qui bousculent les rentes politiques locales.

Une particularité de ce mouvement spontané et virulent est qu’il se déploie par capillarité sur tout le territoire. Soit en générant des boutures locales se réclamant ouvertement du Tea Party et griffées comme telles, soit en en bénéficiant du support logistique et financier de think tanks privés aux idées cousines comme par exemple, Americans for Tax Reform, Regular Folks United, Americans for Prosperity ou encore Freedom Works. Réservoirs à idées qui établissent en outre de nombreuses passerelles programmatiques avec l’aile dure des Républicains. Cette approche idéologique concentrique ne repose pas sur les épaules d’un leader charismatique mais se décline au contraire par le truchement de personnalités engagées et suscitant très facilement le buzz médiatique avec des déclarations à l’emporte-pièce.

C’est le cas par exemple de Christine O’Donnell, candidate malheureuse au Sénat dans l’État du Delaware. Sous des airs d’oie blanche un peu nunuche, elle a pourtant vite focalisé l’attention sur elle autour de deux phrases simplissimes mais séduisantes pour l’Américain blanc moyen : « I am You » et « Je n’ai pas fait Yale ».

Elle a gagné encore un peu plus en bruit médiatique en affichant pendant sa campagne électorale, son aversion avérée de la masturbation parce que synonyme d’adultère selon elle. Une notoriété à peine ternie lorsqu’une télé américaine exhume une vidéo de 1999 où elle racontait ses prestations de sorcellerie sur un autel satanique durant sa jeunesse !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Quasiment partout, le Tea Party excelle dans l’art de confier ses couleurs à des candidats particulièrement clivants et ne reculant devant aucune déclaration tapageuse. Autre exemple dans le Nevada avec Sharron Angle (également vaincue dans sa tentative sénatoriale). Dans un même élan, elle appelle au boycott des Nations Unies qu’elle qualifie de « bastions gauchistes », affirme que la loi islamique de la charia doit être boutée des États-Unis car déjà en vigueur dans certains comtés et gaffe pour finir en confondant des écoliers latinos avec des écoliers asiatiques lors d’une visite dans un établissement scolaire.

Dans un registre quasi identique, Carl Paladino (battu lui aussi pour le poste de gouverneur de l’Etat de New York) a fait très fort au point de longtemps menacer dans les sondages son adversaire démocrate. Surnommé « Crazy Carl », l’ex-promoteur est parti en croisade contre la construction d’une mosquée sur les lieux même de Ground Zero où se sont écroulées les tours jumelles du World Trade Center, a étrillé la communauté gay en estimant « qu’il n’y a pas de quoi être fier quand on est un homosexuel dysfonctionnel. Ce n’est pas la façon dont Dieu nous a créé » avant de matraquer un adversaire politique en le traitant de « Hitler » et d’« Antéchrist »

Quand le Tea Party tisse sa Toile

En soi, les courants droitiers extrémistes et populistes ont toujours traversé chroniquement la scène politique américaine. Ils ont notamment nourri idéologiquement la campagne victorieuse de Ronald Reagan en 1980 ou celle échouée de Ross Perot en 1992. Pour autant, ils ne sont jamais réellement parvenus à décrocher une visibilité forte sur l’échiquier politique américain.

À la différence de ses précurseurs, le Tea Party jouit en revanche d’une viralisation et d’une médiatisation hors pair de ses idées. Pour vite émerger, le mouvement a su habilement combiner un activisme digital sans relâche sur Internet avec quelques puissants relais médiatiques au premier rang desquels figure la chaîne de télévision ultraconservatrice Fox News.

C’est d’abord sur le Web que le Tea Party a mené ses premières incursions militantes. À la suite de la blogueuse Keli Carender, une myriade de sites, blogs et autres plateformes militantes a champignonné sur Internet pour recruter de nouveaux adhérents et opérer un harcèlement numérique de grande ampleur auprès des élus républicains et démocrates.

Le site-blog de Freedom Works est particulièrement emblématique de cette capacité du Tea Party à s’emparer du levier d’influence que constitue le Web 2.0. Le site a notamment établi une cartographie exhaustive des candidats en lice pour le Tea Party. Il offre aux sympathisants la possibilité d’interagir avec eux et les noter en fonction de leur implication dans la campagne pour pousser les idées de Tea Party.

Dans la même optique mais à l’adresse cette fois des candidats sortants, le site Freedom Works propose des modèles de courriels sur différentes thématiques sensibles pour inonder les boîtes des élus, le tout étant mis à jour quotidiennement avec des graphiques, des courbes d’audience et des compteurs montrant la progression in situ des idées de Tea Party.

Rien n’est laissé au hasard. Chaque espace numérique est occupé comme il se doit. Sur YouTube par exemple, Tea Party s’est doté d’une chaîne intitulée « Tea Party Movie » qui retrace en images les différentes marches et meetings électoraux sur le territoire américain. Enfin, chaque site renvoie à d’autres sites de la même obédience constituant ainsi un maillage incroyablement dense dans lequel le militant peut largement trouver de quoi étayer ses convictions.

Les militants sont de surcroît vivement encouragés à s’emparer de tous les outils électroniques qui sont à leur portée. Un reportage d’Hélène Vissière, correspondante aux États-Unis du magazine Le Point, raconte ainsi un meeting électoral qui se double d’une séance de formation intensive aux médias sociaux où l’on enseigne l’usage de Twitter ou encore l’entrisme éditorial sur Wikipedia pour orienter les définitions sur des sujets sensibles et chers au Tea Party.

Quand les médias prêtent leur porte-voix

Si Tea Party s’est taillé un inexpugnable bastion numérique, ce dernier n’aurait probablement guère pu dépasser les bornes du Web si des relais médiatiques classiques puissants n’avaient pas prêté leur concours et relayé à plus grande échelle. La stratégie médiatique de Tea Party a donc consisté à investir les tribunes d’expression que sont les stations de radio et les journaux locaux. Jugée gauchiste irrécupérable et de mèche avec les élites politiques, la presse nationale a en revanche été largement boycottée, exceptée la chaîne TV Fox News connue pour ses engagements droitiers musclés.

Sur cette chaîne détenue par le magnat de la presse Rupert Murdoch, un homme est particulièrement à la pointe de la lutte pour le conservatisme. Il s’agit du polémiste et animateur Glenn Beck. Inlassable pourfendeur des adversaires du conservatisme, l’homme multiplie les interventions et les talk-shows dans les radios, sur les sites Web. En parallèle, il écrit dans le magazine mensuel Fusion et a déjà publié six livres brûlots. Mais c’est véritablement sur Fox News qu’il fait le plus parler la poudre argumentaire avec une émission intitulée « les vendredis des fondateurs ».

Dans ce programme, il donne libre cours à sa réinterprétation personnelle de l’histoire des États-Unis pour mieux asséner ses convictions militantes. Ainsi, il n’a pas hésité à se réapproprier à sa sauce le symbole de la célèbre marche de Martin Luther King sur Washington en août 1962 pour dérouler la sienne 47 ans plus tard dans la même ville mais cette fois tout à la gloire des militaires, des patriotes et des supporters du Tea Party sous la bannière de « Restaurer l’honneur de l’Amérique ».

En plus de cet omniprésent et puissant porte-voix qui touche près de 3 millions de téléspectateurs avec son show et 10 millions d’auditeurs du Sud et du Midwest avec ses programmes radio, le Tea Party s’appuie également sur l’impact non moins négligeable d’un autre vibrion en croisade : Rush Limbaugh. Prédicateur halluciné à la radio, il martèle en boucle et sans discontinuer l’argumentaire contestataire du Tea Party qu’il décline ensuite sur son portail Internet personnel.

Le Tea Party dans les griffes de Mama Grizzly ?

Malgré une mobilisation intense, le Tea Party n’a pas engrangé autant de sièges qu’il escomptait lors des élections de mi-mandat. Certes, il s’empare des postes de gouverneur en Floride, dans le Maine et en Caroline du Sud. Il signe également son entrée sur les bancs du Sénat avec le gain de sièges en Floride, en Caroline du Sud et dans le Kentucky. Néanmoins, on est encore loin du tsunami électoral qu’espéraient voir déferler les « insurgés » du Tea Party au Congrès américain.

Peut-on parler pour autant de mouvement voué à refluer dans l’anonymat des sites militants de la Toile ? Rien n’est moins sûr. La percée médiatique de l’hétéroclite attelage du Tea Party a notamment bénéficié à une personnalité politique républicaine atypique : Sarah Palin. Ex-co-listière du malheureux candidat républicain John McCain à la présidence des États-Unis en 2008 et ancienne gouverneure de l’État d’Alaska, Sarah Palin surfe sans vergogne sur la vague de fond contestataire amplifiée par le Tea Party durant ces vingt derniers mois.

L’image rustique et authentique qu’elle s’échine à cultiver s’emboîte plutôt bien avec le socle argumentaire du Tea Party. Son autobiographie à succès en atteste. Going Rogue – An American Life (littéralement « Entrée en rébellion ») figure en très bonne place dans les ventes en librairies au point d’avoir supplanté les Mémoires d’une autre figure emblématique de la vie politique américaine, Bill Clinton.

Dans ce livre, elle jongle à l’envi avec des valeurs très similaires à celles véhiculées par Tea Party. Elle porte fièrement en bandoulière son origine villageoise de Wasilla, improbable patelin de 5500 habitants situé aux confins de l’Alaska. Origine qui la rend de fait en termes d’image, empathique et proche des aspirations du peuple américain. Elle y décline aussi sous toutes les coutures le concept « palinien » de la Mama Grizzly : une mère de famille active et engagée, une femme au physique flatteur et au maquillage enjôleur, une femme au langage tranché qui n’hésite pas à en remontrer aux hommes, notamment avec son expression fétiche de « Man Up » (littéralement « Sois un homme »).

C’est exactement l’incarnation de ce concept de mère conservatrice que l’on retrouve à travers plusieurs figures de proue féminines de Tea Party ou assimilées. Qu’il s’agisse de Michele Bachmann, députée du Minnesota, Christine O’Donnell, candidate battue du Delaware, Nikki Haley, élue gouverneur de la Caroline du Sud ou encore Dana Loesch, co-fondatrice du Tea Party de Saint-Louis/Missouri, toutes possèdent en commun d’être un clone parfait de « Mama Grizzly ». Laquelle n’a d’ailleurs pas hésité à leur prêter main forte et à s’afficher à leurs côtés lors de la dernière campagne électorale.

Conclusion – Palin, future tasse de thé du Tea Party ?

Même les Démocrates et les Républicains modérés en conviennent. La bataille électorale de mi-mandat de novembre 2010 a ouvert des brèches durables pour le Tea Party. Que le mouvement survive ou s’effiloche, il aura dans tous les cas ancré certaines revendications droitières au sein d’une forte frange de l’électorat américain.

Faut-il y voir une coïncidence fortuite ? Toujours est-il que Sarah Palin vient d’enclencher la vitesse supérieure en matière de communication. Déjà forte d’une page Facebook qui rassemble 2,4 millions de fans, d’un fil Twitter qui compte près de 300 000 abonnés et de deux sites militants dédiés à son œuvre (Conservatives4Palin et Team Sarah), l’égérie populiste de l’Alaska s’apprête à publier courant novembre un deuxième livre sous le titre à la tonalité très Tea Party de « America by Heart : Reflections on Family, Faith and Flag ».

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Alors peut-on parler d’OPA communicante sur le Tea Party ? Sarah Palin dispose en tout cas de tous les atouts pour capter et engranger l’écho acquis par le jeune mouvement populiste. En janvier 2010, elle a signé avec Fox News un contrat de 3 ans pour livrer ses commentaires sur l’actualité et participer à un show sur la même chaîne baptisé « Real American Heroes » où elle met en exergue des héros de l’Amérique injustement ignorés.

Plus fort encore ! Depuis le 14 novembre sur la chaîne câblée TLC, Sarah Palin présente « Sarah Palin’s Alaska », un programme de télé-réalité tout à la gloire de … Sarah Palin elle-même. La bande annonce est à l’aune de l’imagerie « Far West » du Tea Party. Elle s’attarde sur la vie au grand air de Mama Grizzly, fusil à lunettes ou canne à pêche en main, à l’affût dans les immensités sauvages de l’Alaska. À la touche Davy Crockett, trappeur tout droit surgi de la mythique « Wild Frontier », succède ensuite une maman sportive et décontractée qui se double d’un rôle de chef de tribu familiale entouré d’une progéniture aux dents blanches et aux joues roses.

Pour rameuter le ban et l’arrière-ban des fans de l’égérie d’Alaska, la chaîne TLC n’a pas lésiné sur les outils de communication : un site dédié, un compte Twitter, une page Facebook de « Sarah Palin’s America » sont disponibles en ligne pour suivre et commenter les aventures de celle à qui l’on prête l’intention de se présenter à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle de 2012.

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Hypothèse farfelue ? À voir si l’on se fie au sondage Gallup de juillet 2010 qui la créditait de 76% d’opinions favorables au sein du Parti Républicain (avec 11 points d’avance sur son rival Mitt Romney). Un autre sondage publié par le magazine National Journal montrait qu’en cas de duel Obama-Palin, les électeurs masculins donneraient 2 points d’avance à Palin. L’heure du thé a peut-être sonné pour Sarah Palin.

À lire en complément

- L’interview de François Vergniolle de Chantal, chercheur en sciences politiques et civilisation américaine – « L’inconnue Tea Party » – Le Monde Magazine – 30 octobre 2010
- L’article de Denis Lacorne, directeur de recherches à Sciences Po – « Tea Party, une vague de fond » – Le Monde – 19 octobre 2010
- L’enquête sur Sarah Palin par Fabrice Rousselot – « Pour une Maison bien blanche » – Libération – 16 octobre 2010
- Le livre de Kate Zernike, journaliste au New York TimesBoiling Mad – Inside Tea Party America – Times Books – 2010
- La biographie critique sur Glenn Beck d’Alexander Zaitchik, journaliste d’investigation – Common nonsense : Glenn Beck and the Triumph of Ignorance – Wiley – 2010
- L’excellent blog « I Love Politics » des journalistes Marjorie Paillon et Julien Landfried qui décrypte la communication politique aux Etats-Unis
- Dans le même registre, le blog « Great America » des journalistes Lorraine Millot et Fabrice Rousselot, correspondants de Libération aux Etats-Unis
- En bonus, un hallucinant dessin animé vidéo pour expliquer le Tea Party. Tout est résumé !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Crédits photo cc FlickR : Truthout.org, ragesoss, Les_Stockton, messay.com, dmixo6.

Article initialement publié sur Le blog du communicant 2.0.

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http://owni.fr/2010/11/17/tea-party-sarah-palin-infusion-de-communication-saveur-reac/feed/ 3
La démocratie électronique est-elle une illusion? http://owni.fr/2010/09/29/la-democratie-electronique-est-elle-une-illusion/ http://owni.fr/2010/09/29/la-democratie-electronique-est-elle-une-illusion/#comments Wed, 29 Sep 2010 06:53:10 +0000 Pierre Mounier http://owni.fr/?p=29727 Très tôt dans son développement, Internet fut identifié comme le signal d’une nouvelle jeunesse pour la démocratie. Les réseaux électroniques furent alors identifiés comme une agora permettant à l’ensemble de la population de participer activement à la vie de la nation. Si le thème de la nouvelle Athènes fut essentiellement développé aux États-Unis où il rencontrait le mythe fondateur de la République jeffersonienne, il rencontra aussi en Europe et en France des échos importants. L’idée selon laquelle Internet allait provoquer un épanouissement démocratique s’est exprimée de plusieurs manières : e-gouvernement puis gouvernement 2.0, administration électronique, cyber-activisme, « empowerement » des groupes de représentation d’intérêts, théories de l’espace public en ligne, etc.

Vus aujourd’hui d’un pays qui connaît une régression rapide et brutale de son cadre démocratique, les textes écrits il y a quelques dix ou quinze ans prophétisant l’avènement d’un nouvel âge politique portent avec eux une charge quelque peu ironique. Où semblent donc passées ses forces nouvelles qui allaient bousculer l’ancien monde ? Qu’est devenue l’émancipation citoyenne permettant à tout un chacun de participer à la grande conversation nationale voire internationale et espérer voir son avis pris en compte ?

C’est aux États-Unis encore une fois que la question a été rouverte le plus récemment. Lors de sa campagne électorale, le candidat Obama s’est en effet illustré doublement par, d’un côté un recours massif aux nouvelles technologies et en particulier aux réseaux sociaux pour mobiliser son électorat [1], et aussi par la promesse faite à la nation d’une transparence, d’un responsabilité, d’une ouverture nouvelle de son gouvernement, s’il était élu, aux citoyens ordinaires qui se sentent traditionnellement très éloignés de ce qui peut se passer à Washington. Et de fait, le début de son mandat et la mise en place de son administration ont été marqués par plusieurs signaux forts [2] : l’ouverture de sites participatifs, la nomination d’une nouvelle génération issue de la Silicon Valley à des postes de responsabilité, mais surtout l’initiative Data.gov impliquant que les administrations fédérales ouvrent largement leurs bases de données au public non seulement pour qu’elles puissent être consultées, mais aussi manipulées, exploitées, rediffusées par l’intermédiaire d’interfaces de programmation ouvertes.

Deux ans après l’arrivée de Barrack Obama au pouvoir, le sommet Gov 2.0 qui s’est déroulé à Washington au début du mois de septembre a été l’occasion pour un certain nombre d’observateurs de revenir sur cette première période du mandat présidentiel. Le constat posé par Ellen Miller en particulier est finalement peu flatteur : malgré les promesses et les réalisations effectives, le bilan est un peu maigre et la révolution attendue n’a pas vraiment eu lieu [3]. Sans doute ne suffit-il pas d’ “ouvrir les données” pour qu’elle donnent prise à une réelle participation citoyenne. De son côté Aneesh Chopra, responsable de la politique technologique de l’administration Obama (Chief Technology Officer) promet une nouvelle étape de développement de l’open gouvernement : après l’ouverture des données, c’est sur les réseaux sociaux et les plateformes participatives qu’il mise désormais, apportant le dispositif complémentaire qui manquait certainement [4].

Le cas Wikileaks

Mais peut-être les propos échangés au cours de ce type de sommets sont-ils trop lénifiants. Car le réel défi qui est aujourd’hui posé à l’initiative open gouvernement de l’administration Obama ne se situe pas vraiment à ce niveau. Elle repose plutôt dans la question de savoir s’il est possible de faire confiance à un pouvoir, quel qu’il soit, lorsqu’il fait la promesse d’organiser sa propre transparence. Car cette promesse se heurte nécessairement à quelques limites. Ces limites, c’est bien entendu l’initiative Wikileaks qui les met en lumière en reprenant à son compte l’impératif de transparence du pouvoir, mais de manière beaucoup plus radicale. Rappelons que Wikileaks est une organisation militante internationale offrant aux « lanceurs d’alerte » une plateforme hautement sécurisée qui leur permette de déposer en tout confiance les documents qu’ils souhaitent faire « fuiter » [5]. Derrière la personnalité haute en couleurs de Julian Assange sur laquelle se focalisent les médias, Wikileaks est animé pas un collectif de bénévoles qui se chargent de maintenir la plateforme, mais aussi de tenter de recouper et donc de valider les informations qui y sont soumises.

Wikileaks s’est fait connaître du grand public pour avoir d’abord diffusé une vidéo filmant le mitraillage par un hélicoptère américain de civils irakiens pris à tort pour des insurgés et qui se sont révélés être par la suite des journalistes de l’agence Reuters. Leur seconde exploit fut la diffusion d’une masse considérable de documents classé confidentiel défense [6] en provenance des troupes de l’OTAN en Afghanistan, faisant brutalement apparaître une situation militaire beaucoup plus dégradée que les autorités ne l’avouaient jusqu’alors. L’acharnement avec lequel le gouvernement américain tente d’étouffer Wikileaks et ses révélations fracassantes ne peut que relativiser la portée du slogan open gouvernement qu’il promeut par ailleurs.

Wikileaks porte le flambeau de la transparence politique et de la démocratie à l’échelle mondiale. Mais quelle est la portée réelle de son action ? La question a été peu abordée. La plupart des commentateurs, en France en tout cas, parce que ce sont des journalistes, se sont concentrés sur les questions d’ordre professionnel que cette initiative leur pose. Il reste que les effets concrets sur les politiques des Etats des révélations publiées par Wikileaks semblent peu importants. On a pu faire remarquer par exemple que les masses de données rendues publiques ont été peu exploitées réellement et n’ont pas véritablement surgir de débat public particulièrement vif aboutissant à un infléchissement significatif de telle ou telle politique publique. Et il n’y a rien de bien étonnant à cela, à bien y réfléchir. Car l’espace public n’est pas un environnement amorphe réagissant de la même manière à tous types d’informations. Il est l’objet de ce qu’on qualifie de « cadrage médiatique » qui structure et hiérarchise les sujets de discussion dans cet espace. Il est par ailleurs traversé de forces politiques qui exploitent ou non les informations qui y circulent afin d’améliorer leur position concurrentielle dans l’arène politique.

Autrement dit, croire qu’une initiative comme Wikileaks peut à elle seule changer la situation politique est sans doute faire preuve d’une certaine naïveté : pour que les informations que diffuse Wikileaks diffuse sur Internet aient un impact politique, il faut qu’elle entrent en résonance avec le cadrage opéré par les médias, et qu’à l’intérieur de ce cadrage leur exploitation serve les intérêts de forces politiques réelles.

L’exemple de Wikileaks explique très bien pourquoi, vingt ans après, les espoirs de révolution démocratique qui ont été placés dans Internet ont été déçus : Internet est un espace dispersé, qui en raison de sa structure même, ne peut connaître de focalisation universelle de l’attention sur un problème dont la résolution change un rapport de forces. Médiatiquement, Internet fonctionne comme un « ailleurs » d’où proviennent de nombreuses informations. Ces informations ne peuvent être lestées d’un poids et d’une efficace politique que si elles transitent dans un espace public traditionnel, focalisé et structuré par des rapports de force.

Le contre-exemple sur lequel Benoît Thieulin est revenu récemment sur le siteTemps Réels illustre parfaitement cette mécanique [7]. Il s’agit d’un incident qui s’est déroulé lors de la dernière campagne électorale en Suède, dont le sujet principal portail sur la réforme de l’assurance maladie. On a pu y voir une jeune blogueuse jouer un rôle non négligeable dans ce débat après avoir publié un billet racontant comment se mère, gravement malade a vu ses allocations brutalement supprimées par le gouvernement. Son récit, repris dans la presse nationale, est entré en résonance avec le débat principal de la campgne en cours : la réforme de l’assurance-maladie.

Des citoyens auto-organisés

S’il semble donc bien établi que l’impact des nouvelles technologies sur les structures traditionnelles de pouvoir est limité, d’autres avancent une autre proposition, plus subtile : il s’agit de penser que les pratiques sociales sur le réseau, les multiples échanges qui s’y déroulent, que ce soit dans les forums de discussion, les communautés virtuelles ou les réseaux sociaux portent en eux un modèle de gouvernance authentiquement démocratique qui constitue une alternative en soi aux pratiques politiques dominantes. Par certains aspects, cette proposition pourrait rappeler l’ancien défi de l’indépendance du cyberespace, mais il s’agit en réalité de tout autre chose. Il s’agit plutôt de comprendre comment à un niveau local, les communautés virtuelles qui se rassemblent sur Internet élaborent spontanément des règles de vie commune, des procédures de résolution de conflits et des modes de régulation qui en font des espaces démocratiques limités certes, mais effectifs et vivants. C’est le sens en tout cas de l’article récemment publié par Sylvain Firer-Blaess à propos de Wikipédia où il considère les règles dont les « wikipédiens » se sont dotés comme un modèle de démocratie électronique [8].

Ceux qui pourraient penser que ces formes nouvelles d’auto-organisation horizontales typiques du réseau n’ont pas la capacité d’en sortir pour trouver leur champ d’application dans l’environnement physique liront avec profit l’article que Gregory Asmolov a récemment publié sur le portailGlobal Voices [9]. Il montre comment les blogueurs se sont mobilisés de manière très efficace contre les incendies qui ont ravagé la Russie au cours de l’été et ont, dans les faits, suppléé à un gouvernement central apparemment impuissant et davantage soucieux de son image que des résultats réels de son action.

Ces mouvements par lesquels les individus prennent en main leur destin dans les espaces virtuels ou physiques, c’est ce que le sociologue Dominique Cardon appelle la « démocratie Internet [10]. Spécialiste avec Fabien Granjeon de « l’Internet militant » [11], observateur des pratiques de socialisation sur les réseaux [12], et auteur lui aussi récemment d’une étude sur Wikipédia [13], le chercheur pense au final qu’Internet est porteur d’une vertu émancipatrice pour le public.

Tout le public ? Certainement pas, affirme Cyrille Franck. En dénonçant une « nouvelle classe de dominants » [14] qui établit les bases de son pouvoir sur la maîtrise des réseaux sociaux et plus largement des technologies numériques, le blogueur revient opportunément sur la réalité d’une fracture numérique persistante qui ne se manifeste pas seulement sous la forme d’un défaut d’équipement, mais aussi et le plus souvent d’un défaut de maîtrise de ces technologies. Le trait est certes un peu grossi mais il a le mérite de pointer les limites du modèle méritocratique qui parcourt les communautés virtuelles sur Internet : celui-ci est inefficace à l’égard de ceux qui sont dépourvus des ressources les plus élémentaires, matérielles et symboliques pour tirer parti des moyens d’expression qui se trouvent à leur disposition.

Figures de la citoyenneté numérique

La « démocratie Internet » restera-t-elle un phénomène minoritaire ou sera-t-elle portée par un mouvement authentiquement populaire ? C’est finalement sur la question de la participation [15] que se situe un des enjeux importants de sa capacité à transformer à la fois le jeu politique et les rapports sociaux. Le tableau des conditions de possibilité d’une démocratie électronique semble presque complet lorsqu’on y ajoute une appropriation massive par le public des technologies d’expression publique sur le Réseau. Les nombreuses initiatives, publiques et privées – offres de formation, espaces publics numériques, plateformes de blogs, structures d’aides aux utilisateurs, membres actifs des communautés virtuelles assument une responsabilité de premier plan dans ce mouvement. Assurément, le rôle que jouent ces « figures de la citoyenneté numérique » est loin d’être suffisamment reconnu.

Article initialement publié sur Homo-Numéricus

Illustrations CC : Eliot Lepers pour OWNI, FlickR : paragdgala, Ryan Kendrick Smith

Illustration de la Une en CC par Loguy pour OWNI

Notes

[1] Ferrand, Olivier. Moderniser la vie politique : innovations américaines, leçons pour la France. Terra Nova, January 2009. http://www.tnova.fr/images/stories/groupes-de-travail/006-mission-us/terranova-rapportmissionus.pdf.

[2] Ratcliff, Evan. “The Wired Presidency : Can Obama Really Reboot the White House ?.” Wired, January 19, 2009. http://www.wired.com/politics/onlinerights/magazine/17-02/ff_obama?currentPage=all.

[3] Howard, Alex. “We’re in open government’s beta period.” O’Reilly Radar, September 14, 2010. http://radar.oreilly.com/2010/09/th…

[4] Howard, Alex. “2010 is the year of participatory platforms.” O’Reilly Radar, September 17, 2010. http://radar.oreilly.com/2010/09/20…

[5] Lovink, Geert, and Patrice Riemens. “Les dix thèses de WikiLeaks.” OWNI, Digital Journalism, September 13, 2010. http://owni.fr/2010/09/13/les-dix-t…

[6] Dufresne, David. “Warlogs : la nouvelle guerre de l’information.” OWNI, Digital Journalism, July 27, 2010. http://owni.fr/2010/07/27/warlogs-l…

[7] Thieulin, Benoit. “Rebooting Sweden ? Comment une jeune bloggeuse suédoise bouleverse le déroulement de la campagne électorale en Suède.” Temps Réels, September 18, 2010. http://www.temps-reels.net/blog/reb…

[8] Firer-Blaess, Sylvain. “Wikipédia : exemple à suivre pour une possible démocratie électronique ? ”. Homo Numericus, September 5, 2010. http://homo-numericus.net/spip.php?article295.

[9] Asmolov, Gregory. “Russia : Online Cooperation as an Alternative for Government ?.” Global Voices. http://globalvoicesonline.org/2010/08/30/russia-online-cooperation-as-an-alternative-for-government/

[10] Cardon, Dominique. La démocratie Internet : Promesses et limites. Seuil, 2010.

[11] Granjon, Fabien. “L’Internet militant. Entretien avec Fabien Granjon.” Matériaux pour l’histoire de notre temps 79, no. 1 (2005) : 24-29. http://www.persee.fr/web/revues/hom…

[12] Cardon, Dominique. Sociogeek, identité numérique et réseaux sociaux. FYP éditions, 2010.

[13] Cardon, Dominique, and Julien Levrel. “La vigilance participative. Une interprétation de la gouvernance de Wikipédia.” Réseaux 154, no. 2 (2009) : 51.

[14] Franck, Cyrille. “Nouveaux médias : une nouvelle classe de dominants.” Médiaculture, September 4, 2010. http://www.mediaculture.fr/2010/09/04/nouveaux-medias-l%E2%80%99irruption-d%E2%80%99une-nouvelle-classe-dominante/

[15] Guillaud, Hubert. “PDF Europe : e-gov vs. we-gov, collaboration ou conflit ?.” Internet Actu, November 27, 2009. http://www.internetactu.net/2009/11…

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http://owni.fr/2010/09/29/la-democratie-electronique-est-elle-une-illusion/feed/ 8