Des histoires du coin de la rue du bout du monde

Le 10 septembre 2010

Trois ans d’existence, onze numéro, douze le mois prochain. L’aventure XXI s’inscrit dans la durée, pas forcément simple pour Laurent Beccaria, directeur de la publication, d’en faire un récit précis, peu importe, au fil des souvenirs, voici l’histoire de XXI.

Comme souvent, tout est né d’une rencontre. Celle d’un éditeur et d’un journaliste. Pour Laurent Beccaria “ce que l’un a en creux l’autre l’a en plein” et au delà de la rencontre humaine, XXI est surtout un croisement d’envies.

Il y a trois ans, Patrick de Saint-Exupery, grand reporter au Figaro, jongle avec l’actualité couverte au quotidien. Mais cette matière semble s’être transformée au fil du temps. Laurent Beccaria précise :

Pour des raisons historiques, on continue à envoyer des gens à l’autre bout du monde pour faire des papiers mais le cœur de l’activité de production du quotidien sont des choses de plus en plus courtes, de plus en plus événementielles, de plus en plus marketting.

À cette époque, il existe pourtant, au yeux de Patrick de Saint-Exupéry, un grand gisement d’histoires à raconter qui n’étaient pas celles qui circulaient autour de la machine à café, à la une des journaux nationaux, sur les ondes radios, dans ce que Laurent Beccaria qualifie de “journalisme de discussion”.

Dans le monde que Laurent Beccaria connaît bien, celui de l’édition, de nombreux secteurs se sont développés, ont été inventifs depuis 20 ans qu’il y traîne ses guêtres : l’édition jeunesse, la BD, le polar… Mais ce ne sont pas ces secteurs de l’édition qui l’intéresse lorsqu’il échange avec Patrick de Saint-Exupéry :

Quand j’ai commencé, c’était une époque où le document était très noble. Le gros livre de journalisme, la grande enquête, les mémoires, la biographie étaient le coeur des documents. Petit à petit j’ai vu monter tous ces trucs de témoignages, ces trucs vite-faits, de quick-books. Ce secteur s’est appauvri alors que les autres se sont enrichis et modernisés.

Face aux livres sur la première Dame de France ou à la dernière parution sur le Parti Socialiste “fait en un mois avec une pseudo révélation” d’après Laurent Beccaria, la mémoire de l’éditeur fait remonter à la surface “L’innocence perdue” de Neil Sheehan (16 ans d’enquête, prix Pulitzer) plongeant en profondeur dans les méandres de la guerre du Vietnam ou encore “Le pull-over rouge” de Gilles Perrault, une contre-enquête sur l’affaire Ranucci, l’avant-dernier guillotiné de France. “Des livres alliant rigueur, travail et un peu d’allant de combat”. Des livres qui restent en somme. Autant dire que la barre est haute alors que l’idée de XXI commence tout juste à germer.

On s’est dit : il y a une famille de gens dans le journalisme, la bd, la photo, l’écriture, qui ont un gros appétit pour le réel, qui veulent raconter des histoires humaines, qui veulent arpenter la société, le monde par des chemins de traverse. Ils veulent raconter, lire des histoires au coin de la rue du bout du monde et parfois c’est tout près. C’est dans le 18ieme arrondissement de Paris rue des Rigoles, par exemple.

L’intention est claire et dans ces quelques mots semble tenir la profession de foi du magazine à naître. Tout l’enjeu est ensuite de réunir ces familles d’auteurs pour donner corps au Moock (Magazine + Book) titré “XXI”. “Ouvrir les portes et les fenêtres” est une des clés du projet. Laurent Beccaria se souvient de l’aventure du magazine “Pilote” dont René Gosciny était le rédacteur en chef.

Deux jours par semaine, le mardi et le jeudi, n’importe qui pouvait venir au siège de Pilote, il n’y avait pas de rendez-vous et il recevait tout le monde. C’est comme ça que presque tous les grands de la BD des années 1970 sont arrivés à 18 ans avec leurs dessins sous le bras et Gosciny les a fait travailler.

Un exemple marquant, il ne restait qu’à suivre le chemin tracé.

Le premier numéro de XXI c’était des gens que l’on connaissait ou que l’on a pu contacter mais dès le numéro deux, il y avait la moitié des auteurs que l’on ne connaissait pas et à partir du numéro 3 on est passé à 90% de personnes que nous ne connaissions pas au début de l’aventure.

Et pour chaque numéro c’est la même histoire. Bien sûr il y a des récidivistes, des auteurs qui prennent goût à ce type d’enquêtes et ce format d’écriture mais les nouveaux venus sont toujours majoritaires au fil des sommaires. D’ailleurs la répartition des auteurs avec le recul de ces 11 numéros est intéressante : un tiers de journalistes en poste dans les médias traditionnels, un tiers de freelances et un tiers d’inclassables (universitaires, artistes, chercheurs…).

Ce désir d’ouverture est vital car pour Laurent Beccaria le monde du journalisme comme celui de l’édition tournent en vase clos.

Il n’y a rien de plus stupide qu’un comité éditorial ou un comité de rédaction puisque ce sont des gens qui vivent aux mêmes endroits, fréquentent les mêmes gens, écoutent les mêmes choses… C’est terrifiant. Même des gens extrêmement intelligents, extrêmement doués, vous les mettez dans cette situation et au bout de quelques semaines, ils ne produisent que des conneries. C’est mécanique.

Et il ne s’exclut pas de cette loi “mécanique” d’où la nécessité dès le début de l’aventure XXI d’accueillir les personnes qui viennent de l’extérieur. De ce principe de base découle le fonctionnement éditorial du magazine : ne jamais présupposer le monde. Pas de dossier “a priori” sur des sujets qui sembleraient d’actualité pour ensuite aller chercher les histoires nécessaires, “bien senties” pour remplir ce dossier. La démarche est inverse :

On part de ce qui nous arrive, des reportages qui nous sont proposés et quand il y a plusieurs choses qui ont l’air de se rejoindre, on bricole un numéro.

Le fond est très appétissant mais quid de la forme ? Comment trouver le bon compromis qui permettra de rendre viable économiquement cette envie ? L’idée première était celle d’un mensuel. Mais le calcul est rapide : il faut soit beaucoup de publicité, soit un gros tirage pour un résultat plus que périlleux. L’objectif fixé à 100.000 exemplaires pour 4 ou 5 pages de publicité semble juste irréalisable. À tel point que pour Laurent Beccaria la chose est claire : il faut abandonner l’idée, passer à autre chose.

Le matin même où je comptais l’annoncer à Patrick de Saint-Exupéry, on a trouvé une solution crédible : il fallait radicaliser nos choix. Je suis éditeur, je sais comment marche la librairie. Il n’y a pas un document qui dure plus de trois mois donc si on fait un trimestriel, qu’on met 200 pages au lieu d’en mettre 100, sans pub puisqu’en librairie ce n’est pas possible et que l’on fixe le prix à 15€, ça semble viable. Tout de suite on s’est dit “pourquoi pas ?”

Et comme c’est souvent le cas, d’une contrainte naît l’obligation d’inventer quelque chose, l’aventure était lancée. En résumé, un trimestriel magazine d’information racontant des histoires “du coin de la rue du bout du monde”, c’est un début mais pourquoi ce format de récit en longueur qui est le coeur de XXI ? La réponse est simple.

Il y a des sujets qu’on ne peut pas imaginer sur deux feuillets pas plus que sur 200 feuillets, c’est typiquement le genre d’histoire que l’on voulait raconter.

Il fallait donc trouver l’entre-deux sur le modèle de la nouvelle, très développée dans le monde anglosaxon. Les expériences comme celle du NewYorker, Granta ou encore Vanity Fair étaient très rassurants quand à l’efficacité de récits en longueur pour un certain type d’histoires. En France même, ce style de grands reportage était très courant jusqu’aux années 1980-1990 avant de disparaître au profit de formes plus courtes.

L’idée, le format, les auteurs… Le magazine prend forme. Pour ce qui est des investisseurs le tour de table s’est bouclé rapidement : un mois environ. 450.000 € sont sur la table pour lancer l’aventure. La répartition des actionnaires de XXI est simple : Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry détiennent 70%, les 30% restant se divisent en 20% pour les éditions Gallimard et 10% d’actionnariat individuel. Restait à convaincre les distributeurs : à savoir les libraires, tâche complexe. Laurent Beccaria explique :

La revue qui vend le plus en librairie, il me semble que c’est 3.000 exemplaires et nous notre point mort était à 25.000 exemplaires. Autant dire que c’était un assez gros enjeu et qu’il n’a pas été simple de faire en sorte que les libraires y croient.

Les représentants de XXI sont partis à la conquête des libraires équipés au mieux pour convaincre, jusqu’au matériel vidéo sous le bras pour diffuser la présentation du projet en images. Création de présentoirs spécifiques pour mettre la revue en place, tout est là pour démontrer aux libraires que le projet est d’envergure et les convaincre de jouer le jeu.

Tous les éléments sont finalement réunis. Le jour du lancement officiel de XXI est arrivé, on est un jeudi de janvier 2008.

Sarkozy venait de divorcer. La semaine où on est sorti l’Express faisait une grande interview de Carla Bruni, il y en avait partout, avec l’histoire de Disneyland et tout le reste… Et nous on arrivait avec notre Une sur la Russie. J’étais sûr que ça allait se planter. On avait tiré à 40.000 exemplaires, mis 25.000 en place et je me dis “mais on est malades”. À 18h, le téléphone se met à sonner, les représentants nous disent : “C’est dingue, les libraires sont dévalisés”. Ça a pris et là nous on a pris la cuite de notre vie !

XXI était lancé sous les meilleurs auspices. 40.000 exemplaires pour un premier numéro : ce succès conforte, assure, donne des ailes pour viser encore plus loin sur les numéros à venir. L’éditeur et le journaliste ont su sentir l’air du temps et tout mettre en œuvre pour déposer leur projet sur les rayonnages des libraires mais ce n’est pas tout :

Aujourd’hui beaucoup de gens adhèrent grâce à la modernité de l’objet, le propos, les reportages, ça correspondait à quelque chose, c’est sûr mais il y a aussi une part de chance, on est arrivés au bon moment et ça on ne le maîtrise pas totalement.

Bien sûr les ventes ont chutés sur les numéros suivant. 25.000 exemplaires pour le n°2 puis un creux à 23.000 pour le suivant mais dès le numéro 4 les ventes sont remontées pour atteindre aujourd’hui, 11 éditions plus tard, plus de 40.000 exemplaires vendus à chaque parution, jusqu’à 44.000 exemplaires pour le numéro de l’été 2010.

Forcément la formule fait des émules. Au printemps 2010 est arrivé sur les rayons des libraires un nouveau Moock, Usbek & Rica. Basé sur le même principe : un trimestriel d’information avec un fort contenu graphique mêlant texte et BD, un format similaire, 200 pages pour un même prix de vente à 15€. L’approche éditoriale de ce nouveau titre n’est pas la même, les deux magazines ne sont pas en concurrence directe. Cette arrivée est plutôt vue d’un bon oeil par Laurent Beccaria qui est partisan de la vieille thèse de la galerie marchande :

Mieux vaut une galerie pleine de boutiques qui marchent plutôt qu’une galerie avec peu de boutiques et qui fini par fermer. Usbek & Rica est une belle aventure et arriver à sortir un tel magazine à 25 ans, je dis chapeau ! Même si sur certains points, ça ressemble un peut trop à XXI à mon goût (ndlr format, prix, périodicité), ils ont un très beau contenu graphique et une ligne éditoriale propre. J’espère qu’à l’avenir, si d’autres magazines apparaissent, on aura toujours en tête de se tirer vers le haut les uns les autres plutôt que de niveler par le bas.”

Laissons donc l’avenir continuer cette histoire. Le numéro 12 de XXI sera le 4 octobre prochain en librairie.

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