OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’asile pour les doigts brûlés http://owni.fr/2012/01/11/asile-ofpra-conseil-etat-ministere-interieur/ http://owni.fr/2012/01/11/asile-ofpra-conseil-etat-ministere-interieur/#comments Wed, 11 Jan 2012 17:49:49 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=93555

Le Conseil d’Etat a suspendu aujourd’hui la note de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui demandait aux officiers d’opposer un rejet systématique aux demandeurs d’asile ayant des “empreintes altérées”.

L’ordonnance de la plus haute juridiction administrative met fin à une bataille juridique de plusieurs semaines entre l’Ofpra et les associations réunies au sein de la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA). “L’Ofpra prend acte de cette décision. Nous l’appliquons bien entendu, et procédons à une analyse juridique avec notre service” nous a expliqué Pascal Baudouin, directeur de cabinet du directeur général de l’Ofpra.

Sans doigt ni droit

Sans doigt ni droit

Une note interne de l'Office des réfugiés montre un nouveau durcissement, visant les demandeurs dont les empreintes ...

Dans son ordonnance, le juge des référés du Conseil d’Etat, Jacques Arrighi de Casanova, considère que “l’instruction contenue dans la note du 3 novembre 2011 (…) a eu systématiquement pour effet (…) de conduire à des décisions de rejet des demandes d’asile”. Dans son mémoire et lors de l’audience, lundi 9 janvier, l’Ofpra s’en était défendu, indiquant que l’examen de la demande d’asile ne se limitait pas à l’audience avec l’officier de protection.

La secrétaire générale de l’Ofpra, Agnès Fontana, avait soutenu à cette occasion que l’examen de la demande d’asile commençait “dès que le dossier était confié à un officier de protection”. Le rejet fondé sur l’altération d’empreintes” ne s’apparentait donc pas, de son point du vue, à un rejet sans examen de la demande d’asile. L’ordonnance du juge des référés considère au contraire qu’en violation de plusieurs textes de lois :

La note contestée fait obstacle à l’examen individuel des demandes d’asile.

Caractère systématique

L’Ofpra réfutait le caractère systématique de ces rejets, mais sans être en mesure d’appuyer sa démonstration d’exemples concrets : depuis l’entrée en vigueur de cette note interne, tous les demandeurs aux “empreintes altérées” se sont vus opposer un refus. Dans son ordonnance, le juge rappelle que ni “la procédure écrite [ni] les indications recueillies à l’audience” n’ont pu étayer ces affirmations de l’Ofpra. Plus important, la lutte contre la fraude ne peut expliquer une telle consigne. Le Conseil d’Etat écrit :

L’intérêt public qui s’attache à la lutte contre la fraude n’est pas susceptible de justifier une atteinte aussi grave aux intérêts des demandeurs d’asile concernés.

Un revers pour l’Ofpra. Lors de l’audience, le juge des référés avait demandé des précisions sur les causes de ces altérations d’empreintes digitales. Les associations avaient insisté sur les mauvaises conditions de vie des demandeurs d’asile, souvent à la rue, et sur les mauvaises informations qui circulent parmi les demandeurs d’asile. L’altération des empreintes entraine un placement dit en “procédure prioritaire”, ce que certains demandeurs d’asile interprètent comme un moyen d’accélérer leur dossier selon les associations.

La CFDA ont surtout rappelé le peu de zèle dont feraient preuve les préfectures pour procéder aux relevés d’empreintes. Jean-Pierre Alaux, du Groupe d’information et de soutiens des immigrés (Gisti), a rapporté le cas d’un Erythréen convoqué cinq fois à la sous-préfecture de Calais alors que ses empreintes étaient “lisibles mais légèrement altérées”. Un exemple qui illustre selon lui “les interprétations abusives des préfectures”.

Fraude volontaire

De son côté, le ministère de l’Intérieur, à qui le Conseil d’Etat avait demandé de présenter ses observations sur ces altérations, ne retient que la fraude volontaire. Dans ce document, que nous publions ci-dessous, le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration justifie la note de l’Ofpra :

Cette note fait suite à l’apparition d’une pratique à compter de l’année 2009, consistant pour certains demandeurs d’asile, à s’altérer volontairement les empreintes digitales.

L’objectif serait de passer à travers le règlement Dublin II, en vertu duquel un demandeur d’asile doit déposer son dossier dans le premier pays qui a prélevé ses empreintes, généralement les pays en périphérie de l’Union européenne, très restrictifs sur l’asile. Selon cette note du ministère de l’Intérieur, les consignes du directeur de l’Ofpra permettraient donc d’éviter “l’ « asylum shopping » ainsi que l’ « asylum in orbit » (les multiples demandes dans différents Etats membres peuvent entrainer le non examen de la demande d’asile, ce qui est une garantie pour le demandeur d’asile).” Le même document énumère les “techniques pour empêcher l’exploitation des empreintes” (page 3 du document) :

Soit le demandeur d’asile altère l’épiderme, par abrasion ou par brûlure le plus souvent ; soit le demandeur d’asile utilise un produit lui permettant de combler les sillons (…), tel que du vernis ou une colle quelconque ; soit, et plus exceptionnellement, le demandeur d’asile se fait greffer la pulpe d’un autre de ses doigts.

Le ministère de l’Intérieur insiste sur l’augmentation du phénomène d’“altération des empreintes” depuis 2009 citant les chiffres des “taux de rejet des relevés d’empreintes digitales” pour 2009, 2010 et 2011.

Extrait des observations du ministère de l'Intérieur, page 3 dans le document reproduit en intégralité ci-dessous

L’ordonnance du Conseil d’Etat met fin à une série de contentieux juridiques. Le tribunal administratif de Melun avait été saisi par le CFDA qui contestait plusieurs refus motivés exclusivement par les “empreintes altérées” des demandeurs. Dans sa décision, il considérait cette pratique de l’Ofpra comme une “atteinte manifestement grave et illégale [au] droit constitutionnel d’asile”.

Saisi dans le même temps pour se prononcer sur la légalité de la note, il s’est déclaré incompétent, renvoyant l’affaire au Conseil d’Etat. Le 28 décembre, le juge des référés du Conseil d’Etat avait cassé, sur la forme, la décision du tribunal administratif de Melun. Il considérait que cette décision était de la compétence de la Cour nationale du droit d’asile, et non du tribunal administratif.

Conseil d’Etat Ofpra Asile

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Un doigt d’asile sauvé au tribunal http://owni.fr/2011/12/13/ofpra-demande-asile/ http://owni.fr/2011/12/13/ofpra-demande-asile/#comments Tue, 13 Dec 2011 14:02:25 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=90202

Le Tribunal administratif de Melun vient de condamner l’Office de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) pour “atteinte grave et manifestement illégale [au] droit constitutionnel d’asile”, selon une ordonnance du 8 décembre 2011 que nous mettons en ligne. En cause, une note interne, dont OWNI avait révélé l’existence. Dans ce document, le directeur général, Jean-François Cordet, demandait aux officiers d’opposer un rejet systématique aux demandeurs d’asile dont “l’extrémité des doigts est délibérément altérée” avant même que les demandes soient examinées.

En se mutilant les doigts, à l’acide ou au fer rouge, les “doigts brûlés” tentent d’échapper aux procédures dites de Dublin II. En vertu de ces accords européens, les demandeurs d’asile doivent déposer leur dossier dans le premier pays à avoir pris leurs empreintes. Mais ces pays périphériques de l’Union européenne, la Grèce, la Slovénie ou la Bulgarie, acceptent peu de demandes. D’où la volonté d’y échapper en tentant sa chance ailleurs.

Motif humanitaire

Dans sa défense, reproduite dans l’ordonnance du juge (voir ci-dessous), l’Ofpra a déclaré “qu’il convenait de décourager la pratique dégradante de mutilations des demandeurs d’asile en rejetant les demandes sur lesquelles on ne pouvait avoir des éléments concernant l’identité de l’auteur”. Un motif humanitaire qui fait sourire Gérard Sadik, responsable de l’asile de l’association La Cimade…

Saisi sur un cas individuel, le Tribunal administratif s’est opposé à cette nouvelle politique de l’Ofpra. Dans son ordonnance le juge des référés rappelle :

Le droit de solliciter le statut de réfugié et de demeurer en France le temps nécessaire à l’examen de la demande constituent pour les étrangers une liberté fondamentale.

La décision de l’Ofpra de ne pas examiner la demande d’asile de M. A. est dès lors suspendue et le juge des référés “enjoint au directeur général de [l'Ofpra] de statuer sur la demande d’asile de M. A. dans un délai de quinze jours”.

Prérogatives outrepassées

À l’Ofpra, le directeur de cabinet, Patrice Baudouin nous a expliqué avoir convoqué l’intéressé pour examiner sa demande, comme l’ordonne le tribunal administratif. Il ajoute :

Il n’est pas impossible que nous fassions appel de cette décision devant le Conseil d’Etat. Le service juridique étudie toutes les possibilités.

Ni l’avocate de M. A., Me Mazas, ni Gérard Sadik ne s’avancent sur la direction que pourraient prendre les juges de la plus haute juridiction administrative en appel. Pour Me Mazas, l’Ofpra a outrepassé ses prérogatives avec cette note interne. “Si la législation doit changer, c’est au législateur de se prononcer ! Un débat doit avoir lieu au Parlement” plaide-t-elle.

Selon Patrice Baudouin, de l’Ofpra, des centaines de cas de demandeurs aux doigts mutilés auraient été recensés ces derniers mois :

Il s’agit surtout de Somaliens, d’Erythréens et de Soudanais. Ces six derniers mois, les préfectures en ont compté entre 500 et 600.

Une réalité que nuance Me Sophie Mazas. Au-delà des “doigts brûlés”, les demandeurs d’asile vivant dans la rue ont souvent les mains abîmées, rendant leurs empreintes illisibles.

Des dizaines de requêtes à venir

Au moins cinq requêtes ont été déposées depuis cette date et ont abouti à l’annulation des rejets a priori au motif que les empreintes étaient altérées. Des dizaines suivront dans les jours qui viennent, indiquent La Cimade et le Gisti, une autre ONG de défense des immigrés. Le tribunal administratif de Melun a aussi été saisi pour faire suspendre cette note, de façon collective et non plus individuelle comme dans l’ordonnance de M. A. Il s’est déclaré incompétent, renvoyant la requête devant le Conseil d’Etat.

Cette condamnation de l’Ofpra intervient alors que se durcit la demande d’asile. Le 2 décembre, le conseil d’administration de l’Ofpra a ajouté quatre pays à la liste des pays sûrs : l’Arménie, le Bengladesh, la Moldavie et le Monténégro. Cette liste comprend les pays qui veillent “au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales”.

Les demandes des ressortissants sont examinées en procédure prioritaire qui garantit moins de droits aux demandeurs (voir la visualisation en bas de l’article). Cette décision a provoqué l’ire des organisations de défense des immigrés qui ont rappelé que cette notion était discriminatoire et contraire au principe de l’asile, fondé sur l’individu et non la nationalité.


Illustration de Loguy et Marie Crochemore [cc-byncsa]

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Sans doigt ni droit http://owni.fr/2011/11/23/asile-ofpra-ministere-interieur/ http://owni.fr/2011/11/23/asile-ofpra-ministere-interieur/#comments Wed, 23 Nov 2011 17:22:48 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=87920 Dans une note interne dont OWNI a obtenu copie, le directeur de l’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) demande aux officiers d’opposer des refus à tous les demandeurs d’asile ayant “pris le parti d’altérer délibérément l’extrémité de leurs doigts”. Donc : de se brûler au feu ou à l’acide, ou de s’entailler au rasoir ou avec des morceaux de verre le bout des doigts. Jean-François Cordet, directeur général de l’Ofpra écrit :

Cette absence manifeste de coopération place en définitive l’Office dans l’impossibilité de se prononcer en toute connaissance de cause (…) Par conséquent, vous voudrez, bien, pour toutes les demandes d’asile en cours relevant de ce cas de figure, statuer sans tarder par la prise d’une décision de rejet.

La lettre type de refus est jointe au document (voir ci-dessous). Exit les demandeurs d’asile aux doigts “délibérément altér[és]“, que les associations appellent “les doigts brûlés”.

Auxiliaire de justice

“L’Ofpra adopte l’attitude de la préfecture. Il devient l’auxiliaire de la justice” réagit Jean-Pierre Alaux, le responsable du droit d’asile de l’ONG Gisti qui défend les droits des immigrés. A l’Ofpra, Pascal Baudouin, directeur de cabinet, se défend de restreindre les droits des demandeurs d’asile :

Ce n’est pas sur ce motif que le directeur a pris cette décision. Il s’est basé sur l’augmentation du nombre de cas de fraudes à l’identité (…) Depuis plusieurs mois, nous avons observé un phénomène nouveau des demandeurs d’asile qui s’altèrent les doigts pour que leurs empreintes ne soient pas exploitées dans Eurodac.

Eurodac est un fichier européen qui recense les empreintes digitales des demandeurs d’asile. En vertu de la procédure dite de Dublin II, les demandes d’asile doivent être déposées dans le premier pays qui a pris les empreintes du demandeur. Ces pays sont généralement à la périphérie de l’Union Européenne : la Grèce, mais de plus en plus la Slovénie et la Bulgarie, connaissent un très grand nombre de demandes d’asile dont très peu sont acceptées. En se mutilant les doigts, les demandeurs d’asile tentent d’échapper à ces mesures de renvoi dans le premier pays d’entrée, anti-chambre vers le pays d’origine.

Continuellement, un feu est gardé allumé. Il permet de chauffer l’eau, mais également d’y faire brûler des barres en fer avec lesquelles les migrants se mutilent le bout des doigts pour effacer leurs empreintes digitales.

Interrogé sur la nouveauté d’un phénomène dont la presse s’était fait l’écho dès septembre 2009, Pascal Baudouin reste évasif :

Des rapports de préfectures nous ont alerté de l’augmentation de cette pratique.

Sans être en mesure de nous préciser de quelles préfectures il s’agissait, hormis “la préfecture de Paris”, ni du nombre de cas observés.

Nouveaux droits

La note du directeur de l’Ofpra tombe à point nommé après d’importantes décisions juridiques depuis le début de l’année. Toutes ouvraient des droits aux demandeurs d’asile, dont certains sont aujourd’hui restreints par les nouvelles consignes de l’Ofpra. En janvier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) avait condamné la Grèce pour ne pas avoir hébergé un demandeur d’asile. Les magistrats avaient considéré qu’il s’agissait de “traitements inhumains et dégradants”, soit une violation de l’article trois de la Convention.

En France, la plus haute juridiction administrative s’est prononcée à deux reprises en juillet et août dernier sur l’hébergement et les allocations attribués aux demandeurs d’asile. Dans des arrêts du 21 juillet et 5 août 2011, le Conseil d’Etat affirme qu’ils doivent obtenir une allocation et un hébergement “quelle que soit la procédure d’examen de sa demande”. Une petite révolution que Jean-Pierre Alaux, du Gisti explique par la jurisprudence européenne et “la campagne de harcèlement juridique” lancée par plusieurs ONG et association.

La préfecture peut décider de placer un demandeur d’asile en procédure normale ou en procédure prioritaire. Avant les décisions du Conseil d’Etat, les demandeurs en procédure prioritaire ne recevaient ni hébergement, ni l’allocation temporaire d’attente d’un montant de 310 euros par mois. En cas de rejet, les demandeurs d’asile peuvent faire appel devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), mais l’appel n’est pas suspensif en procédure prioritaire. Le ministère de l’intérieur incitait d’ailleurs en avril dernier les préfectures à délivrer des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) :

Le demandeur d’asile placé en procédure prioritaire et débouté du droit d’asile après la décision de l’OFPRA n’ayant plus de droit à se maintenir sur le territoire, je vous encourage à notifier une mesure de refus de séjour et une OQTF immédiatement après la notification du rejet de la demande d’asile par l’Ofpra. [En gras et souligné dans la circulaire, ndlr]

Mais le rejet coupe surtout les demandeurs d’asile d’un hébergement et d’une allocation pendant l’examen de leur appel. Des rejets simplifiés avec ces nouvelles consignes données aux officiers de l’Ofpra.


Crédits photo CC Julie Rebouillat / Contre-Faits [by-nc-nd]

Infographie CC Marie Crochemore /-)

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