Kevin Leyio : le dealer de Culture

Le 13 juin 2009

Le Leyio est le dernier bébé de – cocorico – une société Français (Bordelaise) jusqu’ici spécialisé dans le B2B et le hardware, et qui se lance dans le produit grand public. Ce billet est une réédition d’un ancien billet sur readwriteweb, une petite tentative de blogging et de prospective. Leyio c’est quoi ? Techniquement, une (très) grosse [...]

Le Leyio est le dernier bébé de – cocorico – une société Français (Bordelaise) jusqu’ici spécialisé dans le B2B et le hardware, et qui se lance dans le produit grand public. Ce billet est une réédition d’un ancien billet sur readwriteweb, une petite tentative de blogging et de prospective.

Leyio c’est quoi ?

Techniquement, une (très) grosse clé USB (16Go), auquel on a ajouté une petite interface pour consulter son contenu et le gérer (un micro OS embarqué, simple mais plutôt sympathique), un lecteur d’empreinte digitale qui sert aussi d’outil de navigation, d’une connectivité USB complète (entrée/sortie vers un ordinateur ou une autre clé USB), et surtout d’un système de transmission sans fil qui fait passer le Wifi pour un truc de vieillards (10Mo/s), appelée à remplacer l’USB dans un futur proche et sans fil.

Les connexions sont multiples, et dans les deux sens : de Leyio à Leyio en sans fil, de Leyio à clé USB, de Leyio à ordinateur. Bien pensé, car cela atténue le “cluster effect” qui oblige a avoir une base installée suffisante pour profiter des fonctionnalités de l’engin. Même si vous êtes seul à posséder un Leyio, c’est tout de même utilisable.

Tout droit sorti de l’imagination fertile de ce que l’on imagine être un brainstorm de geeks ingénieurs à la pointe du hardware domestique, l’objet est qui plus est particulièrement bien designé, dans un style ‘bio-design’ réussi, avec une plastique ‘caoutchouc’ fort agréable et des façades aussi brillantes que colorés.

Le tout est plus petit qu’une boite de cigarette, à peine la taille des mini souris destinées aux portables.

Leyio c’est qui ?

Lors d’une première rencontre il y a trois mois, le directeur marketing tentait, très géné, de nous vendre le storytelling du “cadre nomade”, distribuant ses Powerpoint à l’occasion d’une présentation. Le pauvre. Il est mal tombé. Il a du faire face à deux geeks (Damien Douani et moi-même) plutôt branchés prospective des usages et des technologies, refusant obstinément de manger la soupe, et cherchant par tous les moyens de replacer la problématique des usages du produit dans un contexte Hadopi.

Désolé, au passage, je vous promet que la prochaine fois qu’on se croise, on sera plus sympas et on ira boite un verre ;-)

Si l’on fait abstraction du prix, l’objet à tout pour séduire la génération Y et la génération digitale. Design soigné, grosse capacité de stockage (une vingtaine de DivX, des milliers d’heures de mp3), et la capacité de se balader avec un petit capital numérique dans la poche, prêt à tout échange à la moindre occasion.

Vous l’avez deviné, c’est ce type d’usage qui – à notre sens – fait de Leyio une killer app, ou plutôt un killer hard. Voici ce que nous anticipons en matière d’usages dans un univers ou le partage de fichiers sera devenu répréhensible et deviendra clandestin. Ces hypothèses, au passage, ont été validées par les analyses et observation de spécialistes des usages en matière d’échanges de fichiers ‘culturels’. Patrick Waelbroeck, professeur Télécom-Paristech, l’une des plus prestigieuses écoles d’ingénieurs Françaises, nous avait raconté ce type d’observations, lui qui a pour rats de laboratoire un panel d’étudiants particulièrement technophiles.

Kevin devient dealer

Kevin – appelons le Kevin, j’aime beaucoup ce prénom – est un gamin comme les autres. Jusqu’ici – et comme tout le monde – Kevin téléchargeait en p2p ses films et sa musique préférée. Mais Kevin a quelque chose de plus que les autres. Alors qu’être Geek était une tare dans la génération de ses parents, Kevin fait parti de la première génération où les Geeks seront supérieurs aux autres, plus puissants, plus socialement désirables, plus sexy, plus beaux (je m’égare).

Kevin est un geek, donc, et dans notre monde post Hadopien, il sait comment contourner les contrôles. Aucune chances pour lui d’être détecté (VPN, proxy, darknet, les moyens ne manquent pas à Kevin, qui ira peut être jusqu’à pirater la Wifi de Mme Michu, sa voisine). Kevin a donc toujours accès à la culture sous sa forme numérique, alors que pour ses camarades de classe (Kevin à 15 ans, au fait), c’est plus difficile. Le rêve des majors, revenir à une économie de la rareté, va faire la fortune de Kevin (si ce n’est financière, du moins sociale).

Dans sa classe, tout le monde le sait. Même certains profs n’hésitent pas à lui demander de télécharger, pour leur compte, un film mal distribué en DVD, quand ce n’est pas tout simplement le dernier blockbuster, tant les salaires, dans l’éducation nationale, imposent une certaine disette culturelle.

Kevin se retrouve donc dans une situation inédite. Là où tout le monde se débrouillait de son coté pour le téléchargement, n’échangeant, la plupart du temps, que de bonnes recettes, ou des adresses où aller commettre l’acte odieux, le voilà confronté à un groupe social doté d’un appétit pour la Culture inchangé (tout comme son portefeuille, d’ailleurs, d’où le problème pour les majors, et l’opportunité pour Kevin, le dealer de Culture).

Kevin est l’homme providentiel. Kevin a des fichiers à profusion, il a accès à tout, il peut tout. Désormais, si vous voulez continuer à consommer de la musique et des films à gogo, il vous faudra non seulement connaître un Kevin, mais il vous faudra mériter ses bonnes grâces.

Coincer Kevin dans les toilettes, et user de violence pour obtenir sa dose de culture s’avérera vite trop risqué : Jules de la 4e B s’y est risqué, et il a non seulement chopé un méchant virus, mais a également été victime d’une humiliante campagne de trolling sur ses status Facebook. Non, désormais, Kevin est le roi du monde. Enfin, du collège. C’est déjà ça.

Pour Kevin, le Leyio est l’arme absolu. Ses sujets, humbles et reconnaissants, peuvent désormais venir à lui, présenter leurs respects, et recevoir en échange – via la connexion USB du Leyio – les fichiers tant convoités. Ils se retirent, ensuite, leur misérable clé USB remplie jusqu’à la gorge, en clamant sa grandeur et sa charité.

Mais Kevin n’est pas seul. Dans le collège Kevin Mitnick de L’Hay les Rose, plusieurs Kevins se font concurrence… Oui, mais voilà, Kevin et les autres mafieux du collèges sont nés dans une culture du partage, et plutôt que de se faire la guerre, il y a fort à parier qu’ils collaborent intelligemment.

En transférant un DivX en une minute chrono de Leyio a Leyio, le catalogue de la mafia locale est distribué de façon efficace. Ajoutez que Kevina, la cousine de Kevin, geek elle aussi, est également dealeuse de Culture au collège Emile Zataz de Cergy Pointoise, et vous avez un réseau peer to peer… en réel.

La comparaison avec un réseau de trafic de drogue s’arrête là, et le terme dealer n’est qu’un emprunt momentané à Frédéric Lefebvre et Luc Besson. Les échanges payants on peu de chances d’apparaître dans ce type d’environnement – question de culture – le seul véritable risque dans l’apparition (ou plutôt la généralisation) de ce type de pratiques, est plutôt du coté des détenteurs de droits.

Là où auparavant mademoiselle Michu (la fille de Mme) se débrouillait comme elle pouvait pour télécharger sa culture, la voilà qui a désormais à faire à Kevin. Kevin lui fait des recommandations et des suggestions (en pratique, il drague) que seul le vidéo club de sa mère arrivait à égaler (oui, mais voilà, il a fermé en 2002).

Difficile de concurrencer un tel mode de distribution, surtout pour une industrie de la musique qui n’arrive même pas à concurrencer la distribution en p2p, qui pourtant ne brille pas par son ergonomie et sa capacité de recommandation.

Pour être tout à fait honnête, à coté de Kevin, apparaîtrons sans doute des mafieux moins geeks mais plus cinéphiles, ou amateurs de musique pointue, qui sauront faire du digital curatoring de haut vol et disposeront de catalogues très qualitatifs mais plus spécialisés. Du point de vu des ayants droits, c’est probablement pire encore.

Leyio dans tout ca ?

Leyio est le premier gadget hardware parfaitement adapté à ce scénario qui, encore une fois, est déjà en pratique dans de nombreuses écoles, avec des outils hardware plus frustres (disques durs, mini pc et portables ou iPod trafiqués).

Plus l’école accueille de geeks, plus vous observerez ce type d’usages. Je vous laisse imaginer ce qu’il se pratique dans les écoles d’ingénieurs. Sachan que dans deux ou trois ans, ils seront tous sur le marché, et que bon nombre sont des entrepreneurs dans l’âme…

Des très nombreux objets de ce type vont apparaitre dans les années à venir, c’est le domaine de l’internet des objets, car Leyio finira forcément connecté au Net, pour s’y synchroniser, s’y socialiser d’une façon différente, y trouver des usages inattendus…

Ce n’est qu’une question de temps.

(image d’ouverture : Enfant des rues à St Peterstourg, en Creative Commons, par Kr4gin sur Filckr)

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