DJ… et producteur : une nécessité ?

Le 27 janvier 2011

Un dancefloor techno, c'est l'explosion des sens, c'est prophylactique, ça devrait même être prescrit sur ordonnance, c'est un vaccin contre bien des maux de notre civilisation... A condition qu'on laisse les DJ mixer. Ce qui devient rare.

Florian Pittion-Rossillon écrit avec brio sur le monde de la nuit, et propose des réflexions et interviews de grande qualité sur son blog Culture DJ. Il s’attaque aujourd’hui à la dérive qui oblige les DJ à produire pour pouvoir exister.

Depuis plusieurs années, un DJ qui se présente à un organisateur, un média, ou même dans un dîner mondain, doit répondre à une question aussi automatique que sentencieuse : « Tu produis ? ». Gare à lui s’il répond négativement. Le DJ est une figure d’artiste par qui la musique électronique festive devient une culture mondiale, pourtant il ne peut pas exister en tant que tel.

Pour mixer en soirée, il faut avoir produit des tubes

DJ tout seul, c’est la honte… DJ tout seul, ça ne devrait plus exister. Un DJ, donc quelqu’un qui mixe des morceaux de musique entre eux, doit être capable de créer des morceaux. Un DJ qui ne fait que jouer les morceaux des autres appartient à un lumpen prolétariat qu’un business techno tente de circonscrire aux fêtes d’appartement. Il est aujourd’hui admis que pour mixer en soirée, il faut avoir produit des tubes. Ah bon.

Un DJ sommé de produire pour exister, c’est un peu comme le pilote de F1 qui devrait savoir concevoir et construire la voiture qu’il conduit. En 2011, le DJ doit produire pour exister.

Speedy Gonzales vole vers la victoire

La musique électronique fait subir à ses acteurs-clés, les DJ, un sort que le rock, la pop et la chanson, genres pourtant taxés de toutes les tares liées à leur industrialisation, ne réservent pas à leurs interprètes. La musique électronique s’est inventé une tare propre. Comme s’il avait fallu remplacer par d’autres handicaps les stigmatisations ayant ponctué ses premiers pas.

Des producteurs venus enchaîner leurs morceaux

Cela induit des biais qui touchent toute la chaîne de la culture électronique festive, centrée sur le dancefloor et donc les évènements. Cela fait plusieurs années que les plateaux de toutes les soirées de tous les sous-genres de musique électronique (electro, house, techno, drum&bass, hardcore) sont remplis à 75% d’auteurs de tubes – ou vendus comme tels par un marketing à courte vue.

Chaque génération a ses propres habitudes, en matière de production industrialisée

Conséquence : bien des DJ se produisant en soirée sont avant tout des producteurs venus enchaîner leurs morceaux… Bien des DJ se produisant en soirée sont avant tout des ingénieurs/mécaniciens qui prennent le volant de la F1… La musique électronique festive, en intégrant une contrainte dictée par l’industrie, s’est tiré une balle dans le pied.

De plus en plus souvent on s’ennuie en soirée

A tout accepter pour faire tourner la billetterie, les producteurs d’évènements ont avalé la grosse pomme du serpent de la rentabilité à court terme.

Car le délire festif que savent amener les DJ s’est envolé de bien des évènements, soirées, raves, festivals. On attend des producteurs qu’ils jouent leurs tubes, quelques exclus, un ou deux remixes de collègues producteurs. Un DJ viable en 2011, c’est celui qui saura remplir au mieux un cahier des charges prédéfini par un organisateur d’évènements. Créativité, originalité, technique aux platines pendant la prestation publique… sont devenues des options.

Le problème, c’est l’obligation

Résultat : de plus en plus souvent, en soirée et sur évènement on s’ennuie.

Attention : un DJ est légitime à produire, un producteur est légitime à mixer. Question d’envie. Pas question ici de critiquer la légitime démarche créative d’artistes désirant développer leur champ d’action. Et depuis les débuts de la techno, il existe d’illustres figures de DJ-producteurs (Plastikman, Jeff Mills, Laurent Garnier pour citer les plus vénérables, Radium, TSX ou AK47 pour les potes).

Toute éternité

C’est plutôt que les exigences suicidaires d’un système dévoyé commencent à remplir le caniveau de bébés Guetta (qui a inventé le mix sans les mains puisqu’il est tout le temps les bras en l’air).

Le problème, ce n’est pas la production. Le problème, c’est l’obligation.

L’architecture industrielle moderne a conçu des lieux accueillants pour les travailleurs enthousiastes

Cette obligation de produire qui, posée en condition sine qua non pour les DJ, révèle de façon flagrante l’immaturité marketing de la musique électronique en tant que secteur économique. Celui-ci, pour développer ses marques d’évènements, a distordu un de ses préceptes de base : la liberté du DJ dans sa sélection musicale, paramètre fondateur et pourtant oublié.

Cette logique a eu pour aboutissement la facilité à laquelle se sont livrés moult promoteurs d’évènements : faire reposer toute leur communication sur le plateau. La somme des noms affichés sur un flyer valant garantie de réussite pour une soirée. Alors que de toute éternité (et plus certainement depuis 20 ans), la qualité d’un évènement techno se mesure à l’éclat de son nom en tant que marque festive, au-delà de l’empilage de têtes d’affiches abonnées à tous les festivals.

Promesse d’ambiance

La multiplication des évènements petits ou gros et la déconvenue de certains organisateurs entraîne toutefois que soit posée de plus en plus régulièrement la question du nouveau graal du marketing festif : et la promesse d’ambiance bordel ?

Tant il est vrai que pour la techno, tout se joue sur le dancefloor.

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Cet article à été initialement publié sous le titre de “Splendeur et misère du DJing : l’obligation de produire”

Crédits photos : Hadche, Pierre J, Nanard34

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