OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Occupy Wall Street refleurit http://owni.fr/2012/03/24/occupy-wall-street-refleurit/ http://owni.fr/2012/03/24/occupy-wall-street-refleurit/#comments Sat, 24 Mar 2012 13:40:21 +0000 Arnaud Contreras http://owni.fr/?p=103294 OWNI vous invite à retrouver, aux États-Unis, le mouvement Occupy Wall Street qui vient d'achever d'hiberner. Reportage plein de sève d'Arnaud Contreras qui a suivi les préparatifs des principales figures d'Occupy. ]]>

Barricade et hashtag © Arnaud Contreras

We sow seeds in the Fall… They blossom in the Spring in « The Declaration of The Occupation of New York »

Un peu moins présent cet hiver sur la scène médiatique depuis son éviction de Zuccotti Park en novembre 2011, le mouvement Occupy Wall Street n’a cessé pendant l’hiver d’accroître sa présence en ligne, de s’organiser, de préparer des actions en espérant peser sur la campagne électorale américaine et permettre à la population de débattre de thèmes que certains disent « endormis » par les autorités.

Depuis quelques jours, Occupy Wall Street organise de grandes manifestations, en avance sur son propre calendrier qui prévoit des événements avec les syndicats américains au mois de mai. Immersion pour l’Atelier des Médias de RFI et OWNI, pendant dix jours à New York auprès de figures phares du mouvement. Témoignages, images et sons captés à quelques jours de ce Printemps…

Margot Wellington, 80 ans, me regarde avec la tendresse d’une grand-mère. Ce soir, le Seaport Museum, pour fêter sa réouverture après de longs travaux, a choisi de présenter une exposition collective sur Occupy Wall Street. Première fois qu’un établissement officiel affiche son soutien à l’esprit de réforme qui souffle sur la ville. La grande bourgeoisie New Yorkaise, les 1%, trinque avec des employés, et personnels de services, hipsters militants, étudiants, syndicalistes, les 99%. Chacun discute devant les clichés réalisés aussi bien par des membres de la prestigieuse agence VII que par des photographes émergents ou amateurs et des passants ayant capturé quelques Instagram lors des événements de l’automne dernier.

Manifestation ©Arnaud Contreras

La vieille dame m’a abordé alors que je parlais du film Beat « Pull my Daisy » de Robert Frank, avec une des organisatrices arborant un badge YES, référence à peine voilée au YES WE CAN d’OBAMA. “Je retrouve enfin l’esprit beat que j’ai connu dans les années 50″ me dit Margot. “Chez les Occupy, il y a aussi des beats, mais pas que”, reprend –elle. “Sache qu’il n’y a pas une porte vers Occupy, il y en a 1000.”

Depuis début octobre, cette nuit passée à suivre à Paris les livestreams de l’occupation de Brooklyn Bridge, l’arrestation de 700 manifestants, j’ai tenté d’identifier par quelle « porte » entrer. Sur Twitter, les hashtags les plus présents après #OccupyWallStreet et #ows étaient « UsDayofRage et #usdor.

Sur leurs sites et pages Facebook, ce groupe revendique la réforme du système de financement des campagnes électorales, des élections nationales et fédérales, l’abolition du statut de “personne physique” pour les entreprises.

Alexa O'Brien en février à New-York par Arnaud Contras ©

Alexa O’Brien, fondatrice du mouvement Days of Rage m’accueille dans son petit appartement du Queens, après qu’elle m’eût posé par mail, téléphone, direct message sur Twitter, de multiples questions. Je me retrouve face à une trentenaire hypra active, souriante mais ponctuant ses propos de référence à de nombreuses peurs, intimidations du FBI envers des militants proches d’Occupy Wall Street :“Je ne sais plus qui est qui, qui joue quel jeu, pour qui. Il faut que tu comprennes qu‘un de mes collègues de travail m’a dit qu’on lui posait des questions sur moi.”

Dès le mois de mars 2011, Alexa se sent concernée par ce qu’elle voit, suit “intimement, sur Twitter”, les événements en Tunisie et en Égypte, est exaspérée par “le blocage complet de l’engagement citoyen dans l’espace public”. Elle est choquée par la puissance accrue des grandes entreprises et décide de créer Days of Rage.

Cela a été une décision impulsive, je ne m’attendais pas à ce que cela décolle avec une telle force. Nous avons eu 1000 followers en une semaine. Nous avons alors compris que nous avions une responsabilité, de créer un espace pour que les Américains puissent s’engager de manière authentique.

En juin, le magazine Adbusters lance un appel à des manifestations pacifiques sur les mêmes revendications, rejoint en juillet par le collectif Anonymous.

En juillet, US Day of Rage a soutenu l’appel à occuper Wall Street. A ce moment-là, nous avions déjà gagné de la confiance et de la crédibilité sur Twitter à travers des campagnes de sensibilisation. Nous avions mis en ligne des discussions et des formations autour de la non-violence et de la désobéissance civile. Nous avions créé une plateforme évolutive en ligne. Et bien entendu, nous avons contribué concrètement à l’organisation de cinq manifestations aux États-Unis le 17 septembre 2011 et nous avons contribué en ligne à 19 autres manifestations le même jour dans le monde.

Etudiant et Anonymous ©Arnaud Contreras

Le slogan “1 citoyen, 1 dollar, 1 vote” que diffuse US Day of Rage sur les réseaux sociaux est repris par des journaux tels The Nation ou The Guardian, deux titres qui ont choisi de couvrir les actions sans aucun répit depuis septembre 2011. Malgré une veille de 4 mois, des lectures diverses, je me suis trompé sur les personnes que je m’attendais à rencontrer. Alexa n’est pas une militante alter-mondialiste, drapeau “Free Tibet” au mur, graines de soja et tofu dans la cuisine. Après avoir travaillé pour les Nations Unies, des sociétés du NYCE, c’est une workaholic, plus expresso que thé vert, qui me reçoit. Elle ne veut pas que son engagement ait une quelconque couleur politique, revendique le sérieux de ses amis, refuse l’image de “hippies ou de gauchistes” que les “mass media cherchent à [leur] coller. Nous n’avons pas une opinion sur la droite ou la gauche, ce n’est pas pertinent”, reprend-elle.

Dans la société américaine, il y a quelque chose qui se nomme l’espace civique, public, cela n’appartient pas aux démocrates, cela n’appartient pas à la droite. Cela appartient aux Américains. Je sais qu’US Day of Rage soutient l’idée d’un gouvernement transparent et nous soutenons des sites de lanceurs d’alerte, comme WikiLeaks.

Anonymous à dreadlocks, par Arnaud Contreras ©

Au fil des mois, Alexa s’est en effet rapprochée de WikiLeaks, et contribue activement au site WLCentral, un collectif qui analyse chaque parole, chaque texte publié sur Julian Assange et son équipe. Ils démontent de manière rigoureuse la moindre rumeur concernant ce dernier. Les yeux d’Alexa s’assombrissent à l’évocation de Bradley Manning, son dossier prioritaire aujourd’hui. Sillonnant les États-Unis dans le WikileaksTruck, elle tente d’assister à chaque audience du pré procès, et de live-tweeter des éléments qui pourront être analysés par d’autres membres de WLCentral, partout dans le monde.

Quand je quitte Alexa, elle écrit en rafale plusieurs tweets me recommandant auprès de différentes personnes, et me met en garde avec sourire, sur le fait que maintenant,“je suis aussi dans le viseur”. “Tout le monde se regarde, s’observe ici”, me dit-elle.

Regardez le secteur de la sécurité et du renseignement aux États-Unis, qui ont explosé. Le nombre de personnes américaines qui sont classifiées. Ils ont mis toutes leurs techniques, dans tous les aspects de la société, Internet, la presse, l’espace civique. Ils ont créé des politiques qui sont des politiques de bureaucrates, mais qui affectent la société dans son ensemble.

Dans l’après-midi,  le compte Twitter d’Occupy Wall Street annonce une manifestation à Manhattan, en soutien aux Occupy d’Oakland, qui auraient été sévèrement réprimés la veille par les forces de police. Aucun écho sur les sites des grands titres. Je découvre en ligne des vidéos de guérilla urbaine. Une rangée de manifestants qui se protègent derrière des boucliers de fortune, fumigènes, explosions assourdissantes et lacrymos. À 19h00, je rate le départ des Occupy et rencontre deux jeunes femmes qui tentent de les localiser en suivant des fils sur Twitter.  À marche forcée, nous rejoignons 300-400 personnes bloquées sur les trottoirs. Le convoi est encadré par des dizaines de policiers, interdisant toute incursion sur la voie publique. Slogans classiques des 99 %, chants zapatistes, tous âges et classes vestimentaires mélangés.

À chaque croisement de rue, certains, le visage caché sous des masques Anonymous, nous encouragent à en profiter pour faire une incursion au milieu de la circulation. Une femme d’une cinquantaine d’années déborde un groupe de policier, brandit une pancarte “NY – Oakland- Occupy everywhere”. Les forces de l’ordre courent vers elle. Elle revient sur le trottoir se fondre dans la foule.

Quelques minutes plus tard, voix portées imitant une sirène. Une dizaine de policiers fonce sur les trottoirs, met à terre un militant et exfiltre en moins d’une minute, sous une nuée de téléphones portables, tablettes et ordinateurs portables qui filment la scène, captent les “Shame on you”.
Un jeu de cache-cache s’installe. À chaque croisement, nous ne savons pas si nous allons tourner à droite ou à gauche. Marche, course, marche, course pendant trois heures dans Manhattan, sans que je puisse déceler un but précis.

Un groupe de personnes hèle des policiers : “You’re also the 99%”.

Arrestation ©Arnaud Contreras

Nous nous arrêtons devant un bâtiment qui servait de centre social et de lieu d’habitation pour des migrants sud-américains. Expulsé il y a quelques semaines, l’immeuble va être réhabilité en logements de luxe. Un photo-montage présente sur la façade un chasseur en livrée qui ouvre la porte à un jeune couple modèle. Un policier demande s’il ne reste plus aucun journaliste sur le trottoir. Et de fait, les journalistes ne sont pas dans la manifestation. Ils sont de l’autre côté du cordon d’uniformes bleus.

Un militant d’Occupy Our Homes, la branche “Droit au logement” d’Occupy, escalade les palissades installées par le promoteur. Immédiatement une vingtaine de NYPD l’attrapent violemment, ainsi que quelques jeunes trop remuants. Jamais vu une telle agressivité dans les gestes, hormis dans certaines manifestations au Mali. Les Occupy tapent sur les palissades, hurlent.

Une bouteille en verre vient se briser au milieu de la rue. Les NYPD font de nouvelles incursions sur les trottoirs. Les caméras des télévisions filment de loin.

Tim Pool en action, février 2012, par Arnaud Contreras ©

Tim Pool, un live-streamer saisit chaque action, en commentant d’une voix calme les événements, tournant vers lui son iPhone. Dès le mois de septembre dernier, il est en tête des manifestations. Pas forcément militant, mais “journaliste citoyen”. Ses chaînes sur les différentes plateformes de stream sont les plus regardées, son nom est régulièrement cité par CNN lors des évènements. Je suis ses live-tweets depuis des mois. Nous convenons d’un rendez-vous le lendemain.

La manifestation s’achève dans un petit square, deux blocs plus loin. Un groupe pose à terre ses sacs à dos et tentes, lance l’idée d’une occupation du lieu. On s’est fait virer de Zuccotti Park en novembre, mais ce qu’on ne voit pas, c’est qu’il y a toujours plus de 50 occupations dans tout le pays, qui elles, n’ont pas été délogées”, me dit l’un d’entre eux.

Dans la nuit, je remonte la timeline de la soirée. Peu de temps après notre discussion, Tim Pool s’est fait agresser. Quelqu’un lui a arraché des mains son téléphone alors qu’il filmait. C’est la première fois dans l’histoire d’Occupy qu’un live streamer est pris à partie par un manifestant. Blogs et discussions reprennent la chronologie de l’incident, accusent les black blocks qui se cachent derrière leurs capuches et foulards. On parle d’une frange anarchiste dans Occupy, de provocateurs payés par Michael Bloomberg, le maire de New York.

Tentative de nouveau campement © Arnaud Contreras

Le lendemain matin, certains journaux relatent les faits… Depuis le trottoir d’en face. Quand il m’accueille chez lui, dans South Brooklyn, Tim Pool est tendu. Il vient de publier un “statement”, un communiqué. Le journaliste citoyen de 26 ans parle avec assurance, me montre son matériel léger de tournage, au milieu d’un capharnaüm de vieux PC et Mac première génération. Il vit dans cette maison délabrée d’un quartier populaire, en collocation avec quelques autres “gens d’images” qui suivent le mouvement, et un couple de sexagénaire. C’est ici qu’il a construit et testé “The Occucopter”,  un drone artisanal qui lui permet de filmer les manifestations, d’identifier les membres de NYPD qui agiraient avec trop de violence.

Tim porte un regard très critique envers les journalistes des mass media :

Ils font généralement une des choses suivantes en fonction de leur manière de voir la politique. Soit ils attendent la fin d’une manifestation pour commencer à filmer. Un moment où évidemment il reste très peu de monde. Vous pouvez voir les tout derniers manifestants et le commentaire c’est : “Regardez, il n’y avait personne”.  Et il y a l’opposé. Ceux qui attendent le pic de participation pour filmer et dire : “Regardez, il y avait 10000 personnes…” En fait dans les deux cas, ils fabriquent la réalité en fonction de leur sensibilité politique. Dans mon idée, la transparence, cela veut dire que les gens ont le droit de savoir ce qui se passe. Ce qui a lieu en public affecte le public. Il n’y a pas à tergiverser, on doit raconter ce qui s’est passé, point.

Livestreaming ©Arnaud Contreras

Dans les commentaires, deux reproches sont faits à Tim. Le premier concerne sa manière –assez agaçante- d’entrecouper ses commentaires de “vous pouvez me suivre sur le compte @Timcast”, et d’appels aux dons pour qu’il puisse poursuivre son travail. Le second met en débat son goût affiché pour une transparence totale, quitte à mettre en danger, montrer aux autorités qui suivent son stream, des militants qui commettraient des actes illégaux.

Par exemple l’autre dimanche où quelques manifestants balançaient des bouteilles et des canettes sur la police. On m’a personnellement demandé de ne pas filmer cela, de dévier ma caméra. On m’a dit exactement qu’il fallait “qu’Occupy Wall Street ait une bonne apparence” et je ne suis pas d’accord avec ça. C’est vrai que c’est important pour eux de décrier ce type d’agissements violents. Mon seul boulot à moi c’est de montrer au monde ce qui se passe. Si des manifestants balancent des bouteilles, si la police frappe des manifestants, c’est ça que je dois montrer.

Dicey Troop pendant une Assemblée Générale, à New-York en février 2012 par Arnaud Contreras ©

Ce débat dépasse la seule personnalité de Tim Pool. Occupy commence à se poser des questions sur cette transparence. Dicey Troop, la personne qui est derrière le compte officiel de l’assemblée générale d’Occupy Wall Street me donne rendez-vous … À Wall Street. Dans le hall d’entrée d’un grand immeuble de bureau, une cinquantaine de personnes assiste à la General Assembly[Assemblée générale] quotidienne, pendant que d’autres viennent bénéficier de la soupe populaire que distribue un groupe d’Occupy. Ici on ne vote pas, on approuve ou désapprouve par consensus, en utilisant les mêmes codes que les indignados espagnols. Langage de signes que retranscrit en direct Dicey sur Twitter, assis à côté des orateurs, pianotant à toute vitesse sur un clavier relié à un iPhone.

Je pense que le sujet important est la relation entre les manifestants, leurs messages, et la société. Et tu sais à New York, la police répond avec beaucoup de violence et de force pour tenter de taire ce que l’on dit et de supprimer notre organisation. Je pense qu’il y a vraiment deux approches sur ce qu’est ce travail : est-ce montrer ce qui se passe et témoigner du contexte qui engendre des conflits entre les manifestants et des structures de pouvoirs ? Ou bien est-ce trouver les choses les plus scandaleuses qui se déroulent en mettant la lumière sur la police ou les manifestants ? Je suis absolument pour la transparence, mais il y a aussi un droit à la vie privée, qui est parfois en conflit avec la transparence. Il y a des moments où les gens ont des conversations compliquées, dans des espaces privés. Tu sais, on ne ferme presque jamais les portes, et parfois les gens ont besoin de se sentir en sécurité, qu’on n’écoute pas ce qu’ils disent. On demande parfois à des gens qui livestream pour un certain public de quitter la pièce, et même les photographes, et d’autres journalistes, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de transparence.

L’accès pour tous à l’information est l’autre chantier sur lequel travaillent tous les sympathisants d’Occupy Wall Street. Certes il y a quelques poètes, musiciens, écrivains et artistes qui foisonnent d’idées, organisent des free speech comme ceux que l’on peut retrouver dans les images d’archives du mouvement hippie, mais Occupy s’est dès le début organisé. Oui, Occupy est une idée, mais ce sont aussi des centaines de structures, de comités dans tous les domaines, pour toutes les professions. Chaque jour à heure fixe, comme indiqué sur leur site, se réunissent des commissions qui débattent de thèmes très précis : réforme financière, électorale ; refondation des systèmes éducatifs et de santé. Même une commission sur la défense. Des experts, professeurs d’universités, membres des 1% diffusent leur savoir auprès des 99%.

99 cats, par Arnaud Contreras ©

L’une de ces commissions, Occupy with Art est en résidence pendant deux mois dans les locaux du blog Hyper Allergic. Ils m’invitent à l’une de leurs réunions où l’on débat de manière calme sur le rôle des marchés financiers et du blanchiment d’argent dans le marché de l’art. Un jeune commissaire d’exposition lance un “The revolution will be curated”, repris en cœur par l’assemblée.

Je rencontre Alexandre, Zef et Katy devant une table où un groupe est en plein brainstorming pour inventer de nouveaux slogans. La priorité des trois amis, qui se sont rencontrés alors qu’ils évitaient les jets de gaz au poivre d’un membre de NYPD, à la fin d’un sit-in, est de rendre accessible l’information par des jeux. Ensemble ils ont fondé le collectif Revolutionary Games.

Selon Alexandre Carvalho, “Revolutionary Games” est un collectif consacré à Occupy Wall Street qui crée des jeux en ligne, mais aussi des jeux de rue.

Nous avons commencé à beaucoup citer un écrivain Hollandais qui s’appelle Huizinga, son livre s’appelle Homo Ludens. Il explique comment les jeux et le fait de jouer précèdent la culture. Avant de devenir des êtres humains, avant d’être conscients, nous jouions, nous avions ce type d’interactions. C’est un texte important pour nous. Pour relier jeu et guérilla, et insurrection, nous avons lu L’insurrection qui vient, par le Comité invisible, et Introduction à la guerre civile.

Depuis quelques jours, bien que de nombreuses références aient été faites aux indignados, ici on se définit comme « Occupy », pas comme « indignés ». Je n’ai rencontré personne qui connaisse Stéphane Hessel. En revanche, c’est la seconde fois que l’on me cite L’insurrection qui vient, et que l’on me pose des questions sur Tarnac, l’influence de Julien Coupat sur la jeunesse française.

anarchy ©Arnaud Contreras

Alexandre comme Zef se définissent comme anarchistes. Ce dernier a créé le concept d’Anarchive, sur le principe que chaque personne qui assiste à un événement d’Occupy doit collecter sa propre mémoire, sa propre expérience et la communiquer au plus grand nombre. Il est fermement contre l’idée d’une centralisation des archives, films, documents qui concernent Occupy, “le meilleur moyen pour que notre histoire soit manipulée, selon lui.

Je termine la soirée avec eux dans un pavillon où l’un de leurs amis live streamer diffuse “America” de Ginsberg. Long silence en écoutant le poème beat. Ils me présentent leurs actions à venir de “Novads”, leur prochain tour des États-Unis pour faire jouer la population américaine au dernier jeu qu’ils ont inventé : Memee, contraction de “Remember Me + Memory me + Meme”. Une forme de discussion orientée, ludique, avec la puissance d’un mème.

Alexandre est médecin épidémiologiste. Toutes les connaissances acquises dans le champs médical lui servent aujourd’hui dans ses actions virales en ligne.

Le jeu, jouer et l’art, ces choses sont des moyens d’éviter l’opposition directe, et aussi de faire réfléchir les gens. Ça les fait réfléchir à protester d’une autre manière, à considérer la révolution d’une manière différente.
Ici, nous essayons de révolutionner la révolution.


Photographies par Arnaud Contreras © tous droits réservés. #FYI pour les geek de la photo : Leica M7 (argentique) /-)
Arnaud Contreras est documentariste et producteur à France Culture. Il aime travailler au long cours sur des communautés, cultures et contrecultures. A paraître “Sahara Rocks !” aux éditions Bec en L’air sur la société saharienne actuelle et ses musiciens.
Une publication croisée avec l’Atelier des médias – RFI. Une émission enregistrée par Ziad Maalouf et Simon Decreuze.
Edition par Ophelia Noor pour Owni /-)

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Occupy un avenir http://owni.fr/2012/02/13/art-de-occupation-ows-occupy-wall-street-posters/ http://owni.fr/2012/02/13/art-de-occupation-ows-occupy-wall-street-posters/#comments Sun, 12 Feb 2012 23:29:49 +0000 Ophelia Noor & Aidan Mac Guill http://owni.fr/?p=98013 Occupy Wall Street et ses dizaines d’avatars à travers le monde modifient en profondeur la manière de s'opposer aux gouvernants. Aux États-Unis, ils deviennent un objet social inédit, comme l'évoquait la semaine dernière l’écrivain Michael Greenberg dans la New York Review of Books. L’occasion de s’arrêter sur les images de ce mouvement, sur ses propres représentations.]]>

Cinq mois après le déclenchement d’Occupy Wall Street, son influence aux États-Unis se confirme chez les moins de trente ans, comme le relevait fin décembre une étude du Pew Research Center.

À ce stade, nous avons voulu passer en revue les images de ce mouvement qui ne ressemble à aucun autre. Une sélection réalisée grâce à nos amis de Occuprint, sorte de mémoire vive de l’iconographie de cette aventure politique.

Car le mouvement Occupy Wall Street, lancé quelques jours après le dixième anniversaire des attaques du 11 septembre (mais préparé dès le mois de juin par l’organisation canadienne des Adbusters), marque peu à peu, au fil des journées d’action, une rupture profonde dans les sujets de contestation politique et dans la manière de les exprimer, qui jusque-là obéissaient à des fonctionnements plutôt prévisibles.

De longue date, face à des pratiques présentées comme d’inévitables logiques gestionnaires par les détenteurs d’un pouvoir, des concurrents plus ou moins déclarés à l’exercice de ce pouvoir opposaient des dogmes dans l’espoir de remplacer un jour les gestionnaires.

Les activistes réunis sous la bannière des Occupy (Wall Street, Toronto, Houston, Londres, La Défense…) ne réclament pas des postes ministériels ni l’adoption d’une constitution. Contrairement à leurs aînés arpentant les champs de la contestation, ils ne veulent pas prendre pouvoir. Mais ils exigent du pouvoir qu’il reprenne la mesure des vies humaines et se montre transparent dans les affaires publiques.

Progressivement, la force des Occupy tient dans ce double postulat : ne pas chercher à conquérir le pouvoir mais ne plus accepter que le pouvoir (institutionnel, financier…) ne ressemble plus aux citoyens – les fameux 99 %. Avec, en filigrane peut-être, un désir de démocratie athénienne.

La semaine dernière, dans un article bilan publié par la New York Review of Books, l’écrivain Michael Greenberg décrivait comment cette dynamique influençait en ce moment les moins de 30 ans, aux États-Unis. Avec une intensité peut-être comparable à celle des mouvements des droits civiques dans les années 60.

L’enjeu n’échappe pas aux experts des mouvements sociaux qui travaillent aux États-Unis. À Chicago, berceau des cultural studies, l’université Roosevelt vient de décider de lancer des travaux de recherche sur le mouvement local Occupy Chicago. À l’université de New York, une initiative comparable est menée. Pour suivre l’onde de choc in vivo.

Dans les semaines à venir, nous vous ferons partager l’évolution des réflexions et des observations sur ce mouvement. Pour l’heure, voici les images qui s’en dégagent. Produites un peu partout par les personnes qui, le plus souvent, ont voulu le promouvoir sans jamais se promouvoir elles-mêmes :

L'esclavage d'antan avec de nouvelles chaines. Libérez vous et manifestez vous !

Nous sommes nombreux et nous sommes déçus

Novembre de grève

Séparation des entreprises et de l'État

Quand la vérité n'est pas totalement libre, alors la Liberté n'est pas totale. (Vaclav Havel)

Nous ne sommes pas des proies. Nous sommes les 99%

Puisque des manifestations pacifiques se voient contrées par de la violence et que les médias ne s'y intéressent pas, nous ne pouvont pas rester inactif. Nous ne pouvons pas rester silencieux...

Quand les pauvres n'auront plus rien à manger ils mangeront les riches.

L'amour de l'argent est la source de tous les maux. Allez, devenons médiévaux face à cette putain de cupidité

On vous surveille aussi

Prends le taureau par les cornes.Entre 1980 et 2005, 80% des nouveaux revenus créé aux États-Unis sont allés aux 1%

Ripostez dans le monde entier ! Le capitalisme est la crise. Décolonisez mondialement. Les 99% n'ont pas de frontières.

Grève générale. Les Communs, pas le capitalisme.

Mouvement de rue. Plus de morts de sans-abris. Maladie mentale. Le pouvoir aux 99%. Des maisons pas des prisons. Pas de justice. Plus de HLM. Amour.

Mange les riches avant qu'ils ne te mangent.


Posters via OccuPrint CC-BY-NC
Sélection par Ophelia Noor et Aidan Mac Guill pour OWNI.FR & OWNI.EU /-) ; Texte, Guillaume Dasquié

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Les Data en forme http://owni.fr/2011/11/21/data-anthropocene-bruner-ows-milliardaires-loir-et-cher/ http://owni.fr/2011/11/21/data-anthropocene-bruner-ows-milliardaires-loir-et-cher/#comments Mon, 21 Nov 2011 11:55:18 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=87585 Nous avons tous été émerveillés, un jour ou l’autre, par les photos de la Terre vue de l’espace. Notamment celles qui permettent de deviner les contours de nos continents au moyen unique des lumières nocturnes de nos mégalopoles. Fruit de la domination et de l’influence de l’homme sur son environnement, cette vision scintillante de la planète participe de l’anthropocène qui a inspiré l’anthropologue canadien Felix Pharand-Deschenes du site Globaia.org pour réaliser de magnifiques visualisations de la Terre à partir de données publiques : villes, routes, voies ferrées, lignes aériennes, lignes électriques, câbles internet…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Mouvoir et émouvoir

La mobilité des Étasuniens est légendaire. L’an passé, près de 40 millions d’entre-eux ont déménagé, dont 10% d’un État à l’autre. Journaliste chez Forbes, Jon Bruner s’est emparé des données de l’IRS (service des impôts) pour réaliser une carte interactive des flux migratoires comté par comté, entre 2005 et 2009. En dehors d’être sobre, jolie et informative, cette cartographie est un remarquable dispositif ludique pour approfondir ses connaissances géographiques des États-Unis.

Utile pour déménager, le très classe Chasseur de Maison a été pondu par le site immobilier Trulia, qui démontre à cette occasion ce qu’il est possible de réaliser grâce à l’ouverture de ses propres données – y compris pour une entreprise privée. Ici, en analysant le trafic de son site internet et de son application mobile entre juin et août 2011, Trulia réussit à générer une visualisation claire et granulaire – jour après jour et heure par heure – des recherches immo des internautes. Si votre cerveau est assez performant pour faire un mash-up avec le site précédent, vous pourrez même vous amuser à confirmer (ou pas) le coefficient de bougeotte des citoyens étasuniens.

Puisque nous sommes aux USA et dans la data restons-y avec une petite app du site The Atlantic Cities. Réalisée à partir des données du Département du Travail et d’une enquête de consommation du site immobilier Zillow.com, cette application légère offre un cliché data instantané des principales villes américaines grâce à neuf indicateurs basiques autour de la population, du logement, de l’éducation ou du tourisme. A défaut de remporter un grand prix de webdesign ou de casser trois pattes à un canard, ce petit module utile pourrait, qui sait, gagner votre généreuse approbation.

“Point d’argent, point de Suisse.” – Racine

Vous êtes lecteur fidèle d’OWNI, et vous savez donc que nous suivons de près le mouvement Occupy Wall Street. Cette semaine, ce mouvement mondial rencontre deux acteurs majeurs de la data. En premier lieu, le New York Times publie Public Opinion and the Occupy Movement (l’opinion publique et le mouvement “Occupy“), résultat graphique d’un récent sondage réalisé en collaboration avec CBS News auprès du grand public, afin de recueillir leurs sentiments face aux revendications et aux méthodes des protestataires. L’application web (en HTML5) restituant ce sondage montre d’un coup d’œil la répartition croisée de la question-réponse au moyen d’un recensement colorimétrique de chaque témoignage placé dans sa case, et lie chaque point au texte du témoignage.

Le Guardian est également un habitué des démonstrations magistrales. Quelques chiffres mis en forme sobrement rappellent la réalité des principaux faits économiques aux États-Unis, la disparité des richesses et des revenus, de l’évolution de ceux-ci, et offre une lecture subtile et approfondie des origines du mouvement mondial “We are the 99%” : en vérité, il s’agirait plutôt de dire “nous sommes les 99,99%”. Difficilement perceptible dans les faits, l’étau se resserre grâce à la data, qui accompagne la mutation sociétale dont nous sommes témoins et acteurs plus ou moins passifs.

Un pas de côté nous permet de présenter Drawing Lines Between Billionaires and Politicians (tracer des lignes entre les milliardaires et les politiques), imaginé et mis en forme par Jon Bruner, que nous avons déjà évoqué plus haut. Après avoir passé une partie de l’été à décomposer et analyser les enregistrements de la Commission électorale fédérale, il a modélisé les relations entre les plus riches – notamment les fameux 0,01% dont parle la vidéo du Guardian – et les comités d’action politique, organisations privées dévolues au soutien des partis. À noter, si l’infographie est indéniablement très “data”, elle souffre difficilement la comparaison avec la dataviz produite l’an passé par Bruner et avec laquelle nous vous invitons également à jouer.

Restons encore un peu dans le business : si vous suivez les Data en forme, vous vous souvenez certainement de la viz du NYT (“It’s all connected“) sur l’interdépendance des dettes des États. Cette semaine, la BBC a sorti les pinceaux du placard pour produire sa propre visualisation. Pas maladroite, cette petite app nous paraît encore mieux goupillée que celle du célèbre média new-yorkais : plus sobre, esthétiquement mieux rendue, elle rend hommage à l’adage “Less is More“. Simple et efficace, what else.

“Ces gens-là ne font pas de manières.” - Michel Delpech

On ne se quittera pas sans avoir évoqué la question de l’ouverture des données. Peu cité dans les différentes cartographies de l’Open Data en France – dont celle de LiberTIC que nous vous encourageons à alimenter – le département du Loir-et-Cher dispose de sa plate-forme d’information territoriale : Pilote41. Question centrale aujourd’hui, au cœur du processus de régénération démocratique dont la prochaine élection présidentielle française pourrait être le point d’orgue, l’ouverture des données poursuit donc sa progression aux six coins de l’Hexagone. Même si de très nombreux progrès restent à faire, comme le soulignait la directrice de l’iFRAP au cours des 2e Assises de l’évaluation des politiques publiques. Agnès Verdier-Molinié a d’ailleurs dressé sur le site de la Fondation pour la Recherche sur les Administrations et les Politiques Publiques une liste exhaustive des “données essentielles et abusivement non publiées”. À bon entendeur.

Pour terminer ce 9e opus des Data en forme, il nous reste à signaler aux plus talentueux de nos lecteurs le second défi de visualisation du site référence en la matière Information is Beautiful. Pas moins de 5 000 dollars de prix pour une compétition ayant pour thème “MON€Y PANIC$!“. Bon courage aux héros !

IIB Awards


Retrouvez les précédents épisodes des Data en forme !

Crédit photo : Globaia.org

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Les data en forme http://owni.fr/2011/11/07/data-opendata-espagne-cartographie-ows-infographie-population-primaire/ http://owni.fr/2011/11/07/data-opendata-espagne-cartographie-ows-infographie-population-primaire/#comments Mon, 07 Nov 2011 10:26:48 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=85782 L’Espagne aura l’honneur d’ouvrir le bal de notre veille “data” cette semaine. Non parce qu’elle accueille le G20 de Cannes cette année, mais parce que nous y avons trouvé bonne matière pour lui rendre cet hommage hebdomadaire : Open Data, visualisations et cartographie au menu ibérique.

Mi data es tu data

Datos.gob.es est le portail national qui gère et organise le catalogue de l’information publique de l’Administration générale de l’État”. Il vient d’ouvrir ses portes en version bêta, et permet à ce jour de naviguer dans un peu moins de 500 jeux de données répertoriés dans un catalogue avec l’intention manifeste d’utiliser des formats les plus universels qui soient – enjeu ô combien majeur. Une simple inscription au site permet de réutiliser les données librement et de proposer à la communauté des applications web ou mobile (plus ou moins réussies, c’est le jeu)… mais l’esprit est bien là, pour preuve l’excellent site “La Liste des Courses“, qui inaugure sans aucun doute une longue longue série d’initiatives citoyennes permises par l’ouverture des données.

Label de Cadiz

Le pays du tourisme et de la salade hors-sol ne pouvait décemment pas se priver d’un site haut en couleurs pour vanter le plus vertueux de ses commerces. C’est donc sans surprise que le joli “Tourisme espagnol en chiffres” [es] a vu le jour pour honorer les 60 millions de visiteurs annuels faisant la prospérité (très relative) de nos voisins champions du monde de foot. De très nombreuses visualisations ponctuent d’invisibles jeux de données (on a confiance), et à défaut d’admirer des images dans un taux de compression JPEG digne de ce nom, on doit au moins reconnaître l’exhaustivité du corpus et le gros boulot de création pour mettre en scène la data mêlant paramètres géographiques, économiques, sociaux et humains.

Combien l’Ibère gagne

Beaucoup plus modeste – et pas vraiment en Espagne, diront certains – la petite cartographie réalisée pour visualiser Barcelone sous l’angle des revenus de ses habitants en posant la question de l’impact éventuel des projets d’urbanisme récents. Au-delà de son sens, cette cartographie simple, réalisée avec le Map Maker de Google, est une illustration probante de la volonté d’offrir de nouveaux moyens aux journalistes aujourd’hui, et met le doigt sur l’un des nombreux outils à leur disposition. Cet exercice catalan, par exemple, fut réalisé à l’issue d’un atelier pratique mis en place par Carlos Alonso au sein du media140 [en] l’an dernier – sous le patronage du plus célèbre journaliste de données en Europe, Simon Rogers – en collaboration avec le site Open Data de Barcelone.

Où vivent les riches

Autre usage de Google Map, autre traitement de la data – et toujours dans l’optique de cartographier la société par le biais de la richesse de ces citoyens – l’application “Où vivent les riches ?” répond elle-même à la question sur les 100 premières villes de France (du moins celles de plus de 20 000 habitants pour lesquelles l’exercice est obligatoire, ce qui donne un léger biais à la carte) grâce aux données ISF 2009 du ministère du Budget diffusées par le site Data Publica. Cette carte est l’œuvre de Jean Abbiateci, dont on vous a déjà parlé dans les Data en forme, et, en complément de la carte, on lira l’article méthodologique de Benjamin Gans.

Qui occupe Wall Street

Sans relation – voire : l’infographie “Who’s Occupy Wall Street?” [en] est le résultat d’une étude effectuée par le site occupywallst.org, qui a reçu près de 5 millions de visiteurs uniques entre mi-septembre et fin octobre, et qui a donc sondé 5 000 d’entre eux. Le profil-type qui se dégage de cette dataviz spéciale #OWS : un homme blanc de 25-44 ans, qui possède un emploi plutôt mal payé, ni républicain ni démocrate. Et bien d’autres fioritures, à découvrir dans la méthodologie et dans les détails de cette élégante infographie.

Nous sommes les 99% + 1%

Preuve (s’il en fallait encore une) que le recensement de la population est l’un des domaines de prédilection des manieurs de données les plus créatifs, trois projets ont, cette semaine, attiré particulièrement notre attention et n’auront sans doute pas manqué de flatter la vôtre.

Dans cette première vidéo, “Visualizing How A Population Grows To 7 Billion” [en], Adam Cole et Maggie Starbard de la NPR se sont (sans doute bien) amusés à simuler l’évolution de la population mondiale à l’aide de verres percés et de liquides colorés aux débits calés sur les données de variations démographiques des continents à travers les âges. Le résultat n’est pas seulement compréhensible au premier coup d’œil – première qualité de la représentation de la donnée -, il est également élégant. Tout simplement.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Du coup, cette première vidéo nous a donné envie d’en ressortir une deuxième [en] du placard aux bijoux. Qu’on ait déjà vu ou pas le génial Hans Rosling et son explication de la croissance de la population mondiale (qui s’est tenu en 2010 au TED… de Cannes, vous voyez un peu l’astuce en introduction ci-dessus), le plaisir est toujours là. La datavision, comme nous l’enseigne le maître David McCandless, c’est une belle data, une belle vision, et le talent pour enrober le tout. Et assurément, il faut du talent pour passionner un auditoire avec des boîtes en plastique IKEA.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La dernière application démographique est celle du site “Poor Economics” [en] accompagnant la publication du livre éponyme d’Abhijit Vinayak Banerjee et Esther Duflo – lauréate française de la Médaille Clark, elle aussi habituée des TED Talks. Pour ceux qui connaîtraient et apprécieraient les visualisations un poil technique du département Deprivation and Marginalization in Education de l’Unesco, c’est pareil mais en plus simple et donc en beaucoup mieux. Sur une série de critères de vie quotidienne comme la consommation, la santé, l’éducation ou la micro-finance, les pays en voie de développement sont scrutés et analysés afin de mieux comprendre les besoins de chacun. C’est ainsi qu’on apprend que les habitants ruraux de Papouasie-Nouvelle-Guinée vivant avec 2 à 4 dollars par jour destinent en moyenne 13% de leur budget mensuel à la consommation d’alcool et de tabac (cf. ci-dessous). Face à ce type de données ultra-technique, penser la modélisation est loin d’être aisé : c’est ici brillamment réussi. Et la réalisation en HTML5 plutôt qu’en Flash est la cerise sur le gâteau.

Just do it

Petit coup de cœur de la semaine pour la jolie bidouille “Dataviz de la primaire socialiste” d’Étienne Côme. Désireux de croiser les data des résultats du 1er tour de la primaire socialiste avec des données socio-géo-démographiques issues de diverses sources pondues par l’Insee et de s’amuser à triturer la librairie Javascript d3 (déjà vue rapidement il y a deux semaines), Étienne a généré quatre visualisations très efficaces sous forme de carto, box plot, treemap et sunburst. Un remarquable ouvrage.


Retrouvez les précédents épisodes des Data en forme !

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Une Défense occupée http://owni.fr/2011/11/06/une-defense-occupee-occupy-indignes-manif/ http://owni.fr/2011/11/06/une-defense-occupee-occupy-indignes-manif/#comments Sun, 06 Nov 2011 09:28:00 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=85857 Ce samedi soir à Paris, quelques Indignés bravaient encore les limites fixées par la Préfecture de police. Ils continuaient à occuper La Défense, quartier d’affaires de l’Ouest parisien siège de plusieurs grands groupes du CAC 40, et symbole des dérives de la finance selon les occupants. La manifestation était autorisée par la Préfecture jusqu’à 21 heures vendredi soir, mais certains irréductibles comptent y rester plus longtemps et y installer un camp sur le modèle du mouvement Occupy Wall Street, lancé le mois dernier outre-atlantique.

17h35, vendredi. Sur l’escalier de l’Arche de La Défense, Jean-Jacques annonce au mégaphone :

Occupons La Défense vient de commencer.

Applaudissements et sourires lui répondent dans l’assemblée, un petit millier de personnes réunies pour protester contre le capitalisme en général et ses dérives financières en particulier. Le rassemblement n’occupe qu’une maigre part de l’immense esplanade, sous le regard des tours GDF-Suez, SFR, Areva, EDF et Coeur Défense. Un symbole sur lequel ironise un homme, la cinquantaine, à la nuit tombée. Désignant la tour GDF, il plaisante : “Ils parlent d’économies d’énergie et regarde toutes ces lumières qui restent allumées !”

L’ambiance est détendue. A la tribune, l’un des organisateurs intervient :

Selon une rumeur, la préfecture a demandé aux personnes qui travaillent à La Défense de partir plus tôt ce soir. Si c’est vrai, nous aurons au moins réussi à leur faire perdre quelques centaines de milliers d’euros, et ce n’est pas si mal !

Concert de rires et agitations des mains en signe de satisfaction.

Tribune libre

L’assemblée générale populaire est régie par les codes usuels des mouvements alters : agiter les mains pour signifier son approbation, mimer une roue pour demander à un intervenant d’abréger son propos, croiser les bras pour exprimer sa forte désapprobation, signe qui entraine forcément une justification à la tribune. Se succèdent interventions galvanisantes et analyses économiques et politiques : “Lisez les travaux d’Arrow, le prix Nobel d’économie en 1972, sur le démocratie. Il a prouvé que la démocratie, le vote, tout ça ne pouvaient pas fonctionner. Par contre, le collectif, oui !” lance un homme d’une trentaine d’année, apôtre de l’auto-gestion et de la prise de décision par consensus. Un autre, cheveux longs, allure christique, prêche : “Nous sommes les lumières, nous devons éclairer ce monde !”

Isabelle, 45 ans, regrette que le rassemblement ne soit pas plus festif sur le modèle du mouvement Indignados à Madrid auquel elle a participé :

A Paris, les participants pensent qu’un rassemblement festif ne peut pas être pris au sérieux. C’est dommage. On a du mal à casser le silence alors qu’on pense tous la même chose.

Tout en parlant, elle jette un œil aux feuilles disposées sur une petite table devant elle. Un peu en retrait de la tribune, des ateliers créatifs ont été mis en place.

“Qu’est-ce qui vous fait battre le cœur ?” interroge une grande affiche que reprend en chantant un groupe de jeunes. “Mes enfants, la révolution, ma copine” ont écrit des passants. “L’argent” découvre le groupe, un peu étonné. L’objectif était d’attirer un public plus large que les militants habituels nous expliquait, deux jours avant le lancement, Nico très impliqué dans le mouvement. Un objectif partiellement atteint, mais la masse n’est pas au rendez-vous vendredi soir.

Jean-Jacques, professeur de psychologie à Paris Diderot et HEC, avance plusieurs pistes pour expliquer le succès très mitigé :

La Défense n’est pas l’endroit idéal. C’est loin du centre et pas très convivial. La situation socio-économique n’est pas encore dramatique à la différence de l’Espagne par exemple. Et puis, il y a le poids de la pensée unique, diffusée par TF1 et d’autres.

Certains aspects tiennent selon lui à la nature même du mouvement Indigné en France : “Le mouvement n’est pas guidé par un seul groupe ce qui rend la médiatisation complexe. Et puis, en France, une importante structure syndicale existe, elle entraine une atomisation des luttes. Beaucoup croient encore au pouvoir des urnes. Mais on sait bien que Hollande ne changera rien…” explique-t-il sans perdre le sourire. Une jeune, le visage maquillé de blanc et le nez peint en rouge, l’interrompt pour lui proposer une stratégie à mettre en place contre l’intervention de la police.

Rêver à ciel ouvert

L’autorisation de manifester arrive à échéance à 21 heures. Déjà, vers 18h, un petit groupe de gendarmes avaient fait deux interventions pour confisquer les tentes tout juste déployées. Les manifestants avaient répondu d’abord par des chants et slogans pacifistes “El pueblo unido jamás será vencido”,“On l’appelle démocratie et c’est comme ça”, puis plus provocateurs “Police partout, justice nulle part”. A la tribune, un orateur s’en désolait :

Nous n’avons pas le droit de rêver à ciel ouvert.

A 21h30, les gendarmes mobiles, la police et des agents en civil se mettent en place. Quelques centaines de manifestants se regroupent autour des tentes, s’agrippent les uns aux autres. Pendant plusieurs heures, les forces de l’ordre chargent, extirpent une tente ou deux, parfois un manifestant, et reculent. Deux blessés légers sont évacués. Visiblement rompus aux méthodes de résistance non-violente, une centaine y a passé la nuit, d’autres sont revenus, hier samedi, moins nombreux que la veille. Les Indignés tiennent.


Photos CC Pierre Alonso [by-nd]

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Les indignés s’occupent de La Défense http://owni.fr/2011/11/03/les-indignes-soccupent-de-la-defense/ http://owni.fr/2011/11/03/les-indignes-soccupent-de-la-defense/#comments Thu, 03 Nov 2011 17:57:37 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=85587 Les indignés s’apprêtent à occuper La Défense, le quartier d’affaires à l’Ouest de Paris. Mercredi soir, 19h, une trentaine de partisans se sont rassemblés boulevard Richard Lenoir, à deux pas de Bastille dans le XIIe arrondissement de Paris. Objectif : préparer l’occupation de ce week-end. “Nous avons l’autorisation de la préfecture pour vendredi entre 17 et 21h” s’exclame l’un des militants à l’adresse de son auditoire, plus ou moins en cercle, plus ou moins silencieux, plus ou moins nombreux.

Parmi la trentaine de participants à la réunion nocturne, des jeunes surtout, mais aussi des personnes plus âgées, des femmes et des hommes de tous horizons, venus de quartiers branchés et d’abris de fortune. Nico, la trentaine, est l’un des organisateurs, un coordinateur plus qu’un donneur d’ordre dans cette structure horizontale où les décisions sont prises par consensus :

Plusieurs collectifs sont à l’origine de cet appel : Acampada Paris, les Indignés, démocratie réelle et Occupy France notamment. Nous sommes rejoints par des activistes, d’anciens militants déçus et des nouveaux militants conquis par le mouvement indigné.

Ils ont reçu le soutien enthousiaste de l’économiste Frédéric Lordon, ainsi que celui de l’ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique Maurice Lemoine, affirme-t-il.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


En revanche, ils n’ont pas approché de figures politiques. “Nous ne sommes pas apolitiques, mais nous sommes apartisants” résume Nico. Certains syndicats, notamment lycéens et étudiants, les rejoindront, de même que les jeunes communistes et Attac. Mais ils sont priés de déposer les drapeaux avant d’arriver sur le camp.

Ensemble spontané

Nico raconte avoir milité dans des syndicats étudiants et au sein de Parti communiste. Mais il trouve chez les indignés une structure moins lourde, plus efficace. Greg, 27 ans, s’occupe de la commission juridique et milite ailleurs “pour les droits de l’Homme” et à Uncut, là aussi “un ensemble spontané d’actions concrètes non-violentes”. Quand il présente les travaux de la commission juridique, Catherine, la cinquantaine, l’interpelle vivement :

On est à deux jours de l’occupation et on en sait pas plus ? Ca va pas du tout !

S’en suit une discussion animée, puis un dialogue plus posé entre les deux interlocuteurs. Catherine est blogueuse et travaille pour un institut de sondage, “en contrat précaire” précise-t-elle. Quand elle a vu le succès d’Occupy Wall Street, elle s’est rapprochée des indignés en France, mais elle reste avant tout une cyber-activiste “sans hacking, juste en diffusant de l’info”. Et une franc-tireur, sans carte dans aucune organisation. Le mouvement, “sans assemblée générale interminable”, l’a séduite. Elle aide à rédiger deux documents de la commission juridique : l’un reprenant in extenso les aspects juridiques, l’autre résumant les points principaux que les participants doivent connaître en cas d’arrestation.

Les indignés ont bien l’intention de prolonger leur occupation au-delà de vendredi soir à 21h, soit après l’échéance de l’autorisation préfectorale. Tous se demandent comment réagiront les forces de l’ordre. “En mai, la répression avait été très forte. La police voulait faire peur et empêcher le mouvement de prendre” raconte Nico. Les rassemblements à Bastille se confrontaient systématiquement à un fort déploiement policier, les marches de l’Opéra qui donnent sur la place étaient fermées par un cordon de forces de l’ordre. “Cette fois nous allons essayer de tenir, il faut avoir un maximum de temps” ajoute-t-il. Les indignés seront rejoints le lendemain, samedi, par les militants partis à Cannes pour le contre-sommet du G20.

Créer

Pour tenir, les indignés misent sur l’organisation du camp. D’abord en recrutant du monde. 129 personnes avaient déjà confirmé leur intention ferme de camper. Entre 1000 et 3000 personnes sont attendues pour le moment. Ils attendent aussi des soutiens venus de Berlin et de Grande-Bretagne, sans compter les régions en France. Les militants se sont mis d’accord pour tracter devant les lycées et les universités d’ici vendredi soir. L’assemblée a aussi mis l’accent sur la communication via les réseaux sociaux :

Créez des éléments de communication : des articles, des visuels etc. Utilisez autant possible le hastag #occuponsladéfense dans vos tweets et ouvrez des comptes Twitter ceux qui n’en ont pas.

Une organisation qui passe ensuite par la maîtrise de la vie sur le camp. En fin de rassemblement, une jeune femme prend la parole : “Ce serait bien de limiter l’alcool pour éviter la violence etc.” Face aux risques de violence policière, Greg, de la commission juridique, est chargé du “copwatching”. Plusieurs personnes filmeront les interventions de la police et d’autres filmeront ceux qui filment. “Nous voulons diffuser ces images en direct sur le campement” espère Greg qui craint la réaction de la police.

La vie du camp sera enfin animée par des ateliers de création de visuels, mais pas seulement. Pièces de théâtre et musique live sont au programme. “Les passants viendront plus facilement si on propose des activités. Et une fois que les familles sont là, la tâche est plus difficile pour la police. Ils ne pourront pas nous déloger brutalement” estime Nico.

Etienne, étudiant en cinéma de 28 ans, attend beaucoup de ces espaces de créativité. Il assistait pour la première fois mercredi à une assemblée générale des indignés. Vendredi sera pour lui l’occasion de mettre en place un projet de “cinéma immédiat” : filmer et projeter en direct, travailler sur le présent. Il résume :

Le présent, c’est la seule chose qu’on ne peut pas nous prendre.


Photos via FlickR CC [by] et [by-nc] empanada_paris

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“Occupy Design” symbolise Occupy Wall Street http://owni.fr/2011/10/28/occupy-design-symbolise-occupy-wall-street/ http://owni.fr/2011/10/28/occupy-design-symbolise-occupy-wall-street/#comments Fri, 28 Oct 2011 07:03:38 +0000 Geoffrey Dorne http://owni.fr/?p=84752

Le projet Occupy Design est porté par des graphistes qui manifestent à Wall Street en ce moment : afin de propager la protestation, ils ont ouvert un site Internet qui offre des outils graphiques, des pictogrammes ou des symboles. Le tout pouvant servir à créer des messages repris par les protestataires. Ils espèrent que ces signes les aideront à poursuivre le mouvement, véhiculant un message clair à ceux qui les regardent.

Les messages ci-dessus sont donc souvent fondées sur des chiffres comme les 14 millions d’Américains au chômage. Une belle initiative donc, à partager, à compléter, à diffuser !


Article initialement publié sur Graphism.fr, le site de Geoffrey Dorne, auteur de notre chronique Vendredi C’est Graphism!


Retrouvez le dossier d’OWNI Occuper Wall Street et son esprit et tous les articles consacrés à ce mouvement sur notre site.

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Occuper Wall Street sans Dieu, ni maître http://owni.fr/2011/10/25/occuper-wall-street-sans-dieu-ni-maitre-anonymous-politique/ http://owni.fr/2011/10/25/occuper-wall-street-sans-dieu-ni-maitre-anonymous-politique/#comments Tue, 25 Oct 2011 10:47:59 +0000 Anita Kirpalani (Youphil) http://owni.fr/?p=84621 Occupy Wall Street a commencé son deuxième mois de protestation avec un soutien qui ne faiblit pas, bien au contraire. Ce mouvement sans mégaphone a fini par recevoir l’appui de bon nombre d’ONG et de syndicats qui se sont ralliés au mouvement. Mais les indignés américains tiennent pourtant à rester indépendants, et pas seulement politiquement.

Sans l’argent de Soros, sans la logistique des syndicats

C’est souvent par le biais de plusieurs emails d’organisations diverses que les sympathisants ou curieux reçoivent des informations sur Occupy Wall Street. Dans une newsletter de l’organisation MoveOn.org, on pouvait lire:

Au risque de prononcer une évidence, ces occupations ne sont pas organisées par MoveOn.[...] mais tout le monde doit mettre du sien et aider.

La semaine dernière, c’est un des deux plus grands syndicats américains,AFL-CIO, qui a apporté son soutien au mouvement. Mais les acteurs de la vie associative et politique américaine semblent avoir été pris de court. « Ce mouvement a été mis en place en dehors des partis politiques, des ONG et des syndicats, et ça les a pris par surprise », explique Andrew Sabl, professeur associé de politiques publiques et sciences politiques à l’université de UCLA.

Certains supposaient sans fondement que George Soros et son Open Society Institute étaient derrière le mouvement. En réalité, c’est une fondation et un magazine anticonsumériste et artistique canadien,Adbusters qui en sont l’origine.

« Depuis 1968, je rêvais qu’un mouvement global puisse avoir lieu. Après la Tunisie et l’Egypte, je me suis dit qu’un Tahrir américain était possible, explique Kalle Lasn, rédacteur en chef d’Adbusters. Nous avons juste eu l’idée d’occuper le coeur du capitalisme, Wall Street, puis nous avons appelé ça « Occupy Wall Street », nous avons créé le poster qui a lancé l’appel, choisi la date du 17 septembre, et c’était parti. »

C’est grâce à Twitter et à son fameux hashtag #OccupyWallStreet, ainsi qu’au soutien d’Anonymous, le groupe de désobéissance civile sur internet, que les choses se sont enchaînées. « Après, ce sont les gens sur le terrain qui ont tout organisé et ramené du monde. Le mouvement a pris, et nous sommes passés dans les coulisses », commente Kalle Lasn.
Ce n’est que bien plus tard qu’ONG, syndicats et groupes politiques se sont ralliés au mouvement. Les soutiens se font d’ailleurs dans les deux sens. Le 23 septembre 2011, des membres d’Occupy Wall Street ont interrompu les enchères chez Sotherby’s, par solidarité avec le syndicat Teamsters Local 184 alors en pleine dispute salariale avec la salle des ventes.

« Un compliment et une leçon politique » pour les ONG

Le 5 octobre, John Samuelsen, président de TWU Local 100, un syndicat qui représente les métiers du transport à New York, s’est ainsi exprimé dans l’émission Countdown:

Les gens de Wall Street ont fourni l’étincelle à la main-d’oeuvre syndiquée. [...] Avec nous c’était toujours la même vieille chanson: parler aux hommes politiques dans les couloirs à Albany ou à Washington D.C. Ça n’a tout simplement pas marché pour les travailleurs. Alors que descendre dans la rue [...], ça marche.

Pour certains comme Bill Dobbs, membre du comité relations publiques d’Occupy Wall Street, porte-parole de l’ONG United for Peace and Justice et activiste de longue date:

C’est un compliment et une leçon politique. Cela montre que les ONG ou les syndicats peuvent être corrompus par les politiciens. Nous avons sonné l’alarme et les gens ont commencé à écouter. Le slogan ‘We are the 99%’ (ndlr: nous sommes les 99%) fait maintenant partie de l’imaginaire collectif.

Mais c’est surtout l’indépendance du mouvement qui semble être son point fort. Pour l’expliquer, Bill Dobbs fait le parallèle entre les ONG actives dans la lutte contre le SIDA dans les années 80, et dont il faisait partie au sein d’Act Up.

Beaucoup d’ONG avait été mises en place pour faire face au SIDA. Elles ont fait un travail incroyable mais le traitait comme un simple problème médical, justement parce qu’elles avaient peur de perdre leurs financements et avaient donc peur des dimensions politiques plus larges du problème. Elles ne remettaient pas en cause le système. C’est là que l’activisme, le volontariat ont commencé à se mettre en place, en 1987. Les quatre vérités ont enfin été dites. C’est la même chose avec Occupy Wall Street. Avant tout, ce sont des bénévoles, et c’est ça qui fait la différence.

Mais la question qui taraude tout le monde est de savoir comment un tel mouvement peut faire valoir ses revendications sans porte-parole ni demandes précises.

Pour Andrew Sadl, ce type de mouvement aurait par le passé eu besoin du soutien d’organisations, de syndicats ou de groupes religieux. « A l’âge d’internet, les questions d’infrastructure, de financement, de participation et de distribution de l’information n’ont pas autant besoin d’être institutionnalisées », explique-t-il. « Quant à négocier avec le gouvernement, on ne voit plus un grand syndicaliste serrer la main du Président pour sceller la résolution d’un conflit comme par le passé. Il n’y a pas forcément besoin de quelqu’un pour négocier au sommet », rajoute-t-il.

L’AG pour seul tête… mais jusqu’à quand ?

Le Tea Party, qui refuse d’avoir de porte-parole, a par exemple beaucoup de poids dans la politique américaine. « Mais leur influence vient du fait qu’ils réussissent à faire peur aux hommes politiques », commente Andrew Sadl pour qui l’allergie d’Occupy Wall Street aux politiques électorales finira par freiner les indignés.

En effet, accepter de rentrer dans le jeu électoral demeure un grand moyen de pression et de négociation aux Etats-Unis. Les grands partis dépendent des groupes, associations, syndicats, et petits partis pour leur campagne, que ce soit en termes de réseau, de main d’œuvre ou de financement. Les difficultés rencontrées par les Républicains et les Démocrates, respectivement dans l’Utah et l’Arkansas, lors des dernières élections législatives ont montré qu’une perte de soutien au niveau de ces groupes pouvait faire basculer leurs campagnes.

Pour le moment, les seuls liens officiels qu’Occupy Wall Street entretient avec d’autres ONG sont d’ordre pratique. Alliance for Global Justice, une organisation qui vise à atteindre plus de justice par le biais d’un mouvement de base internationalisé, s’occupe de reverser aux indignés les dons que ceux-ci ne peuvent pas encore recevoir directement. Les indignés ne disposent pas encore de statut fiscal et juridique leur permettant de récolter de l’argent. Se décider à remédier à ce problème pourrait aussi symboliquement leur servir à se définir.

L’affiliation avec les syndicats et les organisations pourrait comporter un risque de reprise du mouvement. Dans l’émission Countdown, John Samuelsen affirmait ainsi que les syndicats étaient le pendant des indignés (la « force » des premiers complétant « l’enthousiasme » des derniers), en fournissant les ressources dont le mouvement ne dispose pas.

Les indignés sont cependant déterminés à rester sans leadership – en tous cas autre que celui des assemblées générales organisées chaque jour – et encore moins à lâcher les rênes du mouvement à des organisations plus institutionnalisées. Pour Kalle Lasn, c’est sans appel: « ce serait le baiser de Judas! Ce serait un coup fatal si on s’acoquinait avec les syndicats, voire avec les groupes démocrates, car ce serait se lier avec une structure de pouvoir existante. Nous devons rester indépendants si on veut restructurer un système politique corrompu. »

D’autres, comme Andrew Sadl, sont plus prudents : « je pense qu’Occupy Wall Street va finir par une scission, comme ça a été le cas avec le parti vert en Allemagne au tout début. Une partie restera autonome, sans demande formelle ou codifiée, et l’autre sera plus pragmatique et acceptera de rejoindre des groupes progressistes. Je pense que le choix se fera au moment des élections de 2012. Il faudra choisir de s’impliquer, ou pas. »


Article publié à l’origine sur le site Youphil sous le titre Occupy Wall Street, la révolte sans leader.

Retrouvez le dossier d’OWNI Occuper Wall Street et son esprit et tous les articles consacrés à ce mouvement sur notre site.

Illustrations et Photos via Flickr par Paternité david_shankbone ; PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales waywuwei.

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Les data en forme http://owni.fr/2011/10/24/data-ogdcamp-democratica-cartographie-occupy-george-ows-infomous/ http://owni.fr/2011/10/24/data-ogdcamp-democratica-cartographie-occupy-george-ows-infomous/#comments Mon, 24 Oct 2011 13:26:10 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=84319 Cette semaine, attaquons par du sérieux : parlons politique. Les 19 et 20 octobre se tenait à Varsovie un événement essentiel dans le monde de l’Open Data : l’Open Government Data Camp. Parmi les 400 participants, il y avait notamment les deux créateurs de Manufactura Independente, un studio de design basé à Porto. Ils venaient y présenter le dernier projet auquel ils ont participé : Demo.cratica (en portugais), un superbe outil permettant d’explorer le parlement portugais à travers les data.

Intéressé par le contenu des sessions parlementaires ? Demo.cratica a ce qu’il vous faut : un calendrier des sessions depuis 2009 permettant de naviguer parmi les transcriptions des débats. Au survol d’une date sur le calendrier s’affiche le mot le plus souvent cité dans les prises de paroles du jour, pratique pour parcourir les thématiques abordées. Lorsque vous vous penchez sur la retranscription d’une session parlementaire, en plus des textes des interventions, Demo.cratica propose une  visualisation “statistique” des échanges. Vous pourrez ainsi facilement voir quel groupe parlementaire a le plus pris la parole, via quels députés au sein de ce groupe ou quels sont les grands thèmes abordés.

Pour ne rien gâcher, la mise en forme de ces données est plus que léchée et les sources de Democra.tica sont regroupées sous la forme d’un logiciel libre et donc disponibles sous licence AGPL. Quoi de plus naturel lorsque l’on sait que ce projet est né, il y a 9 mois, au cours d’une session Hackday à Porto ?

Depuis le temps qu’on vous le dit : hacker c’est bien, c’est bon.

Continuons avec la politique côté finances. On a pu voir en France que l’exercice des primaires présentait un solde plus que positif. Outre-Atlantique Matt Stiles, journaliste pour NPR et auteur du blog The Daily Viz, s’est amusé avec les data de la Commission nationale électorale. Il s’est posé une question simple : d’où viennent – géographiquement – les 90 millions de dollars engrangés par les candidats républicains depuis le début de l’année ?

Sa réponse tient en 10 cartes : la première, globale, affiche les données de tous les candidats, les neuf autres présentent la provenance des fonds candidat par candidat. On regrette juste qu’il n’ait pas poussé jusqu’aux quelques lignes de HTML5 qui auraient permis de présenter l’ensemble avec plus de simplicité et d’ergonomie qu’un long scroll.

Dataviz battles

Ces deux projets pourraient donner quelques pistes de réflexions pour le concours de dataviz qui vient d’être lancé par Google : “Les élections 2012 autrement“. Le principe est simple :

Proposer une application web interactive qui utilise des données de Google ou de Twitter pour proposer un nouveau regard sur l’élection présidentielle française de 2012.

Seule contrainte, donc, utiliser au moins un jeu de données provenant de Google ou Twitter, libre à chacun ensuite de laisser s’exprimer sa créativité. API fortement conseillées. Le tout (les sources de la webapp) est à envoyer sur dataviz2012@gmail.com avant le 7 décembre 2011.

Les concours de dataviz ont d’ailleurs tendance à se multiplier ces derniers temps. On notera celui organisé par l’un des papes de la dataviz, David Mc Candless, tout simplement nommé : The Information is beautiful Awards. Le premier concours portait sur l’évolution des stocks d’énergies non-renouvelables dans les années à venir et les vainqueurs sont sur le point d’être annoncés. En attendant on peut aller se balader sur les projets des finalistes des deux catégories : interactive challenge, visant à produire une web-app restituant les data, et le napkin challenge, qui rassemble les projets à l’état d’intentions graphiques crayonnées sur des nappes en papier ou tout autre support un tant soit peu lisible, du jus de cerveau en open source en somme.

OWS DVZ

La dataviz, c’est à chacun de s’en servir et, bien utilisée, c’est un excellent outil de communication. Le monde de l’entreprise l’a compris en assommant des armées de commerciaux à coup de powerpoints graphomaniaques durant de nombreux séminaires “Chiffre d’Affaires”, “Chiffres de Vente” ou “Parts De Marché” – car chacun sait qu’une image passe toujours bien mieux. Toutefois avec deux sous d’inventivité, un soupçon de DIY et un message plus politique à faire passer, on trouve tout de suite des idées bien plus intéressantes.

Au cœur mouvement Occupy Wall Street, la datavisualisation est apparue en toute logique car quoi de plus efficace (photo, à voir) pour représenter le rapport de force entre les 1% les plus riches et les 99% restants ?

Une autre belle idée, celle d’Occupy George, est d’avoir collé des visualisations – grâce à des tampons-encreurs à la papa dûment bricolés – sur le support même qui circule le plus dans nos (99%) mains de consommateurs assoiffés pour finir dans les poches des 1% : le “George-Washington”, emblématique billet de un dollar.

Tiens d’ailleurs, pendant que l’on parle politique, économie et crise dans notre datarticle hebdomadaire, le New York Times nous gratifie d’un très beau travail sur la crise de l’Euro. Leur visualisation interactive met en évidence l’interdépendance des différents acteurs (actifs ou passifs) : It’s all connected.

En plus des chiffres propres à chaque pays (qui détient quoi ?), plusieurs onglets permettent d’explorer les différents aspects : des problèmes actuels aux risques de contagion en passant par les scénarios possibles.

Avant de vous remettre au boulot, allez jeter un œil sur l’outil développé par icosystem : Infomous. Pointé par l’excellent Simon Rogers, sur le datablog du Guardian, ce système propose un principe de navigation au sein de l’information assez novateur. Il permet de visualiser les sujets les plus importants, les plus partagés en temps réel en les organisant par mots-clés.

Des “galaxies” de “faits” se dessinent ainsi en donnant accès aux contenus en profondeur (les articles liés). Infomous est plutôt bien pensé car il intègre également quelques outils pour personnaliser cette visualisation : paramètres de la visualisation (zoom, nombre de sujets…), exclusion de mots, de types de mots, screenshot, embed ou encore choix des sources (malheureusement parmi une liste plutôt courte de 13 médias internationaux anglophones).

Inspirez, visualisez

Histoire de garder quelques belles images en tête, finissons sur de l’expérimentation, possible source d’inspiration.

Une première piste en matière de géolocalisation proposée par Zachary Forest Johnson (repérée sur Information Aesthetics). Pour faciliter la visualisation de nombreux points sur une vaste zone géographique, il a appliqué un principe délicatement nommé : “hexagonal binning” [PDF].

Le but est de diviser les zones contenant des data en hexagones différenciés graphiquement, par exemple avec des nuances de couleur, en fonction du nombre de points contenus dans la zone en question. Sur l’exemple de la répartition des magasins Wall-Mart sur le sol US, plus une zone contient de magasins, plus l’hexagone correspondant tire vers le clair, moins il y en a plus sa couleur est sombre. Le tout permet de simplifier la visualisation de données nombreuses sur un espace restreint.

Petit bonheur : HexBin, l’outil devéloppé par Zachary F. Johnson est disponible sur github et il peut s’utiliser sous forme de fonction d3.js et s’intégrer à PolyMaps.

Restons dans l’inspiration, allons prendre l’air. L’hiver approche, c’est l’occasion d’aller côtoyer les sommets enneigés mais même encordés, n’oublions pas les data. La raréfaction de l’air au niveau des 6,962 m d’altitude du Mont Aconcagua a sans doute inspiré le photographe Michael Najjar.

Il s’est servi de ses clichés comme base pour produire d’étonnantes visualisations : les chemins de crête dessinent les cours du Dow Jones, Nikkei, Nasdaq ou autres Lemhan Brothers.

Enfin, expérimentation totale. Si votre carte graphique supporte le WebGL, allez faire un tour sur le module wire.2x.io et amusez-vous ! Dessinez des courbes de data sur la grille et baladez-vous en 3D à l’intérieur à l’aide du clavier. Ça laisse rêveur…


Retrouvez les précédents épisodes des Data en forme !

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http://owni.fr/2011/10/24/data-ogdcamp-democratica-cartographie-occupy-george-ows-infomous/feed/ 3
Naomi Klein occupe Wall street http://owni.fr/2011/10/24/naomi-klein-occupe-wallstreet-occupywallstreet-new-york/ http://owni.fr/2011/10/24/naomi-klein-occupe-wallstreet-occupywallstreet-new-york/#comments Mon, 24 Oct 2011 06:29:35 +0000 Agnès Rousseaux (Bastamag) http://owni.fr/?p=84289

Naomi Klein, journaliste canadienne et auteur de La Stratégie du choc, était invitée à s’exprimer par le mouvement Occupy Wall Street, à New York. Selon elle, ce mouvement va durer, car le combat contre le système économique « injuste et hors de contrôle » prendra des années. Objectif : renverser la situation en montrant que les ressources financières existent, qui permettraient de construire une autre société.

J’ai été honorée d’être invitée à parler [le 29 septembre] devant les manifestants d’Occupons Wall Street. La sonorisation ayant été (honteusement) interdite, tout ce que je disais devait être répété par des centaines de personnes, pour que tous entendent (un système de « microphone humain »). Ce que j’ai dit sur la place de la Liberté a donc été très court. Voici la version longue de ce discours [publiée initialement en anglais dans Occupy Wall Street Journal].

Je vous aime.

Et je ne dis pas cela pour que des centaines d’entre vous me répondent en criant « je vous aime ». Même si c’est évidemment un des avantages de ce système de « microphone humain ». Dites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous redisent, encore plus fort.

Hier, un des orateurs du rassemblement syndical a déclaré : « Nous nous sommes trouvés. » Ce sentiment saisit bien la beauté de ce qui se crée ici. Un espace largement ouvert – et une idée si grande qu’elle ne peut être contenue dans aucun endroit – pour tous ceux qui veulent un monde meilleur. Nous en sommes tellement reconnaissants.

S’il y a une chose que je sais, c’est que les 1 % [les plus riches] aiment les crises. Quand les gens sont paniqués et désespérés, que personne ne semble savoir ce qu’il faut faire, c’est le moment idéal pour eux pour faire passer leur liste de vœux, avec leurs politiques pro-entreprises : privatiser l’éducation et la Sécurité sociale, mettre en pièces les services publics, se débarrasser des dernières mesures contraignantes pour les entreprises. Au cœur de la crise, c’est ce qui se passe partout dans le monde.

Et une seule chose peut bloquer cette stratégie. Une grande chose heureusement : les 99 %. Ces 99 % qui descendent dans les rues, de Madison à Madrid, en disant : « Non, nous ne paierons pas pour votre crise. »

Naissance d’un slogan et choix d’une cible

Ce slogan est né en Italie en 2008. Il a ricoché en Grèce, en France, en Irlande, pour finalement faire son chemin jusqu’à l’endroit même où la crise a commencé.

« Pourquoi protestent-ils ? » demandent à la télévision les experts déroutés. Pendant ce temps, le reste du monde demande : « Pourquoi avez-vous mis autant de temps ? », « On se demandait quand vous alliez vous manifester ». Et la plupart disent : « Bienvenus ! »

Beaucoup de gens ont établi un parallèle entre Occupy Wall Street et les manifestations « antimondialisation » qui avaient attiré l’attention à Seattle en 1999. C’était la dernière fois qu’un mouvement mondial, dirigé par des jeunes, décentralisé, menait une action visant directement le pouvoir des entreprises. Et je suis fière d’avoir participé à ce que nous appelions alors « le mouvement des mouvements ».

Mais il y a aussi de grandes différences. Nous avions notamment choisi pour cibles des sommets internationaux : l’Organisation mondiale du commerce, le FMI, le G8. Ces sommets sont par nature éphémères, ils ne durent qu’une semaine. Ce qui nous rendait nous aussi éphémères. On apparaissait, on faisait la une des journaux, et puis on disparaissait. Et dans la frénésie d’hyperpatriotisme et de militarisme qui a suivi l’attaque du 11 Septembre, il a été facile de nous balayer complètement, au moins en Amérique du Nord.

Occupy Wall Street, au contraire, s’est choisi une cible fixe. Vous n’avez fixé aucune date limite à votre présence ici. Cela est sage. C’est seulement en restant sur place que des racines peuvent pousser. C’est crucial. C’est un fait de l’ère de l’information : beaucoup trop de mouvements apparaissent comme de belles fleurs et meurent rapidement. Parce qu’ils n’ont pas de racines. Et qu’ils n’ont pas de plan à long terme sur comment se maintenir. Quand les tempêtes arrivent, ils sont emportés.

Être un mouvement horizontal et profondément démocratique est formidable. Et ces principes sont compatibles avec le dur labeur de construction de structures et d’institutions suffisamment robustes pour traverser les tempêtes à venir. Je crois vraiment que c’est ce qui va se passer ici.

Autre chose que ce mouvement fait bien : vous vous êtes engagés à être non-violents. Vous avez refusé de donner aux médias ces images de fenêtres cassées ou de batailles de rue qu’ils attendent si désespérément. Et cette prodigieuse discipline de votre côté implique que c’est la brutalité scandaleuse et injustifiée de la police que l’histoire retiendra. Une brutalité que nous n’avons pas constatée la nuit dernière seulement. Pendant ce temps, le soutien au mouvement grandit de plus en plus. Plus de sagesse.

Mais la principale différence, c’est qu’en 1999 nous prenions le capitalisme au sommet d’un boom économique frénétique. Le chômage était bas, les portefeuilles d’actions enflaient. Les médias étaient fascinés par l’argent facile. À l’époque, on parlait de start-up, pas de fermetures d’entreprises.

Nous avons montré que la dérégulation derrière ce délire a eu un coût. Elle a été préjudiciable aux normes du travail. Elle a été préjudiciable aux normes environnementales. Les entreprises devenaient plus puissantes que les gouvernements, ce qui a été dommageable pour nos démocraties. Mais, pour être honnête avec vous, pendant ces temps de prospérité, attaquer un système économique fondé sur la cupidité a été difficile à faire admettre, au moins dans les pays riches.

Dix ans plus tard, il semble qu’il n’y ait plus de pays riches. Juste un tas de gens riches. Des gens qui se sont enrichis en pillant les biens publics et en épuisant les ressources naturelles dans le monde.

Le fait est qu’aujourd’hui chacun peut voir que le système est profondément injuste et hors de contrôle. La cupidité effrénée a saccagé l’économie mondiale. Et elle saccage aussi la Terre. Nous pillons nos océans, polluons notre eau avec la fracturation hydraulique et le forage en eaux profondes, nous nous tournons vers les sources d’énergie les plus sales de la planète, comme les sables bitumineux en Alberta. Et l’atmosphère ne peut absorber la quantité de carbone que nous émettons, créant un dangereux réchauffement. La nouvelle norme, ce sont les catastrophes en série. Économiques et écologiques.

Tels sont les faits sur le terrain. Ils sont si flagrants, si évidents, qu’il est beaucoup plus facile qu’en 1999 de toucher les gens, et de construire un mouvement rapidement.

“To-do” de l’époque

Nous savons tous, ou du moins nous sentons, que le monde est à l’envers : nous agissons comme s’il n’y avait pas de limites à ce qui, en réalité, n’est pas renouvelable – les combustibles fossiles et l’espace atmosphérique pour absorber leurs émissions. Et nous agissons comme s’il y avait des limites strictes et inflexibles à ce qui, en réalité, est abondant – les ressources financières pour construire la société dont nous avons besoin.

La tâche de notre époque est de renverser cette situation et de contester cette pénurie artificielle. D’insister sur le fait que nous pouvons nous permettre de construire une société décente et ouverte, tout en respectant les limites réelles de la Terre.

Le changement climatique signifie que nous devons le faire avant une date butoir. Cette fois, notre mouvement ne peut se laisser distraire, diviser, épuiser ou emporter par les événements. Cette fois, nous devons réussir. Et je ne parle pas de réguler les banques et d’augmenter les taxes pour les riches, même si c’est important.

Je parle de changer les valeurs sous-jacentes qui régissent notre société. Il est difficile de résumer cela en une seule revendication, compréhensible par les médias. Et il est difficile également de déterminer comment le faire. Mais le fait que ce soit difficile ne le rend pas moins urgent.

C’est ce qui se passe sur cette place, il me semble. Dans la façon dont vous vous nourrissez ou vous réchauffez les uns les autres, partageant librement les informations et fournissant des soins de santé, des cours de méditation et des formations à « l’empowerment ». La pancarte que je préfère ici, c’est : « Je me soucie de vous. » Dans une culture qui forme les gens à éviter le regard de l’autre et à dire : « Laissez-les mourir », c’est une déclaration profondément radicale.

Quelques réflexions finales. Dans cette grande lutte, voici quelques choses qui ne comptent pas :

- Comment nous nous habillons,
- Que nous serrions nos poings ou faisions des signes de paix,
- Que l’on puisse faire tenir nos rêves d’un monde meilleur dans une phrase-choc pour les médias.

Et voici quelques petites choses qui comptent vraiment :
- Notre courage,
- Notre sens moral,
- Comment nous nous traitons les uns les autres.

Nous avons mené un combat contre les forces économiques et politiques les plus puissantes de la planète. C’est effrayant. Et tandis que ce mouvement grandit sans cesse, cela deviendra plus effrayant encore. Soyez toujours conscients qu’il y a aura la tentation de se tourner vers des cibles plus petites – comme, disons, la personne assise à côté de vous pendant ce rassemblement. Après tout, c’est une bataille qui est plus facile à gagner.

Ne cédons pas à la tentation. Je ne dis pas de ne pas vous faire mutuellement des reproches. Mais cette fois, traitons-nous les uns les autres comme si on prévoyait de travailler ensemble, côte à côte dans les batailles, pour de nombreuses années à venir. Parce que la tâche qui nous attend n’en demandera pas moins.

Considérons ce beau mouvement comme s’il était la chose la plus importante au monde. Parce qu’il l’est. Vraiment.

Naomi Klein, le 6 octobre 2011


Discours publié dans Occupied Wall Street Journal. A lire : le blog de Naomi Klein (en anglais).

Traduction : Agnès Rousseaux / Basta !

Illustrations et Photos via Flickr par *Eddie [cc-by-nc-nd] ; Devon Shaw [cc-by-nc-sa] ; Daniel Oliverio [cc-by-nc-nd]

Publié initialement sur Bastamag sous le titre Naomi Klein : « Le mouvement Occupons Wall Street est actuellement la chose la plus importante au monde »

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