OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Sans doigt ni droit http://owni.fr/2011/11/23/asile-ofpra-ministere-interieur/ http://owni.fr/2011/11/23/asile-ofpra-ministere-interieur/#comments Wed, 23 Nov 2011 17:22:48 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=87920 Dans une note interne dont OWNI a obtenu copie, le directeur de l’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) demande aux officiers d’opposer des refus à tous les demandeurs d’asile ayant “pris le parti d’altérer délibérément l’extrémité de leurs doigts”. Donc : de se brûler au feu ou à l’acide, ou de s’entailler au rasoir ou avec des morceaux de verre le bout des doigts. Jean-François Cordet, directeur général de l’Ofpra écrit :

Cette absence manifeste de coopération place en définitive l’Office dans l’impossibilité de se prononcer en toute connaissance de cause (…) Par conséquent, vous voudrez, bien, pour toutes les demandes d’asile en cours relevant de ce cas de figure, statuer sans tarder par la prise d’une décision de rejet.

La lettre type de refus est jointe au document (voir ci-dessous). Exit les demandeurs d’asile aux doigts “délibérément altér[és]“, que les associations appellent “les doigts brûlés”.

Auxiliaire de justice

“L’Ofpra adopte l’attitude de la préfecture. Il devient l’auxiliaire de la justice” réagit Jean-Pierre Alaux, le responsable du droit d’asile de l’ONG Gisti qui défend les droits des immigrés. A l’Ofpra, Pascal Baudouin, directeur de cabinet, se défend de restreindre les droits des demandeurs d’asile :

Ce n’est pas sur ce motif que le directeur a pris cette décision. Il s’est basé sur l’augmentation du nombre de cas de fraudes à l’identité (…) Depuis plusieurs mois, nous avons observé un phénomène nouveau des demandeurs d’asile qui s’altèrent les doigts pour que leurs empreintes ne soient pas exploitées dans Eurodac.

Eurodac est un fichier européen qui recense les empreintes digitales des demandeurs d’asile. En vertu de la procédure dite de Dublin II, les demandes d’asile doivent être déposées dans le premier pays qui a pris les empreintes du demandeur. Ces pays sont généralement à la périphérie de l’Union Européenne : la Grèce, mais de plus en plus la Slovénie et la Bulgarie, connaissent un très grand nombre de demandes d’asile dont très peu sont acceptées. En se mutilant les doigts, les demandeurs d’asile tentent d’échapper à ces mesures de renvoi dans le premier pays d’entrée, anti-chambre vers le pays d’origine.

Continuellement, un feu est gardé allumé. Il permet de chauffer l’eau, mais également d’y faire brûler des barres en fer avec lesquelles les migrants se mutilent le bout des doigts pour effacer leurs empreintes digitales.

Interrogé sur la nouveauté d’un phénomène dont la presse s’était fait l’écho dès septembre 2009, Pascal Baudouin reste évasif :

Des rapports de préfectures nous ont alerté de l’augmentation de cette pratique.

Sans être en mesure de nous préciser de quelles préfectures il s’agissait, hormis “la préfecture de Paris”, ni du nombre de cas observés.

Nouveaux droits

La note du directeur de l’Ofpra tombe à point nommé après d’importantes décisions juridiques depuis le début de l’année. Toutes ouvraient des droits aux demandeurs d’asile, dont certains sont aujourd’hui restreints par les nouvelles consignes de l’Ofpra. En janvier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) avait condamné la Grèce pour ne pas avoir hébergé un demandeur d’asile. Les magistrats avaient considéré qu’il s’agissait de “traitements inhumains et dégradants”, soit une violation de l’article trois de la Convention.

En France, la plus haute juridiction administrative s’est prononcée à deux reprises en juillet et août dernier sur l’hébergement et les allocations attribués aux demandeurs d’asile. Dans des arrêts du 21 juillet et 5 août 2011, le Conseil d’Etat affirme qu’ils doivent obtenir une allocation et un hébergement “quelle que soit la procédure d’examen de sa demande”. Une petite révolution que Jean-Pierre Alaux, du Gisti explique par la jurisprudence européenne et “la campagne de harcèlement juridique” lancée par plusieurs ONG et association.

La préfecture peut décider de placer un demandeur d’asile en procédure normale ou en procédure prioritaire. Avant les décisions du Conseil d’Etat, les demandeurs en procédure prioritaire ne recevaient ni hébergement, ni l’allocation temporaire d’attente d’un montant de 310 euros par mois. En cas de rejet, les demandeurs d’asile peuvent faire appel devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), mais l’appel n’est pas suspensif en procédure prioritaire. Le ministère de l’intérieur incitait d’ailleurs en avril dernier les préfectures à délivrer des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) :

Le demandeur d’asile placé en procédure prioritaire et débouté du droit d’asile après la décision de l’OFPRA n’ayant plus de droit à se maintenir sur le territoire, je vous encourage à notifier une mesure de refus de séjour et une OQTF immédiatement après la notification du rejet de la demande d’asile par l’Ofpra. [En gras et souligné dans la circulaire, ndlr]

Mais le rejet coupe surtout les demandeurs d’asile d’un hébergement et d’une allocation pendant l’examen de leur appel. Des rejets simplifiés avec ces nouvelles consignes données aux officiers de l’Ofpra.


Crédits photo CC Julie Rebouillat / Contre-Faits [by-nc-nd]

Infographie CC Marie Crochemore /-)

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Migrants tunisiens: la France dans un sale Etat http://owni.fr/2011/07/11/migrants-tunisiens-schengen-botzaris-france-etat/ http://owni.fr/2011/07/11/migrants-tunisiens-schengen-botzaris-france-etat/#comments Mon, 11 Jul 2011 16:24:02 +0000 Pierre Deruelle http://owni.fr/?p=73358

Le peuple français est né d’une mère chrétienne et d’un père inconnu… Je dis père inconnu parce que la France est et a toujours été une nation d’immigrants.

Andre Frossard (1915 – 1995) – journaliste, essayiste, membre de l’Académie française

Un peu d’histoire dans le sang

La “Révolution tunisienne de 2010-2011″ ou “Révolution de jasmin” est une suite de manifestations non violentes et de sit-in, qui, au bout quatre semaines en décembre 2010 et janvier 2011, ont abouti au départ forcé de Zine el-Abidine Ben Ali, en poste depuis 1987.

Plus de 20.000 Tunisiens ont quitté leur pays après la chute du régime, le 14 janvier.

Avec un taux de chômage qui atteint 14,2%, nombre d’entre eux ont quitté leur sol natal pour tenter “d’améliorer leur existence” ou “laisser les places de travail aux autres” selon les dires de certains.

Il n’est peut-être pas inutile ici de rappeler qu’entre le 12 mai 1881 et le 20 mars 1956, la Tunisie fut un protectorat français, et que son aide militaire fut loin d’être négligeable, ce qui est un euphémisme.

En 1884, l’armée française crée le 4e Régiment de Tirailleurs Tunisiens (4e R.T.T.), comprenant six bataillons de 600 hommes chacun en 1899. Les faits d’armes des tirailleurs tunisiens leur valent Croix de guerre, Médaille militaire et Légion d’honneur, six citations à l’ordre de l’armée (et par conséquent l’attribution de la fourragère rouge), ainsi qu’une participation au défilé du 14 juillet 1919.

Le général Weygand dans son Histoire de l’Armée française (1953) et le décrit comme :

Une unité d’élite qui porte la croix de la légion d’honneur à son drapeau.

En 1944, après les combats du Belvédère (Monte Cassino – Italie) du 24 janvier au 11 février 1944, le 4e R.T.T. sera bien plus que décimé : les trois quarts des cadres sont tués ou blessés, 279 hommes sont tués (dont 15 officiers), 426 hommes sont portés disparus (dont 5 officiers) et 800 hommes sont blessés (dont 19 officiers), soit au total les deux tiers de l’effectif engagé dans les combats.

Quelques mois plus tard, le 4e R.T.T. sera le premier régiment français à pénétrer en Allemagne en 1945. Il participera aussi à la guerre d’Indochine jusqu’en 1955.

Les liens qui unissent la France et la Tunisie se sont aussi forgés côte à côte dans le sang sur les champs de bataille, ce qui est un point non négligeable de l’histoire de France. Qu’il convient peut-être de rappeler.

De Lampedusa à Paris

Le premier réflexe de l’Europe, ensemble de pays qui compte plus de 500 millions d’habitants, face à ce qui est non pas un flux migratoire mais plutôt un afflux ponctuel de migrants, a été de se recroqueviller sur elle-même.

Invoquant à tour de rôle le risque d’un “appel d’air”, ou le “danger d’être envahi”, S. Berlusconi et N. Sarkozy se sont prononcés en faveur de la remise en cause des accords de Schengen sur la libre circulation des personnes au sein de l’Union Européenne.

Quand les peuples demandent leur liberté, la France sera à leur côté.

Mise dans le contexte du traitement réservé aux Tunisiens à leur arrivée en France, cette phrase prononcée par Nicolas Sarkozy en mai 2011 sonne comme un mensonge éhonté.

Selon Le Monde du 1er mai, la France souhaitait pourtant faciliter l’arrivée de travailleurs tunisiens sur son sol. Pour cela, Paris se base sur un accord signé en 2008 avec Tunis qui prévoit un objectif de 9 000 entrées par an dont 3 500 salariés. Or, seuls 2 700 Tunisiens sont arrivés  en France au cours de l’année 2010.

La délivrance par l’Italie de titres de séjours aux migrants tunisiens échoués à Lampedusa, grâce à la Convention de Schengen qui leur permettaient de venir librement en France a entraîné la réaction immédiate de Claude Guéant :

Il ne suffit pas d’avoir une autorisation de séjour en Italie pour venir en France.

Son ministère a donc émis, le 5 avril, une circulaire [PDF] établissant des critères stricts. Les intéressés sont ainsi notamment sommés d’avoir un minimum de ressources (31 euros par jour à condition d’avoir un hébergement, 62 euros dans le cas inverse) sur eux, en plus de leur titre de séjour.

L’article 5 de la Convention de Schengen signale que l’intéressé doit avoir “des moyens de subsistance suffisants” et ne fixe pas de montant précis : le migrant, doit “être en mesure d’acquérir légalement ces moyens”.

Ne peut-on considérer que deux bras, deux jambes, la volonté et l’envie de bosser sont des moyens suffisants ?

On notera que si les gouvernants sont fort prompts à faire adhérer les citoyens à la libre circulation des marchandises et des biens en Europe, il semble que les migrants soient une forme de marchandise bien plus encombrante, quelque part entre le traitements des déchets toxiques et la gestion du bétail.

J’exagère ? Peut-être. Ou pas.

Les contrevérités gouvernementales

On notera tout d’abord qu’il y a en France moins d’immigrés en 2011 qu’au début du XXe siècle.

Là où le discours gouvernemental s’effondre, c’est comme souvent à regarder les chiffres : les bénéfices issus de l’immigration sont supérieurs à ses coûts pour les pays d’accueil, selon un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

En 1999-2000, les immigrés ont rapporté au Royaume-Uni 4 milliards de dollars de plus en matière d’impôts. Aux États-Unis, l’immigration a généré un revenu national supplémentaire de 8 milliards de dollars en 1997.

Quant à la concurrence dans le domaine de l’emploi, l’OIM rappelle qu’en Europe occidentale, “il est rare que les immigrés et les travailleurs locaux se trouvent en concurrence directe”, les premiers occupant fréquemment “des emplois que les nationaux sont soit dans l’incapacité soit peu désireux d’occuper”.

Deuxième constat, les immigrés ne pèsent pas sur les comptes sociaux, si l’on croit une étude [en] du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). S’ils pèsent sur les caisses chômage , en revanche, ils ne pèsent pas sur les caisses de santé et de retraite.

Toujours selon le Cepii, les immigrés réduisent le poids fiscal du vieillissement démographique. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a récemment montré qu’un accroissement des entrées de 50 000 par an pourrait réduire le déficit des régimes de retraites d’un demi-point de PIB à l’horizon 2050.

Le problème des migrants tunisiens ne serait donc pas économique, mais bien politique.

M. Claude Guéant réécrit ainsi la Convention de Schengen à sa sauce. Reste à savoir pourquoi.

Le contexte électoral

Nicolas Sarkozy chercherait à reproduire un “21 avril” en 2012, espérant affronter Marine Le Pen au second tour. Cette hypothèse a notamment été confirmée sur France 2 par un “proche de Nicolas Sarkozy” au cours de l’émission Complément d’enquête.

Décryptant la stratégie élaborée par Patrick Buisson, conseiller de l’Élysée et ancien directeur de Minute, charmant journal d’extrême droite, ce témoin anonyme raconte que la manœuvre consiste à créer “dans l’esprit public des stress complémentaires sur les sujets immigration, sécurité” pour en faire “une marotte, une obsession”, et ainsi amener le débat sur un terrain sur lequel la gauche française est en général mal à l’aise.

Et les Tunisiens font de parfaits boucs émissaires. Plus les CRS interviennent, plus la stratégie de Sarkozy prend corps. Plus les médias en feront des gorges chaudes, et plus le candidat Sarkozy se frotte les mains.

Je dis bien candidat Sarkozy, car il est évident que cette tactique n’a plus rien de l’attitude responsable d’un homme politique en charge de gérer la cohésion d’une nation et de ses différentes composantes, fussent-elles venues de pays voisins.

Sur la question des boucs-émissaires, Hakim Karoui écrit dans L’avenir d’une exception :

Dans la société française, les boucs émissaires ont été les juifs, mais aussi, au Moyen Âge, les « Lombards », à l’époque moderne, les protestants ou les catholique selon les camps, les agents royaux (du fisc par exemple) ou inversement les mendiants ou les prostituées, les « aristocrates » et parfois les prêtres à la Révolution; les « capitalistes », les « bourgeois » à l’époque contemporaine, les immigrés non encore assimilés à toutes les époques. Aujourd’hui, le bouc émissaire, ce sont les Arabes. Demain, ce seront peut-être les Noirs ou les Chinois. Les Arabes, parce qu’ils portent encore une différence (leur nom, leur religion) mais aussi et surtout parce que la société française se rend compte qu’ils sont de moins en moins différents. Leur différence apparaît alors d’autant plus importante qu’elle est finalement de plus en plus résiduelle.

Diviser pour mieux régner, nul besoin d’avoir lu Machiavel pour comprendre. Que nous soyons tous membres de l’espèce humaine s’oublie vite, semble-t-il, à quelques mois des élections.

Grossière erreur de jugement. C’est oublier de considérer que des jeunes gens (dont certains sont des mineurs) qui ont tout quitté, famille et amis, qui ont voyagé sur des embarcations de fortune, et ont réussi à survivre jusqu’au pied de nos immeubles, sont des forces dont la valeur humaine n’est plus à démontrer. Quelle volonté ne faut-il pas pour accomplir ce périple? Quel courage ? Quelle envie de vivre, d’avancer ?

Avons-nous plus peur d’eux qu’ils ont eu peur de partir à l’aventure, sans certitude ?

Ce sont donc actuellement environ 600 Tunisiens qui se trouvent à Paris, certains entassés dans des gymnases, d’autres dormant dans les parcs ou le long des bouches de métro.

Si la Mairie de Paris a voté des levées de fonds pour leur venir en aide, il apparaît que les structures d’accueil sont déficientes, trop peu nombreuses, souvent insalubres. L’Europe ne leur viendra pas en aide. Le gouvernement leur envoie les CRS. La mairie de Paris les déloge pour des raisons fallacieuses (Gymnase Fontaine au Roi).

Et ce sont de simples citoyens qui leur viennent en aide, comme ils peuvent.

Le cas #Botzaris36

Je ne raconterai pas ici ce qui se passe entre le 36 rue Botzaris et le parc des Buttes-Chaumont. Parce que je ne me suis pas rendu sur place, j’en serais donc fidèlement incapable, tandis que d’autres y sont jour et nuit, et en parleront concrètement mieux que moi.

Écœuré par cette situation hypocrite, indigne d’un état de droit, j’ai fait le choix de consacrer mon compte Twitter à ce sujet unique depuis plusieurs semaines.

Pour le caractère inhumain du traitement réservé aux Tunisiens d’une part (« comme des bêtes »), et parce que je le considère comme révélateur de l’état d’esprit dans lequel la petite gue-guerre électorale des partis majoritaires a plongé ce pays.

Si quelques médias se sont penchés sur le problème des migrants, il convient d’expliquer ici la relative omerta d’une partie de la presse française. Et c’est encore Le Canard Enchainé qui s’y colle dans un article intitulé “Quand le gratin de la presse française bronzait aux frais de Ben Ali”.

Je vous invite également à lire entre autres les articles suivants, et bien-sûr à faire vos propres recherches.

@OWNI :

Botzaris, territoire annexé par l’ambassade de Tunisie

@menilmuche :

Les Tunisiens de Botzaris embarqués par la police

Les Tunisiens du gymnase à la rue

La visite de Pascal Terrasse, député de l’Ardèche :

Être né quelque part

@LeClown :

Pourquoi les Tunisiens doivent sauver Botzaris36

Pour venir en aide aux migrants, une association « action tunisienne » vous fournira les renseignements nécessaires.

N’étant ni journaliste, ni chroniqueur, ni écrivain, je me suis exprimé ici en tant que simple citoyen français.

Billet initialement publié sur le Tumblr de Pierre Deruelle

Illustrations CC FlickR par skinny79, Wassim Ben Rhouma, Antonio Amendola Photography et empanada_paris

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Parias du printemps arabe http://owni.fr/2011/07/06/parias-du-printemps-arabes/ http://owni.fr/2011/07/06/parias-du-printemps-arabes/#comments Wed, 06 Jul 2011 06:55:02 +0000 Edgar C. Mbanza http://owni.fr/?p=72406 Ce sont des Soudanais, des Erythréens, des Ethiopiens oromo, des Somaliens, des individus et des familles bénéficiant du statut de réfugiés : ils ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine et sont aujourd’hui “coincés” à la frontière libyenne. Ce sont souvent ces populations qui tentent de rejoindre l’Italie espérant bénéficier de meilleures conditions d’exil…

Selon le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, 14.000 migrants africains ont tenté de rejoindre les côtes européennes par bateau, essentiellement depuis la région de Misrata dans la partie libyenne contrôlée par les opposants au pouvoir de Tripoli. Pas plus tard que le 11 juin dernier, plus de 1500 migrants africains, dont 135 femmes et 22 enfants, sont arrivés en Italie à bord de sept bateaux.

Les naufrages en mer seraient “plus fréquents qu’on ne le dit“, d’après une chercheuse italienne bénévole auprès d’une association qui accueille régulièrement les rescapés de la mer à Lampedusa, petite île italienne. Les chiffres actualisés des disparus manquent en effet ; en mai, les associations (comme la Fédération Internationale des Droits de l’homme) estimaient à plus de 1200 le nombre d’individus avalés par la Méditerranée depuis le début du conflit en Libye.

Bousculades, évanouissements, noyades

Au début du mois de juin, environ 270 candidats à l’exil ont disparu après que leur chalutier a coulé sous le poids d’une mer déchainée, près des îles Kerkennah, un archipel tunisien. La chercheuse qui a pris en charge quelques migrants ayant survécu à ce drame et réussi à atteindre l’Italie raconte :

Pendant deux jours, le bateau surchargé a tangué en mer. Les conditions climatiques étaient difficiles. Des gens sont morts, beaucoup sont tombés à l’eau. La panique a fait des dégâts aussi, à cause de bousculades et d’évanouissements, chez les enfants et les femmes notamment.

Les 600 Africains repêchés après ce naufrage ont été renvoyés dans le camp de Choucha, situé à proximité de la frontière tuniso-libyenne, à plus de 300 km de Sfax, en Tunisie. Faut-il noter aussi que beaucoup de travailleurs migrants qui se trouvaient Libye avant la guerre ont été rapatriés dans leur pays d’origine, grâce à l’Organisation Internationale des Migrations (OMI) et à la réactivité de leurs ambassades.

Ceux qui restent bloqués dans la région sont, comme le confirment le HCR, l’OMI et les associations que nous avons interrogés, originaires des zones en guerre de la Corne de l’Afrique et du Soudan. Ils sont déjà placés, sur papier, sous protection juridique des Nations Unies, pour la plupart.

Mais la situation effective est autre : le commissariat onusien se trouve dans l’incapacité de protéger de façon effective ces populations, pour le moment…

Que se passe-t-il en réalité ? Seules l’Égypte et la Tunisie pourraient les accueillir ; or, dans ces pays, seuls les réfugiés libyens peuvent pénétrer sur le territoire de ces deux pays. Les autres “sont maintenus à la frontière, c’est-à-dire à la douane“, nous confirme Geneviève Jacques de la FIDH. Là, dans ces zones de transit, les conditions de vie sont catastrophiques : extrême précarité des abris, des soins, de la nourriture et du contexte administratif, d’après la totalité des témoignages. L’Égypte, par exemple, continuerait même de faire pression pour que les campements de fortune qui hébergent ces migrants soient évacués le plus vite possible, toujours en refusant de permettre leur réinstallation dans le pays.

Ce sont des individus “doublement réfugiés” comme l’écrit une note de la FIDH. Selon Geneviève Jacques :

Ils ne peuvent être accueillis que par les pays tiers puisque les leurs sont en guerre. Mais, regardez sur la carte de l’Afrique: aucun pays n’est un territoire de protection. Peut-être certains pays du Moyen-Orient. Et l’Europe…

Il est surtout hors de question pour ces réfugiés de retourner en Libye. Les témoignages recueillis par les associations et les journalistes sont unanimes : dans les zones rebelles, les ”Noirs“, accusés d’être de mèche avec les kadhafistes, ont été “battus, spoliés, parfois violés et tués“.

Exactions contre les immigrés en Libye

Une mission de la FIDH partie en mai dernier à la frontière égypto-libyenne (Salloum) s’apprête à publier un rapport complet dont une présentation est déjà disponible en ligne (ici). Les enquêteurs de l’organisation y confirment des violences à caractère raciste, “des témoignages concordants et unanimes des exactions“, nous confirme Jacques Geneviève, alors membre de la mission. Ils écrivent que “l’amalgame noirs=mercenaires est désormais le prétexte d’insultes, de licenciements sans paiement, de passages à tabac et d’attaques de la part de groupes armés non identifiés” en Libye contrôlée par les rebelles. Des dépositions de viols ont aussi été recueillies. ”La Cour Pénale Internationale a confirmé son intention de poursuivre [les auteurs] ces exactions, dans la foulée de l’ouverture du dossier Kadhafi“, se réjouit Jacques Geneviève, tout en précisant qu’aucune enquête n’est pour le moment diligentée officiellement à la Cour internationale de La Haye sur cet aspect précis.

L’imbroglio humanitaire et sécuritaire dont sont victimes ces réfugiés africains paraît aussi comme la conséquence des politiques de gestion des flux migratoires, mises en place ces dernières années par l’Union Européenne qui a collaboré et octroyé un rôle central à la Libye de Kadhafi.

Dans le cadre de sa politique de délocalisation des camps de rétention, Bruxelles faisait de Tripoli un partenaire privilégié jusqu’à la veille du conflit. L’UE négociait même avec le dictateur libyen, l’année dernière, un fonds de plusieurs milliards, de l’argent destiné à renforcer “la lutte contre les migrations irrégulières“. Pourtant, cela faisait des années que les ONG dénonçaient les conditions d’enfermement dans ces camps de rétention en Libye, sachant que le pays n’a jamais ratifié la Convention de Genève, un pays où de surcroit aucun système local ne garantit le droit d’asile.

D’après plusieurs sources, une partie importante des migrants, aujourd’hui coincés à la frontière libyenne, vivaient déjà des conditions difficiles dans le pays, dans les exploitations champêtres ou dans les camps où il était, dans tous les cas, difficile de faire prévaloir ses droits ou d’effectuer la procédure de demande d’asile…

Un ancien sous-officier militaire libyen exilé aujourd’hui dans le Sud de la France affirme que les humanitaires n’avaient aucun droit de les suivre “une fois dedans“, dans ces prisons pour migrants, et que parmi ces derniers, ceux qui restaient longtemps dans le pays faute de pouvoir retourner chez eux, travaillaient dans les champs. “Et Kadhafi menaçait de lâcher ces noirs sur l’Europe, sous forme de chantage, c’est vrai, il en avait beaucoup“, commente l’ancien soldat.

Exploités par ici, brandis comme objets de marchandages, accusés plus tard d’être des mercenaires par-là, filtrés à la frontière et refusés de séjour dans la région, ces réfugiés subsahariens ont aujourd’hui peu de marges de manoeuvre. ”Beaucoup rêvaient d’une occasion de se jeter à la mer“, se souvient l’ex-sous-officier.


Article initialement paru sur Youphil
Crédits Photo FlickR CC by-nc-nd Guerric / CC by B.R.Q.

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Tragique odyssée des migrants en Méditerranée http://owni.fr/2011/06/25/l-odyssee-tragique-des-migrants-en-mediterranee/ http://owni.fr/2011/06/25/l-odyssee-tragique-des-migrants-en-mediterranee/#comments Sat, 25 Jun 2011 13:19:09 +0000 Francesca Spinelli http://owni.fr/?p=71591 bateau de clandestins échoué

Tapez “fortunes de mer” sur un moteur de recherche : les premiers résultats concernent les assurances maritimes, les chants de marins et les grands naufrages du XXème siècle. Mais les fortunes de mer les plus emblématiques de notre époque sont autres.

Le blog Fortress Europe [en] recense que depuis 1988, au moins 12 500 personnes ont perdu la vie dans la mer Méditerranée et dans l’océan Atlantique en essayant d’atteindre l’Europe. Ce chiffre, calculé à partir des accidents relatés dans les médias, laisse supposer un nombre des victimes sûrement supérieur.

Quitter l’Afrique à tout prix

Fortunes de mer est aussi le titre d’un documentaire réalisé par le journaliste français Dominique Christian Mollard. Pendant 25 mois, Mollard a suivi un groupe de migrants subsahariens décidés à “ne pas mourir dans la pauvreté“, comme le déclare Solei, un jeune Malien.

Avec 38 d’entre eux, Mollard s’embarque à Nouadhibou, sur la côte mauritanienne. Destination finale, les îles Canaries. Le voyage dure normalement cinq jours. Plusieurs des migrants ne sont jamais montés sur un bateau. La plus jeune à bord, Marie-Pascaline, n’a que cinq mois. Quand elle pleure, secouée par la houle, transie par le froid, sa mère Cheila chante pour la calmer.

Ils n’atteindront jamais les îles Canaries. Au bout de trois jours, le moteur tombe en panne. Grâce à son téléphone satellitaire, Mollard appelle les garde-côtes espagnols, qui signalent leur présence aux navires présents dans la zone. Un pétrolier russe vient à leur secours.

Le soulagement se mêle d’impatience : on attend un bateau de la marine espagnole, qui devrait finalement les amener en Europe. Nouvelle déception : un bateau s’approche, mais il bat pavillon marocain. La détresse s’empare des migrants. Pour eux, ce sera le retour à la case de départ. Mollard, lui, terminera sa mission : faire parvenir ce témoignage aux Européens, indifférents au cimetière marin qui ne cesse de grandir à leurs portes.

Tourné entre 2006 et 2008, Fortunes de mer a été diffusé par la chaîne espagnole La Uno [es] en novembre 2008 en version réduite, sous le titre Destino clandestino. La version complète était à l’affiche du Festival du documentaire Millénium, qui vient de se clore à Bruxelles.

Mollard, qui a assisté à la projection, a ensuite raconté un dénouement heureux lié à son projet : suite à la diffusion de Destino clandestino, le Premier ministre espagnol José Luis Zapatero a voulu rencontrer le réalisateur et a fait en sorte que Cheila et Marie-Pascaline, puissent s’établir en Espagne. Un beau geste, sans doute, mais prudemment éloigné de tout engagement politique.

Journalistes engagés

Le documentaire de Mollard rappelle un autre reportage, du journaliste italien Fabrizio Gatti [it], qui en 2005 s’est fait passer pour un migrant tout juste débarqué en Sicile après avoir passé quatre ans en Afrique du Nord.

Lui n’a pas pris place sur une embarcation de fortune mais s’est jeté des hauteurs de l’île et, repêché sur la plage, il s’est fait passer pour Bilal, un migrant kurde – jusqu’à être enfermé pendant une semaine dans le centre d’identification et d’expulsion de Lampedusa.

Avec honnêteté, le journaliste expliquait sa démarche au début de l’article :

À moins de partir de Libye en risquant de couler avec un bateau surchargé, c’est la seule alternative.

Mollard, lui, a couru le risque, tout comme le photojournaliste Olivier Jobard, auteur du reportage Kingsley’s crossing [en], ou le journaliste Grégoire Deniau, lauréat du prix Albert Londres avec son documentaire Traversée clandestine.

Depuis quelques années, d’autres témoignages nous parviennent, réalisés par les migrants eux-mêmes. Ils n’ont pas de téléphones satellitaires pour appeler au secours, mais leurs portables suffisent pour documenter le voyage, puis l’enfermement dans les centres. L’association italienne Naga a réalisé un reportage à partir des enregistrements vidéo fournis par les migrants :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Billet initialement publié sur MyEurop

Photo Flickr CC by piervincenzocanale / CC by-nc-nd United Nations Photo

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2011, le printemps meurtrier des réfugiés http://owni.fr/2011/06/20/2011-le-printemps-meurtrier-des-refugies/ http://owni.fr/2011/06/20/2011-le-printemps-meurtrier-des-refugies/#comments Mon, 20 Jun 2011 17:30:21 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=70912 De janvier à juin, entre 1500 et 1800 migrants au moins sont morts en tentant de venir se réfugier en Europe, laissant augurer que l’année 2011 sera la plus mortelle pour les réfugiés. En 2006, 2000 morts avaient été recensés, pour toute l’année, et 1785 en 2007. Toutes les autres années, le nombre de morts répertoriés étaient inférieurs à 1500.

Ces chiffres sont issus de la veille organisée par deux ONG, Fortress Europe et United qui, depuis des années, scrutent la presse et les rapports officiels ou émanant d’ONG afin de documenter ce qu’ils qualifient de “guerre aux migrants“.

En janvier dernier, OWNI publiait un mémorial des morts aux frontières de l’Europe, carte interactive permettant de visualiser, par année, pays, et causes des décès, le coût de la fermeture des frontières aux réfugiés.

Nous n’avons pas pu le mettre à jour, mais profitons de la Journée mondiale des réfugiés, célébrée le 20 juin par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés -qui célèbre cette année son 60e anniversaire- pour revenir sur la situation des morts aux frontières, qui semble n’avoir jamais été aussi désastreuse et mortelle que cette année.

1387 noyés, plus quelques suicides

Depuis janvier, United a en effet recensé 1478 morts aux frontières, dont 1387 noyés en tentant de fuir la Tunisie ou la Libye, portant à 15 551 le nombre de morts recensés depuis 1993. Fortress Europe évoque de son côté 1802 décès, soit 17627 depuis 1988. Ces chiffres ne sont que des estimations, nombre de cadavres n’étant jamais repêchés, United estimant ainsi que le total pourrait être multiplié par trois.

En mars, un navire en partance de la Libye pour Lampedusa avec à son bord 308 personnes a été déclaré manquant. Deux autres bateaux ont ensuite coulés, dans la foulée, entraînant la mort de 251 migrants, puis 251 autres en avril, 270 en juin…

Mais tous ne meurent pas en bateau. Certains meurent une fois parvenus en Europe. Et nombreux sont ceux qui se suicident. United évoque ainsi le cas de Shambu Lama, un Népalais qui vivait en Allemagne depuis 16 ans et qui s’est jeté sous un train après avoir appris qu’il devait être “reconduit“, et qu’il allait donc devoir quitter son fils.

Kambiz Roustayi, un Iranien de 36 ans, s’est quant à lui aspergé d’essence et immolé, devant le mémorial de l’holocauste d’Amsterdam, où il attendait l’issue de sa demande d’asile depuis 2001, suite à l’annonce de son expulsion vers l’Iran, de peur d’y être torturé et condamné à mort.

Aminullah Mohamadi, 17 ans, s’est quant à lui pendu dans un parc de la Villette, en mai dernier, après avoir appris qu’il devrait être renvoyé en Afghanistan à sa majorité.

D’autres meurent du fait des complexités administratives. En mars dernier, Seydina Mouhamed, 5 ans, atteint d’une tumeur au cerveau et qui ne pouvait pas être soigné au Sénégal, mourait juste après être enfin arrivé en France, après une trop longue attente du fait des complexités administratives pour l’obtention d’un visa :

Mon fils est arrivé à Paris dans un état critique. Il souffrait d’une embolie pulmonaire. C’est par hélicoptère qu’il a été acheminé à Strasbourg où les médecins ont fait part de leurs regrets, car il a été évacué trop tardivement.


Contrairement à ce que laissent entendre plusieurs commentaires, émanant de lecteurs du site fdesouche.com, ces migrants sont bien morts parce que les frontières de la “Forteresse Europe” sont de plus en plus fermées, ce qui les incite à prendre toujours plus de risques, quitte à en mourir.

Voir, à ce titre, la “une” d’OWNI consacrée à ce sujet, et notamment l’entretien avec Claire Rodier, de Migreurop et du Gisti : La liberté de circulation s’impose comme une évidence.

Carte réalisée par Marion Boucharlat au design et James Lafa au développement. Visualisation mise à jour par Loguy, basée sur un graph de @manhack.

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#9 – Des Tunisiens dépérissent dans un gymnase parisien http://owni.fr/2011/05/11/9-tunisie-migrants-gymnase-paris/ http://owni.fr/2011/05/11/9-tunisie-migrants-gymnase-paris/#comments Wed, 11 May 2011 15:19:31 +0000 Loic H. Rechi http://owni.fr/?p=62229 En marchant vers ce gymnase parisien occupé par des Tunisiens – en majorité des hommes qui ont fui après la chute de Ben Ali –  je croise un petit groupe de jeunes Américaines émerveillées par la fontaine Wallace qui trône à l’ombre du terre plein marquant le début de la Cité des Trois Bornes, dans le 11e arrondissement. Au milieu de cette petite troupe en goguette, un autochtone d’une quarantaine d’années au crâne dégarni et au poil grisonnant – probablement leur guide – distille quelques généralités dans un français enjoué:

Vous venez ici pour voir la France, pour voir les Français. En Amérique, ce qui est français est chic.

A l’instant où ces bribes de paroles s’impriment dans mon oreille, je pressens déjà toute l’ironie qu’elles revêtiront quelques minutes plus tard, devant le gymnase du numéro 100 de la rue de la Fontaine Au Roi, à quelques encablures de Belleville.

La scène qui se joue sur toutes les rues adjacentes au centre sportif tient plus du dépit que j’avais pu sentir à Ceuta que des petites joies du touriste étranger qui découvre Paris. Parmi les dizaines de Tunisiens – très jeunes pour la plupart – qui ont trouvé momentanément refuge ici, certains déambulent nonchalamment et passent d’un petit groupe à l’autre. D’autres, assis, tiennent le pavé sur la dalle de béton devant le gymnase et tuent le temps en jouant aux cartes. Le flot des entrées et sorties dans le gymnase est régulier.

Ils arrivent de Lampedusa

Un peu partout, des planches en bois de récupération – probablement des portes de placards désossés – font office de panneaux d’annonces. Souillées au marqueur rouge et noir, ces pancartes improvisées exposent les revendications des Tunisiens de Lampedusa ou font office de droits de réponse adressés à la mairie de Paris. Des feuillets placardés, souvent en arabe, avancent quelques conseils ou mettent en évidence les numéros de téléphone de quelques avocats à contacter en cas de problème. Le sentiment qu’on éprouve en ces lieux est confus. L’ambiance tiendrait presque de la joyeuse kermesse et les sourires qui s’affichent ça et là sur certains visages n’ont rien du micro-événement. Mais ces mots tracés en rouge en noir ne trompent pas et traduisent avec force la situation de détresse profonde qui sous-tend cette scène improbable qui se joue en plein centre de Paris.

La plupart des soixante-dix Tunisiens qui dorment sur place, ont investi le lieu samedi 7 mai, en fin d’après-midi. Mercredi dernier, nombre d’entre eux avaient goûté de près aux tonfas et aux menottes de la police, dégagés manu militari de l’immeuble qu’ils occupaient avenue Simon Bolivar dans le XIXe arrondissement. Beaucoup sont arrivés par bateau sur l’ile italienne de Lampedusa, après avoir quitté leur patrie il y a environ deux mois. Grâce aux visas humanitaires temporaires délivrés en masse par les autorités italiennes, ceux-ci se sont vus conférer le droit de se déplacer librement dans l’espace Schengen, au plus grand dam de Claude Guéant et de son patron.

Les premiers types avec qui j’ai discuté, m’ont confié être à Paris depuis cinquante-cinq jours environ, après quinze jours à Lampudesa et une épopée ferroviaire qui les a menés à Naples, Rome, Milan, Nice et finalement Paris. Mais la conversation tourne souvent court. Certains ne maitrisent pas très bien le français. D’autres n’ont tout simplement pas spécialement envie de bavarder avec les journaleux. Probablement afin d’éviter l’escalade médiatique, il n’est d’ailleurs pas question de laisser entrer dans le gymnase le journaliste de passage, le message placardé sur la porte battante étant clair à ce sujet. Mais qu’importe, avec le soleil qui tabasse, c’est évidemment dehors que les choses se passent. Ou ne se passent pas d’ailleurs, tant le temps semble figé.

Les crasses subtilités de l’Europe de Schengen

Finalement, c’est en partageant une cigarette que je fais la connaissance de Slah, un Tunisien de vingt-trois ans. A la différence de la majorité des occupants, ce garçon au crâne rasé n’est pas passé par Lampedusa pour rejoindre la France. Étudiant en kinésithérapie à Bucarest jusqu’en décembre, il a subi le contre-coup de la révolution tunisienne en vivant à l’étranger. En décembre son père lui passe un coup de fil désagréable qui va le mener jusqu’à Paris:

Mon père était très lié avec l’ancien gouvernement de Ben Ali dans la ville de Redeyef. Quand la révolution a commencé, il m’a appelé et m’a dit que ça allait devenir compliqué pour lui. Il m’a dit qu’il ne pourrait plus m’envoyer d’argent et que j’allais devoir me débrouiller tout seul et réfléchir à ce que j’allais faire. J’ai donc décidé de venir en France.

Le 31 décembre 2010, pendant que Michèle Alliot-Marie profite des dernières heures de ses vacances tunisiennes, Slah débarque à Beauvais et entame un périple qui le mènera à Marseille, Lille, Nantes puis Paris avec un unique leitmotiv, trouver une école de kiné qui l’acceptera pour terminer ses études. Le choix d’un pays francophone, supposément ami de la Tunisie, lui paraît naturel. Il découvre pourtant les crasses subtilités de l’Europe de Schengen. De cabinets d’avocats en préfectures de police, il apprend que son visa Schengen de type C délivré en Roumanie ne lui permet pas d’étudier en France, tout juste de séjourner 90 jours sur le territoire français. Alors qu’il n’est pas même clandestin, ce gaillard vêtu d’un tee-shirt bleu, d’un jean et d’une paire de tennis en toile, subit le racisme et la pression de la police. Une arrestation sans raison finit par le convaincre de venir à Paris:

Un jour, je me suis fait arrêter à Nantes dans la rue, comme ça, et on m’a placé en garde à vue alors que j’étais en situation régulière. Du coup, j’ai fini par venir à Paris, il y a trois mois. Paris, c’est plus grand que la province, on a moins de chances de se faire arrêter par la police et il y a beaucoup d’associations d’aide tunisiennes. Mais ça ne l’évite pas pour autant. Un jour, je dormais dans un parking vers Poissonnière et la police m’a arrêté. La femme policière m’a très mal parlé, elle m’insultait et me disait “ferme ta bouche” tout le temps. J’ai fini attaché à une chaise avec des menottes pendant des heures et on a pris mes empreintes alors que j’étais en situation régulière, je le répète.

Devant la gentillesse du lascar, les anecdotes qu’il empile font franchement mal au cœur. A Paris, Slah dort souvent dehors, finit par s’installer dans l’immeuble de la rue Bolivar puis subit l’expulsion de la semaine passée. A la différence de beaucoup venus pour trouver du travail, ce jeune tunisien ambitionne simplement de finir ses études en France, ce qui se révèle impossible sans un visa Schengen de type D – réservé aux étudiants – qu’il ne pourrait obtenir qu’en se le faisant délivrer en Tunisie. Et c’est là que l’histoire déraille pour lui. Les liens de son père avec l’ancien régime l’empêchent de retourner au bled, de peur de se faire tuer, de ses propres mots. Sans nouvelle de ses parents qui ne répondent plus au téléphone ni sur internet depuis janvier, les informations que ses amis – restés au pays – lui donnent, le dissuadent de rentrer:

Je parle avec mes amis sur internet. Ils me racontent ce qui se passe. Chaque jour, il y a des morts en Tunisie. Dans mon quartier, on ne peut même plus sortir entre 17h et 9h du matin. Au final, que je sois ici ou là-bas, je vais mourir. On a même pensé à faire une grève de la faim avec d’autres Tunisiens tellement on est désespéré. Ce n’est pas ma faute d’être Tunisien. Ce n’est pas ma faute si mon père a le passé qu’il a. Il ne me manque qu’une année d’étude et je pourrais travailler. J’ai même pensé à partir en Suède mais je n’ai pas d’argent.

Sentiment d’impuissance

En attendant, Slah s’excuse de taxer des cigarettes. Comme tous ses compagnons d’infortune, il survit tant bien que mal grâce à l’aide des nombreuses associations tunisiennes de France mais aussi celle des riverains de la rue de la Fontaine au Roi qui font preuve d’une solidarité exemplaire, ce qu’il ne manque pas de souligner. Les uns apportent des vivres, du café ou des cigarettes. Les autres leur ouvrent les portes de leur appartement pour qu’ils puissent se doucher. Certains, en guise de solidarité, vont même jusqu’à dormir avec eux dans le gymnase. Pour autant, ces gestes individuels d’une classe épatante ne sont pas sans poser des questions d’ordre plus générale sur le rôle de la machine étatique dans la situation pitoyable que ces réfugiés tunisiens se coltinent au quotidien.

Quand le garçon m’avoue qu’il est profondément choqué de vivre le même enfer en France qu’en Tunisie, et me demande où sont la liberté, l’égalité et la fraternité dans cette histoire, je suis bien en peine de lui apporter une autre réponse qu’un regard fuyant, empreint de tristesse. Pour la première fois depuis longtemps, je ressens un sentiment d’impuissance en tant que journaliste et en tant qu’être humain, le même qui ne m’avait pas lâché durant mon séjour à Ceuta l’année dernière. Il n’y a rien qui foute plus la honte d’être Européen que ces histoires de migrants empêtrés dans les filets administratifs de l’espace Schengen.

La position de journaliste a cela de commode qu’elle impose – face à ce type de témoignage – d’avoir une dose de recul, mélange de protection et de lâcheté. Mais si Ceuta est espagnole, Paris est bien française. Et cette affaire de gymnase n’est plus une question de réalité vaguement européenne mais bien une affaire de politique intérieure. Après les kilomètres de bourdes au moment de la révolution et les saillies grandiloquentes sur la prétendue amitié franco-tunisienne, il serait peut-être temps, au moins une fois, que ce gouvernement allie les actes à la parole et agisse autrement qu’en foutant des coups de savates sur tout ce qui ressemble à un migrant. En attendant, pour ces Tunisiens de la rue de la Fontaine au Roi, ce qui est français n’a rien de chic.


Crédits photo: Flickr CC alainalele

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Portrait des migrants tunisiens http://owni.fr/2011/05/11/portrait-des-migrants-tunisiens/ http://owni.fr/2011/05/11/portrait-des-migrants-tunisiens/#comments Wed, 11 May 2011 13:38:44 +0000 Marie Barbier http://owni.fr/?p=62191 Qui sont ces migrants tunisiens récemment arrivés en France ? Ni persécutés, ni miséreux, pourquoi quittent-ils leur pays ? Clandestins clochardisés ici, ils font figure d’aventuriers au Maghreb où on les appelle les harragas, ceux qui brûlent les frontières. Virginie Lydie les a rencontrés en Tunisie. Elle publie un ouvrage très documenté sur ces grands incompris de l’immigration.

Qui sont ces harragas ?

Des Maghrébins qui ont envie de faire quelque chose de leur vie. Des garçons, entre 15 et 30 ans. Ils ne peuvent pas avoir de visas, donc ils partent avec les moyens du bord, en bateau. Littéralement,  « harragas » signifie « ceux qui brûlent » : les frontières, leurs papiers, leur identité et, parfois, leur vie lors d’un naufrage ou de longues années de clandestinité. Ces jeunes ne sont pas dans une logique suicidaire, mais ils sont tout de même prêts à mourir pour quitter la vie qu’ils mènent.

Partir ou mourir : comment arrive-t-on à de telles extrémités ?

Il y a d’abord la responsabilité de réussite sociale qui pèse sur leurs épaules. Là-bas, les parents retraités ont besoin de leurs enfants pour vivre. Or, le taux de chômage est énorme. Et si ces jeunes arrivent à trouver du travail, ils ne seront payés qu’une centaine d’euros pour 46 heures par semaine, soit tout juste de quoi survivre. Il y a aussi l’image de réussite véhiculée par l’Occident et par les migrants qui reviennent. Enfin, ces jeunes ont un très fort désir d’émancipation.

Ce n’est pas rien d’annoncer à sa famille : « Soit je pars, soit je meurs ». Cette décision, au fond très violente, explique aussi leur comportement en Europe. Ces migrants sont écartelés entre une vie très dure de clandestin régie par la loi de la jungle et le retour au pays forcément difficile car synonyme d’échec. Sans compter que s’ils partent, ils savent qu’ils ne pourront pas revenir compte tenu de la fermeture des frontières. Comprendre ces « brûleurs de frontières » qui n’ont pas de raisons évidentes de partir, c’est comprendre l’immigration.

Comment sont-ils perçus au Maghreb ?

Ils ont une image héroïque, celle du mythe d’Icare, de l’aventurier. Mais une amie géographe, qui enseigne dans la banlieue de Tunis, me racontait également qu’auprès des étudiants, leur image correspond au cliché sur nos banlieusards : issus de milieu défavorisés, pas très instruits et plutôt glandeurs…

La récente révolution tunisienne n’a rien changé à leur détermination ?

Ils sont très fiers de leur révolution mais ce n’est pas pour ça qu’ils ne veulent plus réussir leur vie ! La révolution ne va pas, du jour au lendemain, donner du travail à tout le monde. Beaucoup veulent venir en France parce qu’ils ont des repères ici. Le français est une des langues officielles de la Tunisie, même si tous ne la parlent pas. Il existe aussi une forme de revendication, ils disent : « La France nous a pas demandé notre avis pour nous coloniser ! »


Ils sont très mal perçus en Europe. Pourquoi ?

Chez nous, ils ne sont pas du tout considérés comme des aventuriers alors qu’ils sont, au fond, assez proches des gens qu’on admire et qui brûlaient les frontières, des Rimbaud ou des Henry de Monfreid qui étouffaient dans leur milieu. Ce dernier disait : « Je ne serai jamais l’épicier de Montrouge ». En Europe, les migrants d’aujourd’hui sont très stigmatisés. On les filme à leur arrivée en bateau pour faire des images choc. Pourtant, 90 % des migrants en situation irrégulière en France arrivent dans un avion avec des visas, mais c’est plus spectaculaire de montrer des gens qui arrivent dans des bateaux surchargés… On est presque dans la peopolisation. Ensuite, un autre mot prend le relais : clandestin. Celui qui se cache et fait peur.

En France ils sont découragés par ce qu’ils découvrent. Comment éviter ces traversées de harragas ?

Comment lutter contre un rêve ? Ils savent ce qui les attend mais pensent qu’ils ne feront pas comme les autres, que, eux, réussiront. Ils s’attendent aux naufrages, aux arrestations, mais pas aux conséquences intimes : le mépris, l’humiliation. Mais, même si vous leur dites ce qui les attend, ça ne les empêchera pas de partir. 70 % des personnes déjà expulsées n’ont qu’une envie : repartir. Tant qu’il y aura de tels écarts entre le Nord et le Sud, la fermeture des frontières est un non-sens. Je ne vois pas comment on peut empêcher à long terme des mouvements naturels de déplacements. Ces hommes ont risqué la mort et atteint leur rêve. Ils vont rester et tout faire pour réussir.


Article initialement publié sur le blog Laissez-Passer, sous le titre : “Les brûleurs de frontières, grands incompris de l’immigration”.

Crédits Photo FlickR : by-nc-sa Michele Massetani ; by DFID

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Tout sur l’espace Schengen http://owni.fr/2011/05/01/tout-sur-lespace-schengen/ http://owni.fr/2011/05/01/tout-sur-lespace-schengen/#comments Sun, 01 May 2011 08:00:03 +0000 Thomas Ferenczi http://owni.fr/?p=60097 La Commission européenne a jugé que la France n’avait pas manqué aux règles qui régissent ses relations avec ses voisins européens en bloquant pendant six heures, dimanche 17 avril, à la frontière franco-italienne, un train qui transportait des immigrés tunisiens, accompagnés de manifestants. La commissaire Cecilia Malmström a accepté l’argument du ministre français de l’intérieur, Claude Guéant, selon lequel il s’agissait d’une interruption « très temporaire », dictée par un souci d’ordre public. La Commission européenne n’a pas non plus remis en cause le droit reconnu à la France de refouler, le cas échéant, une partie de ces candidats à l’entrée sur son territoire, alors même qu’ils bénéficient d’un permis de séjour délivré par les autorités italiennes et, à ce titre, en application des accords de Schengen, sont théoriquement autorisés à circuler librement dans l’ensemble de l’Union européenne.

Les accords de Schengen, signés en 1985 par la France, l’Allemagne et les pays du Benelux, ont été étendus ensuite à la plupart des pays européens : ils sont appliqués par 22 États-membres de l’UE sur 27 (les exceptions sont la Grande-Bretagne, l’Irlande, Chypre, la Bulgarie, la Roumanie) et par trois pays extérieurs (l’Islande, la Norvège et la Suisse). Ces accords ont supprimé les contrôles aux frontières intérieures de l’UE. Autrement dit, en principe, tout ressortissant étranger admis régulièrement dans un des pays de l’Union peut se rendre en toute liberté dans un autre. Selon cette disposition, les Tunisiens qui bénéficient d’un titre de séjour en Italie devraient pouvoir entrer en France sans difficultés.

Restrictions

Il existe toutefois deux réserves à cette liberté. D’une part, si les contrôles systématiques aux frontières ont été supprimés par les accords de Schengen, des contrôles volants sont toujours possibles dans la zone frontalière. D’autre part, selon ces mêmes accords, il ne suffit pas aux étrangers non communautaires d’être munis d’un visa ou d’un titre de séjour en règle, il leur faut aussi, pour circuler dans l’Union, être en possession d’un passeport, justifier de ressources suffisantes pour assurer leur subsistance et disposer d’une assurance pour couvrir des frais éventuellement de soins d’urgence ou de rapatriement sanitaire (article 5 de la convention d’application). À cela s’ajoute l’obligation faite aux ressortissants des pays tiers admis dans un État de l’UE et désireux d’entrer dans un autre de se déclarer aux autorités compétentes de cet autre État.

Les accords de Schengen prévoient encore deux dispositions qui n’ont pas été invoquées à l’occasion du contentieux franco-italien mais qui pourraient l’être. L’une prévoit le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures « lorsque l’ordre public ou la sécurité l’exigent » (article 2). L’autre stipule qu’un pays peut accueillir « pour des motifs humanitaires ou d’intérêt national ou en raison d’obligations internationales » des immigrés qui ne répondent pas aux conditions requises mais que dans ce cas l’admission est limitée au pays d’accueil (articles 5 et 16).

La liberté de circulation instituée par les accords de Schengen a pour contrepartie le renforcement de la coopération policière entre les États-membres. Celle-ci a été organisée par une série d’accords bilatéraux entre la France et ses voisins. L’accord franco-italien de 1997 a mis en place deux centres de coopération policière et douanière, l’un à Vintimille, l’autre à Modane, qui ont notamment pour mission de lutter contre l’immigration clandestine, de surveiller la zone frontalière, de prévenir les menaces à l’ordre et à la sécurité publique. Au cours du sommet franco-italien du mardi 26 avril, Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi se sont entendus pour demander un renforcement des règles de Schengen.

Billet initialement publié sur Boulevard Extérieur sous le titre : “Schengen mode d’emploi”


Crédits Photo FlickR by UggBoy♥UggGirl // Wikimedia Commons CC

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Enfermés dans un “centre ouvert” à Malte http://owni.fr/2011/04/06/enfermes-dans-un-centre-ouvert-a-malte/ http://owni.fr/2011/04/06/enfermes-dans-un-centre-ouvert-a-malte/#comments Wed, 06 Apr 2011 11:45:53 +0000 Beatrice Jeschek http://owni.fr/?p=55352 Article inédit publié initialement sur Owni.eu, sous le titre “Trapped in the Open Centre”

Le long du port industriel de Marsa, le centre des réfugiés est un point gris sous le brillant soleil de mars qui génère des odeurs subliminales remontant de la rivière toute proche. Un groupe d’hommes africains est assis autour de bancs improvisés près de la porte d’entrée. Ils ne dissimulent pas leurs regards furieux quand des reporters passent à côté d’eux pour entrer sur leur terrain, une ancienne école reconstruite pour héberger les migrants venus d’Afrique.

Les visiteurs européens sont rares, même si ces dernières semaine, une vague de journalistes internationaux a conquis cette petite île nation de la méditerranée, en raison de ses liens avec la Libye de Kadhafi. CNN, la BBC et toute la communauté internationale était en train de regarder comment des milliers d’américains, de britanniques et de chinois étaient temporairement évacués de Tripoli et Benghazi vers Malte.

C’est aussi là que les réfugiés africains viennent d’abord pour échapper aux dangers de leurs pays d’origine, principalement la Somalie, mais aussi l’Érythrée, le Soudan et le Nigeria. Leur séjour, cependant, devient dans la plupart des cas permanent.

Ahmed Bugri, Directeur de la Fondation pour l’hébergement et le soutien aux migrants (FSM) nous dit:

Vous devez comprendre que nous sommes responsables des arrivées en urgence du plus grand nombre de réfugiés de ces dernières années.

C’est un centre pour “hommes seulement”, explique-t-il, avec une moyenne d’âge de 24 ans “ils sont donc jeunes et actifs”. En raison de la dangerosité de la traversée de la mer, il y a peu de femmes et d’enfants à Malte. Ils sont placés dans l’autre centre pour réfugiés, Hal Far, séparés des hommes.

Les camps de réfugiés à Malte sont issus d’un projet commun d’organisations et du gouvernement, qui décide au final. L’ONG de Bugri gère un de ces “centres de rétention ouverts” [NDLR : "open center"] à Marsa sous la supervision du Ministère maltais des affaires étrangères qui finance le projet. Son grand sourire est accueillant et semble dire aux journalistes : “Vous êtes les bienvenus, nous n’avons rien à cacher”. Il doit tout de même contacter le “big boss” avant de laisser la presse faire un tour sur les lieux.

Je ne peux pas vous faire d’autre faveur. J’ai fait le maximum. Cela ne me pose pas de problèmes, faites les interviews avec qui vous voulez, soyez témoins des conditions, du moment que l’attaché de presse du Ministère concerné donne son feu vert.

Tout le monde (Bugri et les autorités maltaises compris) sait qu’ils ne sont pas dans la position du chevalier blanc qui part à la rescousse des pauvres africains, loin de là. L’argent est un problème, autant que le racisme, hors de ces murs. Bugri nous donne deux raisons derrière l’échec des africains à trouver un job, et à avoir une vie décente à Malte :

Premièrement, Malte  a un marché de l’emploi très saisonnier, donc ces hommes peuvent difficilement y décrocher des jobs en hiver.  Cela signifie aussi qu’ils sont forcés de rester ici parce qu’ils ne peuvent plus payer le loyer. Donc, si on veut que ces gens restent en sécurité, [il fait une pause sur ce mot], il faut qu’ils restent au centre. Deuxièmement, la rapatriement est une tâche très difficile à mettre en œuvre et la relocalisation en elle-même participe d’un processus très lent.

Après que le Big Boss a donné son feu vert, Bugri nous fait faire un tour du propriétaire. Dans une pièce plongée dans la pénombre, des groupes d’hommes jouent aux cartes, au billard ou s’assoient sur un canapé des années 70, hypnotisés par la télé. Bugri appelle ce lieu de retrouvailles le restaurant soudanais.

“C’est notre vie”, dit le résident du centre ouvert Mohammed Hassan alors qu’il nous montre sa chambre. Il s’agit plus d’un matelas et d’un casier parmi 35 autre lits-superposés et trois cabinets de toilettes dégueulasses dans lesquels des excréments surnagent encore en surface. Le somalien de 28 ans a laissé un message à sa copine restée à Mogadiscio, écrit à l’encre noir sur son casier : “Je t’aime, tu me manques”.

“Si la situation s’améliorait demain et qu’ils avaient le choix et l’argent, ils retourneraient chez eux immédiatement”, nous dit son ami Eude Mohammed, 29 ans, qui vient lui aussi de Somalie. Ils sont tous les deux arrivés à Malte en 2006 après un périple extrême à travers l’Éthiopie, le Soudan, et jusqu’aux côtes Libyennes avant “d’attendre un an et payer une certaine somme” pour passer trois jours sur un bateau avec 27 autres réfugiés. Depuis, ils ont passé un an dans la prison de Malte et ont été libérés pour être placés dans le centre ouvert.

“Les blancs dedans, les noirs dehors” : c’est comme cela qu’ils perçoivent le principe de l’immigration. Cependant, ils ajoutent : “Nous comprenons bien qu’il n’y a pas d’espace pour tant d’Africains. Malte est une petite île”. Quand on leur demande de nous dire quels étaient leurs rêves avant de venir en Europe, leurs rires sont amères. “Nous sommes venus ici pour changer nos vies. Nous pensions que l’Europe serait mieux que l’Afrique, mais nous n’avons en fait pas amélioré nos vies par rapport à notre situation en Somalie.”

Liban Mohammad Ahmad exprime la même déception vis à vis de l’Europe. Le somalien de 27 ans a hâte de parler, dans le bus 114 qui nous amène de Valette, via Marsa, jusqu’au deuxième centre ouvert à Hal Far, surnommé le “village de tentes”.
“Cette nuit où la police m’a attrapée ici à Malte,  je ne l’oublierai jamais”, dit Ahmad tandis que ces amis, dans le bus bondé, l’écoutent. C’est un de ces vieux bus maltais, de couleur jaune-orangée, dans lequel le signe “Love is God is Love” pend à côté de figures de la madonne.  Il essaie de parler assez fort, au dessus du vrombissement du moteur :

Nous étions sur le rivage et nous cherchions un endroit pour dormir. Des gens nous ont vu et ont appelé la police. Nous leur avons demandé où nous étions. Ils nous ont répondu “Malte”. Nous avons demandé, “Est-ce que ça fait partie de l’Europe ?” Ils ont dit “Oui”, et nous avons alors pu souffler, prêts à nous reposer enfin. Ils ont promis de nous aider, mais cette aide s’est révélée être la prison.

Selon la loi maltaise, la détention est automatique et obligatoire pour tous les migrants en situation irrégulière, demandeurs d’asile inclus. Donc, avant d’être libérés dans un “centre ouvert” comme celui de Marsa ou Hal Far, les réfugiés doivent être gardés derrières les barreaux pour un maximum d’un an.

“Le temps que nous avons passé ici à Malte a consisté jusqu’à maintenant à vivre en prison et à avoir une vie dure”, résume Ahmad:

Croyez-moi, personne ne peut vivre ainsi. Personne à la maison ne s’imaginait que la vie en Europe ressemblerait à ça.  L’eau n’est pas bonne à boire, la nourriture se mange mal, il n’y fait pas bon vivre,  l’éducation est absente – pour nous en tout cas. Nous en souffrons tous maintenant.

L’échappée d’Ahmad vers l’Europe ressemble à celles racontées par les résidents du “centre ouvert” de Marsa :

La situation à la maison était très mauvaise quand j’ai quitté Mogadiscio en 2007. Je traversais Djibouti, l’Érythrée, le Soudan et la Libye quand j’ai pris un petit bateau pour Malte. J’ai du d’abord traverser le désert. Il faisait très chaud à ce moment là. Une centaine de gens étaient étendue sur le sable, attendant la mort. Il n’y avait pas d’eau, pas de nourriture. Certain d’entre nous ont aussi été battus par des soldats.

D’abord traverser plusieurs pays, ensuite prendre un bateau, et enfin être jeté en prison à Malte pour ensuite être libéré dans un “centre ouvert” – c’est le processus habituel. L’étape finale qui permettrait de faire sa vie en Europe se fait toujours attendre  pour la plupart d’entre eux.

J’ai quatre enfants et une femme qui crèvent de faim en Somalie, mais je ne peux pas les aider parce que je suis incapable de subvenir à mes propres besoins ici. Je les ai laissé dans une zone grise, je leur ai promis de l’aide depuis l’Europe. Tout le monde à la maison parlait de la Scandinavie. Mon rêve était d’aller en Norvège.

Cependant, “Tu ne peux pas sortir du camp”, explique Ahmed. “Une fois que tu arrives dans un autre pays européen, et que tu leur dit que tu viens de Malte où il est très difficile de se faire une vie décente, les autorités vous disent que vous êtes sous responsabilité maltaise et ils vous renvoient là bas.” C’est exactement ce qui est arrivé à Ahmed. Il a traversé toutes les frontières jusqu’en Hollande, il y est resté un an et demi avant de monter plus au nord, en Norvège. A Oslo, la police l’a attrapé, pour le renvoyer à Malte, cela fait maintenant trois semaines.

Cette histoire illustre très bien le règlement de Dublin, une loi européenne qui stipule que les immigrants illégaux, lorsqu’ils se font pincer par les autorités en chemin vers le continent, doivent toujours être renvoyés vers le premier pays par lequel ils sont entrés en Europe.

Nous ne nous sentons pas encore les bienvenus dans l’Union européenne, conclut Ahmed au nom de ses amis qui ne parlent pas assez bien l’anglais pour s’exprimer eux-mêmes. Pour le moment, nous n’avons goûté qu’à la prison et au dur labeur pour si peu d’argent qu’il est impossible d’en vivre.


Le directeur du centre, Bugri, connait ces problématiques. Il a entendu toutes ces histoires et n’a toujours pas le pouvoir de faire bouger beaucoup les choses. En plus des lois qui lient ces réfugiés à un marché du travail maltais hautement qualifié, les “centres ouverts” sont  surchargés et marqués par le manque d’hygiène et de soins appropriés. Cela n’est un secret pour personne et c’est même bien documenté.

Cependant les autorités, maltaises ou européennes,  n’ont pas amélioré de manière significative les conditions de vie. Quand on leur demande si des préparations sont envisagées pour un accueil éventuel de réfugiés en provenance de Libye, Burgi nous dit qu’il est prévu de couper les mosquées en deux afin de prévoir des espace avec d’étroits lits superposés. Il ajoute :

Il est préoccupant de savoir que nous avons déjà atteint le maximum de notre capacité, 600 personnes. Accueillir plus de gens sera un vrai problème. Mais s’ils viennent, on ne pourra pas les arrêter.


Publié initialement sur Owni.eu sous le titre “Trapped in the Open Centre”
Traduction : Ophelia Noor
Crédits photo via Flickr :  Olmovich [cc-by]


Retrouvez notre dossier “Morts aux frontières” et son application interactive

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http://owni.fr/2011/04/06/enfermes-dans-un-centre-ouvert-a-malte/feed/ 4
[APP] Mémorial des morts aux frontières de l’Europe http://owni.fr/2011/02/18/app-la-carte-des-morts-aux-frontieres-de-leurope/ http://owni.fr/2011/02/18/app-la-carte-des-morts-aux-frontieres-de-leurope/#comments Fri, 18 Feb 2011 13:08:28 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=47365

Plus de 5 000 réfugiés ont débarqué à Lampedusa, île italienne située entre Malte et la Tunisie, depuis le début de l’année. La situation est d’autant plus critique, souligne l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), que l’île, forte de 5 000 habitants, ne peut a priori accueillir que 800 réfugiés.

Dans un communiqué, United for Intercultural Action, une ONG de défense des droits des migrants et des réfugiés, rappelle de son côté que depuis 1993, 857 réfugiés au moins sont morts en tentant de rejoindre Lampedusa. Depuis le début de l’année, United a d’ores et déjà recensé 6 morts, et 31 disparus, un bilan qui risque fort de s’aggraver, si l’on en croit ce qui s’est passé le 11 février dernier :

Des garde-côtes tunisiens ont été vus en train d’éperonner délibérément un bateau ironiquement nommé “Liberté 302″ et transportant 120 passagers jusqu’à le scinder en deux; les corps de 5 migrants ont à ce jour été récupérés, mais il en manque encore des dizaines.

United, qui compile depuis 1992 articles de presse et signalements effectués par des ONG, journalistes, universitaires, sources gouvernementales, etc., a dénombré plus de 14 000 “morts aux frontières de l’Europe” depuis 1988.

La majeure partie, plus de 11 000, sont morts avant même d’entrer sur le territoire européen, dont 4 696 en Afrique. Près de 10 000 sont morts noyés, dans la Méditerranée, lors du naufrage de leurs bateaux, mis à l’eau par leurs passeurs, en pleine mer ou à l’approche de la côte, ou fuyant les policiers qui cherchaient à les interpeller.

  • 864 sont morts de soif ou de faim, la majorité, perdue dans le désert, ou dans une embarcation à la dérive,
  • près de 300 sont morts étouffés dans un camion,
  • 254 ont été assassinés,
  • plus de 250 écrasés en traversant une route ou en tombant d’un camion,
  • 215 sont morts de froid,
  • 138 des 335 suicidés ont opté pour la pendaison, 4 sont morts en grève de la faim et 33 par immolation.

No Border, de son côté, en répertorie 3899, mais Fortress Europe, dont la base de données remonte à 1988, 14 921, dont 10 952 en mer, et 1 691 dans le désert du Sahara…

Cette disparité de chiffres montre bien qu’il est impossible de recenser réellement la totalité des migrants morts pour avoir voulu trouver refuge en Europe. United estime d’ailleurs que le chiffre réel pourrait être trois fois plus important.

14 000 en Europe, plus 4 500 aux Comores

Pour s’en convaincre, il suffit de voir qu’United ne recense ainsi que quelques dizaines de morts à Mayotte, là où Fortress Europe en répertorie de son côté 629, noyés pour la plupart en voulant passer des Comores à la collectivité d’outre-mer française, et alors même qu’un rapport sénatorial datant de 2001 “estime à 4.000 le nombre de morts dus à des naufrages de Kwasa-kwasa, ces barques souvent surchargées servant à transporter des clandestins…” le site Stop Kwassa avançant, de son côté, le chiffre de 4500 morts noyés.

D’après un rapport [pdf] de la Cour des comptes, la situation se serait depuis quelque peu améliorée : “quatre naufrages par an en moyenne depuis 2007 sont à déplorer. Les disparitions et décès en mer sont élevés quoique en diminution (64 en 2007, 47 en 2008, 35 en 2009)“. Mais le rapport note cependant que “cette forte pression migratoire risque de s’accroître encore sous l’effet de la départementalisation“.

De plus, nombreux sont les morts qui ne sont pas répertoriés, parce que leurs corps n’ont pas été retrouvés, ou que leur mort a été cachée, comme ce fut le cas lors d’une terrible tempête dans la nuit de Noël 1997, où 283 personnes périrent noyées au large de la Sicile après que leur rafiot fut éperonné par un bateau-poubelle lui aussi rempli de candidats à l’exil. La tragédie ne fut révélée qu’en 2001, lorsqu’un pêcheur brisa l’omerta. Canal+ vient d’ailleurs d’y consacrer un reportage, Méditerranée : Enquête sur un naufrage fantôme.

Pour mieux prendre la mesure de cette tragédie, OWNI a contacté l’ONG United, qui a bien voulu lui transmettre une copie de sa base de données, où elle recense tous ces morts aux frontières, classés par dates, pays, et causes des décès, afin d’en dresser une carte interactive qui vous permettra, en cliquant sur les noms des pays, ou les causes des décès, de suivre leur évolution au fil du temps, mais également de consulter chacun des faits et histoires répertoriés par United.

Cartographie : Olivier Clochard (Migreurop)

Paradoxalement, les “morts aux frontières de l’Europe” meurent essentiellement en Méditerranée, et en Afrique, ce que montrent bien les nombreuses cartographies déjà produites par le Monde Diplomatique; la première en 2004, la seconde en 2010 (voir aussi ce résumé de l’évolution de la situation, et le formidable travail graphique d’Elise Gay à ce sujet).

Cartographie : Philippe Rekacewicz (Le monde diplomatique)

Certains se souviennent peut-être de ces 58 Chinois découverts morts étouffés dans un camion à Douvres, en juin 2000. La lecture de la base de données montre à quel point leur cas est loin d’être isolé. Et parce qu’il ne peut être question que de chiffres, de statistiques, de courbes et de graphiques, voici, compilées, quelques-unes de ces histoires de réfugiés “morts aux frontières de l’Europe“, témoignant de la brutalité et des ravages causés par ce que plusieurs ONG d’aide et de défense des migrants n’hésitent pas à qualifier de “guerre aux migrants“.

On l’a vu, la majeure partie des migrants meurent noyés. L’une des pires tragédies se déroula le 29 mars 2009, lorsque trois embarcations de fortune, en partance pour l’Italie, coulèrent au large de la Libye. D’après l’Organisation internationale pour les migrations, plus de 300 hommes, femmes et enfants auraient péri dans le naufrage, mais le chiffre serait en fait bien plus important, à en croire le témoignage d’un survivant, qui expliqua aux autorités libyennes que le bateau dans lequel il était monté, censé accueillir 75 personnes, en avaient embarqué 365.

235 migrants tués par les policiers

Les noyades ne sont pas toutes forcément dues aux mauvaises conditions climatiques, ou au surpeuplement des embarcations. Ainsi, en mars 1997, 87 Albanais se noient après que leur embarcation soit entrée en collision avec un bateau militaire italien. En mai 2000, 32 réfugiés meurent dans le naufrage de leur embarcation près de Tanger : les autorités ne font rien pour les secourir. En 2008, 36 Africains -dont 4 bébés- meurent noyés après que les garde-côtes marocains aient crevé d’un coup de couteau leur canot pneumatique…

En août 2002, 16 Africains meurent noyés après que leur bateau ait chaviré lors d’une manœuvre destinée à échapper au contrôle du Système Intégré de Surveillance Extérieure (S.I.V.E.), monstre des mers et “dispositif très complexe de surveillance des frontières intégrant bandes vidéo, liaison satellitaire, radars, caméras thermiques et infrarouges, appuyé par des unités d’intervention par hélicoptères et maritimes“.

Nombreux sont également ceux qui meurent de froid, de soif ou de faim. En octobre 2003, on retrouve 5 cadavres, morts de froid, dans un camion frigorifique incendié, puis 12 Somaliens, morts de froid et de faim, dans un bateau parti de Libye vers Lampedusa, après avoir passé 20 jours sans manger. Le capitaine est par ailleurs accusé d’avoir jeté 50 autres cadavres par-dessus bord.

En août 2008, 56 subsahariens meurent de soif dans le Sahara après y être restés bloqués 10 jours sans eau suite, à une panne d’essence. En janvier 2010, L’Espresso avait ainsi publié cette vidéo où l’on voit, à la fin, deux Africains déshydratés, mais en vie, et la triste cohorte de tous ceux qui, par contre, n’ont pas survécu à leur traversé du Sahara [attention : images explicites].

Plusieurs centaines de réfugiés ont par ailleurs été les victimes directes des dispositifs mis en place pour leur interdire l’entrée sur le territoire européen, à l’instar de ces 11 réfugiés morts brûlés dans l’incendie d’un centre de rétention à l’aéroport Schiphol, aux Pays-Bas :

  • 73 personnes sont mortes dans des champs de mines,
  • 63 ont été tuées, ou sont portées disparues, après leur déportation,
  • 110 sont mortes dans des centres de rétention,
  • 48 en garde à vue, et 57 en prison… alors même qu’elles étaient pourtant censées être, sinon sous la protection, tout du moins sous la responsabilité des autorités.

Fortress Europe estime que 235 migrants sont morts tués par des policiers aux frontières, “dont 37 aux enclaves espagnoles au Maroc, Ceuta et Melilla, 50 en Gambie, 75 en Égypte et 33 en Turquie, le long de la frontière avec l’Iran et l’Iraq. Ainsi, en septembre 2003, Vullnet Bytyci, un Albanais de 18 ans, est tué par un garde-frontière grec, ce qui lui valu d’être condamné à une peine de deux ans et trois mois d’emprisonnement avec sursis. Amnesty International avait dans la foulée dénoncé 6 autres affaires révélant les “mauvais traitements” auxquels furent soumis plusieurs autres réfugiés, battus, roués de coups et dépouillés, par des garde-frontières cette semaine-là.

Le 8 octobre 2009, entre 6 et 38 Somaliens sont tués par les policiers libyens en tentant de fuir le camp où ils étaient internés. Déjà, en septembre-octobre 2000, 560 étrangers avaient été tués par les autorités libyennes lors d’affrontements racistes.

Tschianana, Mariame, Israfil, Manuel, Osamyia et les autres

Si la quasi-totalité de la base de données porte sur des anonymes, quelques entrées comportent les noms et prénoms de certains de ces “morts aux frontières“. Occasion, sinon de mettre un visage, tout du moins d’humaniser quelque peu cette longue litanie.

  • En 2004, Tschianana Nguya, une Congolaise de 34 ans, malade, enceinte et maman de deux enfants de 2 et 10 ans, est arrêtée en allant se soigner, et renvoyée dans son pays par les autorités allemandes. Immédiatement arrêtée par la police, internée dans un camp militaire, elle meurt, et son bébé avec, en accouchant, laissant son mari, et son plus grand fils de 16 ans, “quelque part en Europe“.
  • En janvier 2003, Mariame Getu Hagos, un Somalien de 24 ans, meurt dans l’avion qui le reconduisait en Afrique après que les policiers français aient “usé de la contrainte” pour l’empêcher de se débattre.
  • En mars 2003, Israfil Shiri, un homosexuel iranien de 30 ans, s’immole après s’être vu refuser l’asile en Grande-Bretagne, où il était arrivé caché dans un camion en 2001.
  • En juillet 2005, Laye-Alama Kondé, soupçonné de trafic de drogue et conduit au commissariat de Brême, est menotté à une chaise par deux policiers qui le forcent à avaler des vomitifs, et meurt noyé dans l’eau qu’on le force à ingérer pour pomper le vomitif.
  • En septembre 2005, Manuel Bravo, 30 ans, se suicide par pendaison dans le centre de rétention britannique où il était interné avec son fils de 13 ans après avoir appris qu’il allait être renvoyé en Angola, afin de lui éviter la déportation : en Grande-Bretagne, les mineurs de moins de 18 ans isolés ne peuvent être expulsés.
  • En septembre 2007, Osamyia Aikpitanhi, un Nigérian de 23 ans meurt étouffé par le bâillon que les policiers lui avait mis pour qu’il ne les morde pas dans l’avion qui le reconduisait de l’Espagne au Nigéria.
  • En ce même mois, Chulan Lui, une Chinoise de 51 ans se défenestrait en voulant fuir la police.

D’après la base de données d’United, une cinquantaine d’autres réfugiés sont ainsi morts, “de peur“, en fuyant les autorités.

La révolution, c’est bien, mais de loin

Confronté à l’afflux massif de réfugiés tunisiens à Lampedusa, le gouvernement italien a laissé entendre que des criminels en fuite et des terroristes se faisaient passer pour des demandeurs d’asile, et qu’il fallait “bloquer le flux” des migrants. De son côté, la France a indiqué qu’elle n’accueillerait que des “cas marginaux“.

Le réseau Migreurop, créé en 2002 suite à un séminaire sur « l’Europe des camps » par des militants et chercheurs “dont l’objectif est de faire connaître la généralisation de l’enfermement des étrangers dépourvus de titre de séjour“, dénonce lui aussi la tournure que prend l’accueil des réfugiés tunisiens à Lampedusa :

Brandissant l’argument de l’invasion et de la menace terroriste, l’Italie, qui a déclaré l’état d’urgence humanitaire, réclame l’intervention immédiate d’une mission de l’agence Frontex pour patrouiller au large des côtes tunisiennes et intercepter les embarcations de migrants.

Le réseau Migreurop s’interroge sur les raisons qui ont permis le passage, en quelques jours, de plusieurs bateaux des migrants dans cette zone de la Méditerranée qui était “verrouillée” depuis plusieurs mois à la suite d’accords de coopération conclus entre l’Italie, la Libye et la Tunisie pour le contrôle des frontières maritimes. Qui a intérêt à faire peser la menace du désordre ?

Plutôt que les patrouilles de Frontex et les accords de réadmission, c’est la levée des contrôles migratoires qui doit célébrer le souffle de liberté venu de Tunisie et d’Égypte.

Pour éviter la répétition des tragédies passées, United appelle de son côté le gouvernement italien et les autorités européennes à cesser d’exploiter le spectre d’une explosion de l’immigration maghrébine, et d’appliquer la résolution 1637 du Conseil de l’Europe sur l’accueil des boat people :

Une chose est de soutenir la révolution tunisienne, une autre est de l’accompagner jusqu’à ce que la paix et la stabilité soient restaurées, ce qui inclut le respect des droits de l’homme des Tunisiens, et leur droit fondamental de demander asile.

Carte réalisée par Marion Boucharlat au design et James Lafa au développement. Merci à eux.

Voir aussi la “une” d’OWNI consacrée à ce sujet, et notamment l’entretien avec Claire Rodier, de Migreurop et du Gisti : La liberté de circulation s’impose comme une évidence.

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