OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La carte des lobbyistes du numérique http://owni.fr/2012/09/17/la-carte-des-lobbyistes-du-numerique/ http://owni.fr/2012/09/17/la-carte-des-lobbyistes-du-numerique/#comments Mon, 17 Sep 2012 14:23:24 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=119785 Owni a cartographié comment les lobbyistes du numérique ont encerclé les institutions européennes. Une mise en perspective de l'intimité géographique qui règne entre lobbyistes et fonctionnaires européens. Alors que plusieurs industriels rechignent à être transparent sur le sujet, notamment Amazon et Apple. ]]>

Le numérique représente un secteur trop stratégique pour laisser les institutions et les élus européens déterminer seuls son évolution. Désormais à Bruxelles, autour des principales instances européennes, les lobbyistes des industriels du numérique occupent une place de choix, comme le montre ci-dessus notre carte interactive de la capitale européenne.

Owni a voulu ainsi cartographier les petites relations entre lobbies et institutions européennes. Manière de mettre en évidence l’hospitalité à la belge (sur notre carte ci-dessus, cliquez sur les valises noires pour visualiser les lobbyistes du numérique à proximité des bâtiments officiels).

Transparence

Selon l’ONG Alter-EU (Alliance for Lobbying Transparency and Ethics Regulation) , Microsoft fait maintenant partie des dix entreprises qui dépensent le plus pour leurs activités de lobbying à Bruxelles, avec 4 625 000 euros. Google consacre lui à ses activités de lobbying entre 600 000 à 700 000 euros quand Facebook est petit joueur puisqu’il déclare un budget de 150 000 à 200 000 euros pour la dernière année comptable renseignée.

Ces données sont issues du Registre de transparence européen, une initiative de la Commission et du Parlement européen, qui a célébré son premier anniversaire au mois de juin dernier. Cependant, son fonctionnement repose sur la base du volontariat.

Le mystère reste donc entier pour ceux qui n’y figurent pas. Les ONG les plus impliquées dans la transparence du fonctionnement démocratique militent aussi pour lui accorder un caractère obligatoire ; il pourrait par exemple être rendu indispensable pour louer des bureaux dans Bruxelles. Le porte-parole de Corporate Europe Observatory ironise :

C’est non seulement possible mais nécessaire que le registre soit rendu obligatoire. Il faut faire monter la pression pour que les entreprises soient obligées de le faire et que le registre remplisse alors sa mission première. Amazon, Apple et Bull, n’y sont pas par exemple. Pourtant ils sont présents au Parlement. Nous, on est un peu des Watch Dogs.

Sur ce point, Amazon nous a répondu que l’entreprise ne “commentait pas ce genre d’information”, tandis qu’Apple ne nous a pas répondu du tout.

La transparence, maitre-mot de tout commissaire bruxellois qui se respecte, est avant tout celle de ce registre. Le principe est simple : sous stimulation de la Commission européenne, les industries, associations et diverses entreprises – au nombre officiel de 5200 environ – s’inscrivent pour y faire figurer certaines informations. Notamment le nombre de lobbyistes arpentant les couloirs du Parlement et le budget annuel consacré aux pérégrinations de leurs troupes.

La carotte pour faire accepter aux industriels de figurer dans ce registre ? Un accès rapide au Parlement, un peu comme un billet coupe-file. Nous nous sommes entretenus avec le responsable du registre, Gérard Legris, il explique :

Il n’y a pas d’obligation juridique d’inscription au registre de transparence mais c’est quelque chose qui devient incontournable. Notamment parce que c’est une condition préalable à des facilités d’accès rapides au Parlement. Les participants sont enregistrés comme des visiteurs réguliers [un simple badge en plastique, NDLR]. Aussi parce que c’est une sorte d’abonnement. Et certaines de nos commissions refusent de faire entrer des non-accrédités.

Concrètement, les organisations qui figurent sur le registre, en plus d’avoir en main un passe coupe-file, reçoivent les feuilles de route des programmes de travail de la Commission. Joli cadeau. Insuffisant peut-être pour les entreprises et cabinets de conseils qui ne se sont pas inscrits.

Ces derniers, en conséquence, ne sont pas liés à un code de conduite et à l’engagement de fournir des informations sur leur budget de lobbying ou les activités qui les intéressent au sein du Parlement et des différentes commissions.

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Nestlé, Coca-Cola ou Danone voient leur influence encore grandir à Bruxelles. De fait, l'agence européenne chargée de ...

Gérard Legris avance que “certains attendent peut-être de voir si c’est intéressant ou pas. L’avantage c’est qu’elles gagnent pour leur image avant tout.” Le registre implique quand même une bonne volonté – et une bonne foi – puisque le code de conduite signé en même temps que l’enregistrement dans les papiers de la Commission est à respecter à la lettre.

Celui qui le transgresse peut subir une enquête administrative pour violation du code de conduite et risque, en cas d’intention délibérée de fraude, une suspension ou une radiation du registre.

Il y a quelques années lors de la première initiative de registre de la Commission, le Conseil européen de l’industrie chimique, l’un des plus gros lobbyistes de Bruxelles, aujourd’hui 71 employés déclarés au registre commun de la Commission et du Parlement, déclarait moins de 50 000 euros de dépenses inhérentes à la présence de ses salariés en activité de lobbying lors de la première initiative de la Commission. Et le CEFIC s’est fait suspendre temporairement à titre conservatoire. Aujourd’hui, ils déclarent 6 millions d’euros de frais de lobbying.

120 cabinets

La transparence n’est donc pas l’unique fonction officielle du registre puisqu’il s’agit surtout de délivrer le précieux sésame ouvrant toutes les portes ou presque du Parlement. Alter-EU a rendu public en juin dernier un rapport sur ce registre de transparence [PDF, EN], un an après son lancement. Le rapport d’analyse pointe entre autres que la liste des entreprises présentes pour exercer leur lobbying n’est surtout pas exhaustive et “au total [ils ont] identifié environ 120 cabinets qui effectuent du lobbying auprès de l’Union mais qui ne sont pas enregistrées”. Et le rapport de citer Apple, Disney, Time Warner et … Monsanto. Dans le domaine, l’ONG Corporate Europe Observatory travaille – entre autre – à mettre à jour les aberrations du registre. Martin Pigeon, porte-parole de Corporate Europe Observatory explique :

L’incitation à l’inscription sur le registre c’est un badge qui permet d’aller toquer aux portes sans avoir à se faire inviter par un eurodéputé ou par son assistant. Il y a un moment où l’invasion des lobbyistes était telle que les eurodéputés ne pouvaient pas travailler. Au restaurant du Parlement [cafétéria dans l'enceinte du Parlement, NDLR], vous pouviez avoir un lobbyiste qui vous tendait un dossier.

Il a donc fallu filtrer un peu tout ce petit monde pour que les eurodéputés puissent se sustenter librement et sans être harcelés par une horde de lobbyistes. Mais pour le porte-parole, à l’origine de l’ouverture du registre, il y avait bien une question d’image, non pas celle des entreprises qui signaient mais celle de Bruxelles même : ils devaient restaurer la confiance dans les institutions européennes.

Siim Kallas, le commissaire aux affaires administratives, [aujourd'hui vice-président chargé des transports, NDLR] vient d’Estonie. À l’époque, nouveau pays membre. Et il a une grande culture de la transparence administrative”, remet en perspective Martin Pigeon.

Sauf que la transparence, parce qu’elle n’est pas obligatoire, permet aussi de dire que les données manquent de fiabilité : certaines entreprises pour des dossiers précis n’iront pas négocier seule et embauchent des consultants spécialisés sur un ou deux dossiers.

Chez CEO, on les appelle parfois les “lobbyistes mercenaires” : travaillant depuis longtemps à Bruxelles, ils ont des portefeuilles de spécialités en main et proposent leurs services quand en interne on ne parvient plus à suivre. D’autres façons d’effectuer un lobbyisme plus feutré puisqu’ils ne sont que des prestataires, et que le logo de la firme pour laquelle il travaille n’est pas collé à leur nom.

Carte Sylvain Lapoix
Données Claire Berthelemy à partir du Registre de transparence.
Illustration et couverture par Cédric Audinot pour Owni /-)

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Agir pour la neutralité du Net http://owni.fr/2012/05/10/agir-pour-la-neutralite/ http://owni.fr/2012/05/10/agir-pour-la-neutralite/#comments Thu, 10 May 2012 16:28:23 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=109652

“Les pouvoirs publics devront intervenir dans un avenir proche.” C’est le constat sans appel d’un nouveau rapport [PDF] sur la neutralité des réseaux, remis hier à Eric Besson par Laure de la Raudière.

En avril 2011, la députée UMP avait déjà déposé un texte auprès de l’Assemblée nationale. Le ministre de l’Industrie, depuis peu relevé de ses fonctions, voulait qu’elle complète cette première approche par un “panorama de l’état des débats sur la neutralité du Net en Europe” (p.5).

Conclusion du tour d’horizon : “le jeu de la concurrence n’est pas suffisant pour garantir la neutralité du Net”. Laure de la Raudière préconise une “intervention publique”, accompagnée d’un éventail de mesures en faveur de la transparence des opérateurs, d’un renforcement du régulateur des télécoms (Arcep) et d’une mesure indépendante de la qualité d’accès à Internet.

Transparence limitée

La société civile contrôlera aussi le Net

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Initialement, la qualité du service proposé par vos fournisseurs d'accès à Internet devait être contrôlée par... ces ...

“Mieux vaut prévenir que guérir”(p.14) prévient l’élue UMP. Car si la France est “en avance” en matière de neutralité du Net, de nombreux flous persistent quant au périmètre et aux garanties à apporter à ce principe pourtant fondamental.

Pendant du “mode de fonctionnement historique de l’Internet” il garantit l’acheminement des informations “sans discrimination sur les réseaux” rappelle Laure de la Raudière (p. 4). Concrètement, il embrasse trois “questions” explique le rapport : “la gestion de trafic (blocage, dégradation ou priorisation de certains flux)”, “l’interconnexion” (la façon dont les acteurs du Net se relient entre eux) et le filtrage du réseau.

Trois questions aux conséquences essentielles en termes économiques d’abord mais aussi de liberté d’expression et d’information sur Internet. Trois questions qui imposent donc d’éviter d’adopter “des décisions dans l’urgence”: “il faut anticiper”‘ conclut l’étude (p.14).

Anticipation d’abord synonyme d’une intervention des pouvoirs publics, “nécessaire pour corriger le marché”.

Parallèlement à cette initiative, Laure de la Raudière invite le gouvernement à “améliorer” la transparence des opérateurs. Selon elle, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) sont “prêts à travailler à rendre leurs offres plus lisibles pour les consommateurs et mieux expliquer la façon dont ils gèrent le trafic” (p.15). Ce qui tombe plutôt bien mais qui semble un poil optimiste.

Parler ouvertement de leurs pratiques dite de gestion de trafic, autrement dit, expliquer quels services ou applications ils bloquent ou favorisent, fait encore grincer quelques dents du côté des opérateurs. La transparence constitue bien souvent le nœud des dissensions au sein des différents groupes de travail (et ils sont nombreux) qui se penchent sur la neutralité des réseaux.

La neutralité cachée d’Internet

La neutralité cachée d’Internet

Alors que le gendarme des réseaux, l'Arcep, présente ses travaux en conférence de presse ce vendredi matin, OWNI ...

L’Arcep, qui a récemment confié l’étude de ces pratiques au comité chargé de mesurer la qualité de l’accès à Internet, s’est ainsi confrontée à une levée de boucliers du secteur des télécoms. Comme nous vous l’annoncions il y a quelques jours, cette analyse devrait bénéficier d’un statut à part, ne faisant pas l’objet d’une publication systématique, ouverte et transparente, à l’inverse des autres résultats.

De même, le groupe responsable de la “transparence relative aux pratiques de gestion de trafic” devrait tourner à bas régime. Vite rebaptisé “groupe de travail sur la différenciation technique et tarifaire”, une appellation plus heureuse pour les opérateurs, il devrait surtout consister à mettre en place une signalétique, visant à indiquer aux abonnés à Internet la nature de leur forfait. Une bonne nouvelle pour les consommateurs, mais qui évite soigneusement d’aborder un détail essentiel : l’encadrement de ces pratiques elles-mêmes. Une transparence a minima.

Arcep renforcée

Dans ses conclusions, Laure de la Raudière s’attarde aussi sur la nécessité que “les consommateurs aient confiance dans les services que leur fournissent les opérateurs.” Seule solution pour y parvenir :

Il faut que la qualité de service soit évaluée par un acteur indépendant.

Les télécoms perdent toute autorité

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Hier matin, le régulateur des télécoms a tenu sa conférence de rentrée. L'occasion de poser les questions qui fâchent ...

Une préconisation qui fait clairement écho à la polémique suscitée par le chantier de mesure de la qualité d’accès à Internet, mené depuis plusieurs mois au sein de l’Arcep, et dont OWNI suit l’évolution. Dès le départ, experts et associations ont dénoncé le manque d’indépendance du prestataire chargé de la récolte des données : choisi par les seuls opérateurs, il ne pouvait constituer à lui seul une garantie d’indépendance.

Sans se référer explicitement aux travaux de l’Arcep, Laure de la Raudière partage ces craintes et propose, pour s’en prémunir, de doter l’autorité de nouveaux moyens : “en France, l’Arcep doit être dotée des moyens de faire réaliser des mesures indépendantes, soit par le biais de sa dotation budgétaire, soit en lui donnant (juridiquement) la faculté d’imposer un prestataire aux opérateurs pour faire réaliser, sous son contrôle mais à leurs frais, des mesures de qualité de service.”

Cet appel au renflouement des caisses de l’autorité des télécoms ne devrait pas déplaire à son patron, Jean-Ludovic Silicani. Interrogé il y a quelques mois par OWNI sur ce dossier brûlant, il avait renvoyé le politique dans ses cordes, lançant :

Si les parlementaires veulent attribuer plus de pouvoir à l’Arcep, ils doivent le prévoir !

Message visiblement reçu du côté de Laure de la Raudière.

Gommage des disparités

Si les conclusions de l’élue UMP sont en faveur d’une protection renforcée de la neutralité, la neutralité des réseaux ne suscitent pourtant pas le consensus en Europe. C’est l’un des éléments clés du rapport : tous ne s’accordent pas sur la façon de garantir ce principe.

Selon les pays, l’approche diffère : d’une protection législative de la neutralité aux Pays-Bas (p.13) à un scepticisme sur l’opportunité à agir. Ainsi au Royaume-Uni, où a été préférée une “auto-régulation de l’industrie” indique l’étude, ou même au sein des institutions européennes, parmi lesquelles la Commission, depuis longtemps engagée dans une valse hésitation sur le sujet, dénoncée à de nombreuses reprises. Elle était “initialement réticente à intervenir”, commente Laure de la Raudière.

Initialement. Les temps changent, note l’élue UMP ; au fil des réflexions menées dans les différents États, leurs disparités semblent s’atténuer. “J’ai pu constater [...] combien l’orientation de la Commission avait changé” confie-t-elle. Les travaux réalisés par l’Orece, le régulateur européen des télécoms, sur les pratiques de gestion de trafic des opérateurs, auraient infléchi la position de l’institution :

Pour les services de la Commission européenne, ces premiers résultats montrent qu’il existe des entorses au principe de neutralité du Net.

Flou de la Commission

L’Europe délaisse la neutralité du Net

L’Europe délaisse la neutralité du Net

La commissaire européenne en charge des affaires numériques Neelie Kroes a livré ce matin sa vision d'un Internet ...

Reste à savoir si elle souhaitera mettre un terme à ces pratiques. Or pour le moment, ses troupes n’en font pas la démonstration. En matière de neutralité, la commissaire en charge du dossier, Neelie Kroes, s’illustre à l’inverse par sa modération et son ambiguïté. Dans une récente sortie, à la World Wide Web Conference de Lyon, elle se disait ainsi “engagée à garantir la neutralité du Net” d’un côté, tout en refusant d’associer ce combat au “bannissement de toutes les offres ciblées ou limitées” de l’autre. Rien de bien nouveau donc sous le soleil européen.

Si ce n’est peut-être l’émergence d’un nouveau discours, qui met la responsabilité de la neutralité sur le dos des consommateurs. Et qui évacue d’un même coup toute initiative législative forte.

Dans ce même discours de Lyon, Neelie Kroes assimilait la transparence des offres des opérateurs à l’assurance d’une neutralité des réseaux protégée : être neutre signifiant alors “laisser aux consommateurs la possibilité de choisir librement et aisément s’ils les souhaitent ou non”. Quitte à ce qu’ils choisissent un accès à Internet non neutre :

Et bien très bien. C’est loin d’être de la censure. Si on a seulement besoin de consulter occasionnellement les e-mails en 3G et que quelqu’un est prêt à vous offrir ce service – pourquoi devrait-on subventionner ceux qui consomment des films ?

Difficile alors de percevoir ce revirement dont le rapport se fait pourtant écho. Il faudra bien pourtant que l’Europe clarifie ses positions. Car c’est bel et bien elle qui sera l’ultime garante de la neutralité des réseaux. Comme le souligne le rapport, “une définition homogène [...] devrait être promue au niveau européen.” Pas encore gagné.



Portrait d’Eric Besson via la galerie Flickr du MEDEF (CC-bysa) / Laure de la Raudière via UMP photo (CC-byncnd)

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Le meilleur du pire des dépenses de l’Elysée http://owni.fr/2012/04/24/le-meilleur-du-pire-des-depenses-de-lelysee/ http://owni.fr/2012/04/24/le-meilleur-du-pire-des-depenses-de-lelysee/#comments Tue, 24 Apr 2012 12:44:26 +0000 Loguy et Sabine Blanc http://owni.fr/?p=106927 OWNI a dessiné un quinquennat d'explosion des dépenses de l’Élysée, à partir du dernier livre de René Dosière L'argent de l’État : augmentation faramineuse des dépenses de communication et de déplacements, salaires qui ne connaissent pas la crise, etc. Une infographie très bling bling. ]]>

De même que monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, le député René Dosière fait de l’open data sans le savoir. Cet élu de l’Aisne apparenté socialiste s’est fait une spécialité d’aller fouiner dans les comptes obscurs de l’État français. Il y a consacré deux ouvrages, dont le dernier en date L’argent de l’État est paru au mois de février. Ce travail de longue haleine lui a au passage permis de sortir de son anonymat de parlementaire provincial.

Tout journaliste avec une fibre data ressent un triple sentiment à sa lecture. Le premier, de la joie mêlée d’admiration : à force d’opiniâtreté, René Dosière a récupéré une foule de chiffres d’intérêt public sur la façon dont le Président de la République et le Premier ministre gaspillent gèrent leur budget. Entre 2002 et 2012, il a posé plus de 400 questions. Il lui aura fallu quatre ans pour connaitre le coût réel de la garden party. Certes, il ne consacre pas tout son temps à ça, mais ce délai est symptomatique d’une tendance à trainer les pieds quand il s’agit de répondre à certaines questions.

Le second, de l’énervement : comment l’ouvrage peut-il ne pas contenir la moindre visualisation de données et se contenter d’une poignée de tableaux peu attrayants ? Le troisième, c’est de la joie tout court : chouette j’ai un merveilleux graphiste pour me mettre tout ça en images. À partir des principaux chiffres issus du livre, Loguy a tiré un joli poster : on a augmenté René Dosière.

Si cette infographie vous déprime, consolez-vous : la législation en matière de transparence du budget de l’État s’est un peu renforcée ces dernières années.


Illustration et design par Loguy pour Owni /-)

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L’Espagne lève le voile de l’information http://owni.fr/2012/04/10/l%e2%80%99espagne-leve-le-voile-de-linformation/ http://owni.fr/2012/04/10/l%e2%80%99espagne-leve-le-voile-de-linformation/#comments Tue, 10 Apr 2012 13:26:01 +0000 Emmanuel Haddad http://owni.fr/?p=105055

Les pouvoirs publics faciliteront, de préférence par des moyens électroniques, l’information dont la divulgation s’avère d’importance majeure pour garantir la transparence de leur activité, en tenant compte des limites présentées dans cette loi.

Huit ans qu’ils l’attendaient ! Huit longues années à mendier la concrétisation d’une promesse électorale du socialiste José Luis Zapatero, une première fois en 2004, puis réitérée en 2008, après sa réélection comme président du gouvernement espagnol… En vain. Jusqu’à ce Conseil des ministres du 23 mars, où le gouvernement conservateur dirigé par Mariano Rajoy a annoncé que l’avant-projet de loi sur la transparence serait mis en œuvre.

Cancre européen

C’est le soulagement dans les rangs de ceux qui ont soutenu ce projet, comme Jesús Lizcano, professeur d’économie financière à l’université autonome de Madrid et président de Transparency International en Espagne :

Mieux vaut tard que jamais. C’est absolument nécessaire pour améliorer la qualité de notre démocratie et la participation citoyenne… Et pour nous élever au niveau de nos voisins.

Car l’Espagne était le dernier pays d’Europe de plus d’un million d’habitants à ne pas disposer de loi sur la transparence. Reste Chypre, Malte et le Luxembourg. De quoi faire dire à un journaliste d’El Pais :

Le manque de transparence semble être quelque chose d’instauré dans la culture politique espagnole.

Les militants du droit d’accès des citoyens à l’information publique voient leurs efforts récompensés. Victoria Anderica, coordinatrice de la campagne d’Access Info Europe, une des entités pionnières de la coalition raconte :

En 2006, il y avait sept organisations dans la Coalición Pro Acceso [Coalition Pro Accès, ndlr]. Aujourd’hui, on compte 56 membres qui demandent une loi d’accès à l’information publique, parmi lesquels Access Info Europe, Amnistie International ou Ecologistas en Accion.

Six années de silence administratif et de promesses non tenues. “En 2010, nous avons fait une expérimentation, la campagne des 100 questions pour mesurer le niveau de transparence des administrations”, poursuit-elle. Les requêtes ne sont pas anodines : le nombre de soldats tués en Irak et en Afghanistan, les dépenses de la Présidence de l’UE ou de la candidature de Madrid aux JO 2016, ou encore les déplacements à l’étranger du maire de la capitale. Chaque fois, la même réponse qui ne vient pas : silence administratif. Victoria a calculé :

Au total, 50% de nos demandes ne reçoivent pas de réponse et parmi les réponses, seules 20% sont recevables.

Malgré les défauts du projet, l’important est d’aller de l’avant. Jesús Lizcano se montre optimiste :

Je pense, comme beaucoup d’observateurs, que le projet de loi ne met pas en place les instruments nécessaires pour instaurer une vraie transparence. Au niveau de la bonne gouvernance par contre, les progrès sont notables. Nous pouvons améliorer ce projet de loi grâce à la consultation publique.

Car l’Espagne a beau avoir du retard, elle tient à se placer à “l’avant-garde mondiale”, martèle-t-on au gouvernement. Les citoyens peuvent donc envoyer leurs propositions au législateur pendant quinze jours, lequel les prendra en compte pour le texte de loi final. Promet-on.

Droit à savoir

Les citoyens espagnols ont du pain sur la planche, tant les lacunes demeurent. Une pétition en ligne vient même d’être lancée pour obliger le gouvernement à proposer une nouvelle loi plus aboutie. Victoria est rebutée par les nombreuses exceptions prévues :

La Coalition Pro Accès propose dix principes minimum pour garantir le droit à l’information publique et le projet est loin de les inclure. En particulier le droit à l’information publique n’est pas défini comme un droit fondamental et il n’y a pas d’organe indépendant pour le défendre.

L’Agence espagnole de protection des données devient d’un coup de baguette magique l’Agence espagnole de protection des données et d’accès à l’information. C’est elle qui répondra aux réclamations. Le projet de loi [pdf] prévoit que :

En cas d’absence de résolution au bout de deux mois, la réclamation sera considérée comme rejetée.

Le directeur de l’actuelle Agence de protection des données, dite indépendante, est nommé par le gouvernement sur conseil du ministre de la Justice [pdf]. Le président de Transparency International en Espagne prévient :

Seul le Parlement peut refuser cette nomination à la majorité absolue. Ce qui est impossible actuellement. La politisation du projet est donc une entrave à la transparence. Mais ce n’est pas la seule. Au sein de l’administration, les fonctionnaires ont l’impression de trahir leurs supérieurs en livrant une information au citoyen, d’où cette inertie qui domine. Dorénavant, ils vont devoir changer pour respecter la loi.

La formation des fonctionnaires sera un des deux défis pour faire de cette loi un succès. L’autre tient à l’envie des citoyens de s’informer. Là-dessus, tous les yeux sont tournés vers le Royaume-Uni, pionnier de l’open governement en Europe. La plateforme whatdotheyknow a beaucoup inspiré tuderechoasaber (“ton droit à savoir”, ndlr), un outil créé par les membres de la Coalición Pro Acceso pour que les citoyens puissent exercer leur droit à l’information de la manière la plus simple et rapide possible.

Contre l’opacité, le journalisme de données

Tout reste à faire et l’optimisme de Jesús Lizcano, combiné aux initiatives de la coalition des militants du droit à l’information fera peut-être taire les critiques. Reste un regret. Que l’accent soit porté sur le code de bonne gouvernance est un moyen d’insuffler la crédibilité dont l’Espagne, réputée pour la corruption de sa classe politique, a besoin sur les marchés. Le gouvernement instrumentalise en effet cette loi pour plaire à Bruxelles, inquiet de voir la dette publique espagnole à son plus haut niveau depuis 22 ans, et culpabiliser le PSOE d’avoir truqué les chiffres du déficit en quittant le pouvoir.

Mais vu de l’intérieur, on craint un effet d’annonce. C’est ce qui s’est passé avec la loi de 2006 sur l’accès à l’information sur l’environnement. Malgré l’obligation administrative de livrer toute information environnementale, l’ONG Oceana a attendu cinq ans avant de recevoir le rapport de l’Institut Espagnol d’Océanographie révélant la pollution au mercure de plusieurs espèces de poissons, de l’espadon au thon rouge en passant par le requin.

Pour éviter qu’un tel silence ne se reproduise, Victoria a une recette à l’accent indigné :

Ne pas avoir peur du paternalisme de l’État espagnol, qui pense trop souvent que les citoyens ne sont pas capables de manier l’information qui les concerne.

En ajoutant, en guise de première pierre, à la naissance de la Loi sur la transparence celle d’un premier groupe de journalisme de données.

Photos CC Flickr Attribution ‘Playingwithbrushes’ et Attribution jenny downing

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La neutralité cachée d’Internet http://owni.fr/2012/03/23/lintrouvable-neutralite-du-net/ http://owni.fr/2012/03/23/lintrouvable-neutralite-du-net/#comments Fri, 23 Mar 2012 07:02:47 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=103049 OWNI dresse un bilan critique du chantier de la neutralité d'Internet et des réseaux. Un sujet stratégique pour l'avenir du numérique. Pour l'heure, les multiples compromis du moment portent en germe les compromissions de demain. ]]>

La neutralité des réseaux : “La moitié du travail du régulateur sur les deux années à venir”. Selon le patron de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) Jean-Ludovic Silicani, le sujet est le gros morceau qui occupera le gendarme des télécoms à l’avenir. Et qui le tourmente déjà.

L’autorité devait initialement rendre un rapport sur le sujet “au Parlement et au Gouvernement début 2012″. Fin mars de cette même année, l’affaire patine encore, saucissonnée en plusieurs groupes de travail, eux-mêmes répartis entre Paris et Bruxelles.

Pas facile d’y voir clair, mais l’Arcep nous l’assure : la neutralité sera au menu de sa conférence de presse de ce matin. Sans l’attendre, nous avons anticipé en réalisant une première inspection du chantier de la neutralité. Pour un résultat foutraque et opaque : peu d’informations filtrent sur l’avancement des travaux. Du côté des opérateurs, on refuse de communiquer sur le sujet, redoutant de voir la polémique de l’été dernier, sur la fin de l’Internet illimité, renaître. Pourtant, sous des apparences technocratiques et emberlificotées, ce débat a tout intérêt à être porté à la connaissance des usagers. Car c’est la définition même d’Internet qui est en jeu. Une définition susceptible de considérablement rogner les prés carrés de Bouygues, Orange et consorts…

Juge et partie

La fin de l’Internet illimité

La fin de l’Internet illimité

Des opérateurs veulent mettre un terme aux forfaits Internet illimités dans les foyers français. Un document de la ...


Premier volet du chantier neutralité : la “qualité de service de l’accès à Internet”. Bien avancé, ce groupe de travail a pour objectif de prendre le pouls du réseau français, afin d’apprécier la qualité des prestations des plus gros fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Et pour éventuellement fixer, dans un second temps, un seuil au-dessus duquel le service des FAI sera jugé “suffisant”. L’enjeu est donc de taille pour ces derniers. C’est leur cœur de métier qui est ici évalué.

Si l’initiative est saluée de toute part, opérateurs, associations, experts réseau ou scientifiques s’accordant sur la nécessité de dresser un panorama de l’état du net français, de nombreux écueils sont pointés du doigt. Le plus gros étant le risque de mainmise des FAI sur la mesure, l’Arcep leur accordant en la matière des avantages considérables. Comme le choix du prestataire en charge de cette tâche ; confiant peu ou prou aux FAI un rôle de juge et partie. Un avantage sous le feu des critiques, dont OWNI s’est fait l’écho dès le démarrage de ce groupe de travail.

Dans sa réponse à la consultation publique [PDF] lancée par l’Arcep sur le sujet -et désormais clôturée-, l’association de défense des libertés sur Internet La Quadrature du Net s’en alarme :

Le fait que les opérateurs aient le choix du prestataire réalisant les mesures pose problème du point de vue de l’objectivité et de la sincérité des ces dernières, et les orientations fournies pour contrôler ces aspects n’apparaissent pas suffisamment convaincantes.

Les opérateurs juges et parties du net

Les opérateurs juges et parties du net

Le régulateur des télécoms cherche à déterminer la qualité du réseau français. Pour mettre en place le dispositif de ...

Pour remédier à ce problème, l’Afnic, qui a également publié sa réponse à la consultation du régulateur, préconise que les mesures soient effectuées “par un tiers réellement indépendant, s’appuyant sur des logiciels ouverts et publics, et en suivant une méthodologie transparente.”

Interrogée par OWNI, l’association UFC-Que Choisir, qui avait déjà alarmé l’Arcep à ce sujet, va plus loin : en l’état, les orientations du régulateur pour définir la qualité du réseau français “ne peuvent pas permettre d’atteindre cet objectif.” “Les méthodes choisies ne peuvent aboutir à une information transparente, objective et indépendante pour le consommateur” ajoute Édouard Barreiro, responsable du numérique à l’UFC.

Car outre le choix du prestataire, les opérateurs garderaient également la main sur la définition de la méthodologie employée pour la mesure, ou “référentiel commun”. De même, la solution préconisée par l’Arcep, qui consiste en la pose d’une “sonde matérielle” sur la ligne des utilisateurs, peut être contournée. “Le risque existe en effet que les opérateurs biaisent les mesures, par exemple en offrant une qualité de service supérieure aux abonnés « tests » ainsi repérés”, prévient La Quadrature du Net. Là encore, des mesures de contrôle indépendantes sont préconisées.

Les télécoms perdent toute autorité

Les télécoms perdent toute autorité

Hier matin, le régulateur des télécoms a tenu sa conférence de rentrée. L'occasion de poser les questions qui fâchent ...

Pour le moment, difficile de connaître les intentions des opérateurs. Contactés par OWNI, la majorité se refuse à donner son avis sur la question avant que le gendarme des télécoms ne publie officiellement les réponses. De même pour la Fédération française des télécoms, qui réunit les FAI (à l’exception notable de Free et Numericable) et qui n’a pas souhaité nous en dire plus, tout en confirmant avoir répondu à l’appel de l’Arcep.

Laquelle devrait donner la date de publication de ces contributions après la conférence de presse de ce vendredi, sans donner plus de précisions. Il y a quelques mois, nous avions demandé au patron du gendarme des télécoms Jean-Ludovic Silicani de réagir à ces critiques : visiblement irrité, il nous avait renvoyé à ” l’auto-responsabilité des entreprises”. “Nous faisons confiance aux opérateurs, sans pour autant exécuter leurs ordres” avait-il ajouté.

Opaque transparence

Pas sûr que ces déclarations suffisent à dissiper les inquiétudes. D’autant qu’un autre groupe de travail, toujours sur la neutralité des réseaux, vient corser l’affaire.
En collaboration avec l’Arcep, deux délégations du ministère de l’Industrie (la DGCIS et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), planchent parallèlement sur la question de la “transparence relative aux pratiques de gestion de trafic” mises en place par les opérateurs.

A priori, l’enjeu est de faire en sorte qu’Orange, Free, SFR ou Numericable communiquent sur la réalité de leurs offres Internet, en indiquant clairement pour quels services leurs clients paient. Une approche particulièrement importante sur le mobile, sur lequel le peer-to-peer ou la voix sur IP (par exemple Skype) ont été historiquement bannis des abonnements.

L’Internet illimité au purgatoire

L’Internet illimité au purgatoire

L'idée de brider Internet était promise aux enfers. À en croire les opérateurs, en particulier Orange, le projet aurait ...

Mais là encore, difficile d’en savoir davantage. Côté Arcep et DGCCRF, c’est motus et bouche-cousue. “Il n’est pas opportun de communiquer là-dessus” nous affirme-t-on du côté de Bercy, sans toutefois préciser la nature de cette inconvenance. Il semblerait que l’ombre de l’été dernier plane sur le groupe de travail : les opérateurs redoutent en effet de voir se répéter la sortie médiatique sur la fin de l’Internet fixe illimité. Pour éviter ce fiasco, hors de question que le moindre élément filtre. Drôle de situation pour un groupe qui travaille à rendre plus transparente la communication des opérateurs . Chez ces derniers, certains expliquent qu’un tel silence est moins dû à l’enjeu des discussions qu’à leur nature. En bref : tout ce qui touche à la neutralité suscite passions et polémique, quelques soient les intentions, bonnes ou mauvaises, des FAI.

En attendant, communiquer sur les modalités des nombreux forfaits offrant un accès à Internet, c’est aussi prendre le risque de voir sauter l’appellation “Internet”. Si tant est que l’on veuille protéger le principe de neutralité des réseaux, qui affirme que les contenus doivent être traités de manière égale sur Internet – à de rares exceptions près. Une orientation que semble vouloir prendre l’Arcep, à en croire ses dix recommandations sur le sujet [PDF], en date de septembre 2010. Le régulateur préconisait alors qu’en dehors de certaines exceptions strictement encadrées, le terme Internet ne saurait être utilisé.

En théorie, les opérateurs risquent donc de perdre le précieux label pour certaines de leurs offres. Des offres fixes et mobiles sans le mot “Internet” : une option peu souhaitable pour faire commerce. Mais que les opérateurs se rassurent. Car des “pratiques de gestion de trafic”, il devrait être assez peu question au sein de ce groupe de travail. L’intitulé lui-même aurait déjà sauté. L’expression, plus large -et donc plus vague- de “groupe de travail sur la différenciation technique et tarifaire” ayant été privilégiée dès les premières réunions.

En bref, pas ou peu de soucis pour les FAI. La réflexion ne devrait pas dépasser la seule mise en place d’une signalétique, qui vise à indiquer aux abonnés à Internet la nature de leur forfait. Un progrès déjà notable pour ces derniers. Mais qui laisse de côté un détail majeur, voire central : l’encadrement des pratiques de gestion de trafic elles-même. Soit en somme, la définition d’un Internet jugé acceptable. Et à l’inverse, d’un Internet qui n’en est tout simplement pas un.


Illustration par Viktor Hertz (CCbyncsa) remixée par Ophelia Noor pour Owni /-)

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Google abuse en silence http://owni.fr/2011/11/02/google-abuse-silence-lobbying-bruxelles-commission-europeenne-microsoft/ http://owni.fr/2011/11/02/google-abuse-silence-lobbying-bruxelles-commission-europeenne-microsoft/#comments Wed, 02 Nov 2011 15:07:19 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=85003 À Bruxelles, OWNI a essayé d’en savoir plus sur la plainte pour abus de position dominante contre Google. Un an après l’ouverture de cette procédure par la Commission européenne, tous les acteurs de ce dossier entretiennent le mystère. Préservant ainsi d’éventuelles négociations.

L’affaire a donc démarré par une plainte, déposée par les sociétés eJustice , Ciao et Foundem auprès de la Commission, reprochant à Google ses visées monopolistiques. Depuis d’autres plaignants se sont ajoutés, notamment le groupe Microsoft qui a fini par rejoindre les trois premiers en mars 2011.

Verrouillage de la Commission

Au sein de la Commission, la direction générale de la concurrence (DG Comp) mène l’enquête, actuellement en phase II – soit, selon la nomenclature européenne, celle réservée aux cas prioritaires. Contrôlant les aides d’État attribuées aux entreprises, elle examine également les fusions/acquisitions – notamment le rachat de Double Click par Google en 2008 [PDF] – et les ententes et/ou abus de position dominante. De son propre chef ou en cas de réception d’une plainte. Dans l’affaire Google, l’attitude de la petite équipe qui décortique  les affaires de l’entreprise américaine s’apparente à celle d’un pongiste de haut niveau. Les questions qui dérangent reçoivent des réponses rapides et vides de sens. Même sur l’identité de tous les plaignants, la DG concurrence ne dit rien :

Il y en a effectivement d’autres [NDLR : plaintes]. Mais vous comprendrez, j’en suis sûr, que compte tenu de la médiatisation plus que suffisante de cette affaire, je préfère laisser le soin aux entreprises et boîtes de relations publiques qu’elles emploient, d’en faire la publicité.

Autrement dit, aux lobbyistes et aux relations presse de communiquer. Près du parc Leopold à Bruxelles, Google vous accueille dans ses bureaux avec vue sur le Parlement européen – dans le même petit immeuble où loge l’ambassade d’Irlande, un État qui accueille la plupart des sièges financiers de Google.

Cinq lobbyistes

Alistair Verney, communication manager pour Google à Bruxelles, justifie la bonne foi de son entreprise et leur volonté de travailler aux côtés de la Commission :

Depuis que nous avons crée Google, nous travaillons dur pour faire en sorte que nous gardions au coeur de notre activité les intérêts de nos utilisateurs et de notre secteur – en garantissant que nos publicités soient toujours clairement identifiées, en rendant simple pour les utilisateurs et les publicitaires la récupération de leurs données quand ils changent de service et en investissant massivement dans des projets open source. Mais il y a toujours une marge d’amélioration et nous travaillons avec la Commission pour répondre à toutes les interrogations qu’ils pourraient avoir.

Depuis ces bureaux, Google fait son propre lobbying avec cinq cadres et gère ses dossiers stratégiques, du droit d’auteur à la neutralité du net, selon une source familière des relations entre parlementaires et groupes d’influence. Ses lobbyistes interviennent directement auprès du législateur. Mais selon cette même source, ”les petits de Google n’ont pas le temps extensible et ratent parfois des dossiers”.

Ils connaissent pourtant bien le fonctionnement des équipes de la Commission. Le chef des lobbyistes de l’équipe Google à Bruxelles depuis 2008, Antoine Aubert, n’est autre qu’un ancien policy developer (chargé des politiques publiques) de la Commission européenne pour laquelle il a travaillé pendant trois ans.

Et le silence de Google Bruxelles concernant cette plainte n’est pas l’apanage de la Belgique. La même opacité plane en France, où Google possède sa propre équipe en interne, Olivier Esper en tête, directeur des relations institutionnelles (une autre façon de dire “chef des lobbyistes”) : les portes sont fermées bien avant le sas d’entrée dans leurs bureaux. Dans le grand hall du 38 avenue de l’Opéra à Paris, pour rencontrer un des lobbyistes sur le sujet Google à la Commission européenne, la réponse est claire :

Si vous n’avez pas rendez-vous, vous ne pouvez pas le voir. Envoyez un mail ou appelez directement la personne, si elle vous a confié son numéro… Mais je doute qu’ils veuillent vous recevoir.

Les raisons du silence

Entre accord à l’amiable souhaité par Google et crainte du géant américain, les explications de ces silences sont multiples. Pour justifier son refus de répondre aux questions posées, un proche des plaintes confie à OWNI :

Nous avons peur des représailles de Google.

À supposer que les menaces soient réelles, dans une interview donnée au Telegraph en février dernier, Eric Schmidt, le PDG de Google avouait qu’il comprenait que son entreprise avait un rôle majeur en Europe. Et implicitement que cette position dominante leur permettait de ne pas communiquer sur leurs sujets qualifiés de sensibles.

Sophia In’t Veld, députée européenne appartenant à l’alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, estime que la situation est complexe, notamment parce que :

Google est une force d’innovation.

En attendant, Google cherche toujours son accord à l‘amiable. Comme pour justifier le mystère qu’il laisse planer autour de cette affaire. Et un proche de la Commission d’avancer : “si l’affaire est trop difficile, elle peut être clôturée dans les six mois sur décision du commissaire.”

Mise à jour : dans un article daté d’hier de Zdnet, le site français Twenga accuse Google de concurrence déloyale et dépose plainte devant la justice européenne.


Illustrations Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales renatotarga et PaternitéPas d'utilisation commerciale gholzer

Vous pouvez retrouver les articles du dossier :
Google gentiment au tribunal de commerce
La loi du chiffre selon Google

Illustration de Une Marion Boucharlat

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Les inconnues tunisiennes d’Éric Besson http://owni.fr/2011/06/03/inconnues-tunisiennes-eric-besson-transparence-interet-conflit-gouvernement/ http://owni.fr/2011/06/03/inconnues-tunisiennes-eric-besson-transparence-interet-conflit-gouvernement/#comments Fri, 03 Jun 2011 15:57:42 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=66001 Nous avons contrôlé la déclaration d’intérêts de l’ancien ministre de l’immigration Éric Besson. Actuel ministre de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. Chaque semaine, OWNI vérifie les déclarations d’intérêts des membres de l’Exécutif, après que le chef du gouvernement François Fillon a demandé le 16 mars dernier que ceux-ci se montrent exemplaires sur le sujet.

Comme souvent, la déclaration d’intérêts présente de curieuses absences dans sa rubrique numéro VI, intitulée : « Autres intérêts, notamment familiaux, que le membre du Gouvernement estime souhaitable de signaler ». Sous ce titre, Éric Besson répond : « Néant ». À ses yeux donc, aucun intérêt, en relation avec sa famille, ne mériterait de figurer dans sa déclaration en raison d’éventuelles interactions avec ses activités ministérielles.

Un choix un rien imprudent au regard des affaires que gère sa nouvelle famille, issue des quartiers chics de Tunis. Car le 12 septembre 2009, Éric Besson, 52 ans, est entré de plain-pied dans une grande famille tunisienne, au croisement de la politique et des affaires. Ce jour-là il a épousé une jeune fille de 23 ans, Yasmine Tordjman, arrière-petite-fille d’une épouse d’Habib Bourguiba (le père de la nation), rencontrée quelques mois plus tôt alors qu’elle travaillait à Paris pour le département événementiel d’Euro-RSCG ; auquel Éric Besson avait confié l’organisation d’un colloque.

À Paris, Yasmine comptait d’éminents chaperons. Son papa, Samy Tordjman, homme d’affaires tunisien à la tête d’écuries de courses de chevaux, l’avait confiée au producteur et financier des médias Tarak ben Ammar. Le propre oncle de Yasmine. Avec lequel Éric Besson se trouve donc, de facto, lié par son mariage.

Le parcours de ce magnat de l’audiovisuel (voir ci-dessous un CV signé de Tarak ben Ammar) aurait pu conduire Éric Besson à mentionner cette relation dans sa déclaration d’intérêts. Surtout au regard des illustres partenaires de Tarak Ben Ammar – Berlusconi, Murdoch et Bolloré ; trois hommes connus pour le sens du “décloisonnement” entre business, politique et médias.

À Paris, la jeune Yasmine a également été surveillée et conseillée par sa tante, Héla Béji. Dont le fils, Wassim Béji, dirige une société de production, WY, fondée avec Yannick Bolloré – fils de Vincent et successeur désigné pour toutes les activités médias.

Éric Besson, ministre de l’industrie et de l’économie numérique, aurait dû mettre en évidence l’ensemble de ces éléments au regard des arbitrages qu’il rend, et de leurs impacts économiques.

Bien sûr, ces diverses liaisons familiales ne laissent supposer aucune collusion a priori. Mais c’est précisément l’objet de l’exercice suggéré par le rapport remis au gouvernement visant à prévenir les conflits d’intérêts. En faisant assaut de transparence, les gouvernants démontrent qu’ils n’ont rien à cacher, évitant que telle ou telle décision soit entachée d’un soupçon de favoritisme.


Illustration CC Ophelia Noor

Retrouvez toutes les déclarations d’intérêts décortiquées par OWNI avec le tag Vérification des déclarations d’intérêts

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L’opacité Total http://owni.fr/2011/06/01/opacite-total-petrole-evasion-fiscale/ http://owni.fr/2011/06/01/opacite-total-petrole-evasion-fiscale/#comments Wed, 01 Jun 2011 16:08:14 +0000 Renaud Coureau http://owni.fr/?p=65547 Quand il s’agit d’impôts, le groupe Total est plein de bonnes intentions. Quand les militants des droits de l’Homme ont demandé des comptes à la première société française pour éclaircir ses liens avec la junte birmane, bénéficiaire de l’exploitation des pétrolières, le PDG Christophe de Margerie leur a répondu ceci :

Quand on est dans un pays, on paie des impôts, qui sont censés bénéficier à l’ensemble de la population. Je ne suis pas là pour juger ce que le pays fait de ces impôts

L’argument est discutable. Même si Total ne met pas directement de l’argent liquide dans les poches des dictateurs birmans, le secret de ces versements rend toutes les dérives possibles. Une opacité fiscale qui facilite la corruption, en Birmanie comme ailleurs.

Selon le rapport annuel du groupe, la charge d’impôts de Total en 2009 représente 7,751 milliards d’euros. Mais le document oublie de préciser à combien, à quel pays et à qui sont versés ces contributions fiscales.

Depuis la création de l’organisation internationale ITIE (Initiative sur la transparence des industries extractives), la question de l’accès aux données financières des industries extractives (mines, gaz et pétrole) est considérée comme un enjeu de démocratie. Son argument : plus de transparence permettrait de limiter l’évasion fiscale, de lutter plus efficacement contre la corruption, de faciliter la bonne gestion des ressources. Dans les régions très pauvres où elles travaillent, les majors des hydrocarbures ou des minerais ont un impact important sur l’économie de pays entiers.

Poussé par des ONG, Total a fini par s’engager dans ce sens et affirme soutenir l’ITIE depuis sa création, en 2002. Sur le site web du groupe, on peut lire la déclaration suivante:

Total s’engage en faveur d’une transparence rigoureuse et participe activement aux initiatives et dialogues intergouvernementaux sur le sujet.

Passés ces beaux engagements, le groupe pétrolier a concrètement diffusé huit documents, précisant son activité et les taxes payées dans huit pays. De plus, les dirigeants de Total ont tenu à faire savoir qu’ils payaient 300 millions d’euros par an à la France, principalement au titre de la contribution économique territoriale (anciennement taxe professionnelle).

Pour faire acte de transparence, Total a publié les impôts versés à 10 pays représentant 69,6% de sa production. Design : Marion Boucharlat / Source : Total.

Or, les données se révèlent contradictoires : pour l’année 2009, Total déclare dans ce document avoir payé 8,849 milliards d’euros d’impôts aux dix pays représentant 69,6% de sa production… alors que son rapport annuel annonce que le groupe a versé 7,751 milliards en contributions fiscales pour l’intégralité de ses activités. Derrière cette incohérence, le problème des chiffres fournis apparaît : plutôt que de donner le détail, Total ne livre que des données agrégées qui ne rendent aucun compte de la complexité des taxes et contributions payées dans chaque pays, dont on peut avoir une idée en regardant un tableau plus complet fourni pour le Nigeria.

Selon les pays, Total ne verse pas un mais deux principaux types d’impôts : les royalties, en fonction des quantités extraites, et les impôts sur les bénéfices des résultats de la filiale locale. La charge d’impôt annoncée dans le rapport annuel ne représente que les sommes payées sur les bénéfices. Les royalties, elles, sont intégrées dans les charges d’exploitation, un ensemble indéfini de 18,591 milliards d’euros. Impossible de croiser les données nationales avec celles, globales, du rapport annuel. Et donc impossible d’obtenir des informations indirectes sur les sommes versées en dehors de ces dix pays.

Les pays sur lesquels Total ne communique pas n’ont pas été laissés dans l’ombre par hasard. Birmanie, Azebaïdjan, Libye, Iran, Syrie et Yémen sont précisément les pays visés par les ONG de lutte anti-corruption (voir l’étude de Transparency international sur le sujet). Celles-là même qui militent pour la transparence des données financières. Or, sans les données précises, filiale par filiale, impossible d’établir un état des lieux des impôts payés et de respecter le niveau de « transparence » dont se réclame le géant pétrolier.

Le pétrolier français opaque… à 90,5%

Parmi les études sur la transparence des compagnies pétrolières, le rapport Beyond the rethoric, réalisé par l’ONG Save the children en 2005, visant précisément à mesurer l’adéquation entre les discours tenus et les actes. Les résultats de Total y sont catastrophiques : noté sur 100, comme les autres compagnies, le pétrolier français obtient un score de 9,5, ce qui en fait la cinquième compagnie la moins bien notée. Les quatre dernières étant des compagnies nationales chinoises, russe et malaisienne. Lesquelles n’ont jamais pris le moindre engagement en matière de transparence.

Le résultat de cette étude est clair : en 2005, la participation de Total à l’EITI n’est qu’une démarche de communication. Piqués au vif, les dirigeants de Total ont décidé en réaction de diffuser certaines données. Celles-là même dont nous avons prouvé la pertinence plus haut…

En 2011, un rapport de Transparency International sur le même thème

Pour justifier ce manque d’informations, un argument revient régulièrement : « ce sont les dirigeants des pays en questions qui refusent de diffuser les chiffres, se défendent les majors. Qui sommes-nous pour diffuser ce qu’ils souhaitent garder confidentiel ? » Pour étudier la validité de cet argument, Transparency a comparé les informations publiées par différentes compagnies pour un même pays.

Pour un même état, les quantités de données fournies sont très différentes selon les compagnies. Et Total est toujours derrière ses concurrents. Les annexes du rapport de Transparency recèlent même une surprise de taille : c’est en France que Total obtient le plus mauvais score sur la diffusion des données, 8% pour une moyenne mondiale de 53%. C’est donc dans son pays d’origine que le pétrolier est le plus opaque.

Les pays pauvres ont intérêt à la transparence de Total

Total s’engage en faveur d’une transparence rigoureuse.

Après un examen attentif des démarches de Total en matière de transparence, la « transparence rigoureuse » se révèle n’être qu’un bel engagement. Un constat d’autant plus décevant que toutes les compagnies pétrolières ne pratiquent pas l’opacité. Il suffit de consulterle rapport ITIE de la Norvège pour réaliser que certains états ont réussi à forcer la main des industriels. Contrôlées par un cabinet d’audit, les quelques pages consacrées à ce pays détaillent les quantités de pétrole extraites et les impôts payés, taxe par taxe, compagnie par compagnie.

Ce type de publications de données complètes, détaillées et auditées sont en substance la demande des ONG actives sur le sujet pour une réelle transparence fiscale. Certaines exigent ainsi un état des lieux public et obligatoire des bénéfices et impôts, pays par pays, pour toutes les multinationales. Des données dont dispose n’importe quelle société.

Envisagé dans un cadre global, ce débat diplomatique donne lieu à un intense combat de lobbying : les multinationales ont des moyens gigantesques, les militants ont l’opinion publique avec eux. Au Royaume-Uni, des activistes ont commencé à monter des actions contre les multinationales sur ce thème. Des organisations ont été spécialement créées, comme Publish what you pay.

Total a intérêt à la transparence.

Une fois décryptée la communication de Total, cette phrase de Thierry Desmarest, président du conseil d’administration de Total, mériterait une correction : ce sont les pays les plus pauvres qui ont le plus d’intérêt à la transparence de Total. L’évolution de la situation internationale semble montrer la voie d’une plus grande exigence. Si le pétrolier souhaite traduire son engagement pour une transparence financière réelle, c’est le moment d’agir.


Illustration CC FlickR: Hugo90

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Quand Barclays essayait de censurer le Guardian http://owni.fr/2011/06/01/quand-barclays-essayait-de-censurer-le-guardian/ http://owni.fr/2011/06/01/quand-barclays-essayait-de-censurer-le-guardian/#comments Wed, 01 Jun 2011 13:30:15 +0000 Renaud Coureau http://owni.fr/?p=65566 Le 16 mars 2009, un scandale éclate dans les pages économiques du Guardian. Les journalistes du quotidien révèlent les détails des mécanismes d’évasion fiscale utilisés par Barclays, 3e banque mondiale. En lien avec cet article, sept mémos confidentiels de Barclays sont diffusés sur le site du Guardian. Leur contenu est accablant. Grâce à plusieurs schémas complexes passant par les îles Caïman et le Luxembourg, la banque a dissimulé plus de 16 milliards de dollars au fisc anglais. L’agence Bloomberg évalue le montant d’impôts évités à 1,5 milliards d’euros par an.

Quand sortent ces documents, l’opinion publique anglaise est déjà très hostile à ses banques. Un autre scandale a éclaté quelques jours plus tôt : la Royal Bank of Scotland a avoué avoir évité de payer 500 millions de livres d’impôts grâce à des techniques d’évasion fiscale. Malaise : RBS venait alors d’être sauvée par les contribuables anglais, et quasi-nationalisée. Les documents de Barclays évoquent des montants bien plus importants. Le fisc anglais (Her Majesty’s Revenue and Customs, HMRC) lance immédiatement une enquête.

Barclays réagit rapidement, et utilise une procédure juridique d’urgence. Dans la nuit du lundi 16 au mardi 17 mars, un juge appelle la rédaction du Guardian et ordonne le retrait des documents. Le média anglais a l’interdiction de diffuser les mémos, mais également d’inciter ou d’encourager ses lecteurs à les lire. Le quotidien fait appel, mais le 19 mars sa demande est rejetée : les documents doivent rester “confidentiels”.

Dommage pour la crédibilité du juge, il est déjà trop tard. Les mémos ont été reproduits et circulent rapidement. L’effet Streisand fonctionne à plein régime: sur de multiples forums on trouve des liens menant vers “ces documents que Barclays ne veut pas que vous lisiez”.

Les community managers du site du Guardian se voient confier une nouvelle mission : censurer tous les commentaires qui pourraient donner des indications sur les mémos. Certain lecteurs tentent alors d’utiliser des codes, comme dans ce commentaire relevé par le site Liberal Conspiracy.

While institutions keep important legal evidence all kin suffer. “

Dès le 17 mars, les mémos sont disponibles sur le site de Wikileaks. Trois jours après l’appel du juge, tous ceux qui s’intéressent au sujet ont lu ces documents. Mais le Guardian ne peut toujours pas traiter correctement cette affaire, qu’il a pourtant lancé.

Le 26 mai, Matthew Oakeshott, un député libéral démocrate, libère la parole des journalistes. Il utilise un droit constitutionnel des parlementaires anglais, celui de parler en totale liberté devant leurs pairs. Matthew Oakeshott évoque donc les mémos en séance publique, avec les termes suivants :

“Le Sunday Times et le Guardian les ont déjà évoqués en Une, et ces documents sont largement disponibles sur Internet, sur des sites comme Twitter, Wikileaks.org, Docstoc.com and Gabbr.com.”

Si les parlementaires bénéficient du droit inaliénable de s’exprimer, les journalistes ont le droit de reproduire les discours des députés. Cette intervention de Matthew Oakeshott achève donc d’invalider la décision de justice touchant le Guardian.

Face au scandale, les dirigeants de Barclays ont cherché à banaliser ces révélations. Convoqué devant une commission de la chambre des Lords, le PDG John Varley a totalement assumé le contenu des mémos.

“Nous avons des activités financières, et l’impôt est un élément comme un autre de ces activités. Nous avons l’obligation devant nos actionnaires [...] de gérer les taxes de manière efficace.”

Il lance ensuite aux officiels anglais “jugez nous sur les taxes que nous payons”. La banque aurait payé 10 milliards de livres d’impôts en Angleterre entre 2003 et 2008. Barclays ne risque rien de plus qu’une dégradation de son image. L’évasion fiscale, si elle est choquante, n’est pas illégale. De plus, les banquiers sont dans une position de supériorité face à l’administration. Dans une lettre accompagnant les documents, la source anonyme des mémos explique cet état de fait.

“Il est communément accepté qu’aucune agence, anglaise ou américaine, n’a les ressources ou l’implication suffisante pour inquiéter SCM (Ndlr: la section financière de Barclays). SCM dispose d’énormes moyens, des meilleurs cerveaux récompensés par des millions de livres. A titre de comparaison, une récente offre d’emploi du HRMC proposait un poste d’expert fiscal rémunéré 45000 livres.”

“HMRC ne pourra jamais, dans son état actuel, combattre efficacement ce business.”

Si les dirigeants de Barclays n’ont pas eut à craindre de poursuites judiciaires, ce scandale a déclenché une réelle prise de conscience en Angleterre. Qui devrait à terme modifier les pratiques du secteur bancaire. Même si la première réaction des politiques anglais s’est limité à une déclaration de bonnes intentions. Quelques mois après la publication des mémos le ministre des finances Alistair Darling a fait signer aux banques anglaises un code de bonne conduite. Elles se sont engagées à respecter l’esprit de la loi, et donc à cesser d’utiliser ce type d’évasion fiscale.

Un premier pas, pour calmer l’opinion avant une réforme globale de la législation  bancaire. L’objectif : éviter que les contribuables anglais aient de nouveau à renflouer leurs banques. Une commission indépendante a remis un rapport préliminaire le 11 avril 2011, une série de propositions en vue de la future loi. Le débat continue.

Matthew Oakeshott, toujours engagé sur le sujet, a proposé d’obliger les banques à déclarer publiquement les impôts qu’elles payent. Une idée certainement inspirée par Barclays: Début 2011, la banque a dû avouer n’avoir payé que 113 millions de livres d’impôts en 2009. L’équivalent d’1% de ses bénéfices. L’opinion publique a été choquée une fois de plus.

Dans leur lobbying contre cette future loi, les banques anglaises ont utilisé une menace classique: quitter le pays. Barclays pourrait déménager à New York, le maire de la ville a déjà annoncé que les banquiers seraient bien reçus. La menace n’a pas été prise au sérieux : le président de la commission a déclaré qu’il ne croyait pas dans un mouvement de masse. Le plan d’austérité record du gouvernement anglais, jamais vraiment accepté par la population, oblige les officiels à afficher une certaine fermeté face aux banques. Dans quelques mois, la nouvelle législation sera mise en place. Et les Anglais pourront juger de la liberté de leurs gouvernants face au secteur bancaire.


Photo FlickR CC : Paternité par Dominic’s pics ; PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Ian Gallagher.

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La transparence, une ressource inexploitée… http://owni.fr/2011/06/01/industries-extractives-transparence-regulation-financiere-petrole-mines/ http://owni.fr/2011/06/01/industries-extractives-transparence-regulation-financiere-petrole-mines/#comments Wed, 01 Jun 2011 12:26:53 +0000 Renaud Coureau http://owni.fr/?p=65562 Michel Roy, économiste et linguiste, est directeur de la section internationale du secours catholique. Il a été membre du bureau de l’ITIE (Initiative pour la transparence dans l’industrie extractive) durant quatre ans, et coordinateur de la plate-forme internationale Publish what you pay. Il fait le point sur les différentes initiatives en faveur de la transparence financière.

Qu’est-ce que l’ITIE aujourd’hui et quels en sont les résultats?

En 2003, Tony Blair cherchait une réponse aux interpellations des ONG anglaises sur la transparence des grandes entreprises. Il a donc lancé l’ITIE (initiative pour la transparence dans l’industrie extractive, NdR), qui avait pour mission originelle d’établir une norme internationale de transparence pour les activités extractives : pétrole, diamants, minerais. Mais il s’agit d’une norme sur le mode anglo-saxon. Pas vraiment de contraintes ou de règles fermes, mais plutôt une recherche de consensus, de solutions acceptables par tous.

En 2007 a été lancé le processus de validation des pays producteurs selon les critères de l’ITIE. Les pays concernés sont ceux qui tirent plus de 25% de leurs revenus des industries extractives.

Pour être certifiés conformes à l’ITIE, les pays candidats doivent produire un rapport donnant des informations chiffrées sur ce que versent les compagnies à l’État, et sur ce que l’État reçoit. Un expert indépendant doit valider ce rapport, qui a vocation a être actualisé tous les ans. Aujourd’hui, sur 60 pays potentiellement concernés, 35 sont engagés dans le processus, dont 11 sont déjà certifiés.

Huit ans après son lancement, cette initiative n’est pas encore arrivée à maturité. Les critères restent trop souvent subjectifs. Nous souhaiterions plus d’objectivité, plus de solidité. Il faudrait également faire entrer les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine, NdR) dans le processus, ainsi que les plus gros producteurs. Le G20 incite tous ses membres à participer à l’ITIE.

Quel intérêt ont les pays producteurs à une meilleure transparence dans leurs affaires?

Beaucoup de ces pays ont de sévères problèmes de gestion des ressources. Des années de conflits, des gouvernements autocratiques… le contexte politique de certains pays a abouti à une opacité totale. Plusieurs raisons peuvent les pousser à participer au processus ITIE.

D’abord pour des questions d’image vis-à-vis de l’extérieur. Beaucoup veulent prouver au monde qu’ils sont bons gestionnaires. Ensuite, ces pays sont souvent très endettés, or le FMI met l’adhésion à l’ITIE comme condition pour annuler la dette d’un État. La banque mondiale fait également pression, cette fois pour lutter contre la corruption.

L’ITIE peut également aider les dirigeants de ces pays à y voir plus clair. J’ai entendu le ministre des Finances du Mali dire qu’il ne savait pas ce que l’or rapportait à son budget…

Tous les pays ne s’engagent pas avec la même force. J’ai pu l’observer au Congo Brazzaville. Le président Denis Sassou-Nguesso a envoyé une lettre à la banque mondiale en 2004, pour annoncer que son pays souhaitait entrer dans l’ITIE. Mais les premières démarches concrètes ont été effectuées en 2006… et des membres de l’organisation Publish What You Pay (PWYP) ont été incarcérés entre temps. Dans ce cas, la démarche ITIE s’est limitée à une déclaration d’intention. C’est le cas de beaucoup de pays, qui s’engagent, mais mollement.

A l’inverse, la présidente du Liberia, Ellen Johnson-Sirleaf, a utilisé l’ITIE pour réformer son administration, et mettre en place un cadre contraignant. On se libère difficilement de décennies de mauvaise gestion. Au final, elle a dépassé le cadre de l’EITI, en imposant également la transparence dans les industries forestière et agroalimentaires.

Les compagnies pétrolières sont-elles également coopératives?

En 2003, elles sentaient déjà la pression de la société civile dans certains pays, comme le Nigeria. Quand un pays entre dans le processus, cela devient contraignant pour toute les compagnies qui y travaillent.

Les majors, qui ont une image à défendre, jouent le jeu en général. Elles ont un intérêt à avancer vers plus de transparence, cela rassure les investisseurs. Mais entre ce que décide le siège et la manière dont c’est mis en œuvre par les filiales sur place, il peut y avoir un décalage. A un tel point que Total a dû consacrer du personnel dédié à la transparence dans ses filiales.

Une compagnie cherche à produire du pétrole, à créer de la richesse. Le reste, ce n’est pas prioritaire. Néanmoins, les majors pétrolières soutiennent presque toutes l’ITIE. Total et Areva ont signé en 2003, GDF Suez un peu plus tard. C’est parfois indispensable pour entretenir de bonnes relations avec les États.

Dans les pays les plus riches, sentez-vous une volonté politique d’imposer plus de transparence aux multinationales?

Les pays du Nord sont plus moteurs que ceux du Sud. La crise les a encouragé à aller vers plus de transparence. Les États sont marginalisés sur la scène internationale. L’économie financière dirige le monde à leur place. La transparence peut aider les États à récupérer des fonds. Dans tous les pays, le fisc pousse fort dans ce sens.

Par exemple, la loi Dodd-Franck, adoptée aux États-Unis, oblige les compagnies cotées à publier des informations pays par pays et projet par projet. Votée en juillet 2010, elle n’est toujours pas effective : les décrets d’application ont été reportés à décembre 2011, suite à un lobbying très fort des multinationales. Elles demandent des exemptions quasiment sur tout…

Notre objectif, c’est que cette norme devienne planétaire. On pousse l’Union Européenne à adopter les mêmes règles. Notre opportunité : la révision de la directive sur l’obligation de transparence. Dans l’idéal, la nouvelle version de cette directive se baserait sur la loi Dodd-Franck.

Mais les discours publics restent flous… Les compagnies sentent qu’elle ne pourront pas éviter de donner des informations pays par pays. Ce qui les amènera à corriger d’elles-même leurs pratiques d’évasion fiscale. Mais les données projet par projet, c’est une autre affaire. Les compagnies pétrolières sont vent debout contre ce projet. Bercy est également contre. L’argument utilisé, c’est toujours celui de la concurrence. Publier des données projet par projet, cela donnerait un avantage aux concurrents. Ce ne sont pas les Américains qui sont visés, mais les Chinois, qui ne seront pas soumis aux mêmes contraintes. C’est un argument qu’on peut comprendre, et c’est pourquoi il faut établir une norme globale.

L’un des freins les plus importants à cette logique planétaire, c’est la position des pays émergents. Aucun d’entre eux ne soutient l’ITIE. Même si leurs compagnies nationales s’engagent, comme Petrobras au Brésil ou Pemex au Mexique.

Quelle institution pourrait valider une telle norme? Le G20?

Il n’y a pas d’autorité boursière mondiale… La norme s’établira d’elle même, si les États-Unis lancent la dynamique et que l’Europe suit. Singapour a également lancé une initiative moins ambitieuse.

C’est le sens du message que nous répétons à Total depuis des années : « Anticipez, les choses vont bouger, n’attendez pas d’être contraints ».

Vous êtes donc optimiste?

Oui, je pense que la crise oblige à développer des logiques de transparence. Si les politiques espèrent reprendre la main sur le cours des choses, ils n’ont pas le choix. Les grandes décisions sont globalisées, et le resteront. Nous vivons dans un monde beaucoup plus inter-dépendant que par le passé, donc pour s’y adapter les politiques vont devoir contraindre la sphère financière.

Il faut avancer vers une régulation financière réelle, avec la fin des paradis fiscaux et des mécanismes d’opacité. Tant que tout cela ne sera pas régulé, les chefs d’état n’auront pas de réel pouvoir sur la situation économique. Ils l’ont bien compris.

Toutes les normes de transparence avancent aujourd’hui. On sent la résistance des compagnies, on sent l’impact de leur lobbying quand on parle aux politiques. Mais j’ai le sentiment que la réalité va amener les responsables publics à faire avancer les choses. Signe positif : le G20 a repris des propositions formulées au forum social de Belem, qui vont dans ce sens.


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