Rédactions: la révolte viendra-t-elle du web?

Le 9 mars 2011

Le Post, Le Monde interactif, où le mouvement n'est peut-être pas terminé, Prisma et maintenant l'Equipe.fr. Un vent de révolte soufflerait-il sur les rédactions en ce début d'année ?

Sans le savoir, les journalistes du Post auraient-ils insufflé la révolte dans les rédactions? S’ils s’inquiétaient avant tout de leur avenir, ils semblent bel et bien avoir donné des idées dans d’autres journaux en dénonçant le peu de moyens dont ils disposent et la précarisation de plusieurs d’entre eux, coincés dans des CDD qui n’aboutissent pas aux embauches fermes promises.

Une colère qui a d’abord gagné leurs collègues du Monde interactif où, au contraire de ce qu’affirme Emmanuel Schwartzenberg dans son article de dimanche sur Electronlibre, le conflit n’est peut-être pas aussi désamorcé que Louis Dreyfus semble le croire. Si celui-ci affirme avoir décidé, la semaine dernière, de régulariser 18 emplois précaires et d’ouvrir le 1er juillet prochain une négociation sur les 40 collaborateurs non-régularisés, en interne, on ne se montre pas forcément satisfait de la réponse :

Il a rien désamorcé du tout.  Sur 7 CDD du Monde interactif qui venaient à échéance ces derniers jours 6 se sont transformés en CDI. Un journaliste du Post.fr a vu son CDD se termine le 28 février sans CDI par la suite comme la direction du Monde interactif l’avait promis. Ce chiffre doit contenir les 6 CDI du MIA et ceux du papier mais nous n’avons pas d’infos aussi précise de notre côté et nous ne savons pas d’où vient ce chiffre de 40. En ce moment le délégués syndicaux font les comptes mais rien qu’au Monde interactif il y aurait une petite trentaine de précaires. Donc si on ajoute ceux du Monde papier, cela dépasse surement les 40.

Calmé peut-être, réglé, rien n’est moins sûr. Car c’est la nouveauté de l’année, les rédactions ne semblent plus craindre de se rebeller ouvertement. Fait assez rare dans le petit monde des rédactions, les menaces de grèves sont désormais brandies publiquement. C’est aussi le cas de L’Equipe.fr où, comme l’expliquent les Inrocks, l’équipe numérique menace également de cesser le travail.

Les raisons de la colère ?

Des différences de salaires étonnantes d’abord, 1 000€ de moins à l’embauche pour un journaliste web par rapport à un rédacteur premier échelon papier selon l’hebdo. De quoi l’avoir mauvaise, en effet, quand on sait que L’Équipe se veut le premier site d’info du pays avec plus de 75 millions de visites en janvier et la bagatelle de 655 millions de pages vues. Mais aussi un ras-le-bol des conditions de travail et de précarisation des équipes du web… comme chez les confrères du Post et du Monde interactif.

Pour paraphraser Mon Général : on peut sauter comme un cabri en disant ” le modèle économique, le modèle économique “, mais on ne gagne rien en n’investissant pas. Le web, c’est pas de la magie !

Et ce n’est finalement pas très étonnant que ce vent de révolte souffle souvent depuis les équipes digitales. Pas parce qu’elles seraient entièrement composées d’affreux jeunes débutants gauchistes aux idées courtes, mais plutôt parce que, pour plusieurs grands médias, il est sans doute temps de passer la seconde en ligne !

Depuis plusieurs années, les équipes web font leur boulot, et plutôt bien. Elles évoluent dans un monde qui ne cesse de changer avec la ferme impression, confirmée par tous les discours qu’ils tiennent eux-mêmes, que les capitaines n’ont pas grande idée du cap à tenir. Loin de se décourager, bon nombre de journalistes en ligne ont appris à bosser dans le brouillard et avec trois bouts de ficelle. Mieux, elles en ont souvent fait un force, transformant le manque de moyens en aiguillon permanent à la créativité, l’inventivité. Et les résultats, s’ils ne sont pas parfaits, sont assez impressionnants en terme de fréquentation.

Oui, mais ces sites ne gagnent pas d’argent, où est le modèle économique ?

me rétorquera-t-on sûrement, justifiant ainsi la multiplication des CDD, les salaires souvent plus bas et le peu de moyens investis dans cette présence en ligne.

A cela, je répondrai :

1- Si le simple constat qu’on ne gagne pas d’argent suffisait à justifier le fait de ne pas investir dans un média, bon nombre de journaux papier auraient déjà dû cessé de paraître depuis longtemps.

La plupart des journaux français perdent depuis longtemps pas mal d’argent et pourtant, leurs directions continuent d’investir dedans.  Depuis 15 ans, combien de centaines de millions d’euros ont été investis régulièrement dans des rotatives ou des nouvelles maquettes pour des titres qui perdaient des lecteurs et de l’argent ? Sur le web, bizarrement, on semble s’être inventé des prudences de bon père de famille : on ne consent que des investissement minimaux tant qu’on ne voit pas poindre à l’horizon le fameux Graal du modèle économique

2- On en revient toujours à ce fameux modèle économique en ligne, après lequel tout le monde court. Et là, forcément, certains capitaines de navires ne sont pas à l’aise.

Car c’est finalement à eux que revient de trouver ou d’inventer ce fameux modèle économique. Défi de taille, certes, mais qui est pourtant bel et bien de leur responsabilité (les mauvaises langues ajouteront que cela justifie également leur salaire).
Éditeurs, directeurs de rédactions, vous avez demandé de l’audience web car c’est le modèle de développement commercial que vous avez choisi ? Vous en avez, et par millions chaque mois. Faut-il arrêter la course à l’audience? Organiser autrement la commercialisation de cette audience (lorsqu’on annonce seulement en 2011 l’arrivée de deux commerciaux dédiés aux 11 millions de visites mensuels du Post, il y a forcément de quoi se poser des questions sur ce plan par exemple)? Faut-il innover radicalement dans cette même proposition commerciale? Proposer d’autres lignes éditoriales en ligne?

Les questions sont multiples et les réponses loin d’être faciles à trouver. L’expérimentation va continuer et il n’est pas impossible qu’aucun modèle économique généralisé ne se dégage, poussant chacun à inventer le sien propre. Mais l’une des rares choses quasi certaines, c’est que rien d’intéressant n’émergera sans investir “normalement” ou en donnant l’impression aux équipes digitales qu’elles sont la 5è roue d’un carrosse qui ne sait pas où il va…

Article initialement publié sur le blog d’Erwann Gaucher

Crédit photo Flickr CC : Bruckerrlb / AlainBachelier / RomainSaillet

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