Les institutions internationales au secours de la retraite par capitalisation

Le 26 octobre 2010

Partie des “laboratoires” de la libéralisation au Chili et en Europe de l’Est, la retraite par capitalisation avance. Malgré les dégâts causés par la crise, le lobby des banques et des assureurs trouve un puissant relais dans les institutions internationales.

Du jour au lendemain, l’âge de la retraite de 1,3 millions de Britanniques a été repoussée au delà de la limite légale, sans qu’aucun débat n’ait lieu, ni qu’aucune loi ne soit adoptée. Il a suffi que la bourse s’effondre et que leurs fonds de pension la suivent dans sa chute : entre avril et juin 2008, selon l’Office national de la statistique, les jeunes retraités ont représenté 46% des créations d’emplois du pays. Une aberration mathématique d’abord interprétée comme un mouvement spontané des personnes âgées appréciant la “stimulation et le sens de l’accomplissement”. Censé renfloué le passif des fonds de pension, le Pension Protection Fund accusait alors 0,5 milliards de livres de déficit. En 2009, il avait plongé à -1,2 milliards.

L’âge de la retraite n’est pas un critère absolu : si les pensions sont insuffisantes, les retraités sont obligés de continuer à travailler, au moins à temps partiel

, tranche Lucy Aproberts, chercheuse rattachée à l’IDHE. La question de la retraite par capitalisation pose donc, autant que la limite légale, la question de l’âge de départ en retraite.

Et, à en croire l’OCDE, la crise aura fait bosser les sexagénaires : en 2008, le rendement nominal moyen des fonds de pensions s’étalait de -35% à 10% et celui des fonds de réserve de -30% à 5%. Autrement dit, certains États ont vu leurs retraites par capitalisation diminuer d’un tiers en un an. Des mécanismes de sécurité ont été envisagés, comme aux États-Unis avec le 401k (épargne retraite collective équivalente du Perco) mais sans grande conviction. Avec le retour des rendements, la peur de la crise s’éloigne et les gardes-fous deviennent des rabats-joie : “quand un avion s’écrase et qu’on retrouve la boîte noire, on se dit qu’on devrait construire tout l’appareil de la même manière, métaphorise un cadre d’un organisme gestionnaire. Le seul problème, c’est que, un avion fabriqué comme une boîte noire, ça ne vole pas !”

Si la commission pour les retraites britanniques en conclu que les systèmes privés ne sont plus suffisants pour assurer une retraite décente aux Anglais, l’OCDE continue à encourager les pays dans le développement de la retraite par capitalisation… alors qu’il pointe lui-même les conséquences catastrophiques de la crise sur les fonds de pension. “La Banque mondiale est dans les coulisses de la généralisation de la retraite par capitalisation depuis les expériences menées au Chili dans les années 1980, détaille Lucie Aproberts. Elle a ouvert la voie en Europe centrale et orientale aux banques et assurances occidentales dans les années 1990 et l’OCDE a relayé les mêmes recommandations.”

Sous le nom de “3è modèle”, les deux institutions ont recommandé la libéralisation totale des secteurs de l’assurance vieillesse au sortir du communisme, instaurant la plus grande zone de retraite par capitalisation du monde. Mais l’explosion de la bulle Internet dans les années 2000 impose bientôt un repli stratégique dans le discours : “la ligne des deux institutions étaient un peu doctrinal: en 2004, la Banque mondiale a changé son fusil d’épaule et ne parlait plus de comptes individuels par capitalisation mais de comptes notionnés à la Scandinave”, détaille un cadre d’organisme gestionnaire. Mais le mal était fait.

Alors que certains États d’Europe centrale et orientale envisageaient de revenir à des systèmes par répartition centralisés, le rapport Le point sur le marché des pensions de décembre 2008 de l’OCDE tançait les contrevenants à la bonne doctrine : “de telles décisions prises dans la précipitation ne font que renforcer le sentiment de panique et ne rendent pas justice à l’intérêt que présentent les systèmes de pensions privées sur la durée d’une vie pour les participants.” L’interprétation de l’organisation : ceux qui ont subi le revers de la crise ont eu le tort de vendre trop tôt. S’ils avaient conservé leurs actifs, ils auraient pu profiter du rebond.

L’Allemagne, en revanche, a été saluée pour ses mesures en faveur de la capitalisation : depuis la réunification, les allemands ont mis en place de nombreuses réformes du régime des retraites dont la plus significative reste la réforme Riester votée en 2001 sous le gouvernement Schröder. Cette loi introduit des systèmes de retraite par capitalisation dans le système général et prévoit une baisse du taux de remplacement net jusqu’à 43% en 2030 qui devra être compensée par des contrats de retraites par capitalisation.

Face à la crise, le choix de l’Allemagne a été moins doctrinal que politique : afin de conserver la compétitivité de son industrie, le gouvernement a choisi de ne pas augmenter le taux de cotisation au delà de 22%. Pour compenser la baisse du taux de remplacement, l’État fédéral a joué carte sur table : cette réforme propose une substitution d’une part du régime de répartition par une dose de capitalisation.

Au delà des risques induits par les aléas boursiers, les systèmes à cotisation définie (CD, comme le 401k américain ou le Perco français), les plus répandus, font porter tout le poids du risque sur les épaules des salariés, par opposition aux systèmes à pension définie, qui obligent celui qui verse à abonder (l’employeur ou l’État). Côté banques et assurances, les perspectives sont florissantes: selon une étude Aviva (numéro 6 de l’assurance dans le monde), le “pension gap” à combler pour garantir un niveau de vie correcte aux retraités Européens s’élèverait à 1900 milliards d’euros par an. Face à ce trou béant, Andrea Moneta, directrice Europe d’Aviva a fait part de son désir de s’adresser aux politiciens “à tous les niveaux car les idées à mettre en place ne manquent pas.”

Voilà au moins une crise qui fait des heureux.

Illustration FlickR CC : acameronhuff

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