ProPublica: journalisme à (très) haut coût, financé par des dons

Le 18 novembre 2010

Paul Steiger, fondateur du pure player américain ProPublica, est revenu sur le business model de son média à l'occasion des Assises du journalisme à Strasbourg.

Difficile de parler des nouveaux modèles économiques des médias sans parler de ProPublica.

Même s’il parait difficilement applicable en France, il passionne autant qu’il pose de nombreuses questions.

Son fondateur, Paul Steiger (ancien directeur de la rédaction du Wall Street Journal, ci-contre), était invité aux Assises du journalisme de Strasbourg, hier, où j’étais présent, pour brosser devant un parterre de professionnels et d’étudiants fascinés, un modèle unique au monde.

Fascinant, le modèle de ProPublica l’est forcément : ce pure player américain fait du journalisme d’intérêt général, dans la plus pure tradition de l’investigation à l’américaine. Un journalisme que l’on ne connaît pas, ou peu, en France, où ce que l’on appelle “l’enquête”, se résume bien souvent à donner suite à des informations fournies par des sources intéressées à faire sortir telle ou telle affaire.

Le journalisme de ProPublica coûte cher. “Plusieurs de nos investigations ont nécessité jusqu’à deux ans de travail”, précise Paul Steiger.

L’enquête réalisée sur les hôpitaux de la Nouvelle-Orléans au moment du passage de Katrina, qui a reçu le prix Pulitzer cette année, (une première), a demandé un travail de plusieurs mois et publié sur plus de soixante feuillets, a coûté la bagatelle de 400.000 dollars (300.000 euros), rappelle Rue89.

300.000 euros, des sommes que l’on peut retrouver en télé, où les budgets ne sont pas les mêmes, jamais en presse écrite.

ProPublica, c’est une rédaction de trente-deux journalistes, dont huit prix Pulitzer. Depuis 2008, date de la création du site Internet ProPublica, rappelle le quotidien régional Les dernières Nouvelles d’Alsace le média a réalisé “138 enquêtes publiées dans trente-huit médias différents”. Et ces journalistes sont parfois des techniciens. Car ProPublica fait aussi dans le journalisme de données, c’est-à-dire un journalisme qui recoupe des données disponibles pour les mettre en scène et révéler de nouvelles informations. Par exemple ici, ce travail remarquable sur les labos qui paient les docteurs pour promouvoir leurs médicaments. Les données sont publiées par ProPublica et mises à disposition de toutes les rédactions des États-Unis. Chaque média local a la possibilité de récupérer les données de sa région et d’enquêter pour écrire ses propres histoires autour.  Un journalisme qui implique une hybridation du métier. Être technicien ne suffit pas pour croiser les données, il faut savoir passer des coups de fil, recouper les infos et les contextualiser. “Nos codeurs et analystes data ont beau avoir des diplômes d’ingénieurs, ce sont des journalistes”, rappelle Paul Steiger.

Combien ça coûte ? 10 millions de dollars par an. Le modèle économique ? Il n’y en a pas. Enfin, pas exactement. ProPublica est entièrement financé par des dons. 10 millions de dons par an. 70% en provenance d’un seul donateur, la famille Sandler. Ce qui n’est pas sans poser des questions sur l’indépendance à moyen terme. Ainsi, Paul Steiger cherche-t-il à diversifier ses donateurs.

Conséquence inédite de ce modèle d’intérêt public, ces enquêtes très coûteuses sont publiées en Creative Commons, c’est-à-dire qu’elles peuvent être reprises ou ré-exploitées par d’autres médias (sélectionnés par ProPublica).

Aux États-Unis, le système du mécénat par les fondations est très répandu. Difficile à imaginer en France. Chez nous, c’est plutôt le modèle de l’aide de l’État qui prime. Ce qui ne favorise ni le dynamisme, ni ce genre d’initiative.

Selon Paul Steiger, en dehors des dons, “il n’y a pas de modèle économique pour le journalisme d’investigation à (très) haut coût”. Il est pourtant indispensable au fonctionnement d’une démocratie. À méditer.

Billet initialement publié sur La Social NewsRoom

Image CC Flickr BillRhodesPhoto et luca.sartoni

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