OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 RTL, les Français et des datas approximatives http://owni.fr/2011/05/15/rtl-les-francais-et-des-datas-approximatives/ http://owni.fr/2011/05/15/rtl-les-francais-et-des-datas-approximatives/#comments Sun, 15 May 2011 08:42:58 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=62599 Billet initialement publié sur le datablog d’OWNI.

La dernière publicité de RTL entend convaincre que la radio produit une information au plus proche des Français car elle connait sa Mme Michu sur le bout des doigts. Le résultat : des clichés sur un arrière-fond de campagne présidentielle, qui inquiètera l’auditeur attentif sur sa capacité à traiter l’information avec un minimum d’objectivité. Voici la vidéo en question :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Voici l’analyse d’RTL :

En France, on veut que ça change. Alors on élit un président qui fait des réformes. Mais en France on n’aime pas les réformes. Alors on fait la grève.

On suggère à RTL de lire cet article d’Alternatives économiques [payant] qui fait le point sur le mythe du Français râleur et conservateur. “Si l’on juge la transformation sociale au nombre de lois promulguées par législature, mais également en fonction des comportements et des attitudes des acteurs eux-mêmes, la société française n’apparait [...] nullement conservatrice.”

Marché du travail, école, fiscalité, territoire, protection sociale, construction européenne, les exemples sont égrainés. Ainsi concernant le marché du travail, le magazine rappelle : “Il est réputé corseté par des contraintes juridiques qui étranglent la compétitivité des entreprises et favorisent le chômage. En réalité, outre que d’autres pays ont un droit du travail très contraignant sans connaître des taux de chômage aussi élevés (notamment les pays scandinaves), les choses ont pas mal changé dans ce domaine, et le plus souvent dans un sens d’un recul pour les salariés. Les possibilités de mettre fin à un contrat de travail n’ont cessé d’être étendues, de l’abrogation de l’autorisation administrative de licenciement en 1986 à l’instauration de la rupture conventionnelle. Et si d’autres tentatives en la matière ont échoué (comme le contrat nouvelle embauche), c’est parce qu’elles étaient contraires aux conventions internationales.”

RTL a sans doute aussi oublié la loi Defferre de 1982 : :

La France centralisée et jacobine est un autre lieu commun des lamentations sur l’immobilisme français. Et pourtant, la décentralisation est passée par là (loi Defferre de 1982), redistribuant des compétences à tous les niveau. En dépit des apparences, un président de la République concentre aujourd’hui moins de pouvoir entre ses mains que ses prédécesseurs des années 1970.

Et pour rester sur les années Mitterrand, et avec un peu de mauvais esprit, on prend au pied de la lettre RTL: combien de Français sont descendus dans la rue dans les premiers mois du septennat pour protester contre l’augmentation du SMIC de 10 %, des allocations familiales et logement de 25 %, la mise en place de la semaine de 39 heures (durée légale du travail), la 5e semaine de congés payés ?

Si les Français ont effectivement tendance à faire plus la grève que les autres Européens, les conflits sont de plus en plus liés à des licenciements, dans un contexte de durcissement des conditions de travail :

« De manière générale, les conflits liés aux licenciements sont de plus en plus nombreux et occupent pratiquement et symboliquement une place centrale dans les luttes sociales. Ils sont aussi très souvent de plus en plus durs : la violence des salariés répondant bien souvent à la brutalité des employeurs »

« Les classes passent en sureffectif », apprend-t-on aussi. C’est un peu plus compliqué que cela. Si le taux d’encadrement en France est le plus faible parmi les pays de l’OCDE, cela ne date pas d’hier : « passent » est donc incorrect. Et si le gouvernement annonce des chiffres glorieux, c’est au prix de galipettes comptables.

Là où le clip est habile, c’est en laissant planer le doute sur son sérieux : premier degré ? Second degré ? Les tons se mélangent pendant trente secondes. Il n’empêche qu’il entretient bien des représentations. Des représentations que RTL et d’autres médias – le service public français n’est pas tout blanc -, entretiennent à chaque fois qu’ils font un micro-trottoir “sur les usagers du métro pris en otages par les grévistes un jour de grève”.


Image Flickr AttributionNoncommercialShare Alike Pedro Vezini

]]>
http://owni.fr/2011/05/15/rtl-les-francais-et-des-datas-approximatives/feed/ 3
En “grève de la faim illimitée” depuis 79 jours sur Twitter http://owni.fr/2011/04/29/en-greve-de-la-faim-illimitee-depuis-79-jours-sur-twitter/ http://owni.fr/2011/04/29/en-greve-de-la-faim-illimitee-depuis-79-jours-sur-twitter/#comments Fri, 29 Apr 2011 13:41:00 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=60002 Eric Pilot pesait 114 kilos. Il n’en fait plus que 85. Il ne boit plus que de l’eau, et du café. Ce vendredi 29 avril 2011, Stéphane Pilot en est à son 79e jour de “grève de la faim illimitée“.

Vincent Prudor, Fabrice Barlet et Patrick Garlatti le sont eux aussi depuis, respectivement 67, 61 et 60 jours. 10 autres le sont depuis plus de 40 jours. Sur leur Twitter (@LesanciensGPA) et leur Skyblog, les 16 grévistes de la faim décomptent le nombre de jours, “une éternité” :

Reste à savoir combien de temps nous pourrons tenir, et s’il faut effectivement un drame humain pour qu’enfin une solution soit trouvée.

Tous sont d’anciens conseillers commerciaux de Generali qui, en 2007, avait licencié 222 de ses salariés, parce qu’ils refusaient le nouveau mode de rémunération qui leur était “proposé“, et qui, selon eux, aurait amputé leurs rémunérations “jusqu’à 40%“.

Samedi dernier, raconte Ouest France, le seul organe de presse à s’être récemment intéressé à son cas, il a perdu connaissance.

Le médecin est intervenu. Mais l’homme refuse toute hospitalisation de peur que le bras de fer entamé avec l’assureur italien ne traîne encore un peu plus…


En décembre dernier, les prud’hommes de Paris ont débouté les 86 salariés qui avaient contesté les conditions de leurs licenciements. Une audience en appel est prévue pour octobre 2012, soit plus de cinq ans après les licenciements… un délai que les ex-salariés ne veulent pas attendre.

Les avocats des deux parties tentent depuis de s’entendre, visiblement péniblement à en croire les copies des courriers scannés sur leur skyblog, pour qu’une médiation judiciaire intervienne rapidement.

Le directeur des ressources humaines de l’assureur a regretté « le comportement extrême de Monsieur Pilot, qui avait déjà fait une grève de la faim en 2007 et que nous avions alors exceptionnellement décidé d’indemniser » en complément du plan social :

Nous n’avons plus de litige aujourd’hui avec lui, il fait grève par solidarité avec ses anciens collègues.

Ce que confirme Eric Pilot :

Je ne me bats plus pour l’argent. Mais pour un peu de morale. Le président de Generali vient de démissionner. Il aurait touché 16 millions d’euros pour son départ…


Ce vendredi, @LesAnciensGPA n’a que 23 amis sur Twitter. Et seul Ouest France et France 3 Bretagne (voir la vidéo) se sont récemment intéressés à leur “grève de la faim illimitée“.


Photo CC by-nc-nd doodledubz collective

]]>
http://owni.fr/2011/04/29/en-greve-de-la-faim-illimitee-depuis-79-jours-sur-twitter/feed/ 19
Protestation créative aux Arts Décos http://owni.fr/2011/03/22/protestation-creative-aux-arts-decos/ http://owni.fr/2011/03/22/protestation-creative-aux-arts-decos/#comments Tue, 22 Mar 2011 13:00:58 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=52464 Cour de l’école vendredi 11 mars : des structures en bois, une cabane et des bonshommes de papier mâché cohabitaient avec plus d’une centaine d’élèves et d’enseignants. Cette expo géante, fruit de dix jours de brainstorming, résume leurs revendications.

Ils dénoncent le manque de travail interdisciplinaire, marque de fabrique de l’école. Les “plateaux” de deuxième année, réunissant tous les secteurs de l’école, ne durent plus que quinze jours contre un mois auparavant. Futile ? Pas quand la pratique représente le plus gros de leur travail.

En cause également les coordonnateurs de secteur – professeurs -, élus pour trois ans. Ces derniers décident des programmes et des appels à projets et choisissent donc les mécènes de l’école. Avec des marques comme Badoit qui cassent les règles de la collectivité. Et imposent un cahier des charges contraire à sa philosophie : une commande aux élèves de 2ème année, à réaliser non pas en groupe mais en solo et avec à la clef 5.000 euros pour le gagnant. Pour Clara, élève de 3ème année, un tel accord a des conséquences directes sur leurs enseignements :

C’était un projet inclus dans les plateaux. Le problème c’était qu’on ne pouvait pas travailler en groupe et que le rendu devait concerner seulement le graphisme. Il s’agissait juste de dessiner des bulles sur leur bouteille ! Donc tout le contraire des plateaux.

L’école, avec la Révision Générale des Politiques Publiques, est ravie de recevoir des propositions de partenariats. Le climat de restriction budgétaire et la demande de l’État de “trouver des sous ailleurs” entraine une privatisation – infime pour le moment – de leurs enseignements. Et donne un sens au mot rentabilité. Au rang des secteurs les plus séduisants : design et textile au détriment de la scénographie.

Et à l’ENSAD, les élèves ont peur de voir une fusion de deux secteurs non rentables et de perdre la spécificité de l’école comme pour le cas du secteur graphisme-multimédia. Comme un air de déjà vu ?

Application problématique de la réforme LMD

Bloquer les cours aurait été contre-productif. Ils savent très bien qu’ils ont une place au sein de l’école la mieux dotée de France. Mais ils veulent “juste bosser, que l’école vive et que soit créé un espace de réflexion autour de ce qu’on nous apprend ” martèle Clara.

Ces 130 élèves – une trentaine selon la directrice Geneviève Gallot – ont donc investi l’espace de leur cour. Et réinventé la notion d’action pendant les dix jours nécessaires à la réalisation de leur projet : toute la troupe de joyeux élèves a montré que la créativité n’a pas de limite.

Ils ne jettent pas la pierre à leur directrice dont la position évolue. À l’origine, niant l’existence d’un mouvement étudiant, elle avait interdit la réquisition d’une salle et obligeait les élèves à mener leur “workshop” entre 17h et 21 heures. Aujourd’hui ? Elle est “ravie et nous facilite beaucoup les choses” explique Elliot en souriant. Publicité positive pour l’école : les élèves réfléchissent encore ! Elle garde juste en tête le respect de l’équilibre entre pratique et cours : “l’interdisciplinarité n’existe que si la disciplinarité existe”.

L’école renommée cherche sa place dans le panorama des grandes écoles européennes et essaie de garder son identité “vieille de deux siècles et demi”. Et de fait n’a pas d’intérêt à contrer les élèves. En filigrane, l’application problématique de la réforme LMD : obligation de créer une 5ème année et d’opérer une refonte de la 4ème année pour avoir le grade de master.

L’émergence des alternatives aux blocages

Les revendications de ces élèves tombent dans le pot commun de la société actuelle, et ce qui pourrait être un problème isolé est en réalité un “désordre” plus global. Les réformes de l’enseignement supérieur ont mis à mal le système en lui-même : s’ouvrir à l’Europe et créer des pôle compétitifs, en laissant entrer les entreprises qui décident des secteurs les plus rentables. L’ENSAD réinvente la créativité de la grève sans faire grève ou comment mettre le doigt sur les failles d’un système de façon subtile.

Geoffrey Dorne
, ancien élève de l’école maintenant au laboratoire de recherche, explique que le mouvement des arts décos se construit sous le thème d’une zone d’autonomie temporaire ou TAZ. Et que cette volonté de décloisonner mène à un objectif : créer une école dans l’école. Ils réfléchissent et comme d’autres mouvements, mettre des idées en commun permet de trouver une alternative aux blocages lors des manifestations étudiantes. La relève est assurée.

Entre octobre et novembre 2010, l’ESAD de Strasbourg a investi toute l’école de prestations artistiques pour demander une régularisation des travailleurs précaires.
Avant, au cours des manifestations de 2008-2009 contre la LRU, des enseignants ont organisé des cours hors les murs : à Lyon, Paris VIII et Paris VII , même type d’expérience (cours alternatifs le mercredi matin et université Paris-14 sur la ligne 14 pour des cours d’économie et de maths), etc.

La voisine de l’ENSAD rue d’Ulm, l’ENS, avait déjà organisé un “printemps des chaises” en 2009 ou une kermesse. Depuis octobre une partie de ses élèves, personnels d’entretien et enseignants est en grève. Souhaitant obtenir une titularisation de leurs précaires, ils se réunissent encore en assemblée générale et ont occupé certains locaux et vendu des sandwiches dans le hall de l’école.

Ces nouvelles formes d’expression, artistiques ou pas, signent l’émergence d’une mobilisation des esprits et d’une réflexion. Surtout, même isolées, elles montrent une prise de conscience que les jeunes ne peuvent pas tout accepter et qu’ils sont prêts à mettre en commun leur énergie et leurs idées pour faire passer leur message. Elliot conclut :

On mélange toutes les années et tous les secteurs, il se passe un truc incroyable, magique, que l’on avait jamais vécu. À un moment donné, on est tous là pour participer, les idées fusent et on construit tout en dix jours. C’est possible, on peut le toucher du doigt.”

Illustrations Pierre Alonso et Claire Berthelemy [CC-by-nc-sa]

]]>
http://owni.fr/2011/03/22/protestation-creative-aux-arts-decos/feed/ 2
Le nerf de la grève http://owni.fr/2010/12/03/le-nerf-de-la-greve/ http://owni.fr/2010/12/03/le-nerf-de-la-greve/#comments Fri, 03 Dec 2010 13:27:24 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=37905

Le 23 octobre, le parvis de Beaubourg était un lieu de résistance : en deux heures, la « caisse de grève » qu’on fait tourner 50 militants du Front de Gauche (Parti communiste + Parti de Gauche) s’est remplie à hauteur de 6000 €. Pas encore tout à fait revenu de cette performance, Eric Coquerel, conseiller régional du PG en charge de l’opération, égraine les villes : Antony, Marseille, Paris XIV… Sur les marchés ou dans les centres villes, les adhérents ont ramené en moyenne 1000€ par deux heures de tournée.

Le succès a été indéniable, insiste l’élu. Nous avons lancé l’initiative sur la fin du mouvement, si bien que, à la fin, nous avons du nous dépêcher pour trouver des mouvements qui avaient besoin de nous!

L’idée n’est pas neuve: dans l’Angleterre minière des grèves de la fin du XIXè, chaque salarié versait aux « caisses de solidarité ouvrière » 9 livres sur un revenu de 300 livres de l’époque pour soutenir les confrères qui bloquaient tel ou tel puits pour demander de meilleures conditions de travail. Cette fois-ci, la revendication traversait tout le paysage du travail français dans la critique de la réforme des retraites. Contrairement à la grande grève de 1995, pas de « motrice » comme les cheminots pour emporter dans son sillage les autres fédérations syndicales et entreprises privées vers le blocage. Seul symbole de cette lutte : la mobilisation des raffineries et professionnels du pétrole, notamment du site de Grandpuits.

Des chèques de centaines d’euros pour les raffineries en grève

Or c’est justement vers elles que se sont portés ces premiers dons, parfois massifs, et toujours accompagnés de messages : « très en colère », Jean-Baptiste Reddé, professeur des écoles à Paris XIIIe, a apporté le 26 octobre sur le site seine-et-marnais sa cagnotte de 2000 € collectée auprès de ses collègues, des croissants et « son soutien confraternel » dans leur lutte contre la politique de Nicolas Sarkozy. De son côté, le responsable de la collecte au Parti de Gauche assure avoir reçu « régulièrement » des chèques de plusieurs centaines d’euros, signés dans la rue devant la caisse tendue au passant.

Charles Foulard, délégué national de la fédération des industries de la chimie CGT, dit avoir reçu tant de dons pour la seule raffinerie de Grandpuits que la décision a été prise de partager avec les autres sites de pétrochimie en grève et même hors pétrole ! De son côté, la CFDT annonçait un « forfait » de 18 euros par jour de grève justifié par une feuille de grève… Un “forfait” puisé dans les réserves constitués par une contribution de 8,6% sur les cotisations syndicales en 1974.

« La solidarité est une part importante de l’action, insiste Eric Corbeaux, responsable des fédérations professionnelles au PCF, ayant coordonné la collecte dans son parti. Pour le salarié qui est en grève, le temps est compté au travers les jours de paye qu’il perd. L’entreprise, elle, a beaucoup plus de marge, surtout si elle est soutenue par le gouvernement. »

Le « transfert » d’activisme

A côté des grands cortèges, les grèves effectives dans les entreprises ont manqué de souffle : crise oblige, les salariés du privé ne disposaient pas toujours de la souplesse financière nécessaire pour se mobiliser. Dans les manifs même, nombreux étaient ceux des défilés qui venaient en piochant dans leurs réserves de congés : « nous avons constaté que de nombreuses personnes présentes dans la rue avaient en fait pris des jours de RTT ou des jours de congés, pour ne pas entamer leur salaire », constatait un cadre CGT joint pendant les grèves.

D’un autre côté, l’opinion publique s’est rangée comme rarement du côté des grèves: plus de 70% de personnes favorables et dont le soutien transparaissait dans les caisses de solidarité.

Il y a eu une sorte de transfert entre ceux qui ne pouvaient pas faire grève et ceux qui se mobilisaient pour tous, conclut Eric Corbeaux. C’était particulièrement frappant avec les retraités : ils ne sont pas concernés par la hausse des cotisations, ne perdent rien en manifestant… mais ils ont donné quand même, opérant ainsi une forme de solidarité des non-actifs aux actifs qui se mettent en difficultés pour la cause.

Ancien militant CGT, le cadre du PC voit dans cette mobilisation financière une confiance accordée au mouvement : « dans le cadre associatif, les scandales qui ont entachés de nombreuses oeuvres rendent la collecte difficile car les gens ne savent pas où leur argent va, on ne veut plus confier son argent à n’importe qui, détaille-t-il. Là, les donateurs savaient que l’argent allait intégralement être reversé aux grévistes pour une cause qu’ils considéraient juste. C’est ce qui explique l’efficacité de ce mouvement. »

Parti trop tard, le soutien massif n’a néanmoins pas permis une reconduction efficace de la grève au delà du vote. Mais, en payant pour aider des salariés à bloquer le pays, les donateurs de ces journées de grève ont financé bien plus que des arrêts de travail : ils ont alimenté de nouvelles idées pour résister.

En 1904 déjà, les ouvriers de Bristol ont ouvert leurs jardins potagers pour que leurs collègues en grève puissent trouver de quoi manger, comme le rapporte Kropotkine dans son ouvrage sur l’entraide. Peut-être qu’une fois l’efficacité du partage éprouvée, les mouvements de résistance retrouveront ces autres solidarités perdues dans les divisions qui ont cours une fois les grèves terminées.

Images CC FlickR : kiki99, Let Ideas Compete

]]>
http://owni.fr/2010/12/03/le-nerf-de-la-greve/feed/ 8
L’usager des grèves n’est qu’un personnage de fable http://owni.fr/2010/10/24/lusager-des-greves-nest-quun-personnage-de-fable/ http://owni.fr/2010/10/24/lusager-des-greves-nest-quun-personnage-de-fable/#comments Sun, 24 Oct 2010 16:24:58 +0000 Gilles D'Elia http://owni.fr/?p=33064 Dans ses Mythologies, publiées en 1957, Roland Barthes consacre un article à l’usager de la grève. Au sein de cet ensemble critique, l’usager est pris en otage, une fois n’est pas coutume, entre les romains aux cinéma et les martiens, l’Abbé Pierre et Greta Garbo, le strip-tease et la nouvelle Citroën. Si l’usager de la grève a pourtant toute sa place dans ce recueil, c’est qu’il est, lui aussi, un mythe. Un mythe assez bruyant et aux contours désormais suffisamment nets pour paraître réel – mais un mythe tout de même. C’est-à-dire une construction de l’esprit, une affabulation, une invention pure et simple. Il n’y a pas plus d’usager de la grève que de beurre en broche.

Note : Ce texte a été publié sur Relectures à l’occasion des grèves de novembre 2007. Il a ensuite été supprimé du site : ce n’était qu’un billet d’humeur. Toutefois, suite aux récents mouvements de protestation et grèves  contre la réforme des retraites, des lecteurs de “Relectures” ont demandé aux administrateurs du site de le remettre en ligne. Cette publication répond à leur souhait, d’autant que le quotidien Libération avait repris cet article dans une version tronquée et que les auteurs préfèrent en livrer la version originale.

L’usager n’existe pas

L’usager est un mythe : une telle assertion passera pour de la provocation le jour même où ces fameux usagers subissent un mercredi noir, une journée de galères, tandis que président, ministres et journalistes semblent prêts à ressusciter (à leur intention et pour quelques jours seulement) le concept pourtant prohibé de lutte des classes. Et cet individu X ou Y, qui « grogne » devant la caméra d’être ainsi pris en otage, qui est-il, sinon un usager ? Mais Barthes dit pourtant que

l’usager, l’homme de la rue, le contribuable sont à la lettre des personnages, c’est-à-dire des acteurs promus selon les besoins de la cause à des rôles de surface, et dont la mission est de préserver la séparation essentialiste des cellules sociales.


Pour qu’un usager de la grève puisse exister, il faudrait vivre dans un monde très irréaliste. Un monde dans lequel il y aurait, d’un côté, une population bien particulière : les cheminots, ou encore les fonctionnaires, les enseignants, etc. Et ces cheminots n’auraient pas besoin de voyageurs pour exister, ces enseignants n’auraient pas besoin d’élèves pour enseigner. Ils seraient cheminots, fonctionnaires, enseignants, en soi. Hors de tout contexte social. De même pour les collégiens, les lycéens : ils seraient élèves en soi, sans avoir besoin de la présence de professeurs ou d’enseignants pour leur conférer ce statut d’élèves. Idem pour les voyageurs, qui n’auraient pas besoin d’être conduits par des cheminots, des chauffeurs de taxi ou de bus : ils seraient des voyageurs en soi, monades fonctionnelles pures d’un monde dans lequel aucun rapport d’interdépendance n’existerait. Monde prodigieux des essences, dans lequel Nicolas Sarkozy lui-même serait président en soi sans avoir besoin d’électeurs, et dans lequel les électeurs n’auraient pas besoin du politique pour exister sous forme d’atomes d’électeurs !

Un monde de théâtre

Ce que dit Roland Barthes est simple : ce monde prodigieux n’existe pas, pas plus que l’usager de la grève, qui est une figure de fiction, une pure traduction dramaturgique d’un conflit social :

opposer le gréviste et l’usager, c’est constituer le monde en théâtre, tirer de l’homme total un acteur particulier, et confronter ces acteurs arbitraires dans le mensonge d’une symbolique qui feint de croire que la partie n’est qu’une réduction parfaite du tout.

Ce monde de théâtre supposerait qu’il puisse exister un Don Juan et une Elvire qui seraient durant toute leur vie un éternel séducteur, et une éternelle femme trompée. Cela fonctionne au théâtre, mais dans la vie réelle, nous sommes tour à tour séduits et séducteurs, trompeurs et trompés. Le dramaturge utilise ces fonctions dramatiques : il a besoin d’une femme, d’un amant et d’un cocu, pour raconter son histoire, servir le propos de sa pièce. La Fontaine a besoin du Renard et du Corbeau, du Chien et du Loup, du Chêne et du Roseau : ils servent la morale de la fable.

Et pourtant depuis quelques jours, les fourmis et les cigales existent pour de bon ! Les fourmis sont empêchées d’aller travailler, de circuler et sont plongées dans une sombre galère par des cigales privilégiées, égoïstes et réactionnaires. À la différence que ce n’est pas une fable : les cheminots sont vraiment en grève, et ceux qui utilisent les transports en commun doivent vraiment se débrouiller autrement. Mais alors, puisque tout cela n’a rien d’une fable, pourquoi raconter cette situation, ce conflit social, avec les méthodes du fabuliste, comme le font le pouvoir et les principaux médias ? Pourquoi élever de simples fonctions précises très partielles au rang de véritables individus autonomes ?

Ceci participe d’une technique générale de mystification qui consiste à formaliser autant qu’on peut le désordre social, répond Roland Barthes. En découpant dans la condition générale du travailleur un statut particulier, la raison bourgeoise coupe le circuit social et revendique à son profit une solitude à laquelle la grève a précisément pour charge d’apporter un démenti : elle proteste contre ce qui lui expressément adressé.

De la morale dans la fable

Toute fable sert une morale, mais dans la fable bourgeoise de l’usager de la grève, la morale est double : le destinataire – le citoyen qui s’informe sur les grands médias – accepte de se laisser réduire à sa fonction d’usager et de renoncer au lien social qui, comme une chaîne souple, le relie pourtant au cheminot sans l’y asservir. Quant à l’émetteur du message, il ne se contente pas de manipuler l’opinion en faveur de ses intérêts, mais il se berne aussi lui-même dans un pathétique coup double « dont la stupidité le dispute à la mauvaise foi » et où tout le monde est finalement trompé. C’est que, écrit encore Roland Barthes « nous retrouvons ici un trait constitutif de la mentalité réactionnaire, qui est de disperser la collectivité en individus et l’individu en essences. »


Mentalité réactionnaire ? N’oublions pas que ce texte est écrit au milieu des années 50, plus de dix ans avant mai 68 : quel rapport avec notre monde, avec le contexte précis du mouvement social qui nous préoccupe aujourd’hui ? Comment nous permettons-nous de penser Novembre 2007 avec les catégories analytiques de 1955 ? Sommes-nous si archaïques ? Tout a changé, pourtant, depuis !

Souvenons-nous de la merveilleuse formule de Lampedusa dans le roman Le Guépard : « Si nous voulons que tout demeure en l’état, il faut que tout change. » Tout a changé, et rien n’a changé :

Il y a encore des hommes pour qui la grève est un scandale : c’est-à-dire non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral, une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature. Inadmissible, scandaleuse, révoltante, ont dit d’une grève récente certains lecteurs du Figaro. C’est là un langage qui date à vrai dire de la Restauration et qui en exprime la mentalité profonde ; c’est l’époque où la bourgeoisie, au pouvoir depuis encore peu de temps, opère une sorte de crase entre la Morale et la Nature, donnant à l’une la caution de l’autre : de peur d’avoir à naturaliser la morale, on moralise la Nature, on feint de confondre l’ordre politique et l’ordre naturel, et l’on conclut en décrétant immoral tout ce qui conteste les lois structurelles de la société que l’on est chargé de défendre.

Individu et multiplicité

Il y a trois ans, dans son essai La fragilité, le philosophe Miguel Benasayag expliquait combien « la conscience, et surtout la croyance dans la conscience comme seule instance ou comme instance centrale de la pensée, n’est autre chose qu’une construction historique, idéologiquement élaborée pour justifier le monde de l’individu, la société de la sérialisation, autrement dit le triomphe du capitalisme et de ses structures de base : la séparation et l’unidimensionnalisationDans le multiple, la vie de chaque être évoque cette unité, ce “un” qui existe comme un multiple, tandis que dans la série, c’est-à-dire dans la dispersion, les individus sont pensés comme autonomes de toute unité, de tout ordre ; ils se vivent comme coupés, exilés de tout substantiel auquel pourtant ils appartiennent. »

Un raisonnement inverse pourrait ainsi mettre fin à ce que Roland Barthes dénonce comme un détournement formel : « le scandale vient d’un illogisme : la grève est scandaleuse parce qu’elle gêne précisément ceux qu’elle ne concerne pas. ». Un demi-siècle plus tard, M. Benasayag semble lui répondre lorsqu’il affirme qu’un nouveau raisonnement ne pourrait s’imposer « qu’après avoir renoncé au subjectivisme narcissique propre à notre époque, dans laquelle chaque individu se vit et s’imagine comme une sorte de personnage central dans une histoire personnelle où les autres, l’environnement et le tout ne sont qu’un décor, série de “figurants” aux petits rôles secondaires. »

Ne pas être qu’une fonction

Pour le coup, l’usager de la grève est véritablement pris en otage, mais absolument pas par ceux qu’il croyait. Barthes a raison d’écrire que « la restriction des effets exige une division des fonctions. On pourrait facilement imaginer que les “hommes” sont solidaires : ce que l’on oppose, ce n’est donc pas l’homme à l’homme, c’est le gréviste à l’usager. » La prise d’otage consiste en ceci : en acceptant d’être réduits à leurs fonctions d’usagers, l’homme ou la femme qui utilisent les transports en commun, concourent à consacrer un ordre politique qui pourra tout aussi bien, lors d’une prochaine loi, les faire passer du côté de leurs mythiques adversaires du jour.

En acceptant d’être dès aujourd’hui désignés comme victimes, ils valident un système logique qui s’assure, du même coup, la possibilité de les transformer plus facilement, un jour prochain, en victimes véritables. En légitimant la fonction comme fondement de l’individu, ils sabotent une conception du sujet qui ne les aurait pas toujours desservis, car ils auraient pu invoquer, le jour d’un licenciement ou d’une délocalisation, par exemple, un droit qu’ils auraient conquis en refusant d’être stigmatisés comme de purs usagers : le droit de ne pas être seulement des fonctions, des sujets rentables, mais au contraire des sujets humains complets contre lesquels la seule rentabilité et l’optimisation économique seraient des arguments trop partiels pour être légitimes.

L’essence du lien social

C’est dans ce sens que Barthes estime logique « qu’en face du mensonge de l’essence et de la partie, la grève fonde le devenir et la vérité du tout. Elle signifie que l’homme est total, que toutes ses fonctions sont solidaires les unes des autres, que les rôles d’usager, de contribuable ou de militaire sont des remparts bien trop minces pour s’opposer à la contagion des faits, et que dans la société tous sont concernés par tous. »

En veut-on une preuve ? Elle réside dans ce paradoxe : c’est au moment même où « l’homme petit-bourgeois invoque le naturel de son isolement que la grève le courbe sous l’évidence de sa subordination. » Ainsi, si les individus pouvaient évoluer hors du lien social qui les soude, la grève n’aurait, par définition, aucun effet ! Mais, au contraire, l’ample dérèglement qu’elle engendre doit être lu comme la démonstration pragmatique que l’individu qui prétend faire sa vie sans mesurer toute l’importance de ce lien social relève d’une mythologie irréaliste. On ne saurait donc donner de conseil plus avisé, aujourd’hui, au mythique usager de la grève que celui-ci : ne vous Thésée pas trop !

Crédit photo cc FlickR : Susan NYC, JacobDavis, Sergvolant, EtherREAL Webzine.

Article initialement publié sur Relectures.

]]>
http://owni.fr/2010/10/24/lusager-des-greves-nest-quun-personnage-de-fable/feed/ 0
Musique et grève : C’est dans la rue ! http://owni.fr/2010/10/13/musique-et-greve-cest-dans-la-rue/ http://owni.fr/2010/10/13/musique-et-greve-cest-dans-la-rue/#comments Wed, 13 Oct 2010 09:43:05 +0000 Valentin Squirelo http://owni.fr/?p=27040 Si vous vous êtes déplacés dans les cortèges pour lutter contre la réforme des retraites lors de ces derniers jours de mobilisation, vous l’avez sans doute vous aussi entendu, cet air vindicatif et entraînant, comme une grosse bouffée d’air vous motivant à battre le pavé. Découvrez la Compagnie Jolie Môme à l’origine de “C’est dans la rue”.

C’est dans la rue que ca se passe !

Hormis celles volontairement silencieuses, les manifestations ont toujours eu une dimension sonore. Portant les revendications du peuple descendu dans la rue, la combativité sur le pavé s’exprime par le biais de slogans criés haut et fort, ou de chants révolutionnaires chargés de sens politique (voir cet article de Slate sur les chansons en manif)

Peu à peu les mégaphones se font rares, au profit des grosses sonos portées par les camions syndicaux. Si elles servent aussi à haranguer la foule et à lancer des slogans, elles sont aujourd’hui souvent utilisées pour diffuser de la musique, chaque syndicat inondant la masse circonscrite de ses adhérents de sons plus ou moins hors contexte.

Allant de l’altermondialisme boboïde (la fameuse “musique du monde”) avec Manu Chao, un peu de punk français avec les Sales Majestés, (qui a au moins le mérite de faire appel aux clichés satisfaisants de l’anticapitalisme avec “Les patrons”), on souffre encore plus des aberrations telle que “Belle” de la comédie musicale “Notre Dame de Paris” à laquelle la CGT paraît très attachée (#WTF).

Dans ce marasme sonore, les récentes manifestations qui se sont déroulées en France ont vu émerger une chanson, diffusée massivement, au point de devenir d’une certaine façon un “tube”, une rengaine, qui pour une fois prend tout son sens sur les pavés.

Outil de lutte

Cette chanson, “C’est dans la rue que ca se passe”, entêtante et stimulante lorsque l’on se retrouve dans la rue, est l’oeuvre de la compagnie Jolie Môme.

Sur leur site Internet, la compagnie se définit comme suit:

C’est une troupe. Qui joue beaucoup, ses propres pièces ou un répertoire hérité de Brecht, Prévert… Qui chante souvent, sur les scènes comme dans la rue. Qui lutte parfois, pour ses droits ou en soutien aux autres travailleurs. Qui fait vivre un théâtre, La Belle Étoile à Saint-Denis. Qui monte un chapiteau, pour s’implanter quelques semaines dans une région. Jolie Môme c’est encore une association, dont les adhérents constituent autant de relais d’information et de mobilisation.

Présente sur les luttes (notamment celles des intermittents du spectacle) depuis sa création en 1983, intrinsèquement militante et investie, elle a conçu cette chanson comme un outil de manifestation, une contribution à la résistance sociale.

La compagnie Jolie Môme perçoit peu de subventions, mais réussit à vivre de son art en se produisant à travers toute la France, soutenue par sa communauté d’adhérents. La troupe a cinq CDs à son actif, qu’elle refuse de commercialiser par les voies classiques, préférant les vendre en direct lors de ses spectacles et par le biais de petits disquaires et libraires alternatifs. Elle diffuse régulièrement ses morceaux gratuitement, à l’image de “Ca se passe dans la rue” dont vous pouvez télécharger le mp3 sur le site, ou à la fin de cet article.

Compagnie de théâtre populaire, mais également de chanson, l’initiative artistique est protéiforme :

Si nous chantons sur scène, vous nous verrez aussi souvent au détour d’une rue ou d’une manif pour soutenir des travailleurs en lutte, arborant tranquillement un grand et beau drapeau rouge. La Compagnie Jolie Môme est une compagnie de théâtre, nous avons créé et joué récemment un spectacle sur l’Empire Romain et l’esclavage, sur la Commune de Paris, des pièces de Brecht, Prévert. Attachés à la beauté et à la force des mots, nous espérons faire un théâtre populaire. C’est à dire un théâtre festif, où l’on se retrouve entre amis, entre camarades et où règne une atmosphère d’insolence, de rébellion. Cette atmosphère fraternelle participe à faire de notre théâtre et de notre chanson des actes politiques.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Du 19 novembre au 9 décembre, la compagnie Jolie Môme présentera son nouveau spectacle, Inflammable, un huit clos en entreprise adapté d’un texte de Thierry Gatinet. Les représentations se dérouleront dans leur théâtre “La belle étoile”, à St Denis.

Téléchargez le mp3 de “C’est dans la rue”

___

Image de clé CC flickr : manuel | MC

Image Compagnie Jolie Môme

]]>
http://owni.fr/2010/10/13/musique-et-greve-cest-dans-la-rue/feed/ 3
[application] #23sept: la carte des chiffres http://owni.fr/2010/09/23/application-23sept-la-carte-des-chiffres/ http://owni.fr/2010/09/23/application-23sept-la-carte-des-chiffres/#comments Thu, 23 Sep 2010 08:26:57 +0000 Media Hacker http://owni.fr/?p=29000 Pour éviter les débats incessants du nombre de participants aux manifs contre la réforme des retraites, nous vous proposons de partager les informations que vous aurez récoltées pendant la journée et de construire une carte des mobilisations.

Sur twitter, pour nous envoyer le décompte des manifestants dans votre ville (en donnant vos sources), géolocalisez l’information en utilisant les hashtags #23sept et #ville (hastag avec le nom de votre ville). Lors de la journée du 7 septembre dernier, nous avions recensé avec vous environs 1 600 000 manifestants dans toute la France. Aidez nous à faire de même !

Pour éditer le tableau, cliquez ici

Pour éditer le tableau, cliquez ici

]]>
http://owni.fr/2010/09/23/application-23sept-la-carte-des-chiffres/feed/ 30
Retraites: Les émois des éditorialistes de la PQR http://owni.fr/2010/09/22/retraites-les-emois-des-editorialistes-de-la-pqr/ http://owni.fr/2010/09/22/retraites-les-emois-des-editorialistes-de-la-pqr/#comments Wed, 22 Sep 2010 08:49:56 +0000 Henri Maler et Olivier Poche http://owni.fr/?p=28677

On le sait, la tâche des éditorialistes n’est pas, à la différence des journalistes de terrain, de «rendre compte», mais de prendre de la hauteur et, synthétisant les faits et les chiffres, de délivrer une analyse de la situation, ouvrant des perspectives, creusant des pistes, non sans parti pris, bien au contraire. Journalisme d’opinion, par conséquent, dont la diversité, nous dit-on, est un gage de démocratie.

Or qu’en est-il de cette diversité dans la presse quotidienne régionale, quand il n’existe, en général, qu’un seul quotidien par région et que les éditorialistes de la « P.Q.R. » valent bien, comme on pourra le vérifier à la fin de cet article, ceux de la presse parisienne que l’on dit « nationale » ? Comme eux rien n’est plus pressé que d’en finir avec le conflit, quitte à entériner la contre-réforme.

C’est ce que montre un passage en revue des éditoriaux de la presse régionale (du 6 au 9 septembre 2010).

Dès avant les manifestations du 7 septembre et, particulièrement la veille, se répandent des bouffées d’inquiétudes, comme celles-ci :

Avant d’abattre ses cartes, François Fillon attend de mesurer l’ampleur de la mobilisation dans la rue et les risques de prolongation. Le bulletin d’alerte est encore à l’orange. On verra mardi si le rouge s’impose.
(Hervé Favre, La Voix du Nord, 6 septembre)

Vraiment tous les ingrédients pour une rentrée brûlante !
(Michel Lepinay, Paris Normandie, 6 septembre)

Mais avec quel enjeu ?

I. L’avenir de Nicolas Sarkozy et de son quinquennat

Pour la plupart de nos éditorialistes régionaux, le principal enjeu de cette mobilisation est… le sort du quinquennat sarkozien, la trace qu’il laissera dans l’histoire, l’image de Nicolas Sarkozy que conservera la mémoire collective… et, naturellement, ses chances de réélection en 2012 – puisque, comme le dit Philippe Waucampt, dans Le Républicain Lorrain du 6 septembre, la réforme des retraites, « la dernière avant la présidentielle [...] donnera le signal de la campagne » !

Quelques exemples ?

S’il sort sans dommages de cette journée, Nicolas Sarkozy pourra se targuer d’avoir fait taire tous les clivages dans son camp
(La Montagne, Daniel Ruiz, 6 septembre).

Un coup de tonnerre suffit parfois à dégager le ciel. Pour Nicolas Sarkozy s’ouvre une semaine à hauts risques […]. Si le président passe sans trop d’encombres ce moment clé, il pourra, après avoir remanié le gouvernement, “ne plus faire que de la politique” en vue de 2012.
(L’Est Républicain, Rémi Godeau, 6 septembre).

Face à cela, Nicolas Sarkozy joue gros lui aussi […]. Il n’est donc pas question d’échouer sur cette réforme devant servir à fixer l’électorat de droite à l’orée de la mère de toutes les élections. D’autant que la crainte grandit dans la majorité d’un 21 avril à l’envers. Autrement dit d’un second tour confrontant le – ou la – candidat(e) socialiste à celui – ou celle – du Front National.
(Le Républicain Lorrain, Philippe Waucampt, 6 septembre).

Nous y sommes. Cette rentrée 2010 est un moment clé du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Et cette semaine qui s’ouvre en est la configuration la plus flagrante […] Le président de la République entend imprimer sa marque en mettant en place une réforme sur laquelle tous les gouvernements depuis des années se sont cassé les dents. S’il devait échouer, lui aussi, son électorat, déjà miné par le doute (…) lui en tiendrait fatalement rigueur.
(La Nouvelle République du Centre-Ouest, Hervé Cannet, 6 septembre).

Le dossier des retraites est une superbe opportunité pour Nicolas Sarkozy de se refaire une santé en ressoudant sa majorité autour de sa fermeté. De décrocher le brevet de bravoure dont il rêve pour entamer la prochaine campagne présidentielle.
(Ouest-France, Paul Burel, 8 septembre).

Nicolas Sarkozy, au plus bas dans les sondages, et s’attaquant ici au plus grand des totems de la gauche, joue ni plus ni moins sa crédibilité pour le reste du quinquennat et, peut-être même, pour un éventuel second mandat.
(L’Est-Eclair, Patrick Planchenault, 8 septembre).

Toutefois, en montant en première ligne plutôt que de laisser François Fillon annoncer les dites mesures, Nicolas Sarkozy prend un risque. Celui de transformer les manifestations des prochaines semaines en référendum contre sa politique et sa personne. Or, l’adoption de cette réforme conditionne les chances de sa réélection. Elle sera en effet décisive car l’image de réformateur du chef de l’État est en jeu.
(Le Télégramme, Hubert Coudurier, 9 septembre).

Diagnostics de la situation ou témoignages de sollicitude ? Il est souvent difficile de trancher. En tout cas, la question de l’avenir de Nicolas Sarkozy se pose et peut être posée.

Mais que la plupart des éditoriaux l’agitent en tous sens comme le problème central du moment montre qu’à force de prendre de la hauteur, on finit par perdre de vue l’essentiel, du moins pour les grévistes et manifestants, et ceux qui les soutiennent : le contenu et les enjeux de la contre-réforme gouvernementale.

II. Une réforme inéluctable, des manifestations inutiles (bis)

Un sondage n’a-t-il pas « montré » que « les Français » étaient majoritairement opposés à cette réforme des retraites et favorables à la mobilisation, mais qu’ils estimaient que le gouvernement ne reculerait pas ? Les éditorialistes de France et de Navarre traduisent aussitôt qu’ils jugent « la réforme » inéluctable. Ce qu’ils avaient déjà décrété bien avant eux. Sans doute ont-ils fait preuve d’assez de pédagogie… Ainsi, Jacques Camus, dans La République du Centre du 6 septembre, fait ce constat à demi rassurant : « les derniers sondages montrent une adhésion très majoritaire des Français à la mobilisation, même s’ils savent la réforme inéluctable ». Ce que Philippe Waucampt, par exemple, s’empresse de confirmer, au lendemain des manifestations, dans Le Républicain Lorrain : « Et maintenant ? Il serait naïf de croire que le gouvernement va plier sur l’essentiel de sa réforme ».


D’une réforme inéluctable à des manifestations inutiles, il n’y a qu’un pas que nombre de nos commentateurs franchissent donc allègrement.

Dès le 6 septembre, dans L’Est Républicain, Rémi Godeau semblait dubitatif, car « il est bien difficile de savoir si ce 7 septembre tiendra du baroud d’honneur ou du début d’incendie social ». Mais il avait néanmoins quelques certitudes – il connaissait même les certitudes des autres :

le chef de l’État bénéficie d’un atout majeur : ses adversaires savent qu’il ne peut reculer. [...] Que plus de 2 millions de grévistes battent le pavé ne changera donc pas l’essentiel : en 2018, l’âge de départ à la retraite sera de 62 ans.

Et dès le lendemain de la manifestation Patrick Planchenault, dans L’Est-Eclair du 8 septembre confirme :

N’en déplaisent aux syndicats [...] – la mobilisation, même record, d’hier n’amènera pas le gouvernement à battre en retraite et ne remettra certainement pas les compteurs à 60 ans. Un. Parce que cette réforme est nécessaire et “inéluctable” comme l’admet, d’ailleurs, une majorité de Français, un brin résignés

… Comme n’ont cessé de l’affirmer les prescripteurs d’opinion (Lire ici même et comme ils l’affirment encore : pour en avoir confirmation, suivre la note [1].

Et si vus de l’Est, les jeux sont faits, ils le sont aussi vus du Nord :

sur le parcours des manifestations à venir les bornes de 62 ans pour l’âge légal et de 67 ans pour l’accès à la retraite sans décote paraissent déjà scellées !
(Hervé Favre, La Voix du Nord, 8 septembre).

Et à l’Ouest, le rêve est devenu réalité :

Passer le pont de la réforme sous la mitraille syndicale, avec plus de deux millions de manifestants, ce n’est d’ailleurs plus un fantasme, c’est déjà une réalité.
(Paul Burel, Ouest-France, 8 septembre).

Ces prophéties auto-réalisatrices ne sont d’ailleurs pas l’apanage de la presse régionale : elles sont fort goûtées aussi à Paris. Gérard Carreyrou, au matin du 7, a consulté sa boule de cristal et dresse en avant-première, pour les heureux lecteurs de France-Soir, le bilan d’une journée de mobilisation qui n’a pas encore eu lieu :

Il y aura, annoncé bruyamment sur toutes les antennes par MM. Thibaud de la CGT, Chérèque de la CFDT et Mailly de Force ouvrière, non pas deux millions de manifestants, la fourchette basse décrétée unilatéralement par les états-majors syndicaux, mais plus : 2 millions et demi voire 3 millions de manifestants. Ce qui sera bien la preuve que c’est un extraordinaire succès, que la France est dans la rue, que le Président est dans les choux, que les adversaires de la réforme des retraites ont gagné. Gagné quoi ? Rien du tout, puisque la réforme enrichie des concessions annoncées pour le débat parlementaire sera votée dans les prochaines semaines par les deux assemblées et que l’âge de la retraite sera désormais de 62 ans avec retraite pleine à 67 ans .

Sans doute le gouvernement n’a-t-il pas l’intention de « reculer ». Peut-être même va-t-il ne pas le faire. En le déclarant, il est en tout cas dans son rôle. Mais en le répétant sur tous les tons, nos grands analystes de la « P.Q.R. » endossent celui que leurs confrères de la « P.Q.N. » affectionnent tout autant : l’éditorialiste d’accompagnement.

III. Avis de recherche des concessions

Et si les éditorialistes accompagnent le gouvernement, c’est que le gouvernement mène une réforme dont ils avaient noté depuis longtemps l’urgence et la nécessité. Tous les moyens sont bons pour la défendre, plus ou moins directement. Et si les sondages semblent indiquer qu’elle est apparemment rejetée par une bonne majorité de Français, c’est simplement qu’«  une réforme des retraites est par définition impopulaire, soit qu’on allonge la durée de cotisation, soit qu’on réduise le montant des prestations, en France comme ailleurs », note subtilement l’éditorialiste du Journal de la Haute-Marne qui ne connaît que cette alternative (Patrice Chabanet, 6 septembre). « Un texte forcément douloureux », répond « forcément » en l’écho l’éditorialiste des Dernières Nouvelles d’Alsace (Olivier Picard, le 6 septembre).

Le soutien au projet de contre-réforme peut s’afficher pratiquement sans fard, en répétant l’argumentaire gouvernemental. Ainsi dans L’Alsace (8 septembre), Patrick Fluckiger écrit : « C’est l’avenir même du système de retraites qui est en cause. Tous les pays qui ont adopté le principe de la répartition sont confrontés au même défi du déséquilibre démographique, et la plupart ont déjà rallongé la durée des carrières. La France ne pourra pas faire bande à part. » La seule originalité, toute relative, consiste ici à menacer les manifestants de « difficultés sociales accrues » dont ils seraient les premiers responsables (pour suivre le raisonnement, suivre la note [2]. Et pour défendre une réforme inéluctable, Nicolas Sarkozy « est condamné à poursuivre le bras de fer ». « Forcément »…

Et puisque les jeux sont faits, restent les « concessions » et la « négociation ».

Avant même que Sarkozy s’exprime, il ne reste rien d’autre à attendre que des concessions – que l’on espère ardemment : comme Patrick Pépin, dans Nord Eclair (8 septembre) :

Il en aurait fallu plus pour que l’Elysée reconsidère sa position. Cependant, il ne peut être sourd et aveugle face à ces salariés du public et du privé qui acceptent d’amputer leurs revenus d’une journée de travail pour faire grève et manifester. Il lui faut chercher maintenant, et sans tarder, des concessions pour ne pas alimenter le mouvement de contestation.

Comme Jean-Marcel Bouguereau dans La République des Pyrénées (8 septembre) :

La marge de manœuvre de Sarkozy est petite. Il lui faut absolument, pour 2012, apparaître comme le vainqueur de cette bataille, il lui faut donner des gages aux agences de notation et maintenant il lui faut faire des concessions aux syndicats. Beaucoup plus qu’il ne l’avait initialement prévu.

Des « concessions » que l’on tient même pour acquises et qui, croit-on, devraient ouvrir (enfin ?) la voie à des « négociations » : comme l’affirme Patrice Chabanet, dans Le Journal de la Haute-Marne (8 septembre) :

Dès ce matin, le chef de l’Etat fera une déclaration lors du Conseil des ministres. […] Il confirmera sans doute, comme l’a fait Eric Woerth, que la porte reste ouverte pour des négociations sur la pénibilité et les longues carrières.

Ou Jacques Guyon dans La Charente Libre (8 septembre) :

Même si les syndicats ont tenu leur pari et qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot, le gouvernement a réussi hier à passer un cap risqué. Et le voici désormais prêt à faire des concessions. Pas évidemment sur l’essentiel. Mais sur quelques points qui sont loin d’être accessoires comme les carrières longues ou la pénibilité. Depuis hier, on sait de chaque côté, qu’il reste du grain à moudre.[3]

Les aménagements mineurs (et prévus de longue date pour faire mine de répondre à la mobilisation) se sont ainsi miraculeusement transformés en « concessions » qui ouvrent la porte à des « négociations ».

IV. Que la paix sociale soit avec nous !

Dès lors retentissent de vibrants appels à l’apaisement et au dialogue.

Les uns rêvent, comme Patrick Pépin, dans Nord Eclair du 9 septembre :

Un effort mieux réparti, un débat sans arrière-pensées et qui laisserait du temps au temps serait de nature à calmer la confrontation. Ce sera difficile, tant l’affaire est lancée comme une partie de bras de fer.

D’autres s’alarment, comme François Martin (Le Midi Libre, 9 septembre) :

Comment arriver à un compromis acceptable pour les deux partis ? Encore une fois, notre bon vieux pays joue avec le feu : l’affrontement en guise de dialogue social. Sacrée habitude qui s’installe à chaque soubresaut. N’empêche ! Exécutif et syndicats sont dans le même bateau. Faire vite. Avant que le malaise social ne se radicalise. Un embrasement reste possible tant la France a peur de son ombre. Et de son avenir. L’apaisement, donc, plutôt que l’affrontement.

Et nombre de nos effarouchés s’indignent de cette (mauvaise) « habitude qui s’installe à chaque soubresaut », comme Rémi Godeau, dans L’Est Républicain :

La justice des mesures sera au cœur du débat. Un sujet explosif dans un pays – exception européenne – allergique au consensus. Même lorsque se règle la survie de notre régime par répartition.

Comme Patrice Guillier, étincelant de mépris, dans Le Courrier de l’Ouest (8 septembre) :

Une dramaturgie très française. Régulièrement ce pays, où les slogans fermentent aussi facilement que les fromages, se convoque lui-même en une sombre liesse protestataire. Hier était bien l’une de ces journées culminantes. Mais un gros coup de tonnerre ne résume pas l’orage à lui seul. Et une cohorte interminable de quelque 2,5 millions de manifestants ne clarifie pas tout une bonne fois. Ce serait trop simple.

Comme Patrick Fluckiger dans L’Alsace (9 septembre) :

En fixant la barre à un niveau irréaliste, ils [Les syndicats] prennent le risque de transformer leur succès dans la rue en défaite finale. […] Chacun réclame un dialogue social de qualité, mais tous les prétextes sont bons pour le saboter. Résultat : personne ne sait comment sortir du blocage. Dans d’autres pays aussi, les salariés se mobilisent pour défendre leurs droits. » Et après l’exemplaire exemple allemand, cette sentence : « En France, on préfère rester dans le conflit. C’est beaucoup plus cher, mais tellement plus romantique.

Jacques Camus, dans La République du Centre, se « mobilise », lui aussi, pour appeler à l’apaisement. Le 8 septembre, il se pose en arbitre:

Reste pour les syndicats à gérer le succès d’hier en poussant leur avantage sans s’abandonner à un “aventurisme” qui rebuterait la base. […] C’est donc à Nicolas Sarkozy de reprendre le main et de dire à quels amendements il consent pour calmer l’ardeur retrouvée des syndicats et combattre ce “mécontentement sociétal” diffus qui a poussé hier beaucoup de manifestants dans les rues. Au-delà du seul problème des retraites.

Et le 9 septembre, les « amendements » de Sarkozy étant officiellement connus, il entreprend de dissuader de pousser trop loin l’expression de ce « mécontentement sociétal » :

La tentation existe […] chez certains, notamment dans les transports, d’une grève reconductible qui plongerait le pays dans de graves difficultés. Pas sûr, malgré les imperfections de la réforme, que l’opinion approuve des mouvements conduits par ceux qui ont été les plus “ménagés” à travers leurs régimes spéciaux.

« Les imperfections de la réforme » : n’est-ce pas joliment dit pour l’entériner ?

Signalons pour conclure que La Dépêche du Midi est l’un des très rares quotidiens régionaux (le seul de notre échantillon [4]), à épouser le point de vue des manifestants : le 6 décembre, Jean-Claude Souléry, note judicieusement :

Les Français ne veulent pas de cette réforme des retraites. Les Français n’ont plus confiance en Nicolas Sarkozy. […] Dès lors, les cortèges de mardi prendront valeur d’un ’non’ tonitruant à une politique dite de réforme – le mot “réforme” signifiant pour beaucoup une variété ’light’ de la régression sociale. […] Dès juillet, Nicolas Sarkozy admettait que la mobilisation syndicale serait puissante, mais ajoutait néanmoins qu’il ne reculerait pas d’un pouce. Autant dire que nous sommes bel et bien à la veille d’une épreuve de force.

Et le 9 septembre le même éditorialiste traduit ainsi, le 9 septembre, l’attitude du gouvernement :

Autrement dit : manifestez, manifestez ! – moi, je trace ma réforme. » Et de poursuivre : « Peu importe que cette réforme des retraites soit rejetée par la grande majorité des Français, peu importe que, mardi, les syndicats aient clairement remporté la bataille de la rue, au final le chef de l’État en personne vient de réaffirmer hier ce qu’il avait déjà martelé à chaque occasion : on corrige la copie à la marge, on gomme une virgule, mais, qu’on se le dise, pas question de reculer sur l’essentiel !

***

Comme le note avec justesse l’éditorialiste de l’Est Républicain, au lendemain de la manifestation :

Ainsi la rue a parlé. Mais qu’a-t-elle dit au juste ? Dans une partition très française, les ventriloques de tous bords ont livré leur version du “message” des manifestants.

Savoureux mélange de lucidité et d’aveuglement, car le même poursuit ainsi :

Les Français ont été bien plus nombreux à faire entendre leur opposition à la retraite à 62 ans. La France réclame-t-elle pour autant un retrait pur et simple du projet ? À voir.

Et de fait, les ventriloques de la presse régionale, de quelque « bord » qu’ils soient, ont livré à de rares exceptions et nuances près une « version » singulièrement monocolore du « message » des manifestants, expurgée de l’essentiel de son contenu politique, et globalement favorable, directement ou plus insidieusement, aux principales dispositions de la contre-réforme gouvernementale.

Soit. Mais, heureusement pour le pluralisme, la presse parisienne nationale sait rééquilibrer les choses. La preuve ? Il y a L’Humanité, par exemple, pour porter une autre voix et une autre analyse, comme celle que propose Jean-Emmanuel Ducoin le 7 septembre :

La France des luttes, celle qui ne se résout jamais à la domination de puissants, a rendez-vous avec son destin, cette semaine, et plus particulièrement ce mardi 7 septembre, jour de grandes mobilisations partout dans le pays pour refuser le projet gouvernemental de démantèlement de nos retraites. L’enjeu enjambe de loin le strict cadre d’une nouvelle journée d’action. N’ayons pas peur des mots, notre avenir commun est en cause. Un choix de civilisation.

…Mais c’est le seul exemple. Qu’ils soutiennent ouvertement la contre-réforme (Le Figaro), qu’ils défendent ses principales dispositions (Le Monde) ou qu’ils les entérinent à mot couvert (La Croix, Libération), les éditorialistes des principaux journaux de la presse nationale nous offrent toutes les nuances d’une même couleur.

- Le Figaro – c’est sans surprise – soutient Nicolas Sarkozy et son électorat dans lequel on peut compter la majeure partie du lectorat du Figaro. Dès le 6 septembre, Paul-Henri du Limbert fixe le cap :

Si cette semaine est décisive, c’est parce que Nicolas Sarkozy, s’attaquant au plus grand des totems de la gauche, s’attaque aussi au symbole d’une époque révolue où les gouvernements étaient persuadés que l’on pouvait dépenser sans compter. Sur ce dossier comme sur d’autres, c’est comme si le chef de l’État sifflait la fin d’une ’récréation’ qui aura tout de même duré une trentaine d’années. […] Nicolas Sarkozy peut faire de cette bataille le premier chapitre de la reconquête. Ses électeurs de 2007 lui réclament simplement de tenir bon. C’est un exercice qu’il connaît bien.

- Dans Le Monde, Eric Fottorino, (9 septembre) se penche sur « Les Français et la peur de l’avenir ». C’est le titre. Et c’est ce qu’« on pouvait percevoir […] dans les cris et les protestations du million et demi – au moins – de personnes descendues dans la rue ». Après une brève litanie sur « les inquiétudes très concrètes » des manifestants, Eric Fottorino, perspicace, en relève quelques autres (« C’est précisément la question de l’emploi qui enlève aux Français toute vision sereine de l’avenir », « Le passage du témoin de la prospérité d’une génération à l’autre n’est plus assuré »), avant de prendre nettement position : « Sur le fond, pourtant, repousser l’âge légal du départ à la retraite est une nécessité largement admise. Sauf à entretenir un mensonge général sur la capacité de l’Etat à financer le système, il faut bien regarder les réalités en face. » Regarder la réalité en face, pour Le Monde, c’est entériner la réforme Sarkozy…

- Dans La Croix, le 6 septembre, François Ernenwein prophétise ; « Nicolas Sarkozy voulait mener à bien cette réforme centrale pour son quinquennat et, selon toute vraisemblance, il y parviendra. » Mais, le 8 septembre, au lendemain de la manifestation, le même « négocie » : « C’est donc dès maintenant que le gouvernement devra faire les ouvertures déjà annoncées. En laissant aux syndicats le plaisir d’annoncer ce qu’ils ont “arraché”. Ce compromis serait une conclusion acceptable pour une réforme que de nombreux manifestants d’hier savaient à la fois nécessaire et inéluctable. »

- Et dans Libération, Laurent Joffrin affiche paisiblement ses désirs et prend ses désirs pour la réalité. Dès le 8 septembre, il écrit :

Confronté à la protestation, il [le gouvernement] affiche une attitude plus ouverte et parle même de négociation. Il reste à passer de la parole à l’acte. Même dans le cadre très contestable du projet, il existe une place pour les compromis. On peut atténuer l’injustice de la réforme, par exemple, en se penchant plus sérieusement sur le sort de ceux qui entament très tôt leur vie active ou encore en prenant en compte les carrières incomplètes. Mais pour cela, une seule manifestation ne suffira pas.

Et le 9 septembre, il se réjouit :

Etrange négociation, sans discussions directes ni contacts à ciel ouvert. Mais négociation tout de même. Dès lors, il s’agit d’obtenir des concessions aussi substantielles que possible, mais néanmoins partielles et non le retrait du projet, demandé seulement par une minorité. Par des voies indirectes et bien françaises sous le couvert d’un langage qui reste rude, un syndicalisme de négociation se substitue progressivement au syndicalisme de protestation.

… Tandis que le journalisme d’opinion se réduit chaque jour davantage au journalisme d’« opinons »…

Crédits photo cc FlickR Rémi Vincent pour OWNI et monolecte.

Article initialement publié sur Acrimed.

]]>
http://owni.fr/2010/09/22/retraites-les-emois-des-editorialistes-de-la-pqr/feed/ 10
[application] Manifestations: la carte des chiffres http://owni.fr/2010/09/07/manifestations-carte-chiffres-greve-7sept-crowdsourcing/ http://owni.fr/2010/09/07/manifestations-carte-chiffres-greve-7sept-crowdsourcing/#comments Tue, 07 Sep 2010 17:01:20 +0000 Admin http://owni.fr/?p=27380

Si la manifestation est une “tradition” française, il est un autre sport où nous excellons : la bataille des chiffres qui suit lesdites manifestations. Entre ceux avancés par la police et ceux indiqués par les organisateurs, les écarts sont parfois surprenants, au point de se demander si une des parties a des problèmes oculaires.

En cette journée de défilés contre la réforme des retraites, on aura eu ainsi droit à Marseille à un 250 000 vs 27 000, à Avignon 25 000 vs 4 000…

Voici donc notre “beta” (première version qui sera actualisée ces prochains jours) d’une carte crowdsourcée permettant de localiser les cortèges et de comptabiliser les manifestants. Le premier exercice que nous vous proposons de faire ensemble est de réaliser un comptage des manifestations du 7 septembre qui indique dans la mesure du possible ces deux sources ainsi que des informations remontées par ces réseaux.

Nous essaierons de réussir cet exercice ensemble, dans le temps et en toute transparence.

Médias, citoyens, associations, aidez-nous à compléter ce document!

Pour éditer le tableau, cliquez ici

Pour éditer le tableau, cliquez ici


]]>
http://owni.fr/2010/09/07/manifestations-carte-chiffres-greve-7sept-crowdsourcing/feed/ 79