Moussavi et Karoubi arrêtés, quel avenir pour le mouvement vert?

Le 7 mars 2011

Les deux leaders de l'opposition iranienne ont été arrêtés. Le régime iranien entend mater le réveil du mouvement vert, né au lendemain de l'élection présidentielle de juin 2009.

Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi ainsi que leurs femmes ont été arrêtés et conduits à la prison de Heshmatiyeh à Téhéran.

Le site proche de l’opposant iranien Mir Hossein Moussavi, Kalame, a mis fin à plusieurs jours de rumeurs en annonçant, lundi 28 mars, l’arrestation des deux leaders et candidats malheureux à l’élection présidentielle de 2009. Le procureur général de Téhéran Gholam-Hossein Mohseni-Ejei a démenti leur arrestation dans la foulée. Dès lundi soir, une source des autorités judiciaires citée par l’agence officielle Fars affirmait que Moussavi et Karoubi étaient toujours chez eux, mais que leurs contacts avec l’extérieur étaient extrêmement limités.

La date et les conditions précises dans lesquelles se sont déroulées leurs arrestations demeurent opaques. Plusieurs pistes laissent penser qu’elles auraient eu lieu entre le 23 et le 24 février. Les voisins de Karoubi ont affirmé que les lumières de sa maison étaient éteintes et que sa maison paraissait abandonnée depuis. La fille de Moussavi a déclaré ne plus avoir aucun contact avec ses parents. Le porte-parole de Moussavi en exil à Paris, Ardechir Amir-Arjomand, affirme à OWNI n’avoir plus aucune nouvelle depuis le 14 février. 

Le Guide Suprême, Ali Khameneï, et son entourage sont suspectés d’être derrière leur arrestation. L’ordre d’incarcération dans la prison d’Heshmatiyeh aurait été donné par “la maisonnée du Guide” selon Azadeh Kian-Thiébaut, sociologue spécialiste de l’Iran au CNRS. Les proches de Moussavi et Karoubi accusent quant à eux le deuxième fils du Guide, Mojtaba Khameneï. Sa responsabilité avait été évoquée dans la répression qui a suivi l’élection présidentielle de juin 2009. Ardechir Amir-Arjomand, porte-parole de Moussavi en exil à Paris, confirme à demi-mot l’implication du plus haut sommet de l’État :

le chef du pouvoir judiciaire a déclaré récemment que le sort des deux leaders [Moussavi et Karoubi] était entre les mains du Guide.

L’arrestation des deux leaders de l’opposition ne ferait pas l’unanimité au sein du régime selon Azadeh Kian-Thiébaut. Les services de renseignement aurait préféré les garder en résidence surveillée, mais les Pasdaran1 auraient pris la décision de les arrêter, sans doute pour éviter que les manifestants ne convergent vers leurs maisons. Le sort des deux leaders demeure très incertain. “Nous ne savons pas du tout dans quelle situation juridique ils se trouvent. Sont-ils en détention provisoire ? Seront-ils bientôt jugés ?” interroge le porte-parole de Moussavi. 

Cabale au sommet contre les leaders du mouvement

Moussavi et Karoubi avaient défié les autorités en appelant à manifester le 14 février en solidarité avec les soulèvements tunisien et égyptien. Le large mouvement de protestation né au lendemain de l’élection présidentielle en juin 2009 n’avait pas survécu à la répression et ne s’était plus exprimé depuis février 2010. Plus aucune manifestation de l’opposition n’avait eu lieu. Les rassemblements du 14 février rompaient ce long silence. La forte présence policière a empêché les manifestants de se rassembler. Police anti-émeute à moto, bassidjis (miliciens) et agents en civils protégeaient les grandes avenues de Téhéran, notamment l’avenue Enqelab (Révolution), l’une des principales avenues du centre qui a été le théâtre de nombreuses manifestations.

Affiche annonçant les manifestations du 14 février 2011

Dès le mardi 15 février, 223 députés du Parlement, soit 80% de ses membres, ont signé un texte très sévère à l’encontre des deux leaders de l’opposition. Après la lecture, ils se sont exclamés : “Mort à Moussavi ! Mort à Karoubi !” reprenant le traditionnel “Mort à l’Amérique ! Mort à Israël !” scandé lors des célébrations officielles. Dans un chahut assez inhabituel, ils ont ensuite réclamé “la peine de mort pour les leaders de la Fitna”, un terme coranique signifiant sédition que le régime iranien emploie pour qualifier les leaders de l’opposition.

Le 16 février, certains conservateurs ont appelé à des poursuites judiciaires. Ali Akbar Nouri, battu par le réformateur Khatami lors de l’élection présidentielle en 1999, leur a emboité le pas, demandant que le pouvoir judiciaire se charge des leaders de la sédition. Fin décembre, de grandes affiches appelant à la fin de la Fitna, visant implicitement l’opposition, étaient apparues sur l’avenue Enqelab.

Samedi 19 février, le président de la Commission de Sécurité Nationale du Parlement, Aleaddin Boroudjerdi, a ravivé les craintes d’arrestation dans une interview au journal italien Il Manifesto. Il avait alors déclaré que les deux chefs du mouvement vert (l’opposition) “n’étaient pas sous résidence surveillée mais qu’ils se déplaçaient sous escorte armée pour avoir agi contre la loi en organisant des manifestations sans autorisation”. Avant d’ajouter qu’ils “pourraient faire l’objet de poursuites”.

De fait, Karoubi et Moussavi était assignés à résidence depuis le 13 février. Un mur d’acier a été construit dans la ruelle permettant d’accéder à la résidence de Moussavi. Karoubi serait surveillé à l’intérieur même de son domicile par des membres de la milice, les bassidjis, selon certaines sources. Un de ses deux fils, Ali, a également été arrêté.

“Le gouvernement cherche à radicaliser l’opposition” explique Amir-Arjomand. En coupant les têtes du mouvement, il voudrait pousser les manifestants à la désorganisation, avant de “semer la dissension en son sein”, poursuit-il.

L’eau, l’électricité, le gaz et le gazole bientôt plus chers

Ce nouveau rebondissement pourrait porter un coup sévère au mouvement vert, l’opposition née après l’élection présidentielle de 2009. Selon Azadeh Kian-Thiébaut :

L’opposition est là comme le prouvent les klaxons entendus mardi [1er mars] à Téhéran et dans plusieurs grandes villes, mais seuls les plus organisés, les plus dévoués et les plus courageux défilent dans les rues.

Les derniers relais des deux leaders sont de plus en plus isolés. Des personnalités de deuxième plan ont été arrêtées mardi, notamment Mostafa Tajzadeh et son épouse Fakhri Motashamipour, une figure du féminisme islamique membre du parti réformateur Front de Participation à l’Iran Islamique. Le régime déploie de très larges moyens répressifs à chaque nouvelle journée d’action, prévue tous les mardis jusqu’au 17 mars. M. Amir-Arjomand rappelle que M. Moussavi et M. Karoubi ont lancé un conseil de coordination il y a quelques mois pour permettre au mouvement vert de survivre en cas d’arrestation.

Le principal défi pour le gouvernement reste à venir. Le réveil des régions périphériques, traditionnelles méfiantes envers le pouvoir central, pourrait accentuer la pression sur le gouvernement. À Tabriz et dans le Kurdistan, des manifestations ont eu lieu ces derniers jours.

Les classes populaires pourraient aussi rejoindre l’opposition. Pour l’heure, le mouvement vert rassemble principalement les classes moyennes. Mais la détérioration de la situation économique pourrait changer la donne. Décidée en décembre dernier, la suppression des subventions sur le gaz, l’essence, le gazole, l’eau, l’électricité et le pain fera bientôt effet. Jusqu’à présent, la hausse des tarifs a été mise en place progressivement, ville par ville voire quartier par quartier à Téhéran. Le prix du gaz devrait être multiplié par cinq, celui du gazole par neuf, passant de 0,0165 USD à 0,150 USD le litre.

Les caisses de réserve sont presque vides. Norouz, la principale fête iranienne le 21 mars, sera un nouveau test pour le gouvernement. À ce moment-là, si la situation économique empire, les classes populaires pourraient rallier le mouvement de protestation. Azadeh Kian conclut :

Pour le régime, le risque sera maximum. Aujourd’hui, il tente de réprimer les volontés protestataires en anticipant sur Norouz. On est dans un mouvement de répression préventive.

Crédits photo FlickR CC Crethi Plethi // Wikimedia Commons Mardetanha

  1. l’armée idéologique du régime directement reliée au bureau du Guide []

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