Jeunes artistes : laissez-les chanter

Le 29 avril 2011

Les festivals commencent à ouvrir leurs portes, et les artistes entament leurs tournées estivales. Des grands noms fleurissent sur les affiches, mais qu'en est-il du rôle de défricheur de talents de ces festivals?

Shaka Ponk, Yodelice, Lavilliers, Louis Chedid, Catherine Ringer, Keren Ann, Archive, BB Brune, AaRON, Katerine… tous vont se partager les scènes des différents festivals cette année. Leur notoriété semble plus importante que la découverte de jeunes pousses. Pourtant, les faire jouer coûte cher. Plus cher que de nouveaux talents.
Les tourneurs, qui organisent les tournées de ces artistes, expliquent cet état de fait par la notoriété du chanteur ou du groupe, qui permet le plus souvent aux programmateurs de rentrer dans leurs frais.

Aux Francofolies de la Rochelle, le ratio découverte/tête d’affiche est sensiblement le même chaque année: 15 pour 40. Les Premières Scènes Franco sont des scènes découvertes. Au nombre de douze environ cette année, ce sont des jeunes qui sortent du Chantier des Francos, inconnus du grand public. Du côté du festival, on affirme que :

Certains débutent dans le milieu et d’autres un peu moins mais, en général, il faut être curieux pour déjà les connaître ou les avoir entendus.

Entre la norme et la réalité parfois, il y a comme un grand écart. Au programme de cette édition 2011 des Francofolies, les Twin-Twin, qui bénéficient d’une certaine exposition, sont par exemple classés “découverte”. Mais aussi Mélanie Laurent, Zaz ou Ours, les deux derniers étant pour les programmateurs de “jeunes talents”, découverts l’an dernier au cours du festival. Le pari de lancer quelques jeunes talents semble dans ce cas réussi.

Et les retours sur investissement largement supérieurs à ceux escomptés. Sur les 130 concerts cette année, les artistes de la grande scène – ceux qui remplissent les salles le restant de l’année – vont jouer sur cinq scènes différentes par soir pendant quatre soirées. Pour le 14 juillet, ces privilégiés seront au nombre de six. Soit environ 26 chanteurs et/ou groupes mis en concurrence avec ces jeunes inconnus “à connaître”. Sans compter quelques artistes déjà plutôt médiatisés sur les quatre autres scènes. La programmation compte en effet plus de 40 chanteurs ou groupes dont la renommée est déjà faite et une quinzaine de véritables découvertes.

Money Money Money, must be funny

Parmi les artistes confirmés, les plateaux (salaires, cachet de l’artiste et les frais de route entre autres) sont élevés, sans que les artistes gagnent forcément des sommes pharamineuses. Un tourneur explique qu’avec un plateau évalué à 15.000 euros, il revient en moyenne 2.000 euros à l’artiste. Rien à voir avec le cachet que touche un débutant. Les prix de plateaux demandés par les tourneurs aux programmateurs de festivals sont “gonflés”. Sur l’ensemble des personnes contactées par OWNI, aucune ne donnera de montant précis: point de transparence pour les “grands” artistes.

Izia aux Solidays 2010

La raison principalement invoquée repose avant tout sur l’argument selon lequel“personne ne sait combien l’artiste touche pour un concert de tournée classique”. La négociation se joue alors sur le nombre de spectateurs potentiels. En effet, l’artiste se produisant en festival devant plusieurs milliers de personnes demandera à toucher plus qu’au cours des concerts du reste de l’année, ayant lieu le plus souvent dans des salles pouvant contenir beaucoup moins de spectateurs.

Come on, die young

Pour un jeune talent, le festival d’été est souvent le meilleur moyen de toucher beaucoup de monde d’un seul coup et, parfois, de lancer ainsi sa carrière. Le parcours des festivaliers en goguette permet souvent d’attirer l’attention de certains vers la scène découverte. Quitte ou double pour l’artiste en question. Son tourneur négocie sa présence le plus souvent en démarchant et en présentant son poulain. En amont des festivals, c’est lui qui invite les organisateurs aux dates de son artiste, qui envoie des mails et serre des mains lors des soirées, et ce bien longtemps avant la date d’ouverture des festivals. Parce qu’il y croit, il n’a pas forcément à l’esprit la rentabilité. Un booker – terme anglais désignant un tourneur – explique qu’il est “obligé de prendre 15 % mais que sa marge n’est pas vraiment très élevée”.

Prenant l’exemple d’un artiste – qu’il ne souhaite pas citer -, il estime qu’il “coûte” 2.500 euros au total. Pour une date de quatre musiciens dont un chanteur, et deux techniciens (un ingénieur du son et un régisseur), il propose à l’organisateur du festival un prix de plateau. Dans ce prix de plateau sont compris les salaires, le cachet de l’artiste et les frais annexes. Le tourneur explique que :

Parfois, tu es au delà de ce que tu vas pouvoir récupérer sur la date en elle-même puisque tu vas peut-être dépenser plus que ce que ça va te rapporter. C’est juste une indication pour l’organisateur du festival.

Ces 2.500 euros tiennent compte des 170 euros brut du cachet de l’artiste (environ 80 euros net). Un technicien lui “coûte” 100 euros net soit environ 210 en incluant les charges salariales. On arrive selon lui à près de 1.000 euros de masse salariale. Si on ajoute l’ensemble des frais liés à la logistique (location du camion, péage, nourriture), le pari de la jeune découverte l’endette – à court terme – de 2.000 euros.

Un pari risqué, donc. Se tourner vers les artistes côtés et reconnus représente l’assurance de ne pas perdre trop pour le tourneur et les programmateurs. S’investir pour faire découvrir un artiste se joue en amont du festival et implique un plan marketing visiblement plus complexe que pour une tête d’affiche. Il s’agit d’insister, de procéder avec méthode en partant du petit concert du coin au festival régional et enfin, à la gloire. Les festivals sont toujours vus comme des tremplins, l’idée étant pour les promoteurs de gérer le développement de leur artiste sur le long terme, pas de rentrer dans leurs frais dès le départ.

Mais entre les dépenses engendrées et l’assurance de pouvoir placer un artiste dont on sait qu’il va remplir l’espace ou le carré d’herbe devant la scène, le choix est fait. Celui de faire venir la foule. Et ce même si l’artiste plébiscité peut coûter cinq à dix fois plus cher que la jeune pousse enthousiaste.

> Illustrations Flickr CC J0k, Shugga

> Retrouver nos articles dans le dossier Festival : C’était mieux avant ?et Festivals cherchent finances

Image de Une Mick ㋡rlosky

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés