OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [ITW] « Récupérer un espace qui appartient à tout le monde et à personne » http://owni.fr/2011/07/21/itw-%c2%ab-recuperer-un-espace-qui-appartient-a-tout-le-monde-et-a-personne-%c2%bb/ http://owni.fr/2011/07/21/itw-%c2%ab-recuperer-un-espace-qui-appartient-a-tout-le-monde-et-a-personne-%c2%bb/#comments Thu, 21 Jul 2011 16:39:57 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=74405

De quelles façons les technologies envahissent l’espace et la ville et quelles peuvent être les conséquences ?

Les nouvelles technologies permettent aux gens moins riches d’avoir les mêmes outils et les mêmes possibilités que ceux des quartiers plus aisés : les réseaux sociaux, les moyens pour échanger les objets, etc. Certains outils comme les hobo signs en QR Codes [en] du F.A.T. (un pochoir sur un mur qui signifie que dans telle maison le propriétaire fait à manger, donne un peu d’argent contre un peu de travail, ou à tel endroit, le Wi-Fi est gratuit, le café n’est pas bon, etc…) proposent de relier l’information et de la relayer de différentes manières. La ville est la poursuite de différents liens. Et la technologie aplanit les banlieues, la périphérie et le centre, le tout pensé par l’architecture de la ville.

En adaptant la technologie à la ville, on la hacke pour que les citoyens se la réapproprient ?

Oui c’est tout à fait ça. Hacker la ville, c’est récupérer un espace qui appartient à tout le monde et à personne. Il y aurait des centaines de projets qui concernent cette question. Par exemple en Allemagne, des designers et des artistes de Berlin investissent la ville et la détournent : ils ont installé des bancs, des chaises et des tables pliantes au sein d’un compteur électrique. Le compteur se ferme et quand ils viennent sur place, ensemble dans cette rue, ils déplient le compteur, une grande table apparait et ils boivent un coup, ils mangent ensemble. Le compteur fonctionne toujours, il a gardé son utilité première et en a gagné une deuxième. En fait, l’essentiel est là : hacker la ville les a liés ou reliés.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Autre exemple en Chine. À Beijing, un étudiant a décidé d’investir un grand trottoir en y installant sa maison, une grosse boule en mousse de la taille d’une voiture dans laquelle il a mis son lit, un ordinateur et de la lumière. Sur cette boule, il a accroché des petits sacs de terre sur lesquels poussait de la verdure. Personne ne s’est offusqué. Et pourtant il avait créé son espace sur le trottoir…

Quel est le sous-entendu de telles démarches ?

Qui dit se réapproprier la ville dit qu’elle ne nous appartient plus. Notamment à cause de considérations économiques ou d’architecture. Le lien social intervient ensuite : on peut modifier la ville mais tout seul c’est moins enrichissant. Créer comme les Allemands un espace pour être ensemble, boire un verre et partager un saucisson c’est instaurer des relations qui n’existaient pas avant. Et déjouer des normes aussi. Parking Day par exemple est un hacking de ville. Tout le monde est invité à louer une place de parking, en ville, et le temps de la location, faire ce qu’on en veut. Planter des fleurs, du gazon, installer un banc et tout un tas de choses qui font que pendant l’heure louée, la place est détournée de sa première utilité. Qui a dit qu’il fallait mettre une voiture sur une place de parking ?

C’est comme si le lien social avait plus ou moins disparu et qu’il était nécessaire de le retrouver. Mais pourquoi la ville ?

Michel Mafesoli disait que « le lieu fait le lien ». L’agora et le centre de la ville créent la communication. À l’inverse, le lien peut faire le lieu et l’espace, qu’il soit physique ou pas devient un lieu. Twitter, les chatrooms sont juste des espace non physiques où se créent des conversations. Les deux sont aujourd’hui des lieux à part entière. Parce que c’est l’agora, la place publique dans laquelle les gens viennent se retrouver, un point de convergence, un point central. C’est le seul endroit, la ville et la rue, qui à la fois appartient à tout le monde et à personne en particulier. Du coup c’est le seul lieu qui reste. Et que les gens peuvent se réapproprier.

Pendant longtemps, les gouttières étaient considérées comme des éléments publics dont certains se servaient pour coller des autocollants ou dessiner. Elles n’appartenaient à personne et le vide juridique leur laissait la possibilité de décorer l’espace sans risquer quoi que ce soit. Il en va de même pour les graffitis, les graffeurs se servent des bâtiments publics parce que la rue leur appartient aussi. En théorie, les maisons des particuliers sont épargnées !

Mais qui sont les hackers de la ville ? Des passionnés, des citoyens qui revendiquent ou des designers ?

Ce sont des citoyens qui ont un métier et qui ont décidé de s’engager un peu. Ce sont des personnes qui font du graphisme, d’autres qui font du street art. D’un coup ils se réveillent en se disant qu’ils partagent une ville avec d’autres et leurs côtés citoyen et politique émergent. Ils ont déjà une certaine idée de la société. On peut créer, faire des choses pour les autres, mais après il faut trouver une cause, un but. La ville est faite pour ça, c’est un excellent terrain de jeu.

Comme les créateurs de Fabrique-Hacktion ?

Oui tout à fait. D’autres avaient commencé à faire ce genre de projet notamment à Strasbourg. La ville ludique avait été utilisée pour créer des parcours sportifs avec les objets du quotidien. La ville est devenue un stade.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

On peut comparer ça dans une moindre mesure à Jeudi Noir et leurs soirées dans des appartements parisiens de 20 m2 à 800 euros : ils dénoncent avec un côté festif. C’est une forme d’action.

Hacker la ville est donc une forme d’activisme ?

Oui, on peut le mettre dans la même « case » même si la revendication est différente, moins engagée, moins politisée et moins politique. Mais elle existe. Fabrique-Hacktion c’est une manière de signaler « Coucou il manque des choses, c’est mal pensé », en ajoutant simplement quelque chose qui permet à ceux qui s’en servent de se dire « Ah oui mais c’est vraiment beaucoup mieux ! ».Et ce qui est intéressant c’est qu’il n’y a pas besoin d’en dire plus : on a juste changé la ville, on l’a rendue plus agréable, plus pratique et plus facile.

Les petites choses qui sont faites et qui sont décalées ont ensuite un impact sur le comportement des gens et au moment où la petite amélioration disparait, ils se rendent compte que ça leur manque. Soit ils peuvent le réclamer d’eux-même, soit il peut exister une prise de conscience de la part de ceux qui créent le mobilier urbain, les trains, etc. Se dire que les hackers n’avaient pas tort c’est admettre qu’il y avait un vrai besoin derrière et que parfois quand on ne propose pas nous-mêmes un ajout à apporter, les fabricants n’en ont pas forcément l’idée. D’ici vingt ans on aura peut-être un porte-journaux dans le métro !

Ça ressemble à la définition d’une ville intelligente ?

Oui c’est inventer la ville pour la rendre plus pertinente. Un projet artistique avait construit des bancs contre les SDF : ils comportaient des pointes sur les sièges et pour pouvoir s’y asseoir, il fallait insérer une pièce qui faisait que les pointes rentraient dans l’ossature du banc pendant une heure ou trente minutes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

C’est un projet mais en l’état, les villes « intelligentes », avec beaucoup de guillemets, existent déjà. Les bancs anti-SDF, ce sont les bancs dans le métro, qui ont des accoudoirs et qui ont été conçus pour que les SDF ne puissent pas s’allonger dessus. Prévus comme ça pour ça. De même avec les sièges creux. Le design peut être intelligent mais avec l’intelligence qu’on veut bien lui prêter. Pour obéir aux désidératas et aux volontés des politiques de la ville sous sa forme la plus concrète.

Mais c’est un peu à double tranchant. Surtout c’est aux designers de savoir ou pas de ce qu’ils vont faire et pourquoi, de savoir où ils s’engagent, d’en être conscients. Les designers qui ont créé les bancs avec ces accoudoirs devaient très bien savoir à quoi ça allait servir. Ils ont dû tester : ils se sont allongés sur le dos et se sont dit « là j’ai mal au dos et là ça va. Donc je dois renforcer ça comme ça.»

L’urbanisme au service de la ville est donc déjà en action, reste à savoir de quelle manière les hackers peuvent servir les citoyens en transformant la ville.

Illustration F.A.T

Retrouvez le blog de Geoffrey Dorne et son projet Neen

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Hacker la ville : une bonne idée ? http://owni.fr/2011/07/21/hacker-la-ville-une-bonne-idee/ http://owni.fr/2011/07/21/hacker-la-ville-une-bonne-idee/#comments Thu, 21 Jul 2011 13:09:38 +0000 Arthur Devriendt http://owni.fr/?p=74162

Dès sa mise en ligne, le compte-rendu, écrit par Hubert Guillaud, de la communication réalisée par Saskia Sassen lors de la Lift 2011 qui s’est tenue à Marseille le 7 juillet dernier, a connu un grand succès, fortement relayé (retweeté en l’occurence) par les « geeks », « explorateurs du web » et autres technophiles en tous genres. Face à cet engouement, j’ai bien sûr eu envie de jouer les empêcheurs de tourner en rond…

L’objectif de ce petit article n’est évidemment pas d’émettre un jugement catégorique sur la réflexion que mène actuellement S. Sassen et à laquelle, pour l’instant, nous avons accès seulement par des voies détournées (un article de presse [en], une brève interview [en] et un compte-rendu de conférence), mais d’en relever les points critiques (ou, tout au moins, à éclaircir) à tous ceux qui seraient déjà tentés d’en retenir seulement quelques citations, comme autant de vérités définitives et d’occasions de briller en société, à la suite d’une lecture trop rapide.

Si l’interrogation centrale de la géographe, célèbre pour ses travaux sur les « villes globales », est très intéressante — à savoir comment maintenir le caractère ouvert et mouvant des villes à l’heure où se développent des systèmes techniques qui, sous couvert de les rendre plus « intelligentes » [en] semblent fermer ces dernières sur elles-mêmes à travers d’une part l’augmentation des procédures de contrôle et de surveillance, et d’autre part en accordant une place prépondérante aux « ingénieurs »  au détriment des autres habitants ? —, je suis peu convaincu des réponses qu’elle propose et telles qu’elles ont été relayées — lesquelles consistent à en appeler à l’émergence d’un « urbanisme open-source » et à « hacker » la ville.

Une nouvelle forme de ségrégation ?

Premièrement, Saskia Sassen semble en vouloir aux systèmes urbains technicisés contemporains d’accorder aux « ingénieurs » une place prépondérante dans la fabrique de la ville, occultant les autres usagers habitants. Or son discours, mobilisant lui-même un vocabulaire très spécifique (« open-source », « hacker » mais aussi « créatif » et « flexible »), ne se situe-t-il pas également du côté des technophiles, geeks, chercheurs et autres ingénieurs informaticiens (si d’aucuns osent encore se présenter sous cette étiquette… ) ?

Deuxièmement, il ne faut pas oublier que les compétences informatiques et numériques ne sont nullement partagées et réparties également au sein de la population. Des différences sensibles selon les parcours biographiques et les catégories sociales, bien que ce ne soit plus très à la mode de le dire, sont toujours à l’œuvre. Dès lors, quid des populations non « maîtres» de la technique, de ceux qui ne savent pas « faire avec », dans la ville « hackée » ? Seront-ils des citoyens de second rang (tout comme ils peuvent déjà l’être dans nos villes actuelles) ? La ville « hackée » est-elle le futur de la ville ségrégée, la ségrégation ne se manifestant tant plus à niveau spatial qu’à un niveau technique, les uns sachant détourner ou du moins utiliser dans leur intérêt les systèmes techniques, les autres subissant un système régi par des intérêts privés situés en-dehors de toute sphère démocratique ?

Une injonction aux “usages innovants”

Troisièmement, cet appel au « hacking » des villes fait écho à la thématique très en vogue depuis plusieurs années des « usages innovants » des outils numériques et des TIC. Toutefois, si celle-ci a pu être intéressante dans un premier temps en vue de réfuter des thèses simplistes telles que le couple binaire émetteur/récepteur de média (autour par exemple des travaux de Michel de Certeau), on observe aujourd’hui une véritable injonction en la matière, laquelle rejoint une injonction plus générale à la « liberté » (liberté de création, liberté de circulation de l’information, etc.), lesquelles ne sont en réalité, dans une perspective foucaldienne, que les nouveaux avatars « biopolitiques » de nos « sociétés disciplinaires » fondées sur le contrôle social (voir cet article d’Alexandre Macmillan), dont le marketing était pour Deleuze l’un des instruments principaux, à raison selon Bernard Floris et Marin LedunComme le note Raphaël Josset dans un article récent :

[...] toutes les pratiques extrêmement subtiles du ‘marketing viral’, de la ‘guérilla marketing’, du ‘marketing alternatif’, du ‘buzz marketing’ et autres métiers de la communication, des médias et des réseaux [sont] parfaitement capables d’assimiler chaque ‘usage innovant’ dans leur propre système. [...] c’est d’ailleurs cette capacité à métaboliser l’énergie créatrice des groupes dissidents qui les rend pratiquement ‘insubversibles’, et peut-être aussi parce que la simple idée d’un ‘devenir-média’ de la masse, c’est-à-dire l’injonction à la réappropriation ou au détournement socio-technique du code ne peut de toute façon aboutir qu’à une reproduction élargie du système sous couvert de nouvelles modalités.

Où comment la ville “hackée” risque de se retourner contre elle-même…

Un discours très vague sur l’open-source

Quatrièmement, S. Sassen et ses relais ont un discours très vague sur l’« open-source » et ses bénéfices. Or on peut s’interroger : l’« open-source » suffit-il par exemple, en lui-même, à dépasser les dimensions de contrôle et de surveillance quand, le souligne Matteo Pasquinelli, même les militaires s’y mettent ? Dans le même article, l’auteur en profite également pour égratigner quelque peu le « mythe politique » du « hacker » et de l’ « open-source », volontiers perçu comme anti-capitaliste [en] ou en-dehors des règles du marché (ce que met à mal le cas d’Open Street Map) :

Le risque au sein de la technologie est de continuer à parler le langage du pouvoir et du capital. L’histoire est pleine de ‘machines radicales’ qui se sont dénaturées pour prendre la forme de nouveaux instruments de contrôle et d’exploitation. Ne voyons-nous pas la créativité hacker se confondre progressivement avec l’exaltation du fonctionnalisme industriel ? L’antienne de la supériorité et de la fiabilité du logiciel libre est à présent si convaincante que les militaires, eux-mêmes, en sont venus à l’adopter. En dehors du mythe politique qu’il représente, le hacker est un pacte méphistophélique avec la technocratie (plus avec le pouvoir implicite dont dispose la technologie en elle-même qu’avec les technocrates). On annonce toujours la même définition officielle : « Free software is a matter of liberty, not price. To understand the concept, you should think of free as in free speech, not as in free beer ». Mais derrière ces subtiles nuances, on en vient à oublier cet « illustre collègue » de la liberté qu’est le libre marché. Et tout se passe comme si la technologie immatérielle du software disposait quasiment des mêmes droits qu’un logos divin aux manifestations infaillibles.

Une ville d’individus et d’intérêts privés ?

Enfin, il est toujours intéressant de souligner, à la suite par exemple de cet article de The Economist [en], que la plupart des logiciels « open-source » créés ne font qu’imiter les solutions propriétaires existantes. Or à quelle remise en cause du système procède-t-on lorsque l’on entérine ses finalités ? Ne s’en sort-il pas quelque part vainqueur car légitimé dans ses missions ? Par ailleurs, ce constat ne dévoile-t-il pas une logique de développement de l’« open-source » reposant essentiellement sur la satisfaction des intérêts privés des individus ? Or la ville peut-elle être pensée/planifiée par la somme de ses intérêts privés (des « auto-entrepreneurs » urbains en quelques sorte, portés par le slogan « just do it yourself !») au détriment de la dimension collective et du service public ?

Version légèrement remaniée d’un billet initialement publié le 16/07/2011 sur Technogéographie, sous le titre « À propos de S. Sassen et de “l’urbanisme open-source” », avec une réponse de Saskia Sassen.

Image CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification massdistraction

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http://owni.fr/2011/07/21/hacker-la-ville-une-bonne-idee/feed/ 15
Est-ce que la technologie désurbanise la ville ? http://owni.fr/2011/07/21/est-ce-que-la-technologie-desurbanise-la-ville/ http://owni.fr/2011/07/21/est-ce-que-la-technologie-desurbanise-la-ville/#comments Thu, 21 Jul 2011 06:33:21 +0000 Hubert Guillaud http://owni.fr/?p=74142 Pour la sociologue et économiste américaine Saskia Sassen (Wikipédia), qui introduisait la 3e édition de la conférence Lift France qui se tenait la semaine dernière à Marseille, la ville est devenue un espace stratégique pour tout type d’applications technologiques, mais dans quelles mesures ces capacités technologiques déployées dans l’espace urbain urbanisent-elles véritablement la ville ? “A l’heure où tout le monde se demande comment utiliser la ville, diffuser ses services dans l’espace urbain, la question de savoir si les technologies urbanisent ou pas la ville me semble d’importance.”

La ville doit pouvoir être hackée

La technologie donne des capacités technologiques qui vont au-delà de la technologie elle-même. Quand la haute finance utilise les technologies, elle ne le fait pas de la même manière que la société civile. Ses points de départ, ses objectifs sont différents, même si elle utilise les mêmes outils techniques que d’autres utilisateurs : la technologie fonctionne donc dans une écologie plus vaste qui ne la réduit pas.

La ville est un espace complexe, anarchique, rappelle la spécialiste du sujet. Mais l’usage de la technologie dans l’infrastructure permet le fonctionnement de l’infrastructure, pas nécessairement de la ville. “La question est donc de regarder comment nous urbanisons la technologie, comment nous adaptons ou essayons d’adapter la technologie à la ville ?”

Saskia Sassen sur la scène de Lift France 2011.

“Il faut d’abord voir que la ville n’est pas une somme de matérialités, mais qu’on y trouve aussi des personnes, des cultures, des sous-cultures. C’est d’ailleurs ce qui permet le plus souvent à la ville de s’adapter, de réagir et de continuer à exister comme l’ont fait Rome, Marseille ou Istanbul. Chacune réagit différemment.”

Il nous faut comprendre autrement “l’urbanitude”. Qu’est-ce qu’une plateforme pétrolière qu’on urbanise ? Qu’est-ce qu’une ville avec des espaces urbains morts ? Une ville est-elle seulement des gratte-ciels qu’on ajoute à l’espace urbain ? “Nos villes sont bizarres, elles sont des mélanges vivants. Elles vivent et continuent à vivre, car elles continuent de répondre aux actions que nous avons sur elles”, explique Saskia Sassen.

Peut-on entrer dans l’espace urbain avec une autre écologie d’éléments ? Peut-on faire de l’urbanisme open source ? Comment peut-on penser la ville en la hackant ? La ville peut-elle être un hacker ? Que se passe-t-il quand les villes ressentent les choses ? Quand elles deviennent trop intelligentes, trop sensibles ? Quand le banc peut éjecter la personne qui veut dormir dessus, quand la poubelle vous recrache le détritus que vous venez d’y mettre parce que vous ne l’avez pas mis dans la bonne poubelle, comme le proposaient les artistes JooYoun Paek et David Jimison [en], à l’exposition Toward the Sentient City [en] (Vers la ville sensible) qui avait lieu en 2009 à New York ? Comment la ville peut-elle répondre ?

Dans les années 80, le parc de Riverside à New York était réputé dangereux, raconte Saskia Sassen. Tant et si bien que les gens qui s’y promenaient ont commencé à venir avec des chiens. En promenant leurs chiens, peu à peu, ils se sont réapproprié ce territoire et le retour des chiens a participé au départ des délinquants. Le parc est aujourd’hui un magnifique endroit avec une population plutôt favorisée vivant autour. “Nos pratiques sont des espèces de logiciels qu’on peut connecter à d’autres pratiques et logiciels.”

“Quand on parle de villes intelligentes (Smart Cities), le problème est que bien souvent on évoque des systèmes techniques qui désurbanisent la ville”, explique la sociologue en évoquant plutôt le quartier d’affaire de Sondgo à proximité de Séoul ou la ville de Masdar à Abu Dhabi, comme elle l’expliquait il y a quelques mois dans un passionnant article pour McKinsey Digital [en].

Les technologies embarquées s’adaptent aux pratiques de chacun dans un bâtiment, mais cela désurbanise l’espace plus large de la ville. Et ce d’autant que, bien souvent, ces systèmes intelligents sont fermés pour être maitrisés alors qu’on les incorpore dans le système ouvert, incomplet, non terminé qu’est la ville. Ce sont des systèmes fabriqués avec la logique de l’ingénieur et l’ingénieur n’est qu’un des utilisateurs de la ville. Comment la logique d’autres utilisateurs interagit-elle avec cette logique ? Quelle place reste-t-il pour la contourner, la hacker ?

Les villes intelligentes mettent en œuvre dans un système fermé la logique de l’ingénieur, avec des possibilités et potentiels limités. Elles ne rendent pas visibles les technos qui les constituent. “Or, pour être interactives, pour s’intégrer dans des écologies multiples, elles devraient plutôt être visibles, accessibles à qui les regarde ou les utilise”. La ville intelligente repose sur une trop forte obsolescence technologique qui risque de la rendre rapidement incapable de s’adapter, de réagir… Et de transformer les systèmes techniques en systèmes critiques.

Pour Saskia Sassen, nous devons travailler “à urbaniser les technologies plutôt que d’utiliser des technologies qui désurbanisent la ville”. Les technologies déployées dans la ville doivent être adaptables… La ville doit pouvoir être hackée ! Sinon, nous risquons de tuer leurs capacités d’adaptation qui ont fait leur force à travers les siècles.

Les dérives des villes intelligentes

L’écrivain et designer Américain Adam Greenfield (Wikipédia [en] – sur InternetActu), auteur de Everyware et depuis 2010 à la tête de l’agence Urbanscale [en] s’est penché sur la question des responsabilités civiles dans la ville en réseau.

Lorsqu’on utilise ces termes de “villes en réseau” on imagine en général quelque chose d’assez futuriste, explique le designer. Dans les brochures IBM ou Cisco, on en parle comme d’une idée qui n’est pas encore complètement réalisée. Pourtant, la ville en réseau est déjà là (d’ailleurs, explique Greenfield, l’usage de l’expression est largement influencé par un sociologue marxiste français, Henri Lefebvre – Wikipédia -, mort avant l’avènement de l’internet) : elle est un lieu sujet à des changements rapides et importants, où les négociations sont constantes. C’est la ville dans laquelle la population est impliquée, notamment via ces ordinateurs très sophistiqués que nous avons de plus en plus dans nos poches…

Adam Greenfield sur la scène de Lift au théâtre du Pharo à Marseille.

Dans la ville d’aujourd’hui, nous sommes entourés d’objets et d’espaces qui ont leurs propres identités informationnelles. Les espaces urbains se caractérisent de plus en plus souvent par des objets capables d’agir, comme le Tower Bridge de Londres développé par Tom Armitage [en], capable d’avertir les gens via Twitter [en] quand il se soulève par exemple… Mais du coup, nous sommes en train de voir apparaître de nouveaux modes de surveillance, non plus seulement par des caméras et microphones, mais aussi de manière plus subtile. Aujourd’hui des dizaines de millions de personnes sont confrontées à ces technologies et nous devons apprendre à évaluer les risques.
Pour permettre de mieux comprendre les problèmes qui peuvent apparaître, Adam Greenfield a dressé une taxonomie des effets, du plus inoffensif au plus dangereux.

Le premier exemple est un capteur créé en Finlande [en]. Ce pays est plongé dans la nuit pendant une majeure partie de l’année, et les voitures présentent donc un grand danger pour les piétons, surtout les enfants ou les personnes âgées. Ce capteur placé sur la chaussée détecte les piétons et avertit le véhicule. C’est un système qui sauve des vies et rencontre l’assentiment de la population. Pourtant, il capte des données publiques à l’insu des citadins, même si celles-ci ne sont pas archivées.

publicité Corée NikonPlus gênant est ce panneau publicitaire coréen [en]. Il représente des photographes, et un tapis rouge est placé devant l’affiche. Lorsqu’un passant marche sur le tapis rouge, les “photographes” prennent une photo et illuminent le badaud d’une série de flashs. L’idée est de donner aux gens l’impression d’être des stars. Mais les personnes ne sont pas enchantées par le flash : elles sont plutôt surprises. Le dispositif n’est pas dangereux ni inquiétant, mais il est caractérisé par un certain manque de respect, un côté nuisible. On monte donc d’un degré dans la taxonomie des effets pernicieux.

Beaucoup plus problématique est cette machine japonaise [en] qui va tenter d’analyser votre visage pour déterminer votre âge et votre sexe et vous propose des boissons censées correspondre à vos goûts. “Une telle application, explique Adam Greenfield, a tendance à effectuer des discriminations, à placer des gens dans des cases, dans des catégories. Cela va dans le sens inverse de ce qu’on attend d’une ville, qui est d’augmenter la diversité.”

Plus élevé encore dans la taxonomie des effets dangereux, ce panneau d’affichage créé selon Greenfield par une société française, qui va repérer votre âge, votre sexe et votre groupe ethnique et essayer de vous attirer en affichant une image en fonction de votre profil. Une telle technologie, a dit Greenfield, est si nuisible qu’il souhaite demander au maire de New York de la réguler de manière urgente, afin de limiter son explosion sur les supports d’affichages, comme l’évoquait le New York Times il y a déjà quelques années [en].

Tous les exemples précédents, du moins dangereux au plus inquiétant, sont au moins faciles à analyser. Mais comment évaluer les problèmes posés non plus par un objet ou système, mais par l’interaction entre plusieurs dispositifs au sein de l’espace public ?

Par exemple, à Wellington, en Nouvelle-Zélande, on a installé un dispositif de vidéosurveillance pour contrôler les accidents de voiture. Consultée, la population a approuvé cette technologie globalement positive. Puis, bien plus tard, lors de la mise à jour du logiciel, les concepteurs ont introduit un système de reconnaissance faciale, qui a pu être utilisé par la police pour reconnaître les délinquants. Et bien sûr, la population n’a pas eu à se prononcer pour une simple mise à jour du logiciel.

Comment prévenir les dérives ? Pour Greenfield, l’ouverture globale des données de l’espace public est une nécessité démocratique. Ces flux d’informations doivent être disponibles pour tous, et non réservés à ceux qui peuvent payer. Malgré les risques possibles de l’ouverture, les bénéfices, selon lui, dépassent largement les inconvénients.

Rééquilibrer le rapport de force entre concepteurs et utilisateurs

“Les architectes et les urbanistes regardent assez peu les usages. Les villes qu’ils façonnent sont souvent désincarnées”, suggère l’un d’entre eux, Alain Renk, à la tête de l’agence Renk & Partner/UFO (pour urban fabric organisation). A Paris par exemple, tout le monde connaît le blocage physique et politique que représente le périphérique, alors que pour beaucoup de Parisiens, il n’est pas vraiment une frontière de vie. Le temps long de la construction des villes est-il une réalité, ou seulement une façon de faire patienter ceux qui vivent dans la ville ? Pourrait-on construire des villes autrement, avec des matériaux plus transformables que le béton, comme on commence à en trouver dans des immeubles mexicains ? Peut-on construire des outils pour permettre aux gens de construire des villes ? Pour qu’ils partagent les évaluations et les décisions ?

C’est un peu toutes ces questions qu’égraine Alain Renk. En prônant une certaine radicalité pour réagir à la standardisation des environnements urbains portés par les grands groupes de construction qui accueillent les grands groupes de consommation. La ville devenue planétaire, “peut-elle encore être un endroit où les gens peuvent développer des projets de vie qui ne soient pas formatés, “robotisés” ?”, s’interroge l’urbaniste.

Alain Renk.

Pour lui, il est regrettable qu’on continue à faire de l’architecture et de l’urbanisme comme avant l’internet, alors que le monde a inventé depuis une autre situation, qui a à la fois une part physique et une part numérique. “Les habitants des villes se retrouvent destinataires de villes qu’on construit pour eux.” Le rapport de force entre constructeurs de villes et utilisateurs se tend toujours un peu plus. Architectes et urbanistes deviennent distants et arrogants, et semblent bâtir des murs uniquement pour tenir les utilisateurs à distance. Or, les habitants connectés en savent plus sur la ville que ceux qui conçoivent les territoires, estime Alain Renk.

C’est cette réflexion qui l’a amené à développer un prototype pour la dernière édition de Futur en Seine, baptisé Villes sans limite (vidéo). Ce dispositif de réalité augmentée permet de modifier l’aspect d’un quartier. Implémentée sur trois sites parisiens, l’application permet de récolter des données sur la façon dont les utilisateurs ont modifié l’urbanisme. Chaque utilisateur peut d’ailleurs observer les options qui se dégagent de ces manipulations, “la radicalité doit utiliser les armes du monde dans lequel on vit”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

making of : Unlimited Cities / Villes sans limite from Unlimited Cities on Vimeo.

Mais l’endroit où l’on est aura-t-il encore de l’importance à l’avenir, ou, au contraire, avec l’internet, seront-ils tous interchangeables ?, questionne Laurent Haug, animateur de cette session. La ville doit offrir des espaces pour travailler, pour rencontrer des gens, pour circuler… Elle doit répondre à l’uniformité, estime Alain Renk, elle doit offrir des alternatives aux endroits où il y a tout… et à ceux où il n’y a rien.

Billet initialement publié sur InternetActu

Photos Pierre Metivier (Saskia Sassen et Adam Greenfield) et Swannyyy (Alain Renk).

Image CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales tarentula_in

Une Elsa Secco pour OWNI

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