La valeur du journaliste en question

Le 2 décembre 2009

Bonjour, je m’appelle Eric Tenin, je suis journaliste depuis un peu plus de 20 ans et je suis en train de vivre ce que le Poinçonneur des Lilas a dû ressentir quand il a vu arriver les tourniquets automatiques dans le métro…

Bonjour, je m’appelle Eric Tenin, je suis journaliste depuis un peu plus de 20 ans et je suis en train de vivre ce que le Poinçonneur des Lilas a dû ressentir quand il a vu arriver les tourniquets automatiques dans le métro…

Oh bien sûr, au début il n’a pas crû qu’on allait pouvoir se passer de lui ; pensez-donc des trous aussi beaux que les siens, ce n’était pas demain la veille qu’une machine allait pouvoir rivaliser… Et puis lui, il connaissait toutes les correspondances par coeur, il avait toujours un petit mot sympa pour les “poinçonnés”, il était là en cas de problème sur le quai, bref, il faisait parti du PMP, le paysage métropolitain parisien…et les voyageurs l’aimaient bien. Même si aucun n’a vraiment ressenti de manque lorsqu’il a disparu…

Pour nous les journaleux c’est un peu pareil. Nous, nous pensons que nous n’avons pas notre pareil pour rechercher la Vérité – avec un grand “V” – dénoncer l’injustice, traquer le politicien véreux, arracher l’interview qui va changer le monde… Et parfois nous y parvenons. Seulement voilà, depuis un certain Internet et son cortège d’avancées technologiques telles les plate-formes de blog, les lecteurs de flux RSS, les outils de microblogging en temps réel et autres agrégateurs de news, nous ne sommes plus les seuls… Nous devons affronter la concurrence de millions de producteurs d’info à travers le monde.

Et vous savez ce qu’il se passe en économie de marché, lorsque l’offre devient pléthorique ? Les prix baissent… Et dans le cas présent, ils baissent même tellement que, pour celui qui la consomme, le prix de l’info est aujourd’hui proche de Zéro. Du coup, les budgets des rédactions et les salaires de ceux qui la produisent suivent, c’est à dire qu’ils tendent aussi vers zéro. Il y a bien des tentatives de renverser la vapeur, de repasser au “modèle payant” (bonjour monsieur Murdoch!), de récupérer la valeur ajoutée là où elle s’est carapatée, voire de créer un Hadopi de l’info, mais il faut se rendre à l’évidence ; on ne reviendra pas en arrière, du simple fait que les journalistes ont perdu au moins la moitié des rôles qui faisaient faisait leur plus-value :

- Leur rôle de “sourceur”. On n’a beaucoup moins besoin des journalistes pour aller chercher l’info puisqu’elle arrive en permanence – en direct – via de nombreuses sources (Twitter, Netvibes, lecteurs RSS…)

- Leur rôle de “metteur en perspective”. Plus besoin de journaliste pour transformer les faits en information, désormais ce sont les lecteurs qui s’en chargent dans les commentaires, avec souvent – mais pas toujours quand même (!) – beaucoup plus de valeur ajoutée que ne pourrait en apporter un journaliste.

- Leur rôle d’agrégateur et de “hiérarchiseur”. Auparavant on comptait beaucoup sur les journalistes pour sélectionner l’info importante, l’organiser… A présent nous avons été remplacé par des machines : Google News, Netvibes, Newsgator, etc. sont autant de moyen d’organiser sa propre info très simplement et automatiquement. Moi-même chaque matin, j’ai comme premier réflexe d’aller sur… Google news !

Mais alors que reste-t-il aux journalistes, sont-ils condamnés à disparaître ? Je ne pense pas, car il leur reste encore quelques rôles que le Net n’a pas encore été capable de mettre à mal. Voici les 3 principaux à mon avis :

- Un rôle de “metteur en scène”. Trouver une accroche, rédiger un texte qui invite à lire, prendre soin d’apporter une info à chaque phrase, bref construire un papier… On ne trouve pas ça sur twitter et on le trouve rarement sur les blogs. Pourquoi ? Parce que ça réclame du métier, un certain talent et… du temps.

- Un rôle de “fouineur” ! Toutes les infos n’arrivent quand même pas par Twitter and co. Prenez le Canard Enchainé par exemple, aucune – ou très peu – des infos qu’il diffuse chaque semaine ont déjà circulé sur la Toile avant. Il reste donc une info à forte valeur ajoutée, même si peu à peu elle est noyée dans la masse.

- Un rôle d’enquêteur. Seuls des gens payés pour passer du temps à récolter l’info et à la classer sont capables de sortir “le prix de l’immobilier à Paris”, “Les 100 boîtes qui vont embaucher en 2010″, “Les 10 meilleurs restaus de la côte”etc.

Sera-ce suffisant pour faire remonter la valeur de l’info ? Impossible à dire. Je serais curieux de connaître votre sentiment …


» Article initialement publié sur http://www.lestrucsdunjournaliste.com/

» Illustration via outroangulo sur Flickr

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