OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Amesys écoutait aussi la banque de Ben Ali http://owni.fr/2011/12/07/amesys-ecoutait-aussi-la-banque-de-ben-ali/ http://owni.fr/2011/12/07/amesys-ecoutait-aussi-la-banque-de-ben-ali/#comments Wed, 07 Dec 2011 07:40:38 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=89270

La semaine passée, OWNI révélait en partenariat avec Wikileaks, dans le cadre de l’opération SpyFiles, que la société française Amesys avait contribué à espionner plus d’une dizaine de “figures historiques” de l’opposition libyenne, dont l’actuel ministre libyen de la culture, ainsi que l’ambassadeur de la Libye à Londres. Leurs noms ou adresses e-mails figurent en effet sur une capture d’écran, que nous avons désanonymisée, à l’intérieur d’un document décrivant le mode d’emploi d’Eagle, un système de surveillance “massif” de l’Internet vendu par Amesys à la Libye de Kadhafi.

Bruno Samtmann, directeur commercial d’Amesys, cherche aujourd’hui à se dédouaner en expliquant, à France TV que son système a été créé pour identifier les pédophiles, laissant entendre que le nouvel ambassadeur de la Libye à Londres serait peut-être un pédophile, voire un narco-trafiquant…

En outre, d’autres captures d’écran du système Eagle révèle que ses utilisateurs ont également cherché à identifier “tous les employés” d’une banque tunisienne, qu’on y trouve ainsi des dizaines d’adresses mail et de courriels échangés par plusieurs de ses employés (essentiellement des femmes), ainsi que des reçus envoyés automatiquement par les robots de la banque, ou encore par le système SWFIT de transferts interbancaires… que l’on pourrait difficilement suspecter de pédophilie.

La page 11 du manuel est censée expliquer comment le “superutilisateur” du système assigne des tâches aux opérateurs chargés de faire le tri dans les télécommunications interceptées. Or, on peut y lire  :

merci d’identifier tous les employés de cette banque

La BIAT est la Banque internationale arabe de Tunisie, l’une des plus importantes institutions financières en Afrique du Nord, et la première banque privée tunisienne.

Les pages qui suivent, dans le manuel, sont ainsi truffées d’adresses e-mail de type prénom.nom@biat.com.tn, mais également de nombreuses adresses en @yahoo.fr, @gmail.com, @hotmail.com, @voila.fr, @wanadoo.fr ou @laposte.net… sans que l’on sache trop s’il s’agit de clients, ou bien d’employés, ni s’il s’agit de Français ou bien de francophones :

On y trouve également un e-mail de confirmation (en français) d’un virement SWIFT envoyée par la BIAT à l’un de ses clients libyens :

Contactée, la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), qui fournit des services de messagerie standardisée de transfert interbancaire à plus de 9700 organismes bancaires, établissements financiers et clients d’entreprise dans 209 pays, confirme que “l’email envoyé par la banque BIAT fait bien référence à une transaction effectuée sur le réseau SWIFT” :

Il s’agit en fait d’une communication entre la banque et son client dont l’objet est la confirmation de l’exécution d’une opération demandée par le client. Il s’agit là d’une procédure classique : la banque opère pour le compte d’un client qui n’est pas lui-même connecté à SWIFT et lui envoie ensuite confirmation de la bonne réalisation de l’opération.

Interrogée pour savoir si cela constituait une violation de la sécurité de SWIFT, le réseau interbancaire tient à préciser qu’”en aucun cas la sécurité et la confidentialité des informations qui transitent par le réseau SWIFT ne sont affectées“. A contrario, elle précise également que la banque gagnerait à sécuriser ses communications :

L’utilisation d’un canal d’échange de type mail non sécurisé pour effectuer cet échange ne dépend pas de SWIFT lui-même, mais relève du domaine de responsabilité de la banque BIAT. Toutefois, Il faut noter que celle-ci prend la précaution de n’envoyer à son client qu’une copie de l’acquittement technique de remise du message au réseau (d’où le nom du fichier en pièce jointe Ack6429108787 : Ack = Acknowledgement). Cet acquittement ne contient que des données techniques relatives à la transmission du message (horodatage, référence unique de transfert ..) mais ne contient pas le message en lui-même. Cet acquittement délivré par le réseau SWIFT donne la preuve au client de la bonne prise en compte de son opération et peut être utilisé en cas de litige avec la contrepartie.

Cet échange de mail ne remet donc pas en cause la confidentialité de l’opération réalisée par la banque sur le réseau SWIFT. Si cet échange est au-delà du domaine d’intervention et de responsabilité de SWIFT, ce dernier peut néanmoins conseiller à la banque BIAT d’utiliser un réseau sécurisé pour communiquer ce genre d’informations à ses clients.

Qui a espionné la banque de Ben Ali ?

Créée par Mansour Moalla, l’ancien ministre des finances de Bourguiba limogé par Ben Ali, la BIAT était passée sous le contrôle du groupe des frères Mabrouk (dont Marouane, marié à Cyrinne, l’une des filles de l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali) qui, fort de leur trésorerie alimentée par les super et hypermarchés Monoprix, avait acquis 24% du capital, pour 47,5 millions d’euros cash, en 2006. En septembre 2007, elle ouvrait un bureau de représentation à Tripoli.

En octobre 2008, le groupe Mabrouk montait à hauteur de 30% ce qui, avec les 8% que détenait l’homme d’affaires Aziz Miled, lui aussi très proche de Ben Ali et du clan Trabelsi, leur donnait la minorité de blocage.

Les captures d’écran désanonymisées montrent que l’espionnage des mails de la BIAT a été effectué dans la foulée, d’octobre 2008 à début 2009.

Suite à la fuite de Ben Ali, en 2011, le Conseil du marché financier (CMF) tunisien a publié un communiqué de la BIAT révélant que la banque avait financé 26 sociétés et 10 groupes appartenant à des proches ou membres de la famille de Ben Ali, à concurrence de près de 350 millions de dinars, soit près de 180 millions d’euros, représentant 6,5% du total des engagements de la banque.

En réponse à notre enquête, la société Amesys a envoyé un communiqué interne à tous ses salariés, que Reflets.info s’est procuré, et qui cherche à se dédouaner :

Les copies d’écrans qui figurent dans le manuel d’utilisation ont été fournies exclusivement par le client.

Outre le caractère somme toute cocasse de cette tentative de justification (il est relativement rare qu’une entreprise demande à son client de l’aider à réaliser le mode d’emploi du produit qu’elle lui a vendu), cette explication ne tient pas pour les dizaines d’adresses e-mails des employés de la BIAT. Comment, en effet, le système Eagle de surveillance de l’Internet, installé en Libye, aurait-il pu intercepter des mails échangés entre employés d’une banque tunisienne ? Sauf à imaginer que le trafic Internet de la Tunisie transite par la Libye, on peine à comprendre comment les utilisateurs d’Eagle, à Tripoli, auraient pu espionner des Tunisiens écrivant à des Tunisiens, ce que reconnaît d’ailleurs la porte-parole d’Amesys qui, interrogée à ce sujet, reconnaît que cela aurait effectivement été “techniquement impossible“.

Amesys a certes vendu son système Eagle a plusieurs autres pays au Moyen-Orient, mais rien n’indique qu’il ait jamais été vendu à la Tunisie de Ben Ali. Et il est d’autant plus improbable que les captures d’écran aient été faites en Tunisie qu’au moment de la rédaction du manuel, entre la fin 2008 et le mois de mars 2009, Eagle venait tout juste d’être installé à Tripoli.

Des dizaines de Tunisiens, utilisant des adresses e-mails de prestataires tunisiens, français et américains, ont donc été espionnés, et le contenus de leurs e-mails, ainsi que leurs contenants (qui écrit à qui, quand, au sujet de quoi ?), ont été “analysés“, entre la fin 2008 et début 2009, au moment même où le groupe Mabrouk finalisait sa prise de contrôle de la BIAT, par un utilisateur non-identifié du logiciel d’Amesys. Reste donc à savoir par qui, et pour quoi la Libye, Amesys ou encore les services de renseignement français (Amesys se présente comme le principal fournisseur de solutions d’interception des communications des ministères de la Défense et de l’Intérieur) se seraient ainsi intéressés aux employés de la BIAT à ce moment-là.


Photo et illustration Loguy pour Owni /-) et Abode of Chaos [cc-by] via Flickr

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Migrants tunisiens: la France dans un sale Etat http://owni.fr/2011/07/11/migrants-tunisiens-schengen-botzaris-france-etat/ http://owni.fr/2011/07/11/migrants-tunisiens-schengen-botzaris-france-etat/#comments Mon, 11 Jul 2011 16:24:02 +0000 Pierre Deruelle http://owni.fr/?p=73358

Le peuple français est né d’une mère chrétienne et d’un père inconnu… Je dis père inconnu parce que la France est et a toujours été une nation d’immigrants.

Andre Frossard (1915 – 1995) – journaliste, essayiste, membre de l’Académie française

Un peu d’histoire dans le sang

La “Révolution tunisienne de 2010-2011″ ou “Révolution de jasmin” est une suite de manifestations non violentes et de sit-in, qui, au bout quatre semaines en décembre 2010 et janvier 2011, ont abouti au départ forcé de Zine el-Abidine Ben Ali, en poste depuis 1987.

Plus de 20.000 Tunisiens ont quitté leur pays après la chute du régime, le 14 janvier.

Avec un taux de chômage qui atteint 14,2%, nombre d’entre eux ont quitté leur sol natal pour tenter “d’améliorer leur existence” ou “laisser les places de travail aux autres” selon les dires de certains.

Il n’est peut-être pas inutile ici de rappeler qu’entre le 12 mai 1881 et le 20 mars 1956, la Tunisie fut un protectorat français, et que son aide militaire fut loin d’être négligeable, ce qui est un euphémisme.

En 1884, l’armée française crée le 4e Régiment de Tirailleurs Tunisiens (4e R.T.T.), comprenant six bataillons de 600 hommes chacun en 1899. Les faits d’armes des tirailleurs tunisiens leur valent Croix de guerre, Médaille militaire et Légion d’honneur, six citations à l’ordre de l’armée (et par conséquent l’attribution de la fourragère rouge), ainsi qu’une participation au défilé du 14 juillet 1919.

Le général Weygand dans son Histoire de l’Armée française (1953) et le décrit comme :

Une unité d’élite qui porte la croix de la légion d’honneur à son drapeau.

En 1944, après les combats du Belvédère (Monte Cassino – Italie) du 24 janvier au 11 février 1944, le 4e R.T.T. sera bien plus que décimé : les trois quarts des cadres sont tués ou blessés, 279 hommes sont tués (dont 15 officiers), 426 hommes sont portés disparus (dont 5 officiers) et 800 hommes sont blessés (dont 19 officiers), soit au total les deux tiers de l’effectif engagé dans les combats.

Quelques mois plus tard, le 4e R.T.T. sera le premier régiment français à pénétrer en Allemagne en 1945. Il participera aussi à la guerre d’Indochine jusqu’en 1955.

Les liens qui unissent la France et la Tunisie se sont aussi forgés côte à côte dans le sang sur les champs de bataille, ce qui est un point non négligeable de l’histoire de France. Qu’il convient peut-être de rappeler.

De Lampedusa à Paris

Le premier réflexe de l’Europe, ensemble de pays qui compte plus de 500 millions d’habitants, face à ce qui est non pas un flux migratoire mais plutôt un afflux ponctuel de migrants, a été de se recroqueviller sur elle-même.

Invoquant à tour de rôle le risque d’un “appel d’air”, ou le “danger d’être envahi”, S. Berlusconi et N. Sarkozy se sont prononcés en faveur de la remise en cause des accords de Schengen sur la libre circulation des personnes au sein de l’Union Européenne.

Quand les peuples demandent leur liberté, la France sera à leur côté.

Mise dans le contexte du traitement réservé aux Tunisiens à leur arrivée en France, cette phrase prononcée par Nicolas Sarkozy en mai 2011 sonne comme un mensonge éhonté.

Selon Le Monde du 1er mai, la France souhaitait pourtant faciliter l’arrivée de travailleurs tunisiens sur son sol. Pour cela, Paris se base sur un accord signé en 2008 avec Tunis qui prévoit un objectif de 9 000 entrées par an dont 3 500 salariés. Or, seuls 2 700 Tunisiens sont arrivés  en France au cours de l’année 2010.

La délivrance par l’Italie de titres de séjours aux migrants tunisiens échoués à Lampedusa, grâce à la Convention de Schengen qui leur permettaient de venir librement en France a entraîné la réaction immédiate de Claude Guéant :

Il ne suffit pas d’avoir une autorisation de séjour en Italie pour venir en France.

Son ministère a donc émis, le 5 avril, une circulaire [PDF] établissant des critères stricts. Les intéressés sont ainsi notamment sommés d’avoir un minimum de ressources (31 euros par jour à condition d’avoir un hébergement, 62 euros dans le cas inverse) sur eux, en plus de leur titre de séjour.

L’article 5 de la Convention de Schengen signale que l’intéressé doit avoir “des moyens de subsistance suffisants” et ne fixe pas de montant précis : le migrant, doit “être en mesure d’acquérir légalement ces moyens”.

Ne peut-on considérer que deux bras, deux jambes, la volonté et l’envie de bosser sont des moyens suffisants ?

On notera que si les gouvernants sont fort prompts à faire adhérer les citoyens à la libre circulation des marchandises et des biens en Europe, il semble que les migrants soient une forme de marchandise bien plus encombrante, quelque part entre le traitements des déchets toxiques et la gestion du bétail.

J’exagère ? Peut-être. Ou pas.

Les contrevérités gouvernementales

On notera tout d’abord qu’il y a en France moins d’immigrés en 2011 qu’au début du XXe siècle.

Là où le discours gouvernemental s’effondre, c’est comme souvent à regarder les chiffres : les bénéfices issus de l’immigration sont supérieurs à ses coûts pour les pays d’accueil, selon un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

En 1999-2000, les immigrés ont rapporté au Royaume-Uni 4 milliards de dollars de plus en matière d’impôts. Aux États-Unis, l’immigration a généré un revenu national supplémentaire de 8 milliards de dollars en 1997.

Quant à la concurrence dans le domaine de l’emploi, l’OIM rappelle qu’en Europe occidentale, “il est rare que les immigrés et les travailleurs locaux se trouvent en concurrence directe”, les premiers occupant fréquemment “des emplois que les nationaux sont soit dans l’incapacité soit peu désireux d’occuper”.

Deuxième constat, les immigrés ne pèsent pas sur les comptes sociaux, si l’on croit une étude [en] du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). S’ils pèsent sur les caisses chômage , en revanche, ils ne pèsent pas sur les caisses de santé et de retraite.

Toujours selon le Cepii, les immigrés réduisent le poids fiscal du vieillissement démographique. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a récemment montré qu’un accroissement des entrées de 50 000 par an pourrait réduire le déficit des régimes de retraites d’un demi-point de PIB à l’horizon 2050.

Le problème des migrants tunisiens ne serait donc pas économique, mais bien politique.

M. Claude Guéant réécrit ainsi la Convention de Schengen à sa sauce. Reste à savoir pourquoi.

Le contexte électoral

Nicolas Sarkozy chercherait à reproduire un “21 avril” en 2012, espérant affronter Marine Le Pen au second tour. Cette hypothèse a notamment été confirmée sur France 2 par un “proche de Nicolas Sarkozy” au cours de l’émission Complément d’enquête.

Décryptant la stratégie élaborée par Patrick Buisson, conseiller de l’Élysée et ancien directeur de Minute, charmant journal d’extrême droite, ce témoin anonyme raconte que la manœuvre consiste à créer “dans l’esprit public des stress complémentaires sur les sujets immigration, sécurité” pour en faire “une marotte, une obsession”, et ainsi amener le débat sur un terrain sur lequel la gauche française est en général mal à l’aise.

Et les Tunisiens font de parfaits boucs émissaires. Plus les CRS interviennent, plus la stratégie de Sarkozy prend corps. Plus les médias en feront des gorges chaudes, et plus le candidat Sarkozy se frotte les mains.

Je dis bien candidat Sarkozy, car il est évident que cette tactique n’a plus rien de l’attitude responsable d’un homme politique en charge de gérer la cohésion d’une nation et de ses différentes composantes, fussent-elles venues de pays voisins.

Sur la question des boucs-émissaires, Hakim Karoui écrit dans L’avenir d’une exception :

Dans la société française, les boucs émissaires ont été les juifs, mais aussi, au Moyen Âge, les « Lombards », à l’époque moderne, les protestants ou les catholique selon les camps, les agents royaux (du fisc par exemple) ou inversement les mendiants ou les prostituées, les « aristocrates » et parfois les prêtres à la Révolution; les « capitalistes », les « bourgeois » à l’époque contemporaine, les immigrés non encore assimilés à toutes les époques. Aujourd’hui, le bouc émissaire, ce sont les Arabes. Demain, ce seront peut-être les Noirs ou les Chinois. Les Arabes, parce qu’ils portent encore une différence (leur nom, leur religion) mais aussi et surtout parce que la société française se rend compte qu’ils sont de moins en moins différents. Leur différence apparaît alors d’autant plus importante qu’elle est finalement de plus en plus résiduelle.

Diviser pour mieux régner, nul besoin d’avoir lu Machiavel pour comprendre. Que nous soyons tous membres de l’espèce humaine s’oublie vite, semble-t-il, à quelques mois des élections.

Grossière erreur de jugement. C’est oublier de considérer que des jeunes gens (dont certains sont des mineurs) qui ont tout quitté, famille et amis, qui ont voyagé sur des embarcations de fortune, et ont réussi à survivre jusqu’au pied de nos immeubles, sont des forces dont la valeur humaine n’est plus à démontrer. Quelle volonté ne faut-il pas pour accomplir ce périple? Quel courage ? Quelle envie de vivre, d’avancer ?

Avons-nous plus peur d’eux qu’ils ont eu peur de partir à l’aventure, sans certitude ?

Ce sont donc actuellement environ 600 Tunisiens qui se trouvent à Paris, certains entassés dans des gymnases, d’autres dormant dans les parcs ou le long des bouches de métro.

Si la Mairie de Paris a voté des levées de fonds pour leur venir en aide, il apparaît que les structures d’accueil sont déficientes, trop peu nombreuses, souvent insalubres. L’Europe ne leur viendra pas en aide. Le gouvernement leur envoie les CRS. La mairie de Paris les déloge pour des raisons fallacieuses (Gymnase Fontaine au Roi).

Et ce sont de simples citoyens qui leur viennent en aide, comme ils peuvent.

Le cas #Botzaris36

Je ne raconterai pas ici ce qui se passe entre le 36 rue Botzaris et le parc des Buttes-Chaumont. Parce que je ne me suis pas rendu sur place, j’en serais donc fidèlement incapable, tandis que d’autres y sont jour et nuit, et en parleront concrètement mieux que moi.

Écœuré par cette situation hypocrite, indigne d’un état de droit, j’ai fait le choix de consacrer mon compte Twitter à ce sujet unique depuis plusieurs semaines.

Pour le caractère inhumain du traitement réservé aux Tunisiens d’une part (« comme des bêtes »), et parce que je le considère comme révélateur de l’état d’esprit dans lequel la petite gue-guerre électorale des partis majoritaires a plongé ce pays.

Si quelques médias se sont penchés sur le problème des migrants, il convient d’expliquer ici la relative omerta d’une partie de la presse française. Et c’est encore Le Canard Enchainé qui s’y colle dans un article intitulé “Quand le gratin de la presse française bronzait aux frais de Ben Ali”.

Je vous invite également à lire entre autres les articles suivants, et bien-sûr à faire vos propres recherches.

@OWNI :

Botzaris, territoire annexé par l’ambassade de Tunisie

@menilmuche :

Les Tunisiens de Botzaris embarqués par la police

Les Tunisiens du gymnase à la rue

La visite de Pascal Terrasse, député de l’Ardèche :

Être né quelque part

@LeClown :

Pourquoi les Tunisiens doivent sauver Botzaris36

Pour venir en aide aux migrants, une association « action tunisienne » vous fournira les renseignements nécessaires.

N’étant ni journaliste, ni chroniqueur, ni écrivain, je me suis exprimé ici en tant que simple citoyen français.

Billet initialement publié sur le Tumblr de Pierre Deruelle

Illustrations CC FlickR par skinny79, Wassim Ben Rhouma, Antonio Amendola Photography et empanada_paris

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Lumière sur les biens mal acquis http://owni.fr/2011/07/03/lumiere-sur-les-biens-mal-acquis-bongo/ http://owni.fr/2011/07/03/lumiere-sur-les-biens-mal-acquis-bongo/#comments Sun, 03 Jul 2011 12:00:44 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=72597

Il est un peu plus de minuit, mercredi soir, quand s’illumine la façade du 51 de la rue de l’Université dans le très huppé VIIe arrondissement. Point de guirlandes, mais la projection d’un visage qui s’étale sur la grande porte entourée de colonnades. Un visage connu. Celui d’Ali Bongo, fils de feu le dictateur gabonais qui a régné pendant 41 ans avant d’être remplacé par son fils à sa mort en 2009. Un collectif tient le projecteur, fabriqué à la main avec une lampe et une diapo, pour ne pas transporter de batterie ou de matériel encombrant qui ralentirait l’équipée.

Matjules, instigateur de l’événement, voulait faire une action coup de poing tout en restant furtif. Les lieux, rue de l’Université, étaient connus depuis un moment. Clément Briend, le photographe et auteur de l’image projetée, avait fait ses repérages et photographié la façade pour adapter son photomontage au lieu. Pour cette première, l’endroit était idéal : pas trop fréquenté la nuit, pas trop isolé, en plein centre de Paris.

“Nous avons une seule contrainte : que la façade ne soit pas éclairée par les lampadaires, sinon on ne voit pas bien l’image projetée. C’est notamment pour ça que nous avons fait la projection ici” détaille Matjules. D’où le choix, un peu surprenant en ces temps de printemps arabe, de mettre en lumière ce bien d’une valeur estimée de 100 millions d’euros appartenant à Ali Bongo, plutôt qu’un bien de Ben Ali ou Kadhafi, comme il y en a tant à Paris.

Pendant la durée de la projection, les lumières éteintes ont permis à chacun de découvrir le large sourire du président Gabonais. Les passants curieux s’arrêtent. Une voisine intriguée ouvre la fenêtre et photographie discrètement. Elle sait à qui appartient le bâtiment. Tout comme un passant qui explique qu’un de ces amis a organisé la cérémonie de son mariage ici.

Les organisateurs n’étaient pas surpris par ces réactions, ils voulaient justement attirer l’attention sur les biens mal acquis comme l’explique Matjules :

Au-delà des des biens mal acquis, nous voulons mettre en lumière les liens entre la France et certains régimes autoritaires ou dictatoriaux.

À leurs côtés, une dizaine de collectifs de militants, certains engagés dans la lutte contre la corruption, d’autres plus spécifiquement contre la françafrique.

Sur le visuel projeté, Ali Bongo est entouré de Nicolas Sarkozy et Michel Mercier, le Garde des Sceaux, deux petits anges. Justice et pouvoir exécutif encerclent l’ancien potentat, les mains refermées sur des montagnes d’euros et de francs CFA. Entre happening et manifestation, la projection a été choisie pour sa facilité à être mise en place, comme l’explique Clément Briend :

La projection est un moyen de démocratiser les instruments de protestation. Elle ne nécessite pas ou très peu de moyens et de matériel.

Matjules lui embraye le pas :

Nous voulons faire ces actions partout, y compris à l’extérieur de la France. Il y a des biens mal acquis au Luxembourg, en Belgique, à Londres…

L’inspiration leur vient d’ailleurs de l’étranger, de Russie où Voina, un groupe d’artivistes, a réussi des performances mémorables : projeter une tête de mort sur le Parlement russe, ou encore peindre un phallus géant sur un pont levant qui s’est érigé en face du siège des services secrets russes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Crédits Photo CC by-nc-nd Pierre Alonso

Retrouvez la Carte au Trésor d’OWNI sur les biens mal acquis dans le monde

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Les CRS encerclent la place Bouazizi http://owni.fr/2011/07/02/les-crs-encerclent-la-place-bouazizi/ http://owni.fr/2011/07/02/les-crs-encerclent-la-place-bouazizi/#comments Sat, 02 Jul 2011 09:53:46 +0000 Pascal Herard http://owni.fr/?p=72554
Ce jeudi 30 juin, la ville de Paris rendait hommage au Tunisien Mohamed Bouazizi, en inaugurant une place à son nom dans le XIV° arrondissement. Mohammed Bouazizi est mort le 4 janvier 2011 suite à son immolation par le feu le 17 décembre 2010, elle-même à l’origine des manifestations qui ont conduit à la chute de la dictature Ben Ali.

Pour la circonstance, Bertrand Delanoë, maire de Paris, était accompagné du maire du 14e arrondissement, Pascal Cherki, et de Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme. Mais pas seulement. Six cars de CRS s’étaient joints à la cérémonie.

La nouvelle place Mohamed Bouazizi est située au bord du parc Montsouris, à l’angle de l’avenue Reille et de l’avenue Sibelle. Pour l’occasion chaque entrée du parc s’était donc vue dotée d’un substantiel dispositif policier. Les habitants du quartier pouvaient ainsi passer les grilles d’entrée sous le regard bienveillant de cinq ou six grands gaillards en armure républicaine. Mais tout le monde n’était pas le bienvenu.

Un petit groupe de jeunes migrants tunisiens sort du RER, s’approche de l’entrée et se voit interdire l’accès au parc. Le passants eux entrent et sortent sans que l’on se préoccupe de leurs allées-venues.

Ces Tunisiens voulant se rendre à la commémoration de leur compatriote ont donc été forcés par la police française d’attendre plus de deux heures devant les grilles du parc, le temps que le maire et ses invités finissent leurs discours. Un peu de chahut provoqué par leur immobilisation fera passer le temps sous le regard impavide des représentants de l’ordre.

Mannoubia, la mère de Mohamed Bouazizi, le martyr tunisien, le maire de Paris Bertrand Delanoë et Mokhtar Trifi, Président de la Ligue Tunisienne des droits de l'Homme.

La sécurité du G8 pour une placette

La rue qui mène à la place est totalement bloquée dans les deux sens par des barrières : les CRS surveillent les quelques rares personnes qui demandent à passer le dispositif, carton d’invitation, carte de presse, vérifications… c’est une organisation de la sécurité digne d’un G8 qui attend ceux qui veulent se rendre à la commémoration-inauguration.

En un instant les représentants de la force publique s’en vont, il est de nouveau possible pour les migrants tunisiens de se rendre dans le parc. Sur la nouvelle place Mohamed Bouazzizi, sa mère est restée : elle accepte de répondre à une question, quel message aimerait-elle passer aux Tunisiens, en Tunisie comme en France :

S’il est important pour la mairie de Paris de rendre hommage à un mort, les vivants, eux n’ont pas l’air d’être les bienvenus. L’existence des migrants tunisiens gène. Une épine dans le pied des politiques. Lorsqu’un membre de l’équipe municipale se voit demander des comptes sur l’abandon des migrants délogés du 36, rue Botzaris, celui-ci tente désespérément de justifier l’action ou l’inaction de la mairie. Et le malaise est sensible :

Depuis leur arrivée en France, les migrants tunisiens subissent «une maltraitance institutionnelle», comme l’a nommée le directeur de France Terre D’Asile, joint au téléphone il y a quelques jours. 300 d’entre eux ont été pris en charge par des associations, mais des centaines d’autres survivent dans Paris, entre arrestations arbitraires (pour être relâchés sous quelques heures), errance et recherche d’aide de première nécessité. Le double jeu de Bertrand Delanoë est vivement dénoncé par des mouvements franco-tunisiens, comme celui du Front du 14 janvier :

Le gouvernement nie l’existence des migrants à la rue, la mairie de Paris estime avoir fait son possible, l’ambassade tunisienne ne répond pas. Et les migrants sont condamnés à voir de loin la France honorer leur propre héros mort pour la révolution tunisienne.

Bertrand Delanoë a été interpellé hier à ce sujet :

Les migrants et leurs soutiens espèrent que les discours de solidarité seront suivis d’actes concrets. Sans trop, désormais, se bercer d’illusions.

Pascal Hérard : son/texte
Dragan Lekic : photos

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Ben Ali en Seine http://owni.fr/2011/06/20/ben-ali-en-seine/ http://owni.fr/2011/06/20/ben-ali-en-seine/#comments Mon, 20 Jun 2011 13:16:27 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=70881 La Section antiterroriste de la Brigade criminelle de Paris enquête sur une ténébreuse affaire de pressions contre un avocat, et de menaces de mort, susceptible d’avoir été coordonnée depuis l’immeuble du 36 rue Botzaris. C’est-à-dire le bâtiment parisien considéré comme le quartier général français des activités criminelles du RCD, le parti de l’ex dictateur Ben Ali, objet de tant de rebondissements diplomatico-policiers ces derniers jours.

Ces découvertes judiciaires permettent peu à peu d’envisager l’importance des réseaux occultes de Ben Ali à Paris, lesquels ne semblent pas avoir disparu avec la fin de la dictature. Les investigations qui remontent jusqu’à la rue Botzaris interviennent dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 21 octobre 2010 par la juge Michèle Ganascia. Celle-ci s’intéresse à un homme de 32 ans soupçonné d’être à l’origine de menaces de mort contre l’avocat Thibault de Montbrial.

Le dossier judiciaire, révélé par OWNI, a déjà permis d’établir des relations entre ces menaces de mort et les intérêts d’un influent négociant tunisien défendu par Me de Montbrial. Il s’agit de Ghazi Mellouli, qui travaillait autrefois aux côtés d’Habib Ben Ali, alias Moncef, frère aîné du président Ben Ali.

Organigrammes et réseaux parisiens

Après quelques années d’une coopération étroite à l’intérieur du sérail tunisien, Ghazi Mellouli était tombé en disgrâce et avait perdu du jour au lendemain plusieurs activités commerciales, au profit de rivaux, les Trabelsi. Du nom de la dernière épouse de Ben Ali, qui avait réparti les principaux schémas de corruption étatique entre ses frères, en prenant soin d’évincer les autres courtisans.

Déterminé à faire valoir ses droits, Ghazi Mellouli a demandé à Thibault de Montbrial de le défendre contre les Trabelsi. Et à écouter le récit de cet homme d’affaires tunisien, sa détermination à retrouver ses biens lui aurait déjà valu une tentative d’assassinat au couteau, perpétrée le 18 novembre 2009 – un épisode confirmé par une enquête du Monde.

Lors d’entretiens avec OWNI, au mois d’avril dernier, Ghazi Mellouli avait estimé que les menaces de mort adressées à l’avocat Thibault de Montbrial étaient le prolongement “évident” des attaques qu’il avait déjà subies. Et selon lui, ces dernières étaient toutes coordonnées par un réseau tunisien, mi-mafia mi-service secret, émanant directement du RCD (le parti de Ben Ali) et dont la rue Botzaris contrôlait les faits et gestes sur le territoire français.

Dans le courant du mois d’avril, un proche de Ghazi Mellouli aurait apporté plusieurs organigrammes aux policiers décrivant les activités de ce réseau et le rôle joué par une association installée au 36 rue Botzaris. Il y a deux semaines, le parquet de Paris nous a indiqué que l’affaire était suivie par la Section antiterroriste de la Brigade criminelle de Paris.

Retrouvez notre dossier sur les réseaux du RCD et Botzaris 36:

Bataille pour les archives parisiennes de Ben Ali

Botzaris, territoire annexé par l’ambassade


Crédits photo: Illustration CC Elsa Secco pour OWNI, stewartmorris

Image de Une CC Elsa Secco pour OWNI

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[MàJ] Botzaris, territoire annexé par l’ambassade de Tunisie http://owni.fr/2011/06/17/botzaris-territoire-annexe-par-lambassade-de-tunisie/ http://owni.fr/2011/06/17/botzaris-territoire-annexe-par-lambassade-de-tunisie/#comments Fri, 17 Jun 2011 15:35:48 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=70423 Mise à jour du vendredi 17 juin, 23h55: A la suite de la plainte déposée il y a quelques semaines par les associations Sherpa et Transparence International, la justice française a décidé d’ouvrir une information judiciaire contre X pour “blanchiment en bande organisée”, visant Zine el-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak. En l’espace de 72 heures, un tiers des documents ont disparu du 36 Botzaris, la police a évacué les lieux, et l’ambassade a remis la main sur le bâtiment. La plaque nouvellement posée a elle fini… dans une poubelle des Buttes-Chaumont.


Le 36 Botzaris est non seulement présenté comme un ancien local associatif du RCD, le sulfureux parti du clan de Ben Ali, mais aussi, depuis ce vendredi, comme une annexe de l’ambassade de Tunisie en France. Cette dernière lui a accordé unilatéralement ce statut dans un contexte tendu. En début d’après-midi, des ouvriers sont même venus formaliser cette nouvelle situation en posant une plaque. En lettres d’or, mais entre guillemets, elle affiche désormais un message très clair:

Ambassade de Tunisie, “Annexe”

OWNI s’est procuré un courrier adressé en avril 2010 par le banquier Mehdi Haddad, directeur de l’exploitation de l’Union Tunisienne de Banques, à Hédi Limam, président du Rassemblement des Tunisiens en France (RTF), la fameuse association installée au numéro 36 de la rue Botzaris. Dans ce mail, Haddad fournit une précision importante sur l’identité du propriétaire:

Cher Si Hédi,

Comme suite à votre demande, je vous précise que l’immeuble situé au 34 et 36 rue Botzaris, cadastré section EK n°1 pour 1 103 m2, est répertorié au cadastre comme appartenant à la SA HLM UNIVERSITAIRE FRANCO TUNISIENNE.

A l’Union sociale pour l’habitat, qui agrège les organismes HLM, personne ne connaît cette mystérieuse société. “Nous n’avons pas d’accord avec la Tunisie, seulement avec le Maroc et l’Algérie”, explique une responsable. Mais surtout, la précipitation de l’ambassade laisse augurer du pire. Comme nous l’évoquions hier, les ramifications hexagonales de la surveillance benaliste sont de plus en plus saillantes : financement occultes, passeports diplomatiques distribués à la volée et surtout, façades associatives pour mieux organiser l’efficacité du système sur le sol français.

Selon Fabien Abitbol, conseiller de quartier qui étudie le bâtiment depuis une quinzaine d’années, des modifications cadastrales ont été entérinées le 15 juin, après avoir été impulsées en décembre, en pleine révolution tunisienne. Pourquoi ? Selon le Conseil national de l’information géographique, une telle décision peut être motivée par “un changement de statut juridique”. En d’autres termes, le 36 Botzaris, QG tricolore du RCD, pourrait bien être resté entre les mains du régime déchu – par l’entremise de son ancien propriétaire – jusqu’au 15 juin, une semaine après la première expulsion, la veille de la seconde.

Lors d’une réunion qui s’est tenue vendredi matin à l’ambassade de Tunisie, rue Barbet de Jouy, dans le VIIe arrondissement de Paris, le chargé d’affaires Elyès Ghariani a reconnu que la décision d’évacuer Botzaris est venue “des plus hautes sphères de l’Etat [tunisien]”. Faut-il alors comprendre que la société de sécurité privée mandatée par l’ambassade pour garder le bâtiment après la deuxième expulsion des migrants l’a également été sur ordre direct du gouvernement de transition ? A Botzaris, l’État de droit se cherche encore.

A lire également: Bataille pour les archives parisiennes de Ben Ali


Crédits photo: Flickr CC Syromaniac, TwitPic @MsTeshi

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Bataille pour les archives parisiennes de Ben Ali http://owni.fr/2011/06/16/bataille-autour-des-archives-parisiennes-de-ben-ali/ http://owni.fr/2011/06/16/bataille-autour-des-archives-parisiennes-de-ben-ali/#comments Thu, 16 Jun 2011 10:30:28 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=68179 Ce jeudi 16 juin peu avant 9h00, des CRS se sont déployés autour du sanctuaire parisien des réseaux clandestins du régime de Ben Ali. Un immeuble de trois étages situé au 36 de la rue Botzaris dans le XIX° arrondissement, quartier général des activités occultes menée en France par l’ancienne dictature tunisienne. Depuis le début de la semaine, comme nous avons pu le constater sur place, la tension ne cessait de croître aux abords de ce bâtiment, en raison des archives qu’il renfermerait, retraçant de multiples opérations illicites ordonnées par les lieutenants de Ben Ali, avec parfois peut-être la bienveillance des services français.

De source diplomatique tunisienne, l’épais corpus, réparti dans deux pièces gardées en permanence, concernerait autant les “petites mains” que des figures médiatisées, comme Imed Trabelsi, le redoutable neveu de Leila Ben Ali, la seconde épouse du président déchu. Il contiendrait aussi les chroniques ordinaires de la complaisance – celle des Tunisiens et des Français à l’égard du clan Ben Ali – et des bouts de comptabilité.

Une avocate franco-tunisienne, Soumaya Taboubi, explique avoir été sollicitée par le Collectif des Tunisiens de France, une association récemment créée, pour récupérer les archives. Contacté par OWNI, son président, Lazhar Toumi, précise que son organisation n’a été mandatée que “verbalement” par l’ambassade pour s’occuper des jeunes présents sur place. Il précise d’ailleurs avoir quitté les lieux samedi, “parce que la situation devenait incontrôlable”.

Outre cet imbroglio juridico-politique, Me Taboubi explique avoir été le témoin d’allées et venues suspectes. Plusieurs sources concordantes évoquent notamment la vente de documents: 600 euros par dossier. De la même façon, un confrère, présent sur place mercredi soir, affirme s’être vu proposer la photo d’un ministre français par les occupants du 42, rue du Plateau. C’est la seconde entrée du bâtiment, beaucoup plus anonyme.

“Consentement de l’ambassade”

Mais dans ce contexte qui semblait désespérément bloqué, un événement impromptu est venu changer la donne. Dans la matinée du mercredi 15 juin, Ali Gargouri, un entrepreneur du bâtiment, et Soumaya Taboubi, obtiennent un rendez-vous avec le chargé d’ambassade Elyes Ghariani, planifié pour 15 heures. Reportée sine die, cette entrevue devrait finalement avoir lieu très prochainement, mais dans des conditions bien différentes.

Car mercredi, aux environs de 18h30, un monospace est entré dans la cour du 36 Botzaris. Après d’intenses discussions, Ali Gargouri et Maitre Taboubi ont évacué une bonne partie des documents, “plusieurs milliers” d’après M. Gargouri, ce qui représenterait un tiers environ du total. Celui-ci précise qu’ils ont agi avec “le consentement de l’ambassade”. Empilés sur la banquette arrière du véhicule, les documents ont été pour moitié envoyés vers un box sécurisé de la banlieue parisienne, géré par un autre avocat. Me Taboubi explique les raisons de cette prise pour le moins rocambolesque:

Nous devons désormais passer à l’ambassade pour formaliser tout ça. Nous allons annoncer la création d’un Comité de préservation des archives de la Tunisie à Paris, qui rassemblera une dizaine de personnes, dont trois avocats et des intellectuels emprisonnés au temps du régime, comme Mondher Sfar. Notre objectif est d’étudier dans le détail ces documents, pour que la justice française et la justice tunisienne fassent toute la lumière sur ce qui s’est passé à Botzaris. Nous devons faire un important travail de reconstitution.

Des documents récemment apparus dans le cadre d’une enquête de la Brigade criminelle (révélée par OWNI) détaillent la structure de l’appareil benaliste, et prouvent l’importance du Rassemblement des Tunisiens de France (RTF), l’”association” qui occupait Botzaris:


Le départ de ces archives laisse dubitatif un avocat issu de la bourgeoisie de Tunis, fin connaisseur des hautes sphères locales et proche des milieux d’opposition. Pour lui, cette opération s’est faite “dans la précipitation et témoigne d’une grande imprudence”. En effet, même avec l’accord tacite de l’ambassade, il n’y a eu aucun transfert d’autorité de ces documents vers ceux qui les ont collectés. “Au regard de la justice, c’est un vol, il est illégal de se livrer à de tels agissements dans un bâtiment consulaire”, explique notre interlocuteur, qui estime que cette situation inédite pourrait freiner l’ouverture d’enquêtes judiciaires. “En revanche, un juge d’instruction peut toujours s’auto-saisir et s’emparer du dossier.”

Défaillance de la gouvernance

Occupé par des migrants tunisiens venus de Lampedusa depuis le début du mois de juin, évacué une première fois par la police le 7 juin, l’immeuble de la rue Botzaris est devenu le symbole d’un régime démantelé dont toutes les têtes ne sont pas encore tombées. Avant de devenir le théâtre d’un jeu d’échecs aux conséquences humaines potentiellement tragiques, ce bâtiment situé en lisière des Buttes-Chaumont était un local associatif propriété de l’Etat tunisien.

Un attelage hétéroclite de harragas (le nom donné aux migrants nord-africains qui traversent la Méditerranée pour rejoindre l’Europe), de repris de justice et d’anciens indics se disputent le contrôle de l’enceinte. Dans la cour, trois véhicules immatriculés “CD”, pour corps diplomatique, assistent en vestiges au ballet incessant des visiteurs. Le tout sous la surveillance assidue et discrète des services de police français.

Zone autonome temporaire qui aurait mal tourné, le 36 est-il encore soumis à une quelconque autorité? La France tente de ne pas s’ingérer dans un dossier qu’elle ne maîtrise pas – le lieu ne bénéficie pas de l’extraterritorialité – et la Tunisie doit faire face à une défaillance de sa propre gouvernance, puisque l’ambassadeur Raouf Najar a été débarqué le 15 mars dernier, jugé trop proche des cercles benalistes. Devrait maintenant s’ouvrir une phase de négociations tendues avec le personnel de l’ambassade, pour faire poser des scellés. Quand on interroge Soumaya Taboubi sur les limites légales de l’exercice auquel on assiste, elle répond par une pirouette, révélatrice du climat politique tunisien et du déroulement de cette semaine:

Depuis la chute de Ben Ali, tout est illégal.


Crédits photo: OWNI.fr

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Comment j’ai failli acheter l’avion d’Aziz Miled http://owni.fr/2011/05/27/avion-aziz-miled-mam-ollier-tunisie-oups/ http://owni.fr/2011/05/27/avion-aziz-miled-mam-ollier-tunisie-oups/#comments Fri, 27 May 2011 14:09:52 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=64942

A vendre : jet privé de marque Bombardier, modèle Challenger 604, 1819 heures de vol, bon état général.

L’offre est alléchante, elle a été récemment mise en ligne sur le site de la société Jetcraft, un broker américain basé à Raleigh, en Caroline du Nord et spécialisé dans l’aéronautique. OWNI s’est mis sur les rangs, car le vendeur est un VIP très introduit dans les milieux d’affaires franco-tunisiens.

Le propriétaire de cet avion d’affaires est un certain… Aziz Miled, homme d’affaires tunisien bien connu de Michèle Alliot-Marie et de son compagnon, Patrick Ollier. Pendant les vacances de Noël 2010, alors que Mohamed Bouazizi s’était déjà immolé par le feu à Sidi Bouzid, l’ancienne ministre des Affaires étrangères et le ministre chargé des relations avec le Parlement avaient directement profité de la générosité de leur ami en empruntant cet appareil à des fins personnelles. L’affaire, révélée par Le Canard Enchaîné, n’avait été que l’amorce du scandale débouchant sur la “non-reconduction” de MAM lors du remaniement de fin février.

Jusqu’à présent, l’avion appartenait à Karthago Airlines, une compagnie contrôlée par Belhassen Trabelsi, gendre de l’ex-président Ben Ali, et portait l’immatriculation TS-IBT. C’est grâce à JetPhotos.net, un site de férus d’aviation longeant les tarmacs, qu’on arrive à trouver le lien entre le numéro de série – 5628 – et cette identification, qui change selon le propriétaire de l’appareil.

“Le reste ne nous regarde pas”

Des négociations ont été entamées depuis lundi 23 mai pour la vente, et selon un cabinet d’avocats suisse proche du dossier, un acheteur potentiel se serait déjà manifesté: il s’agirait d’une société autrichienne. En tout, elle devra débourser 15,3 millions de dollars (un peu moins de 11 millions d’euros) pour emporter la mise.

Si la vente était effective, le nouvel acquéreur pourrait se heurter à quelques difficultés. Après avoir vu ses avoirs gelés au début du mois de février par les nouvelles autorités tunisiennes, Aziz Miled a été retiré de la liste quelques jours plus tard, quand l’Union européenne a décidé de la circonscrire au seul clan Ben Ali/Trabelsi. Pourtant, deux ONG anticorruption, Sherpa et Transparence International, s’intéressent de près à ses biens.

Joint au téléphone par OWNI, Jahid Fazal-Karim, cogérant de Jetcraft basé à Genève, se montre peu loquace:

Nous ne sommes qu’une petite entreprise spécialisée dans la revente d’avions d’affaires. Nous ne pratiquons aucune discrimination vis-à-vis de nos clients et je ne peux faire aucun commentaire sur l’identité du propriétaire. Nous faisons notre business, le reste ne nous regarde pas.

En creux, cet ancien d’Airbus confirme “l’identité” du jet, mais refuse obstinément d’éclaircir la situation de l’individu qui l’a sollicité pour réaliser la vente.

Sur les photos du site du broker, un petit drapeau tunisien orne encore la dérive de la carlingue, qui arbore les lignes bleues et vertes déjà visibles sur les photos au moment de “l’affaire”.

Sur la fiche produit, directement disponible sur le site de Jetcraft, on peut apprécier la décoration intérieure de la cabine, toute en cuir beige et ronce de noyer. Comble du chic, les sièges du cockpit sont recouverts d’une épaisse fourrure, pour mieux supporter le court trajet entre Tunis et Genève, son lieu de stationnement.

En tout, ce Challenger peut accueillir jusqu’à 12 personnes, en leur offrant le couvert (il dispose d’un four à micro-ondes) et le café (une machine à expresso). Pour s’assurer du tarif, nous avons envoyé un email au revendeur, qui nous a rapidement répondu. On y apprend que:

Le propriétaire est motivé et étudiera toute offre raisonnable.

Pressé de vendre, Aziz Miled?


Crédits photo: Jetcraft, Flickr CC UggBoy♥UggGirl

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Les mystères de Tunis http://owni.fr/2011/05/19/les-mysteres-de-tunis/ http://owni.fr/2011/05/19/les-mysteres-de-tunis/#comments Thu, 19 May 2011 08:07:55 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=63424 Les trois semaines écoulées auraient pu décourager les partisans de la révolution initialement les plus enthousiastes. Le 5 mai, Farhat Rajhi, l’ancien ministre de l’Intérieur de l’après révolution (en poste du 14 janvier au 30 mars) provoquait un large scandale en expliquant – non sans argument – que le pays était encore sous le contrôle d’un réseau d’influence pro-Ben Ali. Pour lui, les militaires et une partie de l’administration prépareraient un coup d’état en cas de succès des islamistes aux prochaines élections. Et évoque:

l’existence d’une sphère d’influence dirigée par des Sahéliens qui œuvrent pour garder le pouvoir

À en croire les proches de ce magistrat de carrière, les services de la police politique (où jadis a été formé Ben Ali, dans sa première vie de policier) fonctionneraient encore et poursuivraient dans ce contexte des objectifs mal définis. Peut-être à la faveur des réseaux d’influences que conserveraient ex-alliés et ex-banquiers de la dictature.

Des professionnels du droit prennent cette hypothèse au sérieux. Tel Bessen Ben Salem, avocat près de la Cour de cassation, à Tunis, qui dans un billet publié sur le site Naawat observe:

Un examen des textes publiés au JORT depuis le 7 mars 2011, conduit à conclure qu’aucun texte législatif ou même règlementaire n’est intervenu pour modifier l’organisation du ministère de l’intérieur.

Après les manifestations, parfois violentes, provoquées par les déclarations de l’ex ministre, l’armée instaurait un couvre-feu à 21h dans tout le centre de Tunis. Et l’état-major militaire exigeait quelques jours plus tard que l’on engage des poursuites contre Farhat Rajhi. La grève des éboueurs, laissant grimper des monticules d’ordures dans les principales artères de la capitale, achevait de composer la scène des lendemains qui déchantent. Mais pas partout. Pas pour tous.

Même au fil de ces journées, Tunis demeurait un laboratoire d’une démocratie au carré. Démocratie augmentée selon le lexique d’OWNI. Lundi dernier, 16 mai, dans les salons de l’hôtel Golden Tulip plusieurs organisations politiques et professionnelles se retrouvaient ainsi à l’initiative du Comité national de lutte contre l’injustice et la corruption. Pour en finir avec les non-dits de l’après-dictature, pour déterminer la part de vérité non négociable, celle à conquérir coûte que coûte. Voir le communiqué diffusé avant leurs discussions.

Créé par 25 avocats au lendemain de la révolution, le comité coordonne l’essentiel des plaintes en cours d’enregistrement contre des dirigeants ou des hommes d’affaires proches de Ben Ali. Lors de cette réunion, ses responsables ont annoncé leur partenariat avec, notamment, deux mouvements impliqués dans la révolution de janvier; l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET) et l’Association nationale des jeunes journalistes tunisiens.  Cette dernière, en coopération avec OWNI, développera le magazine en line Ownimaghreb.com, dédié au suivi des acquis de la révolution dans la région.

Photos FlickR CC Wassim Ben Rhouma ; Gwenael Piaser.

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Tunisair détournée de ses vols http://owni.fr/2011/05/18/tunisair-detournes-de-ses-vols/ http://owni.fr/2011/05/18/tunisair-detournes-de-ses-vols/#comments Wed, 18 May 2011 16:58:26 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=63359 À Tunis, les comptes de la compagnie Tunisair occupent une bonne part des travaux menés par les 25 avocats tunisiens du Comité national de lutte contre la corruption ; qui se sont réunis lundi dernier, 16 mai. En marge de la conférence de presse qu’ils ont tenue à l’hôtel Golden Tulip de Tunis, plusieurs juristes proches du comité citaient en coulisses les multiples témoignages recueillis ces dernières semaines au sujet des opérations douteuses réalisées au préjudice de Tunisair. Certains de ces témoignages visent de grandes sociétés européennes, cocontractants habituels de Tunisair, comme OWNI a pu le constater sur place.

Dans un premier temps, les membres du comité préparent des dépôts de plainte contre les sociétés et les personnalités domiciliées en Tunisie. Ainsi, selon eux, plusieurs éléments montrent que la société privée Karthago Airlines aurait adopté une stratégie de prédation ; utilisant progressivement les actifs de la compagnie nationale pour développer ses propres affaires. Déjà soupçonnée d’avoir servi de vecteur pour l’enrichissement personnel des Ben Ali, Karthago Airlines est contrôlée par Belhassen Trabelsi, Aziz Miled, et par la compagnie Nouvelair ; comme le montre ce procès-verbal de trois pages (en arabe et en français) signé par les actionnaires.

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Les responsables de Karthago Airlines sont soupçonnés d’avoir profité de contrats de location des appareils de Tunisair à des prix très inférieurs à ceux du marché. Peut-être pour assurer des rotations avec l’Europe, en concurrence des propres lignes de Tunisair. Et les avocats du Comité national de lutte contre la corruption suspectent la société mère, Nouvelair, actionnaire de Karthago, d’avoir fait croître ses activités en détournant elle aussi les moyens de Tunisair.

La présence éventuelle de Nouvelair dans ces dossiers leur donnerait une portée internationale. Deuxième compagnie aérienne tunisienne, Nouvelair revendique plus d’un tiers de parts de marché depuis l’intégration des activités de Karthago, réalisé à partir d’août 2006 sur les conseils de la Compagnie Edmond de Rothschild (comme le raconte la page facebook de Karthago). D’autant que Nouvelair appartient pour sa part à une holding familiale, Tunisian Travel Service (TTS), elle-même sous la tutelle d’Aziz Miled et de ses enfants.

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Aziz Miled, proche de plusieurs industriels européens de l’énergie, de l’aéronautique et de la défense, demeure aux yeux de l’opinion française l’homme par qui le scandale est arrivé. Le 27 février dernier, Michèle Alliot-Marie avait été conduite à démissionner de son poste de ministre des Affaires Étrangères après les révélations du Canard Enchaîné au sujet des droits de construction sur des terrains, cédés aux parents de MAM par l’homme d’affaires tunisien. Qui fréquente depuis longtemps le gratin des décideurs français. Le 1er décembre 2009 par exemple, le patron de Tunisian Travel Service était reçu au siège de GDF Suez pour une réunion de travail…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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Les coordinateurs du comité des avocats annoncent que plusieurs plaintes devraient être déposées dans le cadre de ces diverses affaires en relation avec Tunisair, avant le mois de septembre. Contactés par OWNI, les dirigeants de Karthago Airlines et de Tunisian Travel Service n’ont pas répondu à nos sollicitations.

Photo  CC F. Pietro.

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